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15/02/2019 | FRANCE | N°17/01562

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 15 février 2019, 17/01562


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 73B



1ère chambre

1ère section



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 FEVRIER 2019



N° RG 17/01562



AFFAIRE :



[T] [F]

C/

[U] [N]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Décembre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

POLE CIVIL

POLE FAMILLE

N° Section : 3

N° RG : 14/04294



Expéditions exéc

utoires

Expéditions

délivrées le :

à :

ASSOCIATION LOUBEYRE ENTREMONT PORNIN



Me Stéphane KARAGEORGIOU

















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE QUINZE FEVRIER DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 73B

1ère chambre

1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 FEVRIER 2019

N° RG 17/01562

AFFAIRE :

[T] [F]

C/

[U] [N]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Décembre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

POLE CIVIL

POLE FAMILLE

N° Section : 3

N° RG : 14/04294

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

ASSOCIATION LOUBEYRE ENTREMONT PORNIN

Me Stéphane KARAGEORGIOU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUINZE FEVRIER DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant après prorogation les 14 décembre 2018, 18 janvier, 1er février et 08 février 2019 les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [T] [F]

né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1] (ARGENTINE)

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Xavier LOUBEYRE de l'ASSOCIATION LOUBEYRE ENTREMONT PORNIN, Postulant/Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R196 - N° du dossier 20140302

APPELANT

****************

Madame [U] [N]

née le [Date naissance 2] 1963 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Stéphane KARAGEORGIOU, Postulant/Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C2470

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 octobre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne LELIEVRE, conseiller, chargée du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

Vu le jugement rendu le 30 décembre 2016 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

In limine litis,

- rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir,

Au fond,

- ordonné la conversion du droit d'usage et d'habitation de M. [T] [F] en rente viagère,

Avant dire droit,

- ordonné une expertise,

- désigné pour y procéder Mme [C], domiciliée [Adresse 3], avec pour mission, les parties préalablement convoquées de :

* visiter l'immeuble sis [Adresse 1],

* estimer la valeur vénale de l'immeuble ainsi que celle du droit d'usage et d'habitation,

* calculer le montant de la rente viagère après conversion du droit d'usage et d'habitation,

* se faire remettre par les parties tout document qu'elle jugera utile à l'accomplissement de sa mission,

* se faire assister de tout sapiteur de son choix,

- dit que Mme [U] [N] devra consigner dans le délai de deux mois à compter du présent jugement au greffe du tribunal, la somme de 2 000 euros à valoir sur la rémunération de l'expert,

- rappelé qu'à défaut de consignation dans le délai prescrit, la désignation d'expert sera caduque, à moins que le juge, à la demande d'une des parties se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation du délai ou un relevé de la caducité,

- dit que l'expert devra faire connaître, dans le mois de sa saisine, le montant prévisible de sa rémunération définitive, aux fins d'éventuelle consignation complémentaire,

- dit que l'expert déposera son rapport au greffe de ce tribunal dans le délai de quatre mois du jour où il aura été avisé par le greffe du versement de la consignation,

- dit que l'expert sera saisi et exécutera sa mission conformément aux dispositions des articles 263 et suivants du code de procédure civile et qu'il déposera au greffe de la section 3 du pôle famille du tribunal de grande instance de Nanterre, un rapport écrit, dont il adressera une copie à chacune des parties, ainsi qu'une copie de sa demande de taxe, ce sauf prorogation de délai sollicitée en temps utile auprès juge du contrôle,

- dit que l'expert, en concertation avec les parties, définira un calendrier prévisionnel de ses opérations à l'issue de la première réunion d'expertise,

- dit que l'expert adressera aux parties un document de synthèse, sauf exception dont il s'expliquera dans son rapport, et arrêtera le calendrier de la phase conclusive de ses opérations fixant, sauf circonstances particulières, la date ultime de dépôt des dernières observations des parties sur le document de synthèse, rappelant aux parties qu'il n'est pas tenu de prendre en compte les observations transmises au-delà de ce délai, et rappelant la date qui lui est impartie pour déposer son rapport,

- désigné le juge chargé du contrôle des expertises pour assurer le suivi de la mesure,

- dit que toute correspondance en cours d'expertise émanant de l'expert ou des parties devra être adressée au greffe du juge du contrôle,

- dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, celui-ci pourra être remplacé par ordonnance rendue sur simple requête,

- réservé les dépens,

- réservé sur le surplus ;

Vu l'appel relevé le 24 février 2017 par M. [F] qui, dans ses dernières conclusions notifiées le 6 mars 2018 demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de déchéance du droit d'usage et d'habitation de M. [F],

- infirmer pour le surplus et statuant à nouveau,

Constatant la reconnaissance et l'aveu judiciaire de l'abandon des lieux par Mme [N] depuis au minimum le 1er novembre 2014,

- dire et juger la demande irrecevable en application des dispositions des articles 59, 814 alinéa 2, 815 et 124 du code de procédure civile,

- dire et juger la demande mal fondée faute d'intérêt et de légitimité à agir en raison du départ des locaux de la demanderesse,

- dire qu'il n'existe aucune dégradation ni dépérissement de l'immeuble,

- dire non établis les défauts d'entretien ou abus de jouissance allégués,

- dire que la demanderesse ne peut invoquer à son profit une situation artificielle dont elle est l'origine,

- dire que l'inconfort de la situation, allégué par la demanderesse ne saurait constituer un événement caractérisé imputable à l'occupant de nature à remettre en cause l'exercice en nature de son droit contractuellement protégé,

- dire impossible et non fondée la demande de conversion du droit d'usage et d'habitation en rente, par application des articles 625, 617 et 760 alinéa 3 du code civil,

