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21/03/2019 | FRANCE | N°18/05485

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14e chambre, 21 mars 2019, 18/05485


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES








Code nac : 59E





14e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 21 MARS 2019





N° RG 18/05485 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SSBX





AFFAIRE :





K... A... J... N...


...





C/


SA INDIGO INFRA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège









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Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 12 Juillet 2018 par le président du tribunal de grande instance de NANTERRE


N° RG : 18/01159





Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies


délivrées le :


à :





Me Mélina PEDROLETTI





Me Anne-Laure DUMEAU





RÉPUBL...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 59E

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 21 MARS 2019

N° RG 18/05485 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SSBX

AFFAIRE :

K... A... J... N...

...

C/

SA INDIGO INFRA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 12 Juillet 2018 par le président du tribunal de grande instance de NANTERRE

N° RG : 18/01159

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Mélina PEDROLETTI

Me Anne-Laure DUMEAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT ET UN MARS DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame K... A... J... N...

née le [...] à NEUILLY-SUR-SEINE (92)

de nationalité française

[...]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 24101

assistée de Me Jonathan BELLAICHE de la SELEURL GOLDWIN SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100 -

Madame Y... E... F... N...

née le [...] à NEULLY-SUR-SEINE (92)

de nationalité française

[...]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 24101

assistée de Me Jonathan BELLAICHE de la SELEURL GOLDWIN SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100 -

SARL SUREG agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

N° SIRET : 321 737 314

[...]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 24101

assistée de Me Jonathan BELLAICHE de la SELEURL GOLDWIN SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100 -

SAS LE CAFE DES SPORTS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés audit siège en cette qualité

N° SIRET : 552 085 722

[...]

Représentée par Me Mélina PEDROLETTI, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : V 626 - N° du dossier 24101

assistée de Me Jonathan BELLAICHE de la SELEURL GOLDWIN SOCIETE D'AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K0100 -

APPELANTES

****************

SA INDIGO INFRA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 304 646 078

[...]

[...]

Représentée par Me Anne-Laure DUMEAU, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 628 - N° du dossier 42421

assistée de Me Philippe PERICAUD de la SCP JEAN-FRANCOIS PERICAUD ET PHILIPPE PERICAUD, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0219 -

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 30 Janvier 2019, Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Odette-Luce BOUVIER, président,

Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,

Madame Sophie THOMAS, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE

EXPOSE DU LITIGE

La société Sogeparc reprise par la société Vinci Park, aujourd'hui SA Indigo Infra France, est délégataire de la ville de Paris de la construction et de l'exploitation du parc de stationnement sous terrain Harlay-Pont Neuf, [...], aux termes d'une convention conclue le 7 février 1967 et d'un avenant du 16 décembre 1992.

Ce parc de stationnement comprend 716 emplacements dont 346 peuvent faire l'objet d'une cession de droit d'occupation.

Il était équipé depuis 1999 d'un seul ascenseur public desservant les niveaux -3 à -1, l'autre ascenseur étant à usage privatif, réservé à la Maison du Barreau de Paris et ne desservant que le niveau -2.

Par différents actes conclus le 19 mars 1996, Mme K... N..., Mme Y... N... la SAS Le Café des sports et la SARL Sureg (société d'unités de restauration exploitation et gestion) ont conclu des contrats de cession de droit d'occupation d'emplacements de parking situés au 3ème sous-sol du parc de stationnement :

- Mme Y... N... a acquis un droit d'occupation de l'emplacement n°3-173 et Mme K... N..., de l'emplacement n°3-187,

- la société Le Café des Sports s'est vu céder un droit d'occupation de deux emplacements de stationnement, l'un au nom de M. U... N..., portant le n°3-171, l'autre au nom de Mme V... D..., portant le n°3-189,

- la société Sureg a acquis un droit d'occupation de l'emplacement n°3-169, pour M. X... D....

La société Indigo Infra France a entrepris en 2017 des travaux de modernisation et d'accessibilité pour personnes à mobilité réduite dans le 'parking'.

Se disant confrontée à des contraintes techniques, liées notamment à l'emplacement des accès piétons non modifiables, car classés, et à une gaine d'ascenseur trop étroite pour accueillir une personne en fauteuil roulant, la société Indigo Infra France a sollicité auprès de la préfecture de police de Paris une dérogation sur le fondement des articles R.111-19-6 et R.111-19-10 du code de la construction et de l'habitation, et obtenu une autorisation le 9 août 2016.

