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16/04/2019 | FRANCE | N°17/08986

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 16 avril 2019, 17/08986


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





1ère chambre 1ère section





ARRÊT N°





CONTRADICTOIRE

Code nac : 91Z





DU 16 AVRIL 2019





N° RG 17/08986





AFFAIRE :



[X] [Z]

C/

Le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1]





Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre

: 1

N° RG : 15/06402



Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :





à :



-Me Christophe DEBRAY



-SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE SEIZE AVRIL DEUX MIL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

1ère chambre 1ère section

ARRÊT N°

CONTRADICTOIRE

Code nac : 91Z

DU 16 AVRIL 2019

N° RG 17/08986

AFFAIRE :

[X] [Z]

C/

Le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 23 Novembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° RG : 15/06402

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

-Me Christophe DEBRAY

-SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE SEIZE AVRIL DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [X] [Z]

né le [Date naissance 1] 1962 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représenté par Me Christophe DEBRAY, avocat postulant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627

Me Dominique GODET substitué par Me Magali OSTROLENK, avocat plaidant - barreau de PARIS

APPELANT

****************

Monsieur Le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représenté par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat postulant déposant - barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1859152

INTIMÉ

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 11 février 2019 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, président, chargé du rapport, et Madame Anne LELIEVRE, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Versailles en date du 23 novembre 2017 qui a statué ainsi :

-Déboute M. [X] [Z] de ses demandes,

-Déboute les parties de leurs autres demandes,

-Déboute M. [X] [Z] de sa demande au titre des frais irrépétibles,

-Dit que M. [Z] conservera la charge de ses dépens,

-Rappelle que le présent jugement est exécutoire de droit à titre provisoire.

Vu la déclaration d'appel en date du 22 décembre 2017 de M. [Z] (procédure 17/11464),

Vu la déclaration d'appel en date du 2 mars 2018 de M. [Z] (procédure 18/2302),

Vu l'ordonnance de jonction de ces procédures en date du 6 septembre 2018.

Vu les dernières conclusions en date du 11 décembre 2018 de M. [Z] qui demande à la cour de :

Le déclarer recevable et bien fondé en son appel ;

Y faisant droit,

Annuler la décision déférée ;

En conséquence,

Prononcer le dégrèvement de la somme de 312.118 euros indûment mise à sa charge au titre de la contribution exceptionnelle sur la fortune de 2012 ;

Condamner M. le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1] pris en la personne de M. le directeur départemental des finances publiques des Yvelines, à lui verser, au titre des frais irrépétibles, conformément aux dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, la somme de 10.000 euros ;

Condamner M. le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1] pris en la personne de M. le directeur départemental des finances publiques des Yvelines aux entiers dépens.

Lui donner acte qu'il est actuellement domicilié [Adresse 1].

Vu les dernières conclusions en date du 9 janvier 2019 du directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1] qui demande à la cour de :

Débouter M. [Z] de toutes leurs demandes, fin et conclusions ;

Confirmer le jugement

et y faisant droit,

Dire que l'équité ne commande pas le paiement de la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamner M. [Z] à verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et à payer les dépens dont distraction au profit de la Selarl Lexavoue Paris-Versailles.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 13 décembre 2018.

**************************

Faits et moyens

M. et Mme [Z] ont été soumis, pour un montant de 312.118 euros qu'ils ont acquitté, à la contribution exceptionnelle sur la fortune (CEF) instituée par l'article 4 de la loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.

Par lettre recommandée du 23 décembre 2014, ils ont contesté auprès de l'administration fiscale la CEF qu'ils avaient acquittée.

Par décision en date du 22 juin 2015, l'administration fiscale a rejeté leur réclamation contentieuse.

Par acte du 24 juillet 2015, M. [Z] a fait assigner la direction départementale des finances publiques des Yvelines devant le tribunal de grande instance de Versailles qui a prononcé le jugement déféré.

Aux termes de ses dernières écritures, M. [Z] soutient à titre principal que la CEF revêt un caractère confiscatoire.

Il relève que cette contribution est calculée selon un barème progressif à partir de la valeur nette imposable du patrimoine retenue pour le calcul de l'ISF au titre de 2012 mais qu'aucun mécanisme de plafonnement n'est prévu.

