COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 82E
14e chambre
ARRÊT N°
CONTRADICTOIRE
DU 15 MARS 2019
N° RG 18/07351 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SXQZ
AFFAIRE :
SYNDICAT FÉDÉRATION DES EMPLOYÉS ET CADRES DE LA CGT FORCE OUVRIÈRE représenté par son secrétaire général domicilié en cette qualité audit siège
...
C/
SAS MEUBLES IKEA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 14 Août 2018 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Vincent LECOURT
Me Oriane DONTOT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUINZE MARS DEUX MILLE DIX NEUF,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SYNDICAT FÉDÉRATION DES EMPLOYÉS ET CADRES DE LA CGT FORCE OUVRIÈRE représenté par son secrétaire général domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Vincent LECOURT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 218
SYNDICAT CGT FORCE OUVRIÈRE DES EMPLOYÉS ET CADRES DU COMMERCE DU VAL D'OISE représenté par son secrétaire général domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Vincent LECOURT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 218
SYNDICAT COMMERCE INDÉPENDANT DÉMOCRATIQUE représenté par son secrétaire général domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représenté par Me Vincent LECOURT, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 218
APPELANTES
****************
SAS MEUBLES IKEA FRANCE prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 351 754 724
[Adresse 4]
[Adresse 4]
Représentée par Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633
assistée de Me Leila HAMZAOUI, avocat
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 janvier 2019, Madame Odette-Luce BOUVIER, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Odette-Luce BOUVIER, président,
Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,
Madame Sophie THOMAS, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER
EXPOSE DU LITIGE
La société Meubles Ikea France (Ikea) est une société commerciale qui exploite de nombreux établissements répartis dans toute la France et au sein desquels elle commercialise principalement du mobilier à destination des particuliers.
Elle emploie notamment des salariées sur deux établissements importants situés dans le Val d'Oise qui sont [Localité 1] et [Localité 2].
Les représentants du personnel du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Val d'Oise soutiennent que la société Ikea a atteint le seuil qui l'oblige à mettre en oeuvre ses salles d'allaitement.
Après diverses demandes, notamment en 2013 pour l'établissement de [Localité 2], le syndicat Force Ouvrière a mis en demeure, le 6 avril 2018, la société Ikea d'ouvrir des négociations pour mettre en place des salles d'allaitement.
Par lettre du 31 mai 2018, la société Ikea a refusé d'accéder à cette demande, rappelant d'une part, que, selon elle, l'entreprise n'avait aucune obligation légale d'ouvrir des négociations sur ce sujet et d'autre part, que des mesures plus favorables pour les salariées étaient déjà mises en place ou projetées.
C'est dans ce contexte que, par acte d'huissier du 1er juin 2018, les syndicats Fédération des employés et cadres de la CGT, CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Val d'Oise et Commerce Indépendant Démocratique ont assigné la société Meubles Ikea France devant le président du tribunal de grande instance de Versailles, statuant en référé, afin qu'il lui soit enjoint de mettre en place les salles d'allaitement.
Par ordonnance contradictoire rendue le 14 août 2018, le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles a :
- rejeté l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut d'intérêt à agir, sauf pour les demandes du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise excédant le champ de ce département,
- dit n'y avoir lieu à référé,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la Fédération des employés et cadres de la CGT Force Ouvrière, le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise et le syndicat commerce indépendant démocratique aux dépens.
Le 20 septembre 2018,le syndicat Fédération des employés et cadres de la CGT, le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Val d'Oise et le syndicat Commerce Indépendant Démocratique ont formé appel de la décision en ce qu'elle a rejeté l'exception d'irrecevabilité, sauf pour les demandes du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise excédant le champ de ce département, dit n'y avoir lieu à référé, dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile, condamné la fédération des employés et cadres de la CGT Force Ouvrière, le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise et le syndicat commerce indépendant démocratique aux dépens.