Contestant l'existence de cette dérogation accordée par la préfecture de police et la modification des installations existantes comportant la suppression de l'ascenseur public, qui interdit désormais l'accès à leur emplacement de stationnement aux personnes à mobilité réduite, Mmes N... et les sociétés Le Café des Sports et Sureg, autorisées à assigner à heure indiquée, ont, par acte du 23 avril 2018, assigné la société Indigo Infra France devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en référé, aux fins d'obtenir la remise en état de l'ascenseur desservant l'ensemble des niveaux du parc de stationnement Harlay/Pont Neuf, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard, invoquant l'existence d'un trouble manifestement illicite, et la condamnation de la société défenderesse à leur verser à chacune une provision au titre du préjudice de jouissance.

Par ordonnance contradictoire du 12 juillet 2018, le juge des référés, retenant que les litiges relatifs à la passation et à l'exécution des contrats comportant occupation du domaine public relèvent, en vertu de l'article L.2331-1 du code de la propriété des personnes publiques, de la compétence de la juridiction administrative ; que cependant, les litiges entre le gestionnaire d'un service public industriel et commercial et ses usagers, quand bien même l'activité de ce service a lieu sur le domaine public, relèvent de la compétence de la juridiction judiciaire, nonobstant la clause attributive de compétence au profit du tribunal administratif de Paris stipulée dans la convention ; que le juge judiciaire est donc compétent pour connaître du litige ; que par décision du 9 août 2016, la préfecture de police de Paris a accepté la dérogation sollicitée par la société Indigo Infra France aux dispositions relatives à l'accès aux personnes à mobilité réduite pour impossibilité technique en application des articles R. 111-9-6 et R. 111-9-10 du code de la construction et de l'habitation et autorisé les travaux envisagés contenus dans l'agenda d'accessibilité programmée reçu le 23 juin 2016 en application des dispositions de l'article R.l 11-9-13 et suivants ; que les demandeurs, qui contestent l'intégrité des éléments soumis à l'appréciation de l'autorité administrative, dont l'appréciation ne relève pas de la compétence du juge des référés, ne justifient cependant pas d'une quelconque annulation de la décision administrative susvisée ; qu'il s'en déduit que les demandeurs n'établissent pas le caractère évident de la violation de la règle de droit qu'ils invoquent, a :

- déclaré le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre compétent,

- dit n'y avoir lieu a référé sur les demandes de Mmes N... et des sociétés Le Café des Sports et Sureg,

- condamné Mmes N... et les sociétés Le Café des Sports et Sureg à payer à la société Indigo Infra France la somme de 500 euros chacune en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné Mmes N... et les sociétés Le Café des Sports et Sureg aux dépens.

Le 27 juillet 2018, Mmes N... et les sociétés Le Café des Sports et Sureg ont formé appel de la décision par un acte visant expressément l'ensemble des chefs de décision à l'exception de la disposition relative à la compétence.

Dans leurs conclusions transmises le 23 janvier 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, Mme K... N..., Mme Y... N..., la société Le Café des Sports, la société Sureg, appelantes, demandent à la cour de :

- les déclarer recevables et bien fondées en leur appel et en leurs prétentions,

- confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a déclaré le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre compétent,

- infirmer l'ordonnance concernant les autres chefs de décision,

Et par conséquent :

- 'constater' le trouble manifestement illicite causé par la suppression de l'ascenseur du parc de stationnement Harlay-Pont-Neuf par la société Indigo Infra France en violation des dispositions du code de la construction et de l'habitation,

- 'constater' le trouble manifestement illicite causé par le fait que la dérogation de la préfecture de police de Paris du 9 août 2016 a été obtenue par fraude,

- 'constater' le trouble manifestement illicite causé par la violation de la dérogation de la préfecture de police de Paris du 9 août 2016,

- 'constater' l'existence d'une urgence nécessitant de remédier à l'absence d'ascenseur au sein du parc de stationnement Harlay-Pont-Neuf ainsi que la mise en place d'équipements permettant aux personnes à mobilité réduite d'accéder en toute autonomie au parc de stationnement conformément à la dérogation de la préfecture de police de Paris du 9 août 2016 ainsi que l'absence de contestation sérieuse à cette demande.