Il en conclut que ce dispositif aboutit à une imposition contraire au principe de non confiscation des biens, protégé par l'article 1er du premier protocole de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il expose, citant des arrêts, que, pour la Cour européenne des droits de l'homme, si les Etats disposent du pouvoir de mettre en 'uvre des lois pour assurer le paiement des impôts, ces mesures d'ingérence doivent ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

Il fait valoir que, pour la Cour européenne des droits de l'homme, la perception d'un impôt est contraire au respect des biens si elle impose à celui qui doit le payer une charge spéciale et exorbitante.

Il déclare que la Cour de cassation estime, ainsi, qu'une imposition ne doit conduire ni à l'absorption intégrale des revenus disponibles des contribuables ni à l'aliénation forcée d'une partie de leur patrimoine ni même à une diminution de celui-ci.

Il soutient que la Cour de cassation a appliqué son analyse du caractère confiscatoire de l'ISF fondée sur l'absorption intégrale des revenus disponibles du contribuable en retenant les circonstances de l'espèce.

Il conclut que le caractère confiscatoire d'un impôt est établi par l'absorption intégrale des revenus disponibles et l'aliénation forcée de tout ou partie du patrimoine disponible.

S'agissant de l'absorption des revenus disponibles, il indique que son revenu fiscal de référence s'élève à 165.865 euros en 2012 au titre des revenus 2011 et à 87.566 euros en novembre 2012 au titre des revenus 2012.

Il indique également que les impositions payées par lui en 2012 ont absorbé à elles seules la totalité des revenus disponibles de son foyer fiscal puisqu'elles représentent 528 % de ces revenus.

En réponse à l'intimé, il précise que son patrimoine global s'élève à 29.988.667 euros.

Il reproche à l'intimé de prendre en compte ce patrimoine global dont l'importance ne justifie pas de déroger au caractère confiscatoire de la CEF.

Il considère que la seule question est de savoir s'il a dû «réaliser une utilisation forcée de son patrimoine» pour s'en acquitter.

Il lui fait grief d'ajouter deux conditions supplémentaires dans l'appréciation du caractère confiscatoire de l'impôt.

Concernant les revenus tirés du patrimoine, il lui reproche d'opérer une analyse subjective l'autorisant à décider du caractère confiscatoire d'un impôt de façon discrétionnaire.

Il estime qu'il n'appartient pas à l'administration de se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion du contribuable. 

Il estime déraisonnable de sous- entendre qu'il a organisé son patrimoine de manière à ne produire que de faibles revenus et précise qu'il n'a eu connaissance de la CEF qu'en août 2012.

Concernant le fait que la charge constituée par la CEF ait empêché l'accroissement ultérieur de la base imposable, il indique qu'ayant absorbé la quasi- totalité de ses revenus disponibles, elle a contribué à amoindrir son patrimoine puisqu'il a dû choisir entre contracter un emprunt et réaliser un actif.

Il soutient enfin que le caractère exceptionnel de cette contribution ne lui fait pas perdre son caractère confiscatoire.

S'agissant de l'aliénation forcée d'une partie de son patrimoine, il infère de l'insuffisance de ses revenus disponibles la nécessité de réaliser un actif.

Il conteste la comparaison entre la valeur nette du patrimoine et le montant de l'imposition, celle-ci constituant un critère purement subjectif conduisant à admette qu'un redevable ayant un patrimoine important doive supporter un impôt confiscatoire du fait de sa situation de fortune.

Il soutient que l'appréciation subjective de ses choix de gestion ne doit pas le priver de son droit d'être protégé d'une imposition dont le caractère confiscatoire est avéré.

Il fait valoir qu'il s'agit d'un impôt sur la fortune, donc une imposition de personnes fortunées, et que la seule question est de savoir s'il lui a fallu réaliser une cession forcée de leur patrimoine.

Il considère qu'aucune distinction ne doit être faite entre les «plus ou moins riches».

Il estime que l'aliénation d'un actif -quel qu'il soit- s'analyse comme une consommation effective de son patrimoine.