Dans leurs conclusions transmises le 31 octobre 2018, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, 2018, le syndicat Fédération des employés et cadres de la CGT, le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Val d'Oise et le syndicat Commerce Indépendant Démocratique, appelants, demandent à la cour de:
- infirmer l'ordonnance rendue par le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles du 14 août 2018 en ce qu'elle a déclaré recevable le syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise sauf pour les demandes excédant le champ de ce département,
- recevoir les syndicats,
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé,
- enjoindre à la société Meubles Ikea France de mettre en place la salle d'allaitement pour chacun de ses établissements atteignant un effectif de 100 salariées,
- enjoindre à la société Meubles Ikea France également d'assurer que la salle d'allaitement soit tenue conformément aux dispositions réglementaires en vigueur,
- assortir chacune de ces obligations d'une astreinte de 15 000 euros par semaine de retard, passé un délai d'un mois à compter de la signification de la décision à intervenir,
- enjoindre à la société Ikea de justifier de la mise en 'uvre de la salle d'allaitement dans son établissement de [Localité 3] dans le cadre de son projet d'ouverture sous astreinte de 20 000 euros par mois de retard,
- condamner la société Ikea à verser au syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise et à la Fédération des Employés et Cadres du Commerce de la CGT Force Ouvrière la somme de 20 000 euros pour chacun des 29 établissement dont l'effectif excède le seuil de 100 salariées, à titre de provision à valoir sur la réparation du préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession du fait de l'absence de mise en place du local d'allaitement pour la période antérieure à l'assignation, soit 580 000 euros.
- infirmer l'ordonnance en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ikea à leur régler la somme de 6 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Ikea aux entiers dépens de l'instance et de l'appel.
Au soutien de leurs demandes, les appelants font valoir en substance :
- sur la recevabilité de l'action syndicale, que l'action tendant à obtenir la mise en oeuvre d'une salle d'allaitement est entreprise dans l'intérêt collectif de la profession et plus particulièrement les salariées de l'entreprise ; que la violation de cette obligation constitue une atteinte à l'ordre public social, l'absence de salles d'allaitement, qui constituent un moyen pour les femmes de combiner leurs responsabilités familiales avec l'emploi, est un frein à l'égalité professionnelle ;
- que l'action entreprise par les organisations syndicales est dès lors recevable en application des textes applicables et d'une jurisprudence constante ;
- qu'en ce qui concerne la restriction opérée par l'ordonnance au regard du 'champ professionnel' du syndicat CGT Force Ouvrière du commerce de Val d'Oise, dans la mesure où la demande présentée par les autres formations syndicales, la FEC et le SCID, est plus globale que le champ d'intervention du syndicat départemental, ce dernier est manifestement recevable, le syndicat CGT Force Ouvrière du commerce de Val d'Oise a intérêt à ce que cette demande globale prospère puisqu'elle vise les deux établissements dont il n'est pas contesté qu'ils figurent dans son 'champ territorial' ;
- que l'article L.1225-32 du code du travail ne réserve à aucune autorité le soin d'assurer la mise en demeure et qu'elle peut être adressée par toute personne ayant intérêt à la faire ;
- qu'il a bien été justifié de la mise en demeure adressée par Force Ouvrière à la société Ikea et ce, préalablement à la mise en 'uvre de la procédure ; que le syndicat proposait l'ouverture d'une négociation pour définir les conditions de la mise en place de ces salles d'allaitement ;
- que la mise en place progressive de locaux 'tire-lait' par la société Ikea ne constitue en rien une contestation sérieuse ; qu'un local 'tire-lait' ne saurait avoir pour effet d'exonérer un employeur de son obligation de mettre en place de la salle d'allaitement prévue par la loi ;
- qu'au regard des termes de l'article R.1227-6 du code du travail, l'inexistence dans les établissements de la société Ikea de salles d'allaitement démontre qu'il existe un trouble manifestement illicite ;
