COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4DA
13e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 MAI 2019
N° RG 18/07842 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SZBR
AFFAIRE :
SASU TBI
C/
Me [F] [W]
...
[L] P [K], dirigeant d'entreprise
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Novembre 2018 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre :
N° Section :
N° RG : 2017J00554
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 14/05/2019
à :
Me Stéphanie ARENA
Me Patricia MINAULT
Me Bertrand LISSARRAGUE
TC NANTERRE
M-P
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE MAI DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
La SASU TBI Agissant poursuites et diligences au nom de sa dirigeante, la SAS C PLUS dont le siège social est situé au [Adresse 1] elle-même représentée par sa dirigeante la SAS PROSPHERES dont le siège social est situé au [Adresse 2]
[Adresse 1]
[Adresse 3]
Représentée par Maître Stéphanie ARENA avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 637 et par Maître Emmanuel DRAI avocat plaidant au barreau de PARIS.
APPELANTE
****************
Maître [F] [W] pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Société TBI
[Adresse 4]
Représenté par Maître Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20180531 et par Maître Isilde QUENAULT avocat plaidant au barreau de PARIS.
LE PROCUREUR GENERAL
COUR D'APPEL DE VERSAILLES
[Adresse 5]
INTIMES
****************
Monsieur [L] P.[K], dirigeant d'entreprise
né le [Date naissance 1] 1956 à SURESNE (92153) - de nationalité Française
[Adresse 6]
Représenté par Maître Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire: 625 et par Maître Olivier PUECH avocat plaidant au barreau de PARIS.
PARTIE INTERVENANTE
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Mars 2019, Madame Sophie VALAY-BRIERE, présidente, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,
Madame Marie-Andrée BAUMANN, Conseiller,
Madame Delphine BONNET, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 31/01/2019 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique.
La SASU TBI exploitait un fonds de commerce d'entreprise générale du bâtiment. En 2013 son capital a été intégralement acquis par la société C plus, filiale de la société holding Phi group, au moyen d'un financement souscrit auprès de la société KBC bank.
En juillet 2015, la société C plus ne s'acquittant plus de ses échéances, la société KBC bank a procédé à la conversion de ses obligations en actions de la société C plus et le 31 août 2015, les sociétés C plus, KBC bank et Phi group ont conclu un accord de conciliation constaté par le président du tribunal de commerce de Versailles le 15 octobre 2015.Les termes de l'accord n'ayant pas été respectés, la société KBC bank a pris le contrôle de la société C plus le 23 mai 2016 et s'est mise en relation avec M. [L] [K], manager de crise, lequel est devenu mandataire social de la société C plus.
La société TBI rencontrant des difficultés de trésorerie, le président du tribunal de commerce de Versailles a désigné un mandataire ad'hoc le 14 octobre 2016 puis ouvert, le 21 avril 2017, une procédure de conciliation au profit de la société TBI, Maître [P] étant désigné en qualité de conciliateur, sans qu'une solution aux difficultés de la société ne puisse être trouvée.
Le 19 juin 2017, la direction de la société C plus a été confiée à la société Prosphères, manager de crise.
Le 31 juillet 2017, cette dernière a procédé à la déclaration de cessation des paiements de la société TBI auprès du tribunal de commerce de Nanterre et sollicité l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire.
Suivant jugement du 4 août 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire avec poursuite d'activité jusqu'au 31 octobre 2017 à l'égard de la société TBI, la date de cessation des paiements étant fixée provisoirement au 1er juillet 2017, maître [R] étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire et maître [W] en qualité de liquidateur judiciaire.
Le 13 octobre 2017, le tribunal de commerce de Nanterre a arrêté le plan de cession au profit de la société TGL group pour le prix de 200 000 euros.
Une procédure de liquidation judiciaire a également été ouverte à l'égard de la société C plus, maître [W] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire.
Considérant que la société TBI était en état de cessation des paiements depuis au moins le 31 décembre 2016, ce dernier a saisi le tribunal de commerce de Nanterre aux fins d'obtenir le report de la date de cessation des paiements.
Suivant jugement contradictoire rendu le 7 novembre 2018, le tribunal de commerce de Nanterre a accueilli cette demande et reporté la date de cessation des paiements de la société TBI initialement fixée au 1er juillet 2017 au 31 décembre 2016.
