La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/03/2019 | FRANCE | N°17/01473

France | France, Cour d'appel de Versailles, 4e chambre, 11 mars 2019, 17/01473


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 54G



4e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 MARS 2019



N° RG 17/01473

N° Portalis

DBV3-V-B7B-RKPK



AFFAIRE :



Société MMA IARD

...



C/

SAS VALEDOR

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Janvier 2017 par le Tribunal de Grande Instance de Versailles

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 14/0

4284



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me CLAVIER



MeFLECHELLES

-DELAFOSSE



Me BUQUET-ROUSSEL



Me Hélène BOULY



REPUBLIQUE FRANCAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE ONZE MARS DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 54G

4e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 MARS 2019

N° RG 17/01473

N° Portalis

DBV3-V-B7B-RKPK

AFFAIRE :

Société MMA IARD

...

C/

SAS VALEDOR

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 19 Janvier 2017 par le Tribunal de Grande Instance de Versailles

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 14/04284

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me CLAVIER

MeFLECHELLES

-DELAFOSSE

Me BUQUET-ROUSSEL

Me Hélène BOULY

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE ONZE MARS DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Société MMA IARD

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentant : Me Alain CLAVIER de l'ASSOCIATION ALAIN CLAVIER - ISABELLE WALIGORA - AVOCATS ASSOCIÉS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 143303

Représentant : Me Jean-Marc PEREZ de la SELARL AVOX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J109

Société MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES

[Adresse 1]

[Localité 1]

Représentant : Me Alain CLAVIER de l'ASSOCIATION ALAIN CLAVIER - ISABELLE WALIGORA - AVOCATS ASSOCIÉS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 143303

Représentant : Me Jean-Marc PEREZ de la SELARL AVOX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J109

SARL ANDRE JACQ INGENIERIE

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

Représentant : Me Bénédicte FLECHELLES-DELAFOSSE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 428

Représentant : Me Florence NATIVELLE, Plaidant, avocat au barreau de NANTES

APPELANTES

****************

SAS VALEDOR

[Adresse 3]

[Adresse 3]

[Localité 3]

Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 7217

Représentant : Me Alain LEVY de la SCP Alain LEVY et Associés, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0126

SAS RAMBOUILLET DISTRIBUTION

[Adresse 4]

[Localité 4]

Représentant : Me Hélène BOULY de la SELARL BHB AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 310

Représentant : Me Jacques DESGARDIN, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D1283

INTIMEES

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Décembre 2018, Madame Isabelle DE MERSSEMAN, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Brigitte AZOGUI-CHOKRON, président,

Madame Anna MANES, président,

Madame Isabelle DE MERSSEMAN, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine NOLIN

FAITS ET PROCÉDURE,

La société Rambouillet Distribution, appartenant au groupement Intermarché, est propriétaire d'un ensemble immobilier à usage de centre commercial à [Adresse 5], d'une superficie de 3 300 m2, construit en 1979.

Elle a donné à bail ces locaux à la société Sodiclaire, dénommée aujourd'hui Valedor, exploitant à l'époque sous l'enseigne Intermarché.

En 1992, la société Rambouillet Distribution a confié à la société CEP la réalisation d'un diagnostic amiante dans les lieux loués. Deux échantillons prélevés sur les plaques de fibrociment en parois, dalles de vinyle, colle des dalles de vinyle, ont été analysés et déclarés sans amiante.

En mai 1998, afin de répondre à la nouvelle réglementation relative à l'amiante, elle a sollicité de la société DEFI un nouveau diagnostic amiante. Le 23 juin 1998, la société DEFI a conclu à l'absence d'amiante dans les flocages mais à la présence d'amiante dans certaines cloisons en fibrociment, des joints, des dalles de sol de vinyle et leur colle.