- que de septembre 2016 à août 2017, dernier exercice connu à la date de l'assignation, il est apparu par exemple que pas moins de 14 salariées ont ainsi été amenées à prendre dans l'établissement de [Localité 2] des « temps d'allaitement », soit environ la moitié des salariées qui ont accouché au cours de l'exercice ; que selon les déclarations de salariées recueillies par les représentants du personnel, plusieurs d'entre elles se sont plaintes de n'avoir pu tirer leur lait dans des conditions décentes et de ne pas avoir pu le conserver pour en nourrir leurs enfants ;
- qu'en aucun cas une salle destinée à tirer son lait pour pouvoir le conserver ne peut remplacer
une salle d'allaitement qui permet à la mère de nourrir directement l'enfant au sein et précisément à ne pas devoir tirer son lait pour le nourrir mais de le nourrir directement et effectivement ; que l'absence de ce local d'allaitement les amène à penser qu'elles ne pourront allaiter en travaillant et pèse sur leur choix ; que c'est précisément pour cela que ces mesures qui visent concrètement à assurer l'égalité font l'objet de politiques actives ;
- que ce n'est pas parce que le syndicat Force ouvrière a signé l'accord qu'il a renoncé à d'autres revendications qui n'ont pas de rapport avec les mesures mises en place par l'accord;
- que seuls sept magasins sont équipés d'un local 'tire-lait' et la société Ikea projette l'implantation restante d'un local d'ici à 2020 alors qu'elle devrait disposer dans au moins 32 des 35 établissements des locaux d'aillaitement prévus par la réglementation ;
- que le préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession par l'absence de mise en place du local d'allaitement est un préjudice constant qui dure depuis la première implantation de la société Ikea en France et dont les syndicats demandent réparation, à titre provisionnel ; qu'en ne mettant pas en 'uvre ses obligations, la société Ikea a réalisé une économie substantielle tout au long des années passées, au détriment des salariées.
Dans ses conclusions transmises le 29 novembre 2018, et auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Meubles Ikea France, intimée, demande à la cour de :
- la recevoir en ses demandes, fins et conclusions,
* sur l'irrecevabilité de l'action de la Fédération des Employés et Cadres de la CGT Force Ouvrière, du syndicat Commerce Indépendant Démocratique et du syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise,
-"constater que" l'article 4 des statuts du syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise limite l'intervention du syndicat aux salariés travaillant ou habitant dans le Val d'Oise,
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a déclaré irrecevable l'action du syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise car dépassant le champ professionnel visé par ses statuts,
En tout état de cause,
-"constater que" les demandeurs ne démontrent pas l'intérêt collectif de la profession qu'ils défendent, ni de surcroît l'atteinte qui serait portée à cet intérêt collectif de la profession,
En conséquence
-infirmer l'ordonnance de référé qui a rejeté l'exception d'irrecevabilité soulevée par la société Meubles IKEA France,
-'dire et juger' que l'action du syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise, du Syndicat Commerce Indépendant Démocratique et de la Fédération des Employés et Cadres de la CGT Force Ouvrière est irrecevable pour défaut d'intérêt à agir,
* A titre principal, sur 'l'incompétence' matérielle du juge des référés,
-"constater" l'existence d'une contestation sérieuse,
-"constater" l'absence de trouble manifestement illicite et de dommage imminent,
-"constater" que les conditions du référé ne sont en l'espèce pas réunies,
En conséquence,
-confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé,
En tout état de cause,
-"constater que" le juge des référés ne peut ordonner que des mesures conservatoires et dépourvues de caractère définitif,
-"constater que" la demande des requérants, relative à la mise en place des salles d'allaitement, est définitive dès lors qu'elle n'est assortie d'aucun terme certain, et qu'elle ne fait pas l'objet d'une procédure au fond, qui serait parallèle à la présente instance,
-"constater que" la demande des requérants n'entre pas dans les prévisions de l'article 809 du code de procédure civile, puisqu'il ne s'agit pas d'une obligation de faire et qu'elle est sérieusement contestable,
En conséquence,
-"dire et juger" qu'il est impossible d'ordonner une telle mesure en référé,
-débouter les appelants de leur demande,
* A titre subsidiaire, sur le montant de l'astreinte sollicité par les demandeurs,
-"constater que" la demande d'astreinte n'est pas justifiée, ni dans son montant, ni dans le délai afférent,
-"constater que" la demande d'astreinte n'a aucun motif légitime,
En conséquence,
-débouter les appelants de leur demande d'astreinte,