La société TBI a interjeté appel de cette décision le 20 novembre 2018.
Dans ses dernières conclusions, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 15 février 2019, la société TBI, représentée par la société C plus en liquidation judiciaire, elle-même représentée par la société Prosphères, demande à la cour de :
- constater le défaut de réponse à conclusions ;
En conséquence,
- annuler le jugement déféré ;
Ou en tout état de cause,
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes ;
- dire qu'elle n'était pas en état de cessation des paiements au 31 décembre 2016 ;
- fixer la date de cessation des paiements au 1er juillet 2017 ;
- condamner maître [W] à payer la somme symbolique de 1 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Selon conclusions remises au greffe et notifiées par RPVA les 7 et 15 mars 2019, M. [L] P.[K], intervenant volontairement, demande à la cour de :
- déclarer recevable son intervention volontaire en sa qualité d'ancien dirigeant de C plus, elle-même dirigeante de TBI ;
- dire et juger qu'en statuant sur le report de la date de cessation des paiements de TBI en l'absence de rapport du juge-commissaire, le tribunal de commerce de Nanterre a violé les dispositions impératives et prescrites à peine de nullité par l'article R. 662-12 du code de commerce ;
- dire et juger qu'en s'autosaisissant d'une demande de résolution du moratoire CCSF pour
prononcer le report de la date de cessation des paiements de TBI, le tribunal de commerce de Nanterre a excédé ses pouvoirs et entaché son jugement de nullité ;
- annuler en conséquence le jugement dont appel ;
- Avant dire droit, ordonner la production, par maître [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de TBI, de l'ensemble des pièces comptables pertinentes, et en particulier le journal de banque et les relevés bancaires, permettant à la cour de constater les règlements (virements et chèques) réalisés par TBI au profit des caisses sociales sur la période du 1er janvier 2017 au 30 juin 2017 ;
En tout état de cause,
- dire et juger que c'est à tort que le tribunal de commerce de Versailles a décidé que le moratoire CCSF était de plein droit et rétroactivement résolu au 31 décembre 2016 pour fixer, au prix d'une reconstitution hasardeuse et contestable du passif exigible de TBI, sa date de cessation des paiements au 31 décembre 2016 ;
- dire et juger que la société TBI n'était pas en état de cessation des paiements au 31 décembre 2016, son actif disponible, en ce compris les moratoires et réserves de crédit dont elle bénéficiait, lui permettant de faire face à son passif exigible ;
- infirmer en toutes ses dispositions le jugement en ce qu'il a fixé la date de cessation des paiements de TBI au 31 décembre 2016 ;
- débouter maître [W], ès qualités de liquidateur judiciaire de TBI, de l'ensemble de ses demandes ;
- fixer la date de cessation des paiements de TBI au 1er juillet 2017, date retenue par le tribunal de commerce de Nanterre dans son jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire de TBI en date du 4 août 2017 ;
- dire que les dépens seront employés en frais privilégiés d'apurement du passif.
Dans ses dernières conclusions, déposées au greffe et notifiées par RPVA le 14 mars 2019, maître [W], ès qualités, demande à la cour de :
- déclarer irrecevable et subsidiairement mal fondée la demande de nullité du jugement pour excès de pouvoir présentée par M. [K] ;
- débouter M. [K] et la société TBI de leur demande tendant à la nullité du jugement déféré ; A titre subsidiaire, si le jugement était annulé et compte tenu de l'effet dévolutif de l'appel, en tout état de cause :
- statuer au fond et confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions ;
en conséquence,
- reporter la date de cessation des paiements de la société TBI au 31 décembre 2016 ;
En tout état de cause :
- débouter la société TBI et M. [K] de l'ensemble de leurs demandes, fins, moyens et conclusions ;
- condamner M. [K] au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dire et juger que les dépens seront passés en frais privilégiés de la procédure collective, dont distraction est sollicitée au profit de la Selarl Patricia Minault agissant par maître Minault, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans son avis communiqué par RPVA le 31 janvier 2019, le ministère public recommande la confirmation du jugement dès lors que la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture de liquidation judiciaire a été arrêtée dans l'ignorance de l'existence de la décision de la CCSF du 15 décembre 2016 d'accorder un plan d'apurement à l'appelante. Dans la mesure où deux des trois conditions résolutoires cumulatives de ce plan n'ont pas été remplies, celui-ci est devenu caduc et la dette d'un montant de 9,2 millions d'euros est devenue exigible au 31 décembre 2016, portant le passif exigible à la somme de 9,94 millions d'euros pour un actif disponible de 4,155 millions d'euros de sorte qu'il y a lieu de reporter la date de cessation des paiements à ce jour.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 18 mars 2019.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1- Sur l'intervention volontaire de M. [L] [K]
M. [K] expose que son intervention volontaire est recevable en ce qu'il n'était pas partie en première instance et qu'il est celui dont les droits sont le plus directement susceptibles d'être affectés par un report de la date de cessation des paiements.