En raison d'une nouvelle évolution de la législation sur l'amiante, la société Rambouillet Distribution a demandé à la société André Jacq Ingénierie d'établir un nouveau dossier technique amiante en conformité avec la nouvelle réglementation. Ce document a été établi au cours de l'année 2004 et a conclu dans les mêmes termes que le rapport DEFI.

En septembre 2007, les sociétés Rambouillet Distribution et Sodiclaire ont entrepris des travaux d'aménagement et de rénovation de la surface commerciale principale afin de respecter les normes MAG 3 du groupe Intermarché.

La société Rambouillet Distribution a confié à la société Gilles Decor les travaux de peinture de charpente, de toiture et de plaquisterie en périphérie et à la société Protecfeu la mise en 'uvre du nouveau réseau de sprinklage arrivé au stade de la révision trentenaire.

De son côté, la société Valedor a confié :

- à la société Boisnard Electricité la dépose du réseau électrique,

- à la société Gilles Decor les travaux de peinture, faux-plafonds et aménagement décoratif,

- à la société Johnson Controls la transformation de l'ensemble du système de froid.

Le coordonnateur de sécurité, la société B.E.T. RM2G, a sollicité l'établissement d'un rapport avant travaux en raison de la présence de matériaux pouvant contenir de l'amiante.

Alors que les travaux avaient commencé, il a été constaté la présence d'amiante sur toute la charpente et dans les plaques de fibrociment sur toute la façade intérieure du bâtiment.

Les travaux ayant été interrompus en février 2008, la société Valedor s'est plaint de préjudices commerciaux. La société Rambouillet Distribution a alors saisi le juge des référés du tribunal de grande instance de Versailles par actes d'huissier de justice délivrés les 13 et 16 mai 2008, la société André Jacq et son assureur, la société MMA Iard, d'une demande de désignation d'expert.

M. [H], expert judiciaire, a été désigné par ordonnance du 28 juillet 2008. Il s'est adjoint en mars 2010 un sapiteur en la personne de M. [U], en accord avec les parties, et a déposé son rapport définitif le 14 décembre 2013.

La société Valedor a assigné la société André Jacq Ingénierie et son assureur la compagnie MMA au fond le 16 avril 2014. La société Rambouillet Distribution les a également assignés au fond les 10 juin et 24 juillet 2014. Les affaires ont été jointes le 22 mars 2016.

Par jugement contradictoire du 19 janvier 2017 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal de grande instance de Versailles a condamné la société André Jacq Ingénierie et son assureur la compagnie MMA IARD in solidum à payer :

- à la société Rambouillet Distribution :

* la somme totale de 150.745,06 euros HT pour les préjudices subis, avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement, et avec capitalisation des intérêts échus depuis une année en application de l'article 1154 du code civil ;

* la somme de 7.500 euros au titre des frais irrépétibles ;

- à la société Valedor :

* la somme totale de 252.227,94 euros HT pour les préjudices matériels, avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement conformément à l'article 1153-1 du code civil, et avec capitalisation des intérêts échus depuis une année en application de l'article 1154 du code civil,

* la somme totale de 387.400 euros pour les autres préjudices subis avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement conformément à l'article 1153-1 du code civil, et avec capitalisation des intérêts échus depuis une année en application de l'article 1154 du code civil,

* la somme de 12.000 euros au titre des frais irrépétibles ;

- les dépens comprenant les frais d'expertise, dont distraction.

Par déclaration du 21 février 2017, les sociétés MMA Iard, MMA Iard Assurances Mutuelles et André Jacq Ingénierie ont interjeté appel de ce jugement à l'encontre des sociétés Valedor et Rambouillet Distribution.