* En tout état de cause, sur la demande de dommages et intérêts,
- constater qu'en application de l'article 809 du code de procédure civile, la demande de mise en place des salles d'allaitement, qualifiée par les requérants d'obligation de faire, ne peut se cumuler avec la demande de dommages et intérêts, qualifiée par les requérants de demande provisionnelle,
- constater qu'en tout état de cause, les appelants forment une demande de dommages et intérêts,
- constater que l'allocation de dommages et intérêts excède la compétence du juge des référés,
- constater que les appelants ne démontrent pas l'absence de contestation sérieuse sur laquelle ils fondent pourtant leur demande,
- constater que le préjudice invoqué par les syndicats n'existe pas,
- constater qu'il existe une contestation sérieuse quant à la demande formée par les appelants,
- constater que cette demande de dommages et intérêts revêt un caractère définitif, et excède donc la compétence du juge des référés,
En conséquence,
- débouter les appelants de leur demande de dommages et intérêts,
- débouter les appelants de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens,
- infirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a écarté l'application de l'article 700 du code de procédure civile,
- confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a condamné les syndicats aux dépens,
- condamner les appelants à verser chacun 3 000 euros à la société Meubles Ikea France au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner les appelants aux entiers dépens.
Au soutien de ses demandes, la société Meubles Ikea France fait valoir en substance :
- sur l'irrecevabilité de l'action pour défaut d'intérêt à agir, que les syndicats Force Ouvrière et SCID comme l'union de syndicats Force Ouvrière n'agissent pas dans l'intérêt collectif de la profession et ne démontrent aucunement agir dans cet intérêt ;
- qu'en assignant la société Meubles Ikea France dans son ensemble et en l'enjoignant « de mettre en place la salle d'allaitement pour chacun de ses établissements atteignant un effectif de 100 salariées », le syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise use d'un droit d'action dont il ne dispose pas ;
- sur le fond, que les syndicats ne démontrent l'existence d'aucun trouble actuel ou à venir ; qu'en effet, la société a mis en oeuvre, notamment dans chaque établissement, d'un local permettant aux salariées de tirer leur lait en application de l'accord du 20 avril 2017 ; que pendant une année à compter du jour de la naissance de l'enfant, chaque salariée bénéficie d'une heure par jour travaillé pour tirer son lait ;
-que la direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi (Direccte) et le ministère des droits de la femme ont été informés dès 2013 de l'absence de salles d'allaitement au sein des établissements de la société Meubles Ikea France et n'y ont pas donné suite ;
-que les appelants détournent et instrumentalisent une situation isolée pour tenter de justifier l'existence d'un trouble manifestement illicite ; que le témoignage d'une salariée est inopérant à de nombreux égards ;
- que l'article L.1225-32 du code du travail ne prévoit pas une obligation impérative déclenchée dès que le seuil de 100 salariées est atteint ;
- qu'il ressort de la combinaison des articles L.1225-32, L.8112-1, L.8113-9 et R.8113-4 du code du travail que la mise en demeure d'installer des locaux dédiés à l'allaitement ne peut être le fait que de l'administration ou de la médecine du travail ; que cette mise en demeure ne saurait être déléguée à un syndicat ;
- que la demande des syndicats est générale et ne répond à aucun besoin spécifique exprimé par des salariées de la société ;
- que le syndicat Force Ouvrière a lui-même signé l'accord 'égalité professionnelle' du 20 avril 2017 ; que la société a mis en place, en application de cet accord, sept salles d'allaitement ;
- que le véritable objet de cette demande est la mise en place, au sein de chaque établissement, d'un mode de garde d'enfants ; qu'il n'y a aucune évidence dans l'obligation qui résulterait de l'article L.1225-32 du code du travail de mettre en place un tel dispositif dans l'entreprise; qu'aucun texte ne le prévoyant, il en résulte l'absence de trouble manifestement illicite ; qu'en outre, une analyse est en cours sur les moyens de garde alternatifs ;
- que la demande qui tend à l'allocation, non d'une provision, mais de dommages et intérêts, échappe à la 'compétence' du juge des référés, l'existence d'un préjudice, l'évaluation de celui-ci relevant du pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond.