Il invoque la remise en cause d'une situation juridique acquise et le caractère différentiel déguisé de la contribution exceptionnelle sur la fortune.

Il rappelle la décision du Conseil Constitutionnel du 5 décembre 2014 relative à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus qui a jugé «qu'en appliquant cette nouvelle contribution aux revenus ayant fait l'objet de ces prélèvements libératoires de l'impôt sur le revenu, le législateur a remis en cause les effets qui pouvaient légitimement être attendus par les contribuables de l'application du régime des prélèvements libératoires».

Il se prévaut donc du principe selon lequel le législateur ne « saurait sans motif légitime d'intérêt général suffisant (') remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus» de situations légalement acquises.

Il affirme, contrairement au Conseil constitutionnel, que la CEF apparaît comme une pure extension de l'ISF existant, et ce, d'autant qu'elle correspond au différentiel ente l'ISF calculé avec le nouveau barème et l'ISF 2012 calculé avec l'ancien barème à six tranches en vigueur jusqu'en 2011.

Il ajoute que, pour cette contribution exceptionnelle, l'ensemble des règles concernant les biens imposables, les exonérations, l'évaluation de la valeur des biens et la déduction du passif étaient identiques à celles applicables à l'ISF.

Critiquant le jugement, il affirme que le motif selon lequel la CEF et l'ISF sont deux impositions différenciées parce que leur seul fait générateur est différent n'est pas fondé.

Il fait valoir que si le fait générateur de la CEF a été décalé dans le temps, celle-ci est calculée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes règles que l'ISF, y compris pour les personnes non-résidentes.

Il souligne que l'imposition globale mise à la charge des contribuables en 2012 au titre de l'ISF et de la CEF est équivalente à ce qu'ils auraient payé si l'ancien barème avait continué de s'appliquer sans rupture, à la seule différence près que ce dernier se trouvait alors plafonné.

Il se prévaut d'une décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2005 aux termes de laquelle le législateur méconnaîtrait la garantie des droits «s'il portait aux situations légalement acquises une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d'intérêt général suffisant».

Il estime insuffisante l'ambition de réduction du déficit public, ledit Conseil ayant jugé que l'objectif unique d'accroissement des recettes n'était pas au nombre des motifs d'intérêt général justifiant l'adoption d'une imposition rétroactive.

Il fait également valoir que le vote de la CEF en cours d'année 2012 a nécessairement porté atteinte à des situations légalement acquises.

Il expose que celle-ci n'a finalement constitué que la préfiguration du dispositif de l'ISF 2013 soit une simple anticipation de la reconstitution de l'ISF avant réforme, par modification rétroactive du barème 2012.

Il excipe des débats parlementaires.

Il en infère que l'ISF et la CEF ne peuvent être désolidarisés et forment un tout indissociable.

Il soutient donc que la CEF n'est ni nouvelle ni exceptionnelle mais est une anticipation de la reconstitution de l'ISF, finalement pérennisée en 2013 dans le barème de l'ISF, ce dernier étant cette fois, sous peine d'inconstitutionnalité, assorti d'un plafonnement.

Il fait donc valoir qu'au-delà de la reconnaissance d'un caractère rétroactif et faute de motif d'intérêt général suffisant, la CEF ne pouvait venir remettre en cause une situation légitimement acquise d'un point de vue juridique, à savoir que le contribuable, le 16 août 2012, pouvait s'estimer libéré de l'impôt sur son patrimoine détenu au 1er janvier 2012.

Il souligne qu'à la date du 16 août 2012, rien ne laissait présager au contribuable qu'une imposition supplémentaire basée sur une assiette identique à l'ISF serait mise à sa charge.

Il fait donc état d'une remise en cause des effets qui pouvaient légitimement être attendus par les contribuables de l'application de l'ISF sur leur patrimoine net.

Il estime que si la CEF avait réellement revêtu un caractère différentiel et exceptionnel, son montant aurait dû être calculé sur la base du patrimoine des contribuables redevables au 1er jour du mois suivant celui de la publication de la loi l'instaurant.

Aux termes de ses écritures précitées, le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1] rappelle l'exposé des motifs de la loi du 16 août 2012 ayant instauré la contribution exceptionnelle querellée.