Par leurs conclusions signifiées le 18 mai 2017, la société MMA Iard et la société MMA Iard Assurances Mutuelles demandent à la cour de :

- Les déclarer recevables et bien fondées en leur appel ;

- Dire que la société André Jacq Ingénierie n'a pas commis de faute dans le DTA de 2004 ;

- Dire qu'il appartenait aux sociétés Rambouillet Distribution et Valedor de faire réaliser un diagnostic spécifique avant réalisation de travaux importants chiffrés à 1 300 000 euros ;

- Constater qu'en tout état de cause il n'existe pas de lien de causalité entre la faute reprochée à André Jacq Ingénierie et les préjudices invoqués ;

- Constater qu'il n'est pas démontré que le choix de démolir l'ancien supermarché pour construire un nouvel hypermarché serait la conséquence de la découverte tardive d'amiante dans les lieux ;

En conséquence :

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

- Déclarer mal fondées les sociétés Rambouillet distribution et Valedor en toutes leurs demandes, fins et conclusions et les en débouter ;

Subsidiairement :

- Limiter le préjudice aux montants retenus par l'expert judicaire, soit :

-71 193,06 euros HT pour Rambouillet Distribution ;

-268 627,94 euros HT pour Valedor, moins les travaux de Gilles Decor pour 59 601 euros HT, soit 209 026,94 euros,

-Débouter les sociétés Rambouillet distribution et Valedor du surplus de leurs demandes,

- Condamner la société Rambouillet Distribution et la société Valedor à payer chacune la somme de 15 000 euros (soit 30 000 euros) aux deux appelantes, ensemble, en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- condamner la société Rambouillet distribution et la société Valedor aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Encore plus subsidiairement,

- Dire et juger que toute éventuelle condamnation de la société MMA Iard en qualité d'assureur de la société André Jacq Ingénierie sera limitée à 305 000 euros, montant du plafond de garantie ;

- dire et juger qu'en cas de condamnation de la société André Jacq Ingénierie pour une somme inférieure au plafond de garantie s'appliquera la franchise contractuelle de 3 049 euros ;

- condamner les sociétés Rambouillet Distribution et Valedor aux dépens d'appel et de ses suites, dont distraction en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Par ses dernières conclusions signifiées le 19 novembre 2018, la société André Jacq Ingénierie (SARL), appelante, demande à la cour de :

A titre liminaire,

- la déclarer recevable en son appel,

A l'encontre des MMA :

A titre principal, déclarer irrecevable, en application des dispositions de l'article 564 du code de procédure civile, la demande tendant à l'application d'un plafond de garantie de 305.000 euros et d'une franchise contractuelle de 3.049 euros à son encontre ;

A titre subsidiaire, débouter les sociétés MMA de leur demande de limitation de garantie en ce qu'elles ne justifient pas de l'opposabilité, à l'encontre de la société André Jacq Ingénierie de la police d'assurance et des limites de garantie dont elles sollicitent application.

A titre infiniment subsidiaire,

- dire que les sociétés MMA ont manqué à leur obligation de conseil en ne proposant pas une garantie adaptée au risque couru par la société André Jacq Ingénierie,

- condamner les MMA à la garantir de toutes condamnations qui pourraient être prononcées à son encontre sans limitation de garantie,

A l'encontre de la société Rambouillet Distribution :

A titre principal,

- dire que la société André Jacq Ingénierie n'a pas commis de faute,

- constater l'absence de lien de causalité entre la présence d'amiante et les préjudices invoqués par la société Rambouillet distribution,

- débouter la société Rambouillet Distribution de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre,

- condamner la société Rambouillet Distribution à lui payer la somme de 7.000 euros de l'article 700 du code de procédure civile,

A titre subsidiaire,

- limiter le préjudice indemnisable de la société Rambouillet Distribution à la somme de 71.193,06 euros HT correspondant au titre des travaux de sprinklage réalisés en pures pertes par la société Protecfeu,

- débouter la société Rambouillet Distribution de toutes demandes plus amples ou contraires dirigées à son encontre ;

A l'encontre de la société Valedor,

A titre principal,

- dire que la société André Jacq Ingénierie n'a pas commis de faute,

- constater l'absence de lien de causalité entre la présence d'amiante et les préjudices invoqués par la société Valedor,

- débouter la société Valedor de l'ensemble de ses demandes dirigées à son encontre,

- condamner la société Valedor à lui payer la somme de 7.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

A titre subsidiaire,

- limiter le préjudice indemnisable de la société Valedor à la somme totale de 252.228,04 euros correspondant aux travaux de peinture, d'électricité, du système froid réalisés en pures pertes,

- débouter la société Valedor de toutes demandes plus amples ou contraires dirigées à l'encontre de la société André Jacq Ingénierie.