En conséquence,

- ordonner à la société Indigo Infra France de se conformer aux dispositions du code de la construction et de l'habitation relatives à l'accessibilité des établissements recevant du public aux personnes à mobilité réduite sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- ordonner à la société Indigo Infra France la remise en état de l'ascenseur desservant l'ensemble des niveaux du parc de stationnement Harlay / Pont-neuf et ce, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- ordonner à la société Indigo Infra France la mise en place des équipements permettant aux personnes à mobilité réduite d'accéder en toute autonomie au parc de stationnement Harlay/Pont-neuf conformément à la dérogation de la préfecture de police de Paris du 9 août 2016, sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir,

- condamner la société Indigo Infra France au versement d'une provision d'un montant de 5 426 euros à la société Le Café des Sports en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Indigo Infra France au versement d'une provision d'un montant de 353 euros à Mme Y... N... en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Indigo Infra France au versement d'une provision d'un montant de 353 euros à Mme K... N... en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Indigo Infra France au versement d'une provision d'un montant de 353 euros à la société Sureg en réparation du préjudice subi,

- condamner la société Indigo Infra France à leur payer la somme de 5 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société Indigo Infra France aux entiers dépens,

- débouter la société Indigo Infra France de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions.

Au soutien de leurs demandes, les appelantes font valoir :

- que la nature administrative ou judiciaire du contrat ne peut se déduire d'une clause attributive de compétence ; qu'un parc de stationnement constitue un service public industriel et commercial dont les rapports avec ses usagers sont nécessairement régis par le droit privé ; que le présent litige opposant la société Indigo Infra France en sa qualité de gestionnaire d'un service public industriel et commercial et les appelantes, en leur qualité d'usagères de ce service, relève de la compétence du juge judiciaire ;

- qu'il relève de la compétence de la cour d'appel de faire cesser la violation d'un acte administratif ;

- qu'au regard des articles R.123-2, R.119-19-1 et R.111-19-7 du code de la construction et de l'habitation, les travaux ont rendu le parc de stationnement totalement inaccessible aux personnes à mobilité réduite, et ce, en parfaite violation de ces dispositions ;

- que les agissements de la société Indigo Infra France constituent des troubles manifestement illicites par la suppression de l'ascenseur desservant les 3 niveaux du parc de stationnement, laquelle n'a pas été autorisée par la dérogation de la préfecture de police de Paris du 9 août 2016 ; que la dérogation a été obtenue par fraude et a été violée puisque la liaison par la Maison du barreau n'est aucunement fonctionnelle ;

- sur le caractère urgent des mesures sollicitées, que les travaux réalisés nuisent gravement à l'autonomie des personnes à mobilité réduite, celles-ci ne pouvant jouir des places de stationnement qui leur sont réservées ;

- que n'ayant pu jouir de leurs places de stationnement du 3 juillet 2017 au 31 décembre 2017, soit durant une période de six mois, les charges correspondant à cette période doivent leur être remboursées.

Dans ses conclusions transmises le 21 janvier 2019, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Indigo Infra France, intimée, demande à la cour de :

- 'constater' que la préfecture de police de Paris et les commissions de sécurité et d'accessibilité lui ont accordé une dérogation par décision du 9 août 2016,

- 'constater' que, du fait de cette dérogation, elle a respecté les dispositions du code de la construction relatives à l'accessibilité des personnes à mobilité réduite,

- 'dire et juger' qu'il n'est pas de la compétence du juge judiciaire, encore moins en référé, d'apprécier si la dérogation octroyée par la préfecture est valable ou non,

- 'constater' quoi qu'il en soit qu'elle a bien informé la préfecture de l'existence de l'ascenseur d'origine dans le dossier de demande de dérogation,

- 'constater' l'absence de trouble manifestement illicite,

En conséquence,

- 'dire et juger' irrecevables sinon mal fondées Mme Y... N..., Mme K... N... , la société Sureg et la société Le Café des Sports en leur appel et les en débouter,

- confirmer l'ordonnance rendue le 12 juillet 2018,

- condamner Mme Y... N..., Mme K... N... , la société Sureg et la société Le Café des Sports, chacune, à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens.