Ni la société TBI ni maître [W], ès qualités, ne concluent à l'irrecevabilité de cette intervention.
Selon l'article 554 du code de procédure civile, seules peuvent intervenir en cause d'appel dès lors qu'elles y ont intérêt les personnes qui n'ont été ni parties ni représentées en première instance ou qui y ont figuré en une autre qualité.
Il est constant que M. [K] ne figurait pas comme partie au jugement de première instance et qu'en sa qualité d'ancien président de la société C Plus, elle-même dirigeante de la société TBI, il a un intérêt personnel à agir dans le cadre de l'action en report de la date de cessation des paiements, le succès de celle-ci étant susceptible d'avoir des conséquences en cas d'éventuelles fautes de gestion.
Il y a lieu, par conséquent, de déclarer son intervention volontaire recevable.
2- Sur les demandes de nullité du jugement
La société TBI prétend qu'en refusant de prendre en compte les arguments qu'elle a développés à l'oral et les pièces présentées à l'appui de ceux-ci au motif qu'ils n'étaient pas repris dans des conclusions écrites, alors que la procédure devant le tribunal de commerce est orale, le procureur de la République et le tribunal de commerce n'ont pas répondu à ses conclusions. Elle considère que ce défaut de réponse aux conclusions doit être sanctionné par la nullité du jugement mais qu'en raison de l'effet dévolutif de l'appel, cette nullité ne frappant pas l'acte introductif, la cour doit réexaminer la situation.
M. [K] soutient en premier lieu qu'en l'absence de rapport du juge-commissaire la décision est entachée de nullité en application de l'article R.662-12 du code de commerce. Il fait valoir que ce défaut de rapport fait grief en ce qu'il a perdu la chance qu'une voix plus objective que celle du liquidateur judiciaire éclaire le tribunal.
En deuxième lieu, il prétend que le tribunal a commis un excès de pouvoir en prononçant la résolution rétroactive du moratoire CCSF, justifiant là encore l'annulation du jugement.
Me [W] réplique, tout d'abord, que la société TBI n'a formé aucune demande en première instance, se contentant de s'en rapporter à justice comme mentionné dans le jugement déféré qui fait foi jusqu'à inscription de faux, et que si à l'audience elle a développé une argumentation tendant au rejet des demandes de son contradicteur, le ministère public a relevé que cet argumentaire, qui ne portait pas sur des points juridiques précis, revêtait un caractère ambigu et violait le principe du contradictoire, notamment en faisant état d'éléments qui n'avaient jamais été évoqués auparavant. Il en déduit que les juges n'étaient dès lors pas tenus de répondre à la moindre argumentation de sa part, de sorte que le jugement n'encourt pas de nullité sur le fondement de l'article 455 du code de procédure civile.
S'agissant ensuite de l'absence de rapport du juge-commissaire, il relève qu'il n'est justifié d'aucun grief par M. [K], qui n'était pas partie en première instance.
Il expose enfin que la voie de l'appel-nullité n'est pas ouverte à l'encontre du jugement déféré pour lequel un appel-réformation est possible et qu'au demeurant le tribunal n'a commis aucun excès de pouvoir en qualifiant d'exigible un passif.
En disposant que le tribunal statue sur rapport du juge-commissaire sur tout ce qui concerne la sauvegarde, le redressement et la liquidation judiciaires, l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif, la faillite personnelle ou l'interdiction prévue à l'article L. 653-8, l'article R.662-12 du code de commerce impose au juge-commissaire d'établir un exposé objectif, en fait et en droit, des éléments en sa possession susceptibles d'éclairer le tribunal sur les demandes dont le tribunal est saisi.