Par ses conclusions signifiées le 18 octobre 2018, la société Rambouillet Distribution (SAS) demande à la cour de :

- Dire et juger la société André Jacq et les sociétés MMA Iard recevables mais mal fondées en leur appel ;

En conséquence,

- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a retenu la responsabilité de la société André Jacq à l'égard de la société Rambouillet distribution et l'obligation à garantie de la société MMA ;

-Réformant la décision entreprise sur le montant de l'indemnisation prononcée au profit de la société Rambouillet distribution ;

- Condamner la société André Jacq et son assureur MMA Iard à lui verser la somme de 249.765,54 euros HT outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation du mois de juin 2008, par application des dispositions de l'article 1153 du Code civil, avec capitalisation des intérêts échus depuis une année, par application des dispositions de l'article 1154 du même code ;

- Condamner la société André Jacq et son assureur MMA Iard à lui verser une somme de 15.000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

- Condamner la société André Jacq et son assureur MMA Iard en tous les dépens de l'instance, qui comprendront les frais de l'expertise judiciaire.

Par ses dernières conclusions signifiées le 16 octobre 2018, la société Valedor (SAS) demande à la cour de :

- la déclarer tant recevable que bien fondée en son appel incident ;

y faisant droit, confirmer le jugement dont appel en toutes ses dispositions sauf en ce :

.qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Valedor d'un montant de 160 624 euros HT correspondant à la perte de marge due à la diminution du chiffre d'affaires pendant la période des travaux de septembre 2007 à février 2008,

.qu'il a rejeté la demande indemnitaire de la société Valedor d'un montant de 28 000 euros HT au titre des dépenses de personnel,

.qu'il a limité le préjudice subi au titre du manque à gagner découlant de la non mise en place totale de MAG 3 à la somme de 348 000 euros HT,

.qu'il a limité le préjudice subi s'agissant des prestations de la société Johnson Controls à la somme de 83 299,69 euros HT,

.qu'il a limité l'indemnisation au titre de l'assistance technique de M. [M] à la somme de 10 000 euros,

Statuant à nouveau,

- condamner solidairement la société André Jacq et son assureur la société MMA Iard à lui payer pour les préjudices immatériels et matériels subis :

-la somme de 346 214 euros HT s'agissant des prestations de la société Johnson Controls,

-la somme de 160 624 euros HT correspondant à la perte de marge due à la diminution du chiffre d'affaires pendant la période des travaux de septembre 2007 à février 2008,

-la somme de 957 000 euros HT pour le manque à gagner découlant de la non mise en place totale de MAG 3,

-la somme de 28 000 euros HT au titre des dépenses de personnel,

le tout avec intérêts au taux légal à compter des conclusions en référé du 17 juin 2008 de la société Sodiclaire en application de l'article 1153 du code civil, avec capitalisation des intérêts échus depuis une année en application de l'article 1154 du code civil,

- condamner solidairement la société André Jacq et son assureur la Compagnie MMA Iard à lui payer la somme de 47 250 euros HT correspondant à la totalité du montant des factures réglées à M. [M] expert-comptable, qui l'a assistée durant toutes les opérations d'expertise,

Dans tous les cas,

- déclarer tant irrecevables que mal fondées les sociétés André Jacq et la société d'assurances MMA IARD en leur appel, et les en débouter.