Au soutien de ses demandes, la société Indigo Infra France fait valoir :

- que la préfecture de police et les commissions de sécurité et d'accessibilité ont validé le projet de création d'un refuge 'PMR' (personne à mobilité réduite) ainsi que des places 'PMR', conformément aux articles R.111-19-6 et R.111-19-10 code de la construction et de l'habitation;

- qu'il n'est pas de la compétence du juge des référés d'apprécier si la dérogation octroyée par la préfecture est valable ou non ;

- que les travaux entrepris étaient destinés à mettre aux normes 'PMR' le parc de stationnement, qui ne l'était plus ;

- que sur les accusations de fraude, les travaux d'extension du parc de stationnement, nécessaires à la validité du permis de construire de la maison de l'avocat, et les travaux de construction de cette dernière ont été réalisés en concertation entre la mairie de Paris, l'Ordre des Avocats et la société Indigo, ainsi que relevé, notamment, dans le compte-rendu de chantier n°81 ; que la société Indigo a ainsi construit l'ascenseur de liaison fonctionnelle situé dans la Maison de l'Avocat ; qu'elle en assure également l'entière maintenance et l'ensemble des dépenses, alors même que le local machinerie est situé dans le volume de la Maison de l'Avocat;

- qu'enfin, le droit d'occupation ne constitue pas un droit de propriété conformément à l'article 3 du règlement intérieur ; qu'en vertu de l'article 8 du règlement intérieur, le titulaire doit souffrir sans indemnité de l'exécution des réparations et travaux qui deviendraient nécessaires aux choses et parties communes ; que les amodiataires n'ont donc aucun droit à faire valoir sur les ouvrages communs du parc, notamment l'ascenseur, et continuent à jouir de leur emplacement de parking en dépit de la suppression de l'ascenseur.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 24 janvier 2019.

MOTIFS DE LA DECISION

La cour rappelle qu'elle n'est pas tenue de statuer sur les demandes de 'constatations' qui ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions en ce qu'elles ne sont pas susceptibles d'emporter des conséquences juridiques et qu'il en est de même de celles tendant à ce qu'il soit 'dit et jugé' en ce qu'elles constituent des moyens et non des prétentions.

La cour relève également qu'aucune des parties ne critique la décision en ce qu'elle a déclaré le juge judiciaire compétent pour statuer sur le litige.

Il n'y a donc pas lieu de répondre aux moyens soulevés par les appelantes dans leurs conclusions tirés de l'inefficacité de la clause attributive de juridiction administrative et des règles régissant les rapports entre un service public industriel et commercial et ses usagers.

Sur l'existence d'un trouble manifestement illicite

Aux termes de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.

Le dommage imminent s'entend du «dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer» et le trouble manifestement illicite résulte de «toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit».

Il s'ensuit que pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines, qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.

En l'espèce il résulte des éléments de fait et de preuve versés aux débats :

- que le parc de stationnement est un établissement recevant du public (ERP) comprenant 413 emplacements accessibles au public, dont les emplacements, objets des contrats de cession de droit d'occupation consentis aux appelantes, situés au niveau -3,

- qu'une dérogation 'relative à l'aménagement d'une aire d'attente au niveau -2", pour impossibilité technique, a été accordée à la société Indigo Infra France par la préfecture de police de Paris le 9 août 2016, laquelle a autorisé les travaux envisagés sous réserve de l'exécution de mesures de sécurité mentionnées en annexe, consistant notamment en la création d'un espace d'attente sécurisé au niveau de l'escalier de secours de la place Dauphine et de places 'PMR' au niveau -2,

- que l'unique ascenseur public desservant les niveaux -1 à -3, mais pas le rez-de-chaussée, a été supprimé à la suite des travaux entrepris en 2017 par la société Indigo Infra France,

- que l'ascenseur privé situé dans la Maison des avocats, construit par la société Indigo dans le cadre de l'extension du parc de stationnement liée à la construction de cette structure, dessert les niveaux -2 jusqu'au rez-de-chaussée,

- que selon la notice descriptive des travaux (pièce 16 intimée) étaient prévues 'la création d'une servitude pour accès handicapé en emprise dans la Maison de l'Avocat' et 'en servitude, un appareil handicapés implanté dans la Maison de l'Avocat' ; que l'établissement d'une servitude de passage devait être conclue avec l'Ordre des avocats relative à l'accès à l'ascenseur pour le public handicapé (pièce 17 intimée) ; que l'arrêté de permis de construire du 4 février 1993 mentionne l'accord du bâtonnier de l'Ordre des avocats pour 'consentir une facilité d'accès à l'ascenseur et son usage entre le rez-de-chaussée sur rue et la 2ème niveau du parc existant, pour le public handicapé, et ce, durant les heures d'ouverture de l'immeuble',

- que la société Indigo assure la maintenance de cet appareil implanté dans la Maison du barreau.

Il est constant que les établissements recevant du public et les installations ouvertes au public doivent respecter les dispositions légales en matière d'accessibilité aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, conformément aux articles R.119-19-1 et suivants du code de la construction et de l'habitation.