Il s'agit d'une formalité substantielle dont l'absence emporte la nullité du jugement, peu important l'existence d'un grief.
En l'espèce, le jugement dont appel ne vise aucun rapport écrit ou oral du juge-commissaire, en sorte que rendu en l'absence d'un tel rapport, il doit être annulé sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dès lors qu'aucun n'a trait à la régularité de la saisine de la juridiction de première instance.
L'annulation du jugement n'étant pas prononcée en raison d'une telle irrégularité et le jugement annulé n'ayant ni ordonné une mesure d'instruction ni mis fin à l'instance après avoir statué sur une exception de procédure, la cour, saisie de l'entier litige par l'effet dévolutif de l'appel, doit se prononcer sur le fond.
3- Sur la demande de production de pièces
Au motif qu'il n'a plus accès aux données comptables de l'entreprise et reprochant au liquidateur judiciaire d'inverser la charge de la preuve, M. [K] demande à la cour d'ordonner à ce dernier de produire l'ensemble des pièces comptables pertinentes, et en particulier le journal de banque et les relevés bancaires, permettant à la cour de constater les règlements (virements et chèques) réalisés par la société TBI au profit des caisses sociales sur la période du 1er janvier 2017 au 30 juin 2017 afin de compléter les éléments de preuve qu'il verse aux débats pour démontrer que les montants courants dus notamment à Pro BTP à compter du mois de janvier 2017 ont été payés. Il ajoute que les déclarations de créance ne sont pas des éléments objectifs et incontestables.
Me [W] réplique, d'une part, que M. Niegar, qui a été dirigeant de la société TBI et qui a donc été en possession des pièces comptables, doit être capable de prouver que la société s'est libérée de ses obligations en paiement. Il considère que la demande de communication de 'l'ensemble des pièces comptables', de par son caractère général, est purement dilatoire et vise en réalité à tenter de retarder cette procédure et d'inverser la charge de la preuve.
En application de l'article 1353 du code civil, celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Réciproquement, celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l'extinction de son obligation.
S'il est exact qu'une créance déclarée peut être utilement contestée, il n'en reste pas moins que sa déclaration constitue un commencement de preuve de non paiement, surtout lorsqu'elle n'est pas contestée dans son existence ou son exigibilité, élément que la société TBI, qui est présente à la procédure et qui ne verse aucune pièce comptable, est en capacité de rapporter.
M. Niegar a exercé les fonctions de président de la société C Plus et donc de la société TBI du 23 mai 2016 au 23 juin 2017, en sorte qu'il a eu accès aux documents, notamment comptables, de la société TBI durant cette période. De fait, il verse aux débats des attestations établissant que la société TBI s'est partiellement acquittée de ses obligations en paiement durant sa présidence et la société TBI elle-même produit certaines copies de chèques adressés à CI BTP.
La demande de communication de pièces, au surplus insuffisamment déterminée, qui n'est pas utile à la solution du litige, n'est par conséquent pas justifiée et doit être rejetée.