- déclarer irrecevable la société MMA en sa demande tendant à voir et une franchise contractuelle de 3.049 euros et appliquer un plafond de garantie de 305.000 euros comme étant nouvelle, au visa de l'article 564 du code de procédure civile,

En tout état de cause et à titre subsidiaire,

- la déclarer mal fondée, l'en débouter,

- condamner solidairement la société André Jacq et sa Compagnie d'assurances MMA IARD à payer à la société Valedor la somme de 30. 000 euros au titre de l'article 700 du code  de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

La clôture de l'instruction a été ordonnée le 4 décembre 2018.

LA COUR,

Le jugement est critiqué en toutes ses dispositions. Sont contestées la responsabilité de la société André Jacq Ingénierie, l'ampleur du préjudice du propriétaire et de l'exploitant des lieux, ainsi que l'étendue de la garantie de l'assureur.

Sur la responsabilité de la société André Jacq Ingénierie :

Le jugement a retenu la responsabilité de la société André Jacq Ingénierie et la garantie de son assureur, la société MMA Iard, pour les condamner in solidum à indemniser la société Rambouillet Distribution, propriétaire du bâtiment à hauteur de la somme de 150 745,06 euros HT, et la société Valedor, locataire, à hauteur de la somme de 630 627,94 euros HT.

Les premiers juges ont retenu que la société André Jacq Ingénierie avait commis deux fautes :

-une faute de nature contractuelle à l'égard de la société Rambouillet Distribution en 2004 en établissant son dossier technique amiante (ci-après DTA) concernant le flocage sur charpente métallique sur la base de deux prélèvements « non repérés » effectués par la société CEP Veritas en 1993 avant la parution du décret de 19996/97 repris ensuite par la société DEFI sans autre analyse,

-une seconde faute de nature délictuelle à l'égard de la société Valedor, en 2008, en faisant une erreur de repérage de l'amiante.

Les premiers juges ont considéré que les fautes étaient en lien avec le préjudice résultant de l'interruption des travaux commandés par le propriétaire et l'exploitant des lieux, commencés en septembre 2007 et interrompus en février 2008, à la suite de la découverte de l'importance de la présence d'amiante dans le bâtiment.

La société André Jacq Ingénierie sollicite l'infirmation du jugement qui a retenu sa responsabilité civile afin d'obtenir sa mise hors de cause. Elle soutient à titre principal que sa responsabilité n'est pas engagée et qu'il n'existe pas de lien de causalité entre la présence d'amiante et les préjudices invoqués par la société Rambouillet Distribution et la société Valedor, ces sociétés ayant engagé les travaux sans réaliser de diagnostic obligatoire avant travaux (DAT) qui aurait permis de constater l'amiante présente dans la charpente métallique et les cloisons.

Les sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles demandent également à la cour d'infirmer le jugement qui a retenu la responsabilité de leur assuré pour débouter les sociétés Rambouillet Distribution et Valedor de l'ensemble de leurs demandes faisant valoir que la société André Jacq Ingénierie n'a pas commis de faute dans le DTA de 2004, qu'il appartenait aux sociétés Rambouillet Distribution et Valedor de faire réaliser un diagnostic spécifique avant réalisation de travaux importants chiffrés à 1 300 000 euros et qu'en tout état de cause, il n'existe pas de lien de causalité entre la faute et les préjudices invoqués puisqu'il n'est pas démontré que le choix de démolir l'ancien supermarché pour construire un nouvel hypermarché serait la conséquence de la découverte tardive d'amiante dans les lieux.

Les sociétés Rambouillet Distribution et Valedor sollicitent la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a retenu la responsabilité de la société André Jacq à leur égard et l'obligation de garantie de la société MMA. Elles reprochent deux manquements à la société André Jacq Ingénierie : un défaut de détection d'amiante dans le flocage sur la charpente métallique du bâtiment à usage de supermarché en 2004 dans le cadre d'un DTA et un défaut de détection de la présence d'amiante généralisée dans les plaques de fibrociment dans le cadre d'un DAT en 2008.