Il est tout aussi constant qu'en vertu de l'article R.111-19-10 du code de la construction et de l'habitation, des dérogations peuvent être accordées par le représentant de l'Etat aux règles d'accessibilité telles que prévues aux articles susvisés, notamment en cas d'impossibilité technique résultant de l'environnement du bâtiment ou de difficultés liées à ses caractéristiques ou à la nature des travaux réalisés, ou de contraintes liées à la conservation du patrimoine architectural.

Au cas d'espèce, la société Indigo a obtenu une dérogation aux règles d'accessibilité pour les personnes à mobilité réduite en raison de contraintes techniques tenant à l'impossibilité, d'une part, de faire desservir le rez-de-chaussée et l'extérieur par l'ascenseur du parking, le sol de la place Dauphine étant inscrit au titre des monuments historiques, et d'autre part, de mettre aux normes ledit ascenseur en agrandissant la cabine pour accueillir une personne en fauteuil roulant.

Contrairement à ce que soutiennent les appelantes, ces contraintes ont été précisément énoncées dans les documents techniques remis à l'autorité administrative, et il est fait mention, en page 6 de la notice de sécurité (pièce 10 intimée), de l'existence de l'ascenseur public 'de petite taille' ne desservant que les niveaux -3 à -1 et de sa suppression pour créer une aire d'attente au niveau -2.

Il est dès lors inopérant pour les appelantes de soutenir qu'il existe un trouble manifestement illicite tiré de la fraude commise par la société Indigo dans l'obtention de la dérogation, celle-ci n'étant nullement caractérisée avec l'évidence requise en référé, étant relevé par la cour, qu'en tout état de cause, il n'appartient pas au juge des référés judiciaire d'apprécier les violations alléguées et la validité de la dérogation administrative accordée le 6 août 2017.

En revanche, la dérogation mentionne qu'elle est accordée, sous réserve de l'exécution de mesures de sécurité mentionnées en annexe, dont 'l'accessibilité, en toute autonomie, des personnes en situation de handicap par la liaison dite 'fonctionnelle' n°4 existante dans la Maison des Avocats.'

Or il ne ressort pas des éléments du dossier que la servitude de passage alléguée permettant d'assurer la liaison fonctionnelle susvisée existe, bien qu'ayant été prévue lors des travaux d'extension du parking, puisqu'il n'est justifié en l'état d'aucune convention signée avec l'Ordre des avocats de Paris.

En outre, à supposer établie cette servitude de passage, il n'est pas contesté par la société Indigo que la liaison fonctionnelle existante au niveau -2 permettant l'utilisation de l'ascenseur privatif de la Maison du barreau de Paris n'est pas assurée de manière permanente, puisqu'elle comporte des limitations horaires, de 7 h à 21 h, et qu'elle n'assure qu'un accès en sortie, ce qui est au demeurant confirmé par le procès-verbal de constat dressé le 4 avril 2018 (pièce 12 appelantes).

Ainsi tant la suppression de l'unique ascenseur desservant le niveau de parking où sont situés les emplacements de stationnement occupés par les appelantes, les contraignant à emprunter les escaliers pour monter et descendre quatre étages, que l'absence de mise en place d'une liaison fonctionnelle effective au niveau -2 par l'ascenseur privé implanté dans la Maison du barreau, méconnaissent les droits fondamentaux des personnes à mobilité réduite, en ne leur permettant pas d'accéder à leur emplacement de stationnement dans des conditions au moins équivalentes à celles qui existaient avant les travaux mais au contraire en aggravant leur situation d'usagers du parking.

Il convient de rappeler que les normes d'accessibilité doivent permettre aux personnes handicapées d'accéder aux équipements et de les utiliser, les conditions d'accès devant être les mêmes que pour les personnes valides ou présenter une qualité d'usage équivalente, l'accessibilité constituant un droit fondamental reconnu la Convention internationale sur la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapées, adoptée par l'ONU en décembre 2006, et concernant tous les types de handicap, ainsi que par la loi n°2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, renforcée par la loi n°2014-789 du 10 juillet 2014 habilitant le gouvernement à adopter des mesures pour la mise en accessibilité.

Dans de telles circonstances, et indépendamment du débat portant sur la validité de la dérogation accordée à la société Indigo le 6 août 2017 et de l'absence de droit de propriété des appelantes sur les emplacements de stationnement, la méconnaissance des droit fondamentaux des personnes à mobilité réduite ou de toute personne pouvant avoir des difficultés de mobilité, y compris ponctuelles (personnes âgées, personnes avec jeunes enfants, femmes enceintes...), et l'aggravation évidente des conditions de jouissance des usagers du 'parking', qui ne bénéficient plus d'aucune solution d'accès pérenne et dans des conditions identiques aux personnes valides au 'parking' souterrain, et ce, à tout moment de la journée, caractérisent l'existence d'un trouble manifestement illicite, au sens de l'article 809, alinéa 1er, du code de procédure civile, qu'il convient de faire cesser.