*******
La clôture de l'instruction a été prononcée le 10 janvier 2019.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A titre liminaire, la cour relève que les moyens et prétentions de la société Ikea tendant à dire la juridiction des référés 'matériellement incompétente' pour connaître des demandes des organisations syndicales appelantes s'analysent en réalité comme étant relatifs aux 'pouvoirs' de la juridiction saisie, et non à sa compétence. Ils portent en conséquence sur le bien fondé des demandes des appelants, et non sur leur recevabilité et seront examinés, au principal, par la cour.
L'article doctrinal de la revue du droit du travail de 2007 , produit par les appelants en cours de délibéré, est écarté des débats, pour ne pas avoir été expressément autorisé par la cour.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir des organisations syndicales :
Aux termes de l'article 31 du code de procédure civile, l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé.
Aux termes de l'article L. 2132-3 du code du travail, les syndicats professionnels peuvent devant toutes les juridictions exercer tous les droits réservés à la partie civile concernant les faits portant un préjudice direct ou indirect à l'intérêt collectif de la profession qu'ils représentent.
Il en résulte qu'ils peuvent demander en référé les mesures de remise en état destinées à mettre fin à un trouble manifestement illicite affectant cet intérêt collectif .
En l'espèce, les organisations syndicales, la Fédération des Employés et Cadres du Commerce de la CGT Force Ouvrière, le syndicat Commerce indépendant et démocratique et le syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise, sollicitent de la juridiction des référés la mise en place, dans les établissements de la SAS Meubles Ikea France de salles d'allaitement.
Il résulte du principe de l'égalité professionnelle entre les femmes et hommes et de la lutte contre les discriminations, affirmés tant au niveau national, notamment par les articles L. 1225-32 et L. 4152-1 du code du travail français, qu'au niveau international par l'article 3 de la convention n° 156 de l'Organisation internationale du travail (OIT) , ratifiée par la France le 16 mars 1989, et la recommandation n° 165 de l'OIT sur les travailleurs ayant des responsabilité familiales, que l'adoption et la mise en 'uvre dans les organisations publiques comme privées de mesures appropriées à la protection des femmes salariées allaitantes s'inscrivent dans la promotion des droits des travailleuses et participent en conséquence à l'ordre public social.
En conséquence, l'action introduite par les syndicats sur le fondement de la défense de l'intérêt collectif des salariées de l'entreprise Ikea aux fins d'obtenir la mise en place de salles d'allaitement est recevable du seul fait que cette demande, peu important son bien fondé à hauteur de référé, repose sur la violation alléguée d'une règle d'ordre public social destinée à promouvoir l'égalité professionnelle des femmes et des hommes notamment par la protection des travailleuses allaitantes, et peu important le fait qu'une de ces organisations, en l'occurrence le syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise a pour objet statutaire la défense des intérêts collectifs et individuels des travailleurs du commerce qui exercent en toute ou partie de leur activité dans le Val d'Oise habitent dès lors qu'il est constant que la mesure sollicitée au niveau national a vocation à bénéficier aux salariées de l'entreprise travaillant dans les établissements dudit département ou y demeurant.
Il s'en déduit qu'il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut d'intérêt à agir de la Fédération des Employés et Cadres du Commerce de la CGT Force Ouvrière et du syndicat Commerce indépendant et démocratique et de l'infirmer en ce qu'elle a dit irrecevables les demandes du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise comme excédant le champ de ce département.