Il appartient à la société Rambouillet Distribution et à la société Valedor de démontrer l'étendue de la mission confiée à la société André Jacq Ingénierie, les manquements contractuels ou réglementaires commis ainsi que le lien avec le préjudice résultant de l'arrêt des travaux.

L'étendue de la mission confiée :

Il convient de rappeler au préalable qu'il existe deux types de « diagnostics amiante » selon l'arrêté du 2 janvier 2002 relatif au repérage des matériaux et produits contenant de l'amiante avant démolition en application de l'article 10-4 du décret n° 96-97 du 7 février 1996 modifié :

-Le diagnostic technique amiante, dit DTA, lorsqu'aucune démolition n'est envisagée qui consiste à repérer les matériaux et produits contenant de l'amiante sans sondage destructif,

-Le diagnostic amiante avant travaux, dit DAT, nécessitant, en cas de démolition envisagée, des investigations plus poussées pouvant aller jusqu'au sondage destructif. Ce dernier diagnostic doit s'effectuer dans les formes prévues par l'annexe 2 de l'arrêté qui prévoit notamment une évacuation des lieux.

Les contrats conclus en 2004 et 2008 avec la société André Jacq ne sont pas produits par les sociétés Rambouillet Distribution et Valedor, si bien que la cour ne peut déterminer avec précision la mission confiée à la société André Jacq. Les bordereaux des pièces communiquées par ces parties ne mentionnent pas ces deux pièces essentielles pour le dossier. Les trois CD des annexes du rapport d'expertise déposés au dossier de la cour par la société Valedor comportent des pièces 101 à 231 énumérées en pages 8 à 13 du rapport d'expertise qui ne mentionnent pas les contrats. La cour n'est donc pas en mesure de constater l'identité exacte du cocontractant de la société André Jacq Ingénierie.

Il faut également relever que le rapport de l'expert mentionne en page 43 que la société Rambouillet Distribution a demandé à la société André Jacq d'établir un nouveau dossier technique amiante au cours de l'année 2004 alors que le seul rapport présenté par les parties au dossier de la cour, le rapport de 2004 (pièce 3 de la société André Jacq), mentionne qu'il a été dressé à la demande de « Intermarché SAS Sodiclaire », aux droits de laquelle vient à présent la société Valedor.

Ceci étant précisé, il n'est pas contesté que la société André Jacq Ingénierie a reçu deux missions distinctes :

- en juillet 2004 un DTA,

- en janvier 2008 un DAT.

Aucune contestation n'étant soulevée quant à l'existence d'une relation contractuelle entre les sociétés André Jacq Ingénierie d'une part, et les sociétés Sodiclaire devenue Valedor et Rambouillet Distribution, d'autre part, la cour retiendra l'existence de deux contrats conclus entre ces parties, le premier pour un DTA et le second pour un DAT.

Les manquements contractuels :

L'expert judiciaire a relevé que « le DTA effectué par la société André Jacq en juillet 2004 n'a pas signalé le flocage généralisé à base d'amiante présent sur la charpente ainsi que la présence généralisée de plaques de fibrociment sur toute la périphérie du bâtiment » conclu à l'issue de sa mission que « le DTA de 2004 et le repérage avant travaux de 2008 établis par la société André Jacq ne sont ni complets, ni conformes à la réglementation, à la norme NFX 46.020 et à la commande de ces repérages (devis et ordres de service) ».