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de Mmes N... et des sociétés Le Café des Sports et Sureg tendant faire cesser le trouble manifestement illicite subi lié aux conditions d'accès du parking Harlay-Pont neuf.

La cour, statuant à nouveau, ordonne à la société Indigo de prendre toutes mesures utiles de nature à assurer l'accessibilité effective des personnes handicapées ou à mobilité réduite au niveau -3 du parking Harlay-Pont neuf par la remise en place d'un ascenseur ou de tout autre moyen d'accès équivalent assurant l'entrée et la sortie à tout moment des lieux.

En l'état, une mesure d'astreinte ne s'avère pas utile pour assurer la bonne exécution du présent arrêt.

Sur les demandes de provision

Aux termes de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile, le président du tribunal de grande instance, statuant en référé, peut, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.

La hauteur de la provision susceptible d'être ainsi allouée n'a d'autre limite que celui du montant de la dette alléguée.

Mmes N... et la société Sureg qui disposent chacune d'un emplacement de stationnement au niveau -3 du parking réclament le remboursement à titre provisionnel des charges qu'elles ont acquittées pour la période du 3 juillet au 31 décembre 2017, en faisant valoir qu'elles n'ont pu jouir de leurs places de 'parking'.

Les appelantes ne versent toutefois aucun élément justificatif établissant de manière non sérieusement contestable qu'elles ont été privées sur cette période de six mois de la possibilité d'utiliser leur emplacement de stationnement.

La demande de provision de Mmes N... et de la société Sureg sera donc rejetée comme se heurtant à une contestation sérieuse.

S'agissant en revanche de la société Le Café des Sports qui dispose d'une emplacement de stationnement au niveau -3 attribué à M. U... N..., en sa qualité de directeur général de la société, il est justifié par les pièces versées aux débats que M. U... N... est âgé de 89 ans et handicapé et que depuis la suppression de l'ascenseur, il ne peut plus accéder à son véhicule en autonomie, étant contraint de solliciter un tiers pour sortir sa voiture.

Sur la base des tarifs pratiqués par la société Indigo pour utiliser une place de stationnement, soit 2992 euros par an et 288 euros par mois, tarifs non contestés par l'intimée, il peut être alloué à l'appelante une provision à hauteur du montant non sérieusement contestable de 3 000 euros pour une période de 18 mois ayant couru à compter du 3 juillet 2017, à valoir sur l'indemnisation de son préjudice de jouissance.

L'ordonnance déférée sera donc infirmée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de la société Le Café des sports et confirmée pour le surplus, en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de provision de Mmes N... et de la société Sureg.

Sur les autres demandes

L'ordonnance doit être infirmée en ce qu'elle a condamné Mmes N... et les sociétés Le Café des sports et Sureg à payer à la société Indigo Infra France une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

L'équité commande de faire droit à la demande des appelantes présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; l'intimée est condamnée à leur verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.

Partie perdante pour l'essentiel, l'intimée ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME l'ordonnance rendue le 12 juillet 2018 sauf en ce qu'elle a déclaré le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre compétent et a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision de Mme K... N..., Mme Y... N... et la société Sureg,

STATUANT À NOUVEAU ET Y AJOUTANT,

CONDAMNE la société Indigo Infra France à prendre toutes mesures utiles de nature à assurer l'accessibilité effective des personnes handicapées ou à mobilité réduite au niveau -3 du 'parking' Harlay-Pont neuf situé à [...] par la remise en place d'un ascenseur ou de tout autre moyen d'accès équivalent assurant l'entrée et la sortie à tout moment des lieux,

DIT n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte,

CONDAMNE la société Indigo Infra France à payer à la société Le Café des sports une indemnité provisionnelle de 3 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice de jouissance,

CONDAMNE la société Indigo Infra France à payer à Mme K... N..., Mme Y... N..., à la société Le Café des sports et la société Sureg la somme globale de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la société Indigo Infra France et que s'agissant des dépens d'appel, ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, président et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 18/05485
Date de la décision : 21/03/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 14, arrêt n°18/05485 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-21;18.05485 ?
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