4- Sur le report de la date de cessation des paiements
Après avoir rappelé les dispositions de l'article L.631-1 du code de commerce, la société TBI soutient que l'état de cessation des paiements doit être apprécié de façon dynamique, en conduisant une analyse précise des flux de trésorerie de l'entreprise, pour mettre en rapport les dates auxquelles les paiements sont dus avec la trésorerie disponible à ces dates, et non de façon bilantielle et donc statique comme retenue par le tribunal. Elle explique que le 15 décembre 2016 la CCSF lui a consenti un plan d'apurement d'une créance fiscale et sociale d'un montant de 9 209 713 euros, sur une période de trente-six mois, assortie d'une condition résolutoire consistant en l'obtention dans un délai de trois mois de moratoires de la part de ses autres créanciers publics ; que c'est à tort que le tribunal de commerce a considéré que cette condition n'avait pas été respectée ; que la CCSF n'a jamais dénoncé son échéancier ; que les accords de règlement qu'elle produit démontrent que les caisses CI BTP et Pro BTP lui ont accordé plusieurs moratoires par courriers des 19 et 28 décembre 2016 ; que les dettes ainsi moratoriées, pour un montant total de 9 943 241,22 euros, doivent donc être sorties de l'analyse du passif exigible ; que les échéances impayées pendant la conciliation doivent également être sorties de l'analyse du passif, car l'inverse aurait pour effet d'entraîner un report de la date de cessation des paiements qui invaliderait la quasi-totalité des conciliations ouvertes en France ; que le retard de paiement des échéances dues à Pro BTP et CI BTP, ultérieurement honorées, est insuffisant à induire un état de cessation des paiements ; que, dans le cadre respectivement du mandat ad hoc puis de la conciliation, de la 'new money' lui a été apportée en décembre 2016 et avril 2017, à hauteur de 8 et 12,5 millions d'euros, ces apports lui ayant permis de faire face à ses besoins de trésorerie jusqu'au 15 juin 2017, soit 45 jours avant la date de cessation des paiements fixée dans le jugement d'ouverture ; qu'en conséquence, les éléments retenus par le tribunal de commerce sont insuffisants pour caractériser l'état de cessation des paiements au 31 décembre 2016.
M. [K] soutient pour l'essentiel que la société TBI a parfaitement respecté l'ensemble des engagements auxquels était subordonné le moratoire CCSF puisqu'il a obtenu, le 19 décembre 2016 un 'moratoire CI BTP', puis les 23 et 28 décembre 2016, un 'moratoire Pro BTP' et que c'est justement parce qu'elle était à jour de ses dettes exigibles qu'elle a pu obtenir le 21 avril 2017 l'ouverture d'une conciliation. Il critique les montants retenus par le tribunal au titre du passif exigible et prétend que celui-ci ne pouvait pas prononcer la résolution de plein droit et rétroactive du moratoire CCSF, seule celle-ci pouvant le faire moyennant l'envoi préalable d'une mise en demeure.
Me [W] rappelle en premier lieu que la société TBI connaît des difficultés financières chroniques depuis 2012, que son activité était déficitaire en 2015 et 2016, qu'au 31 décembre 2016, ses capitaux propres étaient négatifs à hauteur de 21 739 411 euros, qu'elle cumulait alors près de 28 millions d'euros de pertes et un passif échu de 9 945 675 euros.
Il explique en deuxième lieu que le tribunal de commerce n'a pas eu recours à une analyse «bilantielle », mais qu'il a opéré une comparaison entre l'actif disponible et le passif exigible de la société TBI au 31 décembre 2016 pour conclure à son état de cessation des paiements.
Indiquant que les dettes fiscales et sociales s'élevaient, courant décembre 2016, à la somme totale de 9 677 238 euros, dont 8 207 922 euros au titre de créances fiscales, 1 342 021 euros au titre de cotisations dues à l'Urssaf et 127 295 euros au titre de cotisations dues au RSI, il prétend que dès le mois de janvier 2017, la société TBI n'a pas respecté les conditions résolutoires du moratoire qui lui avait été accordé par la CCSF le 15 décembre 2016, en ce qu'elle n'a pas respecté l'échéancier obtenu auprès de la caisse Pro BTP, lui-même assorti d'une condition résolutoire au premier défaut de règlement des cotisations courantes, ce qui a été le cas entre janvier et août 2017, de sorte que l'accord est devenu caduc, ajoutant que le passif impayé auprès de la caisse Pro BTP a augmenté de près de 900 000 euros à cette période, qu'en juin et juillet 2017, les cotisations dues à l'Urssaf n'ont pas été réglées comme les échéances de TVA du mois de juin 2017.Il considère que le non respect du moratoire consenti par la CCSF ne fait pas obstacle au report rétroactif de la date de cessation des paiements à la date d'exigibilité initiale, soit le 31 décembre 2016, peu important son absence de dénonciation dès lors qu'il n'y a pas à rechercher si le passif exigible a été effectivement exigé.
Il soutient, en troisième lieu, que l'ouverture d'une procédure de conciliation n'a pas pour effet d'autoriser la société débitrice à ne pas régler son passif, n'est pas exonératoire de responsabilité si elle échoue et ne fait pas obstacle au report de la date de cessation des paiements à une date antérieure à l'ouverture de la conciliation ou d'un mandat ad hoc, étant souligné qu'en l'espèce l'accord de conciliation n'a pas été homologué.