Dans son rapport du 7 juillet 2004, la société André Jacq conclut à l'existence d'amiante dans les dalles de sol et des cloisons de fibrociment. Il est établi par les pièces du dossier que la société André Jacq Ingénierie s'est fondée pour réaliser le DTA en juillet 2004 sur les analyses de deux échantillons de flocage prélevés dans la réserve et dans le dépôt pour affirmer qu'ils ne contenaient pas d'amiante. Elle soutient qu'il ne pouvait s'agir que du flocage au niveau de la charpente métallique et qu'aucune modification n'ayant été réalisée au niveau de la charpente, elle n'avait pas à procéder à de nouveaux prélèvements. Toutefois, la seule indication du sondage réalisé dans la réserve et dans le dépôt en l'absence de mention précise de la localisation du prélèvement (piliers ou poutres métalliques qui étaient également couverts de flocages), il appartenait à la société André Jacq de réaliser un nouveau sondage précisément localisé. En effet, le flocage de la charpente était visible et accessible, sans sondage destructif, ainsi que l'expert a pu le constater. L'existence d'amiante dans les cloisons de fibro-ciment figure dans le rapport de 2004 mais il manque la mention d'amiante au niveau de la charpente.

La société André Jacq Ingénierie ne conteste pas avoir omis de signaler la présence d'amiante dans toutes les plaques de fibrociment de la façade intérieure du bâtiment lors du DAT de 2008 mais elle fait valoir que cette insuffisance de repérage n'a eu aucune incidence sur l'indemnisation sollicitée puisque les parties prétendent que les travaux de rénovation ont été décidés sur la base du DTA de juillet 2004.

Il est ainsi établi que la société André Jacq Ingénierie a manqué à ses obligations contractuelles et réglementaires au stade du DTA et du DAT à l'égard de la société Rambouillet Distribution et à l'égard de la société Valedor.

Le lien de causalité avec le préjudice allégué :

La société Rambouillet Distribution et la société Valedor soutiennent que si elles avaient eu connaissance en 2004 de l'étendue de l'amiantage de la construction, elles n'auraient pas engagé de frais pour son réaménagement et considèrent que la société André Jacq doit réparation de leur préjudice financier. Elles sollicitent l'infirmation du jugement quant aux montants accordés.

La société Rambouillet Distribution sollicite une indemnisation au titre des sommes qu'elle a été contrainte de verser en pure perte du fait de l'abandon des travaux, à la société Protecfeu et à la société Gilles Décor, soit un montant total de 249 765,54 euros HT.

La société Valedor sollicite :

-la somme de 346 214 euros HT s'agissant des prestations de la société Johnson Controls,

-la somme de 160 624 euros HT correspondant à la perte de marge due à la diminution du chiffre d'affaires pendant la période des travaux de septembre 2007 à février 2008,

-la somme de 957 000 euros HT pour le manque à gagner découlant de la non mise en place totale de MAG 3,

-la somme de 28 000 euros HT au titre des dépenses de personnel.

La société André Jacq Ingénierie et son assureur soutiennent que les préjudices allégués par les deux sociétés découlent de la seule absence de réalisation d'un DAT, avant le commencement des travaux, en violation des obligations résultant des articles L.1334-1 et suivants et R. 1334-14 du code de la santé publique qui imposent une obligation générale de surveillance du risque amiante pour les propriétaires et les exploitants d'immeubles bâtis antérieurement au 1er juillet 1997. La société André Jacq Ingénierie souligne que son rapport du 4 juillet 2004 mentionnait expressément que « le commanditaire est informé que ce présent rapport n'est utilisable que dans le cadre du dossier technique amiante. Ce rapport n'est pas destiné à l'usage de repérage réglementaire dans le cas de travaux ou de démolition. ».

L'obligation de l'article R. 1334-14 dudit code incombant au propriétaire ou à défaut de propriétaire identifié, à l'exploitant, résulte d'un décret n°2011-629 du 3 juin 2011 n'était pas encore en vigueur en septembre 2007, date du début des travaux. Le propriétaire des lieux était alors soumis à l'article R. 1334-27 du code de la santé publique qui prévoyait que 'Les propriétaires des immeubles mentionnés à l'article R. 1334-23 sont tenus, préalablement à la démolition de ces immeubles, d'effectuer un repérage des matériaux et produits contenant de l'amiante et de transmettre les résultats de ce repérage à toute personne physique ou morale appelée à concevoir ou à réaliser les travaux.'