Il souligne qu'elle ne s'est appliquée qu'une fois et que le Conseil constitutionnel l'a déclarée conforme à la Constitution nonobstant le grief tiré de son caractère prétendument confiscatoire.

Il conteste son caractère confiscatoire.

Il cite l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et détaille les normes qu'il contient.

Il souligne, citant des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme et de la Cour de cassation que si, par définition, toute imposition fiscale est, en principe, une ingérence dans le droit garanti par le 1 er alinéa de l'article 1 er du premier protocole précité puisqu'elle prive la personne concernée d'un élément de propriété, soit les sommes qu'elle doit payer, cette ingérence se justifie conformément au deuxième alinéa de cet article, qui prévoit expressément une exception pour ce qui est du paiement des impôts ou d'autres contributions

Il souligne également que les Etats contractants disposent d'une marge d'appréciation étendue quant à la réalisation des conditions posées par l'article 1 er du premier protocole, tout spécialement lorsqu'ils élaborent et mettent en oeuvre une politique fiscale et qu'ils doivent seulement veiller à maintenir un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu.

Il déclare, citant des arrêts de la Cour européenne des droits de l'Homme, que le contrôle de proportionnalité entre le but légitime et les moyens employés auquel se livrent les organes de la convention est restreint, se limitant à un contrôle minimum de l'arbitraire ou au mieux de la disproportion manifeste.

Il se prévaut d'arrêts de la Cour de cassation, dans la continuité de ces arrêts, aux termes desquels le caractère confiscatoire de l'ISF ne saurait être établi dès lors qu'il ne conduit «ni à l'absorption intégrale des revenus disponibles des demandeurs, ni à l'aliénation forcée d'une partie de leur patrimoine, ni même à une diminution de celui-ci dont la composition a cependant pu changer au gré de leurs choix de gestion, ni à l'expropriation quelconque des redevables».

Il soutient que la CEF n'est pas contraire aux stipulations du protocole invoqué.

Il estime qu'il convient d'examiner l'ensemble de ses caractéristiques et notamment son assiette, son taux et son caractère exceptionnel ou pérenne.

Il fait valoir qu'elle est exigible au titre de la seule année 2012, que son montant à acquitter est fixé en déduisant le montant brut dû au titre de l'ISF en 2012 et que ceux devant l'acquitter peuvent avoir un droit à restitution au titre du bouclier fiscal 2011 (sur les impôts payés en 2011 sur les revenus de 2010) qu'ils peuvent imputer sur leur ISF 2012.

Il en conclut qu'elle ne peut être regardée comme confiscatoire ou comme faisant peser une charge excessive sur les contribuables et, donc, qu'elle n'est pas contraire au protocole précité.

Il excipe des motifs du jugement.

Il conteste le moyen tiré de l'atteinte au patrimoine de l'appelant.

Il expose que le Conseil constitutionnel déconnecte l'ISF des impositions sur le revenu.

Il fait valoir qu'en matière d'imposition du patrimoine, la capacité contributive ne s'apprécie pas par rapport aux seuls revenus mais s'entend de celle que confère au redevable la détention d'un ensemble de biens et de droits, qu'ils soient ou non productifs de revenus.

Il réitère, excipant de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2012, qu'en matière d'ISF, la prise en compte de la capacité contributive n'implique ni que seuls les biens productifs de revenus entrent dans l'assiette de l'ISF ni que cet impôt ne doive être acquitté qu'au moyen des revenus de biens imposables.

Il souligne qu'en appréciant la capacité contributive au regard des seuls revenus fiscalisés du contribuable, le niveau de la taxation pourrait alors dépendre des choix de gestion des redevables qui pourraient privilégier la détention de biens qui ne procurent aucun revenu imposable.

Il se prévaut également d'arrêts.

Il en conclut que l'éventuel caractère excessif d'un impôt sur le patrimoine s'apprécie par rapport à la capacité contributive conférée au redevable par la détention des biens et droits composant ce patrimoine, sans se limiter à la prise en compte de ses revenus.

Il transpose ces arrêts à la contribution concernée.