Statuant à nouveau sur cette fin de non-recevoir, la cour dit recevable l'action du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise qui justifie de son intérêt à agir.
Au principal, sur les demandes de mise en place de salles d'allaitement par la société Ikea et de provision subséquentes :
L'action introduite est également recevable du fait qu'une de ces organisations, en l'occurrence le syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise a pour objet statutaire la défense des intérêts collectifs et individuels des travailleurs du commerce qui 'exercent en toute ou partie de leur activité ou qui habitent dans le Val d'Oise'et qu'il est constant que la mesure sollicitée au niveau national a vocation à bénéficier aux salariées de l'entreprise travaillant dans les établissements dudit département ou demeurant dans le Val d'Oise.
Il s'en déduit qu'il convient de confirmer la décision déférée en ce qu'elle a rejeté l'exception d'irrecevabilité tirée du défaut d'intérêt à agir de la Fédération des Employés et Cadres du Commerce de la CGT Force Ouvrière et du syndicat Commerce indépendant et démocratique et de l'infirmer en ce qu'elle a dit irrecevables les demandes du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise comme excédant le champ de ce département.
Statuant à nouveau sur cette fin de non-recevoir, la cour dit recevable l'action du syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise qui justifie de son intérêt à agir.
Au principal, sur la demande de mise en place de salles d'allaitement par la société Ikea et les demandes de mesures et provision subséquentes :
Les appelants, le syndicat CGT-Force Ouvrière des Employés et Cadres du Commerce du Val d'Oise, la Fédération des Employés et Cadres du Commerce de la CGT Force Ouvrière et le syndicat Commerce indépendant et démocratique, fondent expressément et exclusivement leur demande de mise en place de salles d'allaitement sur l'article 809, alinéa 1, du code de procédure civile , afin de faire cesser le trouble manifestement illicite et de prévenir le dommage imminent allégués.
La cour rappelle qu'aux termes de l'article 809 alinéa 1er du code de procédure civile, la juridiction des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent soit pour prévenir un dommage imminent soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Le dommage imminent s'entend du dommage qui n'est pas encore réalisé, mais qui se produira sûrement si la situation présente doit se perpétuer et le trouble manifestement illicite résulte de toute perturbation résultant d'un fait qui directement ou indirectement constitue une violation évidente de la règle de droit.
Il s'ensuit que, pour que la mesure sollicitée soit prononcée, il doit nécessairement être constaté, à la date à laquelle le premier juge a statué et avec l'évidence qui s'impose à la juridiction des référés, l'imminence d'un dommage, d'un préjudice ou la méconnaissance d'un droit, sur le point de se réaliser et dont la survenance et la réalité sont certaines ; qu'un dommage purement éventuel ne saurait donc être retenu pour fonder l'intervention du juge des référés ; la constatation de l'imminence du dommage suffit à caractériser l'urgence afin d'en éviter les effets.
En l'espèce, les syndicats demandeurs à l'action se prévalent de la violation manifeste par la société Ikea des dispositions protectrices de l'article L.4152-1 du code du travail qui institue des mesures de protection au profit des femmes allaitantes, à leur retour de maternité et plus particulièrement de l'article L.1225-32 qui prévoit que, sous la condition d'atteindre un effectif minimum de 100 salariées, l'employeur peut être mis en demeure de mettre en place des locaux d'allaitement dans ou à proximité de l'établissement, de l'article R 1227-6 du même code, qui précise notamment que la méconnaissance de cette obligation constitue une contravention et des articles R 4152-13 et suivants, qui fixent les modalités de la mise en 'uvre du local dédié à l'allaitement, notamment sa superficie minimale, les restrictions à son emplacement, sa hauteur et son équipement obligatoire.