Me [W], ès qualités, expose enfin qu'au 31 décembre 2016 l'actif disponible de la société TBI s'élevait à la somme de 4 155 300 euros, étant précisé que l'apport de fonds de 8 millions d'euros intervenu le 16 décembre précédent, en partie consommé, est compris dans ce montant, et que l'apport de 12,5 millions d'euros à compter d'avril 2017, par paiements échelonnés, était destiné exclusivement à couvrir les charges courantes durant la conciliation pour permettre une cession de l'activité et non à régler le passif accumulé.
Selon les articles L.631-8 et L.641-1 IV du code de commerce, la date de cessation des paiements peut être reportée une ou plusieurs fois, sans pouvoir être antérieure de plus de dix-huit mois à la date du jugement d'ouverture de la procédure. Sauf cas de fraude, elle ne peut être reportée à une date antérieure à la décision définitive ayant homologué un accord amiable en application du II de l'article L.611-8. Le tribunal est saisi par l'administrateur, le mandataire judiciaire ou le ministère public. Il se prononce après avoir entendu ou dûment appelé le débiteur. La demande de modification de date doit être présentée au tribunal dans le délai d'un an à compter du jugement d'ouverture de la procédure.
La recevabilité de la demande présentée par le liquidateur judiciaire dans le délai susvisé n'est pas critiquée.
Aux termes de l'article L.631-1 du code de commerce tout débiteur dans l'impossibilité de faire face au passif exigible avec son actif disponible est en cessation des paiements. Le débiteur qui établit que les réserves de crédit ou les moratoires dont il bénéficie de la part de ses créanciers lui permettent de faire face au passif exigible avec son actif disponible n'est pas en cessation des paiements.
Il appartient au liquidateur judiciaire, demandeur du report, d'établir qu'au 31 décembre 2016 la société TBI se trouvait déjà en état de cessation des paiements.
Il convient de rappeler également que la décision ouvrant la procédure de conciliation n'a pas, en cas d'échec comme en l'espèce, autorité de chose jugée quant à la date de cessation des paiements et que cette procédure ne dispense pas la débitrice du paiement de ses charges courantes avant d'avoir obtenu un accord en ce sens de la part de ses créanciers.
* Sur l'actif disponible
Les états financiers de la société TBI au 31 décembre 2016 font état de capitaux propres négatifs de 21 739 411 euros, de dettes à hauteur de 64 702 354 euros dont 22 793 763 euros de dettes fiscales et sociales, de pertes à hauteur de 20 404 380 euros et de disponibilités à hauteur de 4 155 300 euros.
Ni la société TBI ni M. [K] ne justifient d'autres actifs disponibles, étant souligné que l'apport de 8 millions d'euros a été effectué par la société KBC le 16 décembre 2016, en sorte qu'il est compris dans les disponibilités figurant à l'actif du bilan.
* Sur le passif exigible
Il est justifié que :
- le 15 décembre 2016, la CCSF a consenti à la société TBI un plan d'apurement échelonné pour le règlement de l'ensemble de ses dettes fiscales et sociales d'un montant global de 9 209 713 euros en principal, par mensualités de 255 826 euros à compter du 22 décembre 2016, sous trois conditions résolutoires dont un apport de 8 millions d'euros de la part de l'actionnaire pour financer l'exploitation et l'obtention de moratoire(s) avec les créanciers publics hors CCSF de durées de remboursement au moins égales à celles des créanciers publics (36 mois). Il y est précisé que 'la CCSF constatera la résolution du plan, et les poursuites seront reprises par les créanciers publics par toute voie de droit dans les cas suivants : non paiement d'une échéance du plan d'apurement échelonné, infraction à la réglementation fiscale, à celle de la sécurité sociale ou de l'assurance chômage : non dépôt de déclarations courantes, non paiement des sommes dues...'. L'état des dettes incluses dans ce plan mentionne notamment la TVA des mois de mars 2016 à juin 2016, les cotisations Urssaf des mois d'avril 2016 à juillet 2016 et les cotisations C3S dues au Rsi pour l'année 2016 ;
- le 19 décembre 2016, la caisse CI BTP de l'île de France a accordé à la société TBI deux échéanciers pour le paiement des sommes de 712 606,13 euros et 20 922,22, soit 32 échéances de 26 000 euros et de 7 100 euros le 30 de chaque mois de décembre 2016 à février 2017 et juillet 2019. Ces accords précisent que 'le défaut de paiement de l'une des échéances de cet accord, comme le non-paiement de sommes devenues exigibles depuis lors rendrait cet accord caduc avec toutes conséquences de droit. La caisse serait alors dans l'obligation de poursuivre le recouvrement des sommes dues sans autre avis'.