Il en infère que le simple fait que le paiement de l'ISF absorbe l'intégralité des revenus déclarés par les contribuables réellement disponibles ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire d'un impôt sur le patrimoine, les juges cherchent à mesurer l'impact effectif de l'imposition sur la consistance même du patrimoine en recourant à d'autres indices, tels que la nécessité ou non d'aliéner une partie des biens, la composition du patrimoine et ses modalités de gestion, sa progression ou sa diminution infirmant ou confirmant l'appauvrissement allégué.

Il fait valoir qu'au regard de ces critères, l'imposition litigieuse apparaît dénuée du caractère confiscatoire allégué.

Il expose qu'au 1er janvier 2012, les époux [Z] étaient détenteurs d'un patrimoine d'une valeur brute de 32.155.415 euros et d'une valeur nette de 29.988.667 euros et, donc, que la contribution contestée correspond à 1% de leur patrimoine imposable.

Il indique que la totalité des impôts payés par eux représente 1,5% de leur patrimoine.

Il estime que ce pourcentage ne caractérise pas la spoliation alléguée, particulièrement si l'on considère que cette imposition, présentant un caractère exceptionnel, a été perçue au titre de la seule année 2012.

Il en infère que la CEF payée par les appelants n'est pas excessive et réfute donc le caractère confiscatoire de cette CEF.

Il considère, en outre, que la seule comparaison avec les revenus imposables ne permet pas d'établir le caractère confiscatoire d'un impôt assis sur le patrimoine, particulièrement si le patrimoine est organisé de manière à produire très peu de revenus imposables, et relève la forte disproportion entre l'importance du patrimoine déclaré au 1er janvier 2012 et le peu de revenus disponibles qu'il produit sur une année.

Il estime minimes les revenus imposables des époux-100.000 euros environ- au regard de leur patrimoine.

Il fait état d'un choix de constitution du patrimoine et cite des arrêts écartant le caractère confiscatoire de l'ISF dans des cas où l'insuffisance de revenus répond à des choix de constitution de patrimoine.

L'intimé conteste tout caractère rétroactif de la CEF portant atteinte à la sécurité juridique des patrimoines.

Il rappelle que la décision du Conseil constitutionnel du 5 décembre 2014 est relative à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR).

Il souligne que l'assiette de ceux-ci, fondée sur le revenu fiscal de référence du foyer fiscal concerné, diffère radicalement de celle relative à la CEF fondée sur le patrimoine dudit foyer fiscal.

Il en conclut que cette décision est inopérante pour contester un impôt différent.

Il ajoute que la CEF constitue une taxe différentielle qui ne se confond pas avec l'ISF.

Il affirme que, même si la date retenue pour déterminer la valeur de l'assiette d'imposition est le 1er janvier 2012, le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à la date de l'entrée en vigueur de la loi de finances rectificative pour 2012.

Il en conclut qu'un contribuable assujetti à l'ISF au titre de l'année 2012 et qui serait décédé avant cette date ne saurait se voir soumis à la contribution exceptionnelle, et ses héritiers n'auront à leur charge, en cette qualité, que l'acquittement de la cotisation due au titre de l'ISF 2012.

Il ajoute que le législateur a expressément prévu un régime de calcul de l'assiette de la contribution exceptionnelle différent du régime de calcul de l'assiette de l'ISF 2012 pour les contribuables ayant quitté le territoire national entre le 1er janvier et le 4 juillet, date de la présentation du projet de loi de finances rectificative, seuls les biens situés en France devant figurer dans l'assiette de la contribution, à l'instar de la méthode de calcul retenue pour l'ISF 2012 des personnes résidant hors de France au 1er janvier 2012.

Enfin, il se prévaut de la décision du Conseil constitutionnel en date du 9 août 2012 qui a déclaré la CEF, conforme à la Constitution.