La société Ikea, qui ne conteste pas avoir atteint l'effectif minimum de salariés dans certains de ses établissements, y rendant applicables les dispositions relatives à l'installation des salles d'allaitement, se prévaut en premier lieu le défaut d'autorité de la part des syndicats à mettre en demeure l'entreprise, en application de l'article L. 1225-32 sus visé, l'absence de mise en demeure par l'administration du travail, seule habilitée à la délivrer, caractérisant, selon elle, une 'contestation sérieuse' de la demande des syndicats.
Outre le fait que l'absence de contestation sérieuse n'est pas requise aux termes de l'article 809, alinéa 1, du code civil, seul fondement visé par les demandeurs à la présente action, la cour relève qu'il ne résulte ni de la lettre ni de l'esprit de l'article L. 1225-32 du code du travail que la mise en demeure requise émane de la seule autorité administrative telle que la médecine du travail ou l'inspection du travail, ou plus largement d'une autorité publique.
Dès lors est inopérant le moyen tiré de l'impossibilité pour les syndicats, qui représentent les intérêts collectifs de la profession et disposent de la possibilité de présenter, à cette fin, des revendications, collectives comme individuelles des salariés, de mettre en demeure la société Ikea afin qu'elle respecte son obligation d'installation des salles d'allaitement.
En ce qui concerne le trouble manifestement illicite allégué et le dommage imminent qu'il conviendrait de faire cesser, la cour relève que, s'il est établi que la société Ikea n'a pas installé, en l'état, dans ses établissements de salles d'allaitement, la Fédération des services CFDT, la CFE CGC SNEC, la CGT Fédération du commerce, de la distribution et des services, et la FEC CGT FO ont récemment conclu avec la société un accord d'entreprise en date du 20 avril 2017 'relatif à l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes', pour une période courant du 20 avril 2017 au 19 avril 2020.
Aux termes de cet accord collectif et de son avenant n° 1, la société Ikea s'est engagée à prendre diverses mesures de lutte contre la discrimination en matière d'emploi et de profession et à promouvoir une réelle égalité de traitement, notamment par l'adoption de dispositions protectrices des femmes en retour de congé maternité - échange formel organisé au retour dudit congé entre le 'manager' et la salariée/ suivi, au besoin, par une formation individualisée ayant pour objet la mise à jour des connaissances/ congés et temps de pause supplémentaires, rémunérés, accordés à la salariée durant sa grossesse/suppression de la modulation pendant la période de grossesse/égalité de rémunération pour les salariés de retour de congé parental d'éducation/revalorisation de leur salaire et d'une prise en compte de la durée totale du congé pour la détermination des avantages liés à l'ancienneté - et plus particulièrement la 'mise en place, dans chaque établissement, d'un local permettant aux salariées de tirer leur lait'.
Chaque salariée bénéficie, en application de l'accord collectif (article 15) d'une heure par jour travaillé pour tirer son lait et ce temps de pause, rémunéré pendant les six premiers mois suivant l'accouchement.
L'accord collectif précise que ce local, qui permet de garantir l'intimité des salariées ( notamment grâce à une pancarte en interdisant l'accès quand le local est en cours d'utilisation), est pourvu de fauteuils confortables, d'un réfrigérateur, de prises de courant et d'un point d'eau.
L'intimée indique, sans être utilement contestée sur ces points, qu'elle a déjà mis en place ces locaux 'pour tirer le lait' dans certains de ses établissements et rappelle qu'elle s'est, 'en tout état de cause, engagée à ce que l'ensemble de ses établissements soient dotés de ces locaux avant avril 2020", date du terme prévu à l'application de l'accord collectif du 20 avril 2017.