- les 23 et 28 décembre 2016, la société TBI a reconnu devoir à la caisse Pro BTP les sommes de 199 395,92 euros x 4 et 74 773,47 euros au titre de cotisations, majorations et pénalités, laquelle lui a consenti des accords de règlement en 32 billets à ordre de 24 924,49 euros payables chaque mois à compter du 31 janvier 2017, pour les premières et en trois billets à ordre de 24 924,49 euros payables chaque mois de septembre à novembre 2019, pour la seconde. Ces accords prévoient que ' Pour la bonne exécution de l'accord, tout manquement à cet engagement vis-à-vis de l'arriéré comme des cotisations courantes le rendrait caduc et aurait pour effet l'exigibilité immédiate de l'ensemble de la dette par voie judiciaire'.
La société TBI rapporte la preuve de l'envoi de chèques à la caisse CI BTP soit 7 100 euros le 2 janvier 2017 et le 27 janvier 2017, 7 029,59 euros le 24 février 2017, 26 000 euros les 27 janvier 2017, 24 février 2017, 30 mars 2017, 29 mai 2017 et 29 juin 2017.
Il est également versé aux débats une attestation de CI BTP, datée du 2 juin 2017, confirmant que la société TBI a réglé en janvier 2017 ses cotisations au titre des congés payés et du chômage-intempéries et que les cotisations de février à avril 2017 font l'objet d'un accord de paiement qui est respecté.
Il n'est toutefois pas justifié du versement des mensualités dues à Pro BTP et à la CCSF sur la même période dès lors que les documents établis par le cabinet [H] ne font état que des paiements réalisés entre le 3 avril et le 22 mai 2017 pour les moratoires CCSF et BTP, étant relevé en outre qu'il y est mentionné qu'un paiement de 25 000 euros y afférent n'a pas été encaissé.
Les moratoires fiscaux et sociaux ne suspendent l'exigibilité du passif échu qu'à la condition d'être respectés en même temps que sont payées les nouvelles échéances.
La déclaration de cessation des paiements déposée par le représentant légal de la société Prosphères, présidente de la société C Plus, elle-même présidente de la société TBI, datée du 31 juillet 2017 mentionne différentes dettes dont :
- l'échéance de juin de l'Urssaf (334 814 euros),
- l'échéance courante de Pro BTP (384 320 euros),
- la dette moratoriée de Pro BTP (715 420 euros),
- l'échéance de TVA de juin (544 363 euros),
- la dette moratoriée du Trésor public (7 886 456 euros),
démontrant ainsi le non respect des moratoires accordés.
Par ailleurs, il résulte des déclarations de créance que :
- le PRS de Versailles a déclaré le 13 septembre 2017 une créance de 13 185 652 euros dont 6 180 652 euros à titre privilégié et définitif correspondant à la TVA due de mars à juin 2016;
- l'Urssaf a déclaré le 13 février 2018 une créance de 1 286 301,20 euros correspondant aux cotisations dues de mai à juillet 2016 (996 881 euros) puis de juin à octobre 2017 ;
- Pro BTP a notamment déclaré le 29 août 2017 les créances suivantes :
* CNRBPPIG et BTP Prévoyance (cadre) : 164 327 euros correspondant à 43 508 euros dus au 31 décembre 2016 ainsi qu'aux cotisations dues du 1er janvier au 4 août 2017,
* BTP Retraite et Prévoyance (ouvrier) : 985 799 euros correspondant à 372 384 euros dus au 31 décembre 2016 ainsi qu'aux cotisations dues du 1er janvier au 4 août 2017,
* BTP Retraite et Prévoyance (Etam) : 444 242 euros correspondant à 144 176 euros dus au 31 décembre 2016 ainsi qu'aux cotisations dues du 1er janvier au 4 août 2017,
* Constructys - OPCA : 79 966 euros dont 13 988 euros dus au 31 janvier 2017 et 65 978 euros dus entre le 1er février et le 4 août 2017 ;
- différentes créances chirographaires ( Beaussire, Frans Bonhomme, SAS AAD Phenix II, Ounot, Kat, Hays BTP, SARL La Touraine, SAS Algeco, Entreprise [Z] [I], Colas, CBM Securité), non contestées, restaient dues au 31 décembre 2016 à hauteur de 175 894,32 euros.