*************************

Sur le caractère confiscatoire de la contribution exceptionnelle sur la fortune

Considérant quel'article 1 er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dispose :

«Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes.» ;

Considérant qu'il en résulte que les Etats doivent veiller à maintenir un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et la préservation du droit de propriété ; que la charge imposée aux contribuables ne doit pas être excessive ou porter fondamentalement atteinte à leur situation financière ; que tel n'est pas le cas si l'imposition revêt un caractère confiscatoire ;

Considérant que ce caractère doit être apprécié en fonction des caractéristiques de l'imposition litigieuse ;

Considérant que, s'agissant d'une imposition sur le patrimoine lui-même et non sur ses revenus, doit être pris en compte l'ensemble des biens et droits des contribuables y compris ceux non productifs de revenus ;

Considérant qu'en instituant une contribution exceptionnelle -donc non pérenne- sur la fortune, le législateur a entendu mettre en place une imposition différentielle par rapport à l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de 2012 ; qu'il a établi l'assiette de cette contribution selon les règles relatives à l'assiette de cet impôt ; qu'il a retenu des tranches et des taux d'imposition qui assurent, en prenant en compte à la fois la contribution exceptionnelle et l'impôt de solidarité sur la fortune, la progressivité de ces impositions acquittées en 2012 au titre de la détention d'un ensemble de biens et de droits ;

Considérant qu'il est ainsi tenu compte des facultés contributives de chacun des redevables ;

Considérant qu'aucun dispositif de plafonnement - qui tend à éviter que le total des impôts payés au titre de l'impôt de solidarité sur la fortune et de l'impôt sur le revenu excède un certain seuil - n'est prévu ;

Considérant que l'absence d'un tel mécanisme ne suffit pas à établir le caractère confiscatoire d'une imposition qui a pour objet de saisir la capacité contributive que constitue le patrimoine indépendamment des revenus du contribuable ;

Considérant que cette contribution est établie après déduction de l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012 ; qu'est déduit le montant brut de cet impôt sans remettre en cause les réductions imputées par le contribuable sur l'impôt de solidarité sur la fortune ; qu'en outre, le droit à restitution - le «bouclier fiscal»- acquis au titre des impositions afférentes aux revenus réalisés en 2010, en s'imputant sur l'impôt de solidarité sur la fortune dû au titre de l'année 2012 pour les contribuables redevables de cet impôt, produit ses effets sur la cotisation d'impôt de solidarité sur la fortune due en 2012 ;

Considérant que, dans ces conditions, la déduction de l'ISF acquitté en juin 2012 du montant de la CEF, exigible en novembre 2012, constitue, quels que soient ses motifs, en pratique «une limitation des effets de la CEF» ;

Considérant, par conséquent que l'application de taux proportionnels puis la déduction du montant de l'ISF confèrent à l'imposition litigieuse une proportionnalité conforme aux dispositions invoquées ; que, de ce chef, cette contribution ne peut être regardée comme faisant peser une charge excessive sur les contribuables ;

Considérant que cette disposition maintient ainsi un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde des droits de l'Homme, dont fait partie le droit de propriété ; qu'elle ne confère pas, en tant que telle, un caractère confiscatoire à l'imposition ; qu'elle ne méconnaît pas l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il est constant que le revenu fiscal de référence des époux [Z] s'est élevé à la somme de 165.865 euros au titre des revenus 2011 et à celle de 87.566 euros au titre des revenus 2012 ;

Considérant que la contribution exceptionnelle sur la fortune versée par eux s'est élevée à 312.118 euros ; que, compte tenu d'autres impositions, ils se sont acquittés d'impôts représentant 528% de leurs revenus ;

Considérant qu'il est également constant que le montant de la contribution litigieuse payée représente environ 1% de leur patrimoine imposable ;

Considérant que les époux ont pu déduire de cette contribution, conformément aux développements ci-dessus, l'ISF payé et ont bénéficié, au titre de l'ISF, du «bouclier fiscal», peu important que ce mécanisme ait été instauré antérieurement à la CEF dès lors qu'ils en ont tiré profit ;

Considérant que, s'agissant d'une imposition du patrimoine, la capacité contributive ne s'apprécie pas par rapport aux seuls revenus ;

Considérant qu'à défaut, le niveau de taxation pourrait dépendre des choix de gestion des redevables, certains pouvant privilégier la détention de biens ne procurant pas de revenus imposables ;

Considérant que doit donc être prise en compte, pour apprécier le caractère excessif ou confiscatoire d'un impôt sur le patrimoine, la capacité contributive conférée au redevable par la détention des biens et droits composant ce patrimoine sans que soient retenus ses seuls revenus ;