S'il est constant que ces locaux ne sont pas les salles d'allaitement, objet du présent litige et que le consensus trouvé quant à leur mise en place n'est pas exclusif d'autres revendications, il résulte néanmoins de ces éléments d'information et de l'accord collectif conclu par quatre organisations syndicales représentatives, dont un des syndicats appelants, que n'est pas caractérisé, à la date à laquelle le premier juge a statué, en août 2018, et avec l'évidence requise en référé, le caractère manifeste du trouble allégué ou l'imminence d'un dommage, certain quoique futur, à ladite date, soit durant la période d'application de l'accord du 20 avril 2017 et la mise en 'uvre de mesures de nature à promouvoir l'égalité professionnelle des hommes et des femmes notamment par la protection effective des salariées en retour de congé maternité et l'installation d'un local leur permettant de tirer leur lait, étant relevé que les syndicats, parties au présent accord, en le signant, ont acté du caractère satisfactoire, sur la période visée, des engagements ainsi pris par l'entreprise et qu'est prévue en outre la réalisation d'une étude sur l'année 2018 concernant les différents dispositifs de gardes d'enfants en crèche d'entreprise, pour une éventuelle mise en oeuvre début 2019.
La cour relève qu'en tout état de cause, les demandes, objet du présent litige, ne se fondent que sur l'obligation de mettre en place les salles d'allaitement prévues par les textes existants, et non sur la mise en place d'un mode de garde dans l'entreprise, aucun texte légal ou conventionnel ne fixant, en l'état, d'obligation à cette fin à la société Ikea France.
Enfin, corrobore l'absence d'évidence du trouble et de l'imminence du dommage allégués le fait que la Direccte et le ministère des Droits de la femme successivement saisis, par lettres du 15 mars 2013 de la question de l'absence de salles d'allaitement au sein de l'entreprise Ikea France, demandant notamment à la Dirrecte de 'procéder à la mise en demeure prévue par l'article R.4721-5 du code du travail afin qu'elle se mette en conformité avec le texte précité dans les meilleurs délais pour son établissement de [Localité 2] ', n'ont pas donné suite à ces courriers, à la date à laquelle le premier juge a statué, tout comme à celle du présent arrêt.
Il résulte de l'ensemble de ces constatations et énonciations qu'il convient de confirmer l'ordonnance entreprise en ce qu'elle a dit, à bon droit, n'y avoir lieu à référé sur les demandes d'injonction à la société Ikea de mettre en place, sous astreinte, une salle d'allaitement pour chacun de ses établissements atteignant un effectif de 100 salariées, d'assurer que la salle d'allaitement soit tenue conformément aux dispositions réglementaires en vigueur et de justifier, sous astreinte, de la mise en 'uvre de la salle d'allaitement dans son établissement de [Localité 3] dans le cadre de son projet d'ouverture.
Pour les motifs sus retenus et en conséquence de la contestation sérieuse en découlant, au sens de l'article 809, alinéa 2, du code de procédure civile quant à l'existence d'un préjudice porté à l'intérêt collectif de la profession du fait de l'absence de mise en place du local d'allaitement pour la période antérieure à l'assignation, il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à référé sur la demande de provision à valoir sur la réparation dudit préjudice, soit 580 000 euros.
Sur les demandes accessoires :
L'équité commande de ne pas faire droit à la demande des parties présentée, en première instance et en appel, sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Parties perdantes pour l'essentiel, les parties appelantes sont condamnées au paiement des dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS LA COUR
Statuant publiquement par décision contradictoire et en dernier ressort,
ECARTE des débats l'article doctrinal de la revue du droit du travail de 2007, produit en cours de délibéré par les parties appelantes,
INFIRME la décision entreprise en ce qu'elle a dit irrecevable pour défaut d'intérêt à agir le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Val d'Oise,
STATUANT À NOUVEAU SUR CETTE FIN DE NON-RECEVOIR,
DIT recevable en son action le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce de Val d'Oise,
CONFIRME l'ordonnance en ses autres dispositions,
Y AJOUTANT,
REJETTE le surplus des demandes en ce comprises celle fondées sur l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE in solidum la Fédération des employés et cadres de la CGT Force Ouvrière, le syndicat CGT Force Ouvrière des employés et cadres du commerce du Val d'Oise et le syndicat commerce indépendant démocratique aux entiers dépens d'appel.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, président et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,