Cette notion de démolition était entendue de manière large et s'appliquait à tous travaux sur la construction puisque la norme NF X46-020 de novembre 2002 applicable au moment des travaux (pièce 21 de la société Valedor) mentionne la mission 'dossier technique amiante' et 'la mission en vue de la réalisation de travaux ultérieurs'. En effet, les dispositions du code de la santé publique ont pour objet la défense de la santé des usagers des lieux et notamment des personnes amenées à travailler sur la construction. Cette interprétation est corroborée par la mention figurant dans le rapport de 2008 de la société André Jacq qui rappelait le recours nécessaire à un DAT, qui comporte des prélèvements sur toute l'épaisseur du matériau en cas de travaux.

En l'espèce, les travaux dans cette construction datant de 1979, ont été débutés en septembre 2007 alors que le propriétaire et l'exploitant des lieux n'avaient pas commandé de DAT et ce, alors que la réglementation les y obligeait et que la présence d'amiante dans le bâtiment était déjà connue.

Si ce « diagnostic avant travaux » avait été réalisé avant le démarrage des travaux, aucun frais n'aurait été engagé. Or, le DAT a été commandé tardivement en cours de travaux en janvier 2008, à la société André Jacq Ingénierie qui a constaté l'existence d'amiante dans le flocage de la charpente notamment, ce qui a conduit à l'arrêt des travaux. Ce DAT était d'autant plus important avant le début des travaux que la société Rambouillet Distribution avait eu connaissance de la présence d'amiante dans les cloisons et les dalles de sol, de nature à rendre le réaménagement plus complexe et plus onéreux depuis le rapport de la société DEFI du 23 juin 1998.

Il n'est pas contesté que la société Rambouillet Distribution a préféré, en raison de l'importance de l'amiante présente depuis l'origine de la construction , fait auquel la société André Jacq est étrangère, à renoncer aux travaux de réaménagement et décidé de faire construire un nouveau bâtiment d'une surface de 10 460 m2 sur un autre emplacement.

Il résulte de ce qui précède que l'insuffisante détection de l'amiante dans la construction par la société André Jacq Ingénierie n'est pas directement à l'origine du préjudice financier dont les sociétés Rambouillet Distribution et Valedor sollicitent réparation.

Le jugement sera infirmé afin de les débouter de leurs demandes formées à l'encontre de la société André Jacq et de son assureur.

Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les demandes de limitation de garantie par application du plafond et de la franchise présentées par la société MMA Iard.

Sur les dépens et les demandes d'indemnités de procédure :

Le sens de la décision conduit à infirmer les condamnations prononcées par le jugement aux dépens de première instance ainsi qu'aux indemnités de procédure accordées au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Rambouillet Distribution et la société Valedor supporteront conjointement les dépens de première instance et d'appel. En revanche, les circonstances particulières de l'espèce, et notamment la constatation de fautes commises par la société André Jacq, conduiront à rejeter sa demande formée au titre de l'article 700 du code de procédure civile. Les parties perdantes verseront conjointement aux sociétés MMA Iard et MMA Iard Assurances Mutuelles la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

Statuant par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,

Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Rejette l'ensemble des demandes formées à l'encontre de la société André Jacq Ingénierie et de la société MMA Iard,

Y ajoutant,

' Déboute les parties la société André Jacq Ingénierie de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Rambouillet Distribution et la société Valedor conjointement à verser aux sociétés MMA Iard et MMA iard Assurances Mutuelles la somme de 3 000 euros chacune au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne conjointement la société Rambouillet Distribution et Valedor aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Brigitte AZOGUI-CHOKRON, Président et par Madame Sabine NOLIN, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 4e chambre
Numéro d'arrêt : 17/01473
Date de la décision : 11/03/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 04, arrêt n°17/01473 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-03-11;17.01473 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award