Considérant que la seule circonstance que le paiement de la contribution absorbe les revenus imposables du contribuable ne suffit donc pas à établir le caractère confiscatoire de l'imposition ; que doit être pris en considération l'impact effectif de l'imposition sur la consistance même du patrimoine ;

Considérant que si l'organisation du patrimoine de M. et Mme [Z] relève de leur liberté de choix, elle ne doit pas conduire à réduire une imposition fondée sur la détention d'un patrimoine ;

Considérant que leurs revenus imposables ne sont donc pas significatifs de leurs capacités contributives ;

Considérant que la contribution contestée représente 1% de leur patrimoine imposable ;

Considérant que M. [Z] ne démontre donc pas, au vu de l'ensemble de ces éléments, que cette contribution, exceptionnelle, lui a imposé une charge excessive et, revêtant un caractère confiscatoire, a porté fondamentalement atteinte à sa situation financière ;

Considérant que cette contribution n'a donc pas rompu en ce qui le concerne le juste équilibre prescrit, notamment par l'article 1er du protocole précité, entre les exigences de l'intérêt général et la sauvegarde de ses droits fondamentaux ;

Considérant que le moyen sera écarté ;

Sur la remise en cause d'une situation juridique acquise

Considérant que le législateur ne saurait, sans motif légitime d'intérêt général suffisant, remettre en cause les effets qui peuvent légitimement être attendus de situations légalement acquises ;

Considérant que tel pourrait être le cas de la CEF si elle avait pour effet de remettre en cause la situation du contribuable qui pouvait s'estimer, avant son entrée en vigueur, libéré de l'impôt sur son patrimoine détenu au 1er janvier 2012 ;

Considérant qu'une telle remise en cause suppose donc que, comme le soutiennent les appelants, la CEF soit une «pure extension de l'ISF existant» ;

Considérant que les règles concernant les biens imposables, les exonérations, l'évaluation de la valeur des biens et la déduction du passif sont identiques ; que la date retenue pour déterminer la valeur de cette assiette est identique ;

Mais considérant que le fait générateur de l'imposition est la situation du contribuable à l'entrée en vigueur de la loi ; que, dès lors, la situation des contribuables assujettis à l'ISF dont la situation personnelle aura changé avant cette date- ou celle de la présentation du texte- sera différente ; que seuls en sont redevables les contribuables en vie à la date de son effet générateur et non leurs héritiers ; que son assiette est calculée différemment en cas de départ à l'étranger du contribuable entre le 1er janvier 2012 et la date de présentation du texte ;

Considérant que cette contribution, exceptionnelle, constitue donc une taxe différentielle qui ne se confond pas avec l'ISF ;

Considérant que l'évolution postérieure de l'ISF n'est pas de nature à remettre en cause le caractère spécifique de cette contribution ;

Considérant que, comme l'a décidé le Conseil constitutionnel, cette imposition ne revêt donc aucun caractère rétroactif et n'affecte pas une situation légalement acquise ;

Considérant que ce moyen sera rejeté ;

Sur les conséquences

Considérant que la demande de M. [Z] sera donc rejetée et le jugement confirmé en toutes ses dispositions ;

Considérant que M. [Z] devra payer une somme de 2.500 euros au titre des frais irrépétibles exposés par l'intimé en cause d'appel ; que, compte tenu du sens du présent arrêt, sa demande aux mêmes fins sera rejetée ;

PAR CES MOTIFS

La Cour statuant Contradictoirement et par mise à disposition ;

CONFIRME le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant :

CONDAMNE M. [Z] à verser à M. le directeur régional des finances publiques d'Ile de France et du département de [Localité 1] la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE les demandes plus amples ou contraires,

CONDAMNE M. et Mme [Z] aux dépens,

AUTORISE la Selarl Lexavoue Paris Versailles à recouvrer directement à leur encontre ceux des dépens qu'elle a exposés sans avoir reçu provision ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Natacha BOURGUEIL, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire,

Le Greffier, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 17/08986
Date de la décision : 16/04/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°17/08986 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-04-16;17.08986 ?
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