Ces déclarations de créance démontrent que nombre de cotisations courantes n'ont pas été réglées entre les mois de janvier et juin 2017 et que le passif fiscal et social a augmenté durant l'exécution des moratoires.
L'attestation établie par Pro BTP indiquant 'qu'en tenant compte des éléments connus à cette date et sous réserve du paiement de la totalité des échéances du plan d'échelonnement, [la société TBI] est à jour des cotisations au 30.12.2016" est totalement inopérante à rapporter la preuve de l'absence d'état de cessation des paiements au 31 décembre 2016 compte tenu de la date à laquelle elle a été établie, le 20 janvier 2017, et de la durée du plan d'apurement consenti moins d'un mois auparavant.
Les documents établis par le cabinet [H] en mai et juin 2017, versés aux débats en anglais et non traduits, qui constituent une mise à jour des estimations faites sur une période d'observation, démontrent seulement le paiement des moratoires CCSF et des caisses BTP, outre les cotisations courantes de l'Urssaf, entre le 3 avril et le 22 mai 2017, étant souligné qu'il y est également précisé qu'un versement de 25 000 euros n'a pas été encaissé et que les paiements en retard ont augmenté par rapport aux estimations initiales.
Si les apports effectués par l'actionnaire ne sont pas contestés, il ressort, d'une part, des termes mêmes de la requête aux fins d'ouverture d'une conciliation en date du 18 avril 2017, signée par M. [K], président des sociétés C Plus et TBI, que le besoin de trésorerie de 12,5 millions d'euros n'est pas destiné à financer le passif mais à 'assurer le financement de l'activité pendant une période de trois mois, s'étendant du 16 avril au 15 juillet 2017, de sorte que TBI puisse lancer un appel à candidature pour la cession totale ou partielle de l'entreprise' et, d'autre part, de l'ordonnance y faisant droit que le paiement de cette somme est échelonné du 16 avril au 15 juillet 2017.
Il se déduit de ces éléments que le passif échu exigible de la société TBI à la date du 31 décembre 2016 s'élevait à tout le moins à la somme de 7 913 495,32 euros (6 180 652 + 996 881 + 43 508 + 372 384 + 144 176 + 175 894,32), et qu'il était donc supérieur à l'actif disponible.
Ainsi ni les apports de l'actionnaire ni les moratoires accordés en décembre 2016, devenus caducs du fait de leur inexécution partielle et du non paiement des charges courantes conformément aux clauses qu'ils contiennent, n'ont mis fin à un état de cessation des paiements acquis dès le 31 décembre 2016, peu important que les moratoires n'aient pas été dénoncés et le passif échu éxigé avant que la société TBI ne déclare son état de cessation des paiements le 31 juillet 2017.
Dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande du liquidateur judiciaire et de reporter la date de cessation des paiements de la société TBI au 31 décembre 2016.
Il ne peut pas y avoir recouvrement direct des dépens par l'avocat de l'intimé compte tenu de l'ouverture de la procédure collective.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant publiquement, par arrêt contradictoire,
Déclare recevable l'intervention volontaire de M. [L] P.[K] ;
Annule le jugement déféré ;
Déboute M. [L] P. [K] de sa demande de production de pièces ;
Fait droit à la demande de maître [W] ès qualités de liquidateur judiciaire de la société TBI ;
Reporte la date de cessation des paiements de la société TBI, initialement fixée au 1er juillet 2017 dans le jugement d'ouverture de la liquidation judiciaire, au 31 décembre 2016 ;
Condamne M. [L] P.[K] à payer à maître [W], ès qualités, la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette les autres demandes ;
Ordonne l'emploi des dépens en frais privilégiés de la procédure collective.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,