- dire que la conversion en rente se heurte aux dispositions expresses du titre constitutif du droit d'usage et d'habitation et à la condition du paiement préalable d'une somme de 225 000 euros à titre de contrepartie,

- en conséquence, débouter la demanderesse de toutes ses demandes,

- faire interdiction à Mme [N] d'apporter toute gêne, entrave ou nuisance à l'exercice du droit d'usage et d'habitation de M. [F] sous astreinte de 500 euros par infraction constatée,

- condamner Mme [N] à payer une somme de 4 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [N] aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 2 juin 2017 par lesquelles Mme [N] demande à la cour de :

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [N],

- débouter M. [F] de son appel de ce chef déclarer Mme [N] bien fondée en son appel incident,

- infirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la demande de révocation du droit d'usage et d'habitation,

Statuant à nouveau de ce chef,

- prononcer la déchéance du droit d'usage et d'habitation consenti à M. [F] par actes sous seing privé des 23 mai 2005 et 08 novembre 2005 sur les locaux faisant partie du bien immobilier sis [Adresse 1], propriété de Mme [N],

En conséquence,

- ordonner la libération des lieux par M. [F] dans les deux mois de la signification de l'arrêt et de tous occupants de son chef,

- à défaut ordonner son expulsion et celle de tous occupants de son chef dans les conditions légales et si nécessaire avec le concours de la force publique,

- ordonner la séquestration des meubles et autres effets mobiliers qui garniraient les lieux dont s'agit dans tel garde meubles qu'il plaira à la cour de désigner aux frais, risques et périls de M. [F],

- condamner M. [F] à payer à Mme [N] une indemnité d'occupation mensuelle de 1 000 euros à compter de l'arrêt à intervenir et jusqu'à complète et effective libération des lieux, volontaire ou forcée,

Subsidiairement, et en tout état de cause,

- confirmer le jugement en ce qu'il ordonné la conversion du droit d'usage et d'habitation de M. [F] en rente viagère et avant dire droit ordonné une expertise pour fixer le montant de cette rente,

- débouter M. [F] de son appel de ce chef,

- donner acte à Mme [N] qu'elle se réserve, au vu du résultat de l'incident qu'elle introduit parallèlement, de solliciter de la cour qu'elle évoque le litige sur le montant de la rente et le surplus des demandes sur lesquelles il n'a pas été statué en première instance, afin de donner au litige une solution définitive dans l'intérêt d'une bonne justice,

- débouter M. [F] de sa demande reconventionnelle,

- condamner M. [F] à payer à Mme [N] la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, dont distraction au profit de Maître Karageorgiou, avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu l'ordonnance d'incident rendue le 2 novembre 2017 par le conseiller de la mise en état qui a principalement :

- ordonné l'exécution provisoire des dispositions du jugement du 30 décembre 2016 ordonnant une expertise et en fixant les modalités,

- dit que la mesure d'expertise reste soumise au juge chargé du contrôle des expertises du tribunal de grande instance de Nanterre ;

SUR CE, LA COUR

FAITS ET PROCÉDURE

Le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a prononcé par jugement du 8 novembre 2005 sur leur requête conjointe, la séparation de corps de Mme [N] et M. [F] mariés le [Date mariage 1] 1992 sous le régime de la séparation de biens et homologué la convention portant règlement des effets de cette séparation de corps à laquelle était annexé l'acte liquidatif de leurs biens dressé par Maître [O] [E], notaire à [Localité 4], le 23 mai 2005.

Aux termes de l'acte notarié annexé à la convention homologué par le jugement susvisé, les époux ont notamment convenu d'attribuer en toute propriété à Mme [N] le bien immobilier indivis sis [Adresse 1], estimé à 425 000 euros.

Suivant protocole d'accord passé par acte sous seing privé du 8 novembre 2005, Mme [N] a consenti à M. [F] un droit d'usage et d'habitation sur le studio indépendant situé au sous-sol du bien indivis susvisé, la cave, l'abri de jardin, le garage, le jardin, la cabane au fond du jardin à usage de bureau et le grenier aménagé sous le toit au 2ème étage, avec pour obligation de M. [F] d'entretenir et de réparer ledit logement en assumant les obligations d'un locataire de droit commun.

Ce droit a été consenti à titre gratuit. Les parties ont prévu qu'il s'éteindrait automatiquement au décès de son titulaire et qu'il lui était strictement personnel et ne pouvait être cédé ni loué à quelque personne et à quelque titre que ce soit.

Mme [N] s'est engagée à ne pas mettre en vente la maison sans l'accord préalable de M. [F], le droit d'usage et d'habitation devant se poursuivre en cas de vente de la maison à charge de tout cessionnaire ou ayant droit de Mme [N].

Il était encore prévu que le non-respect de la part de Mme [N] de ses engagements l'obligerait à fournir à M. [F] un autre logement aux mêmes conditions ou l'attribution de la moitié de la valeur de la maison, soit 225 000 euros.

Le 7 mars 2014, Mme [N] a assigné M. [F] devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin de voir prononcer sa déchéance du droit d'usage et d'habitation qui lui a été consenti et sollicité qu'il lui soit fait injonction de quitter les lieux et d'ordonner au besoin son expulsion.

Par la décision entreprise, le tribunal a reconnu à Mme [N] un intérêt à agir, a constaté que les conditions de la "révocation" du droit d'usage et d'habitation de M. [F] n'étaient pas réunies mais, constatant la mésentente des parties et la dégradation de leurs relations rendant impossible le maintien de la cohabitation, a fait droit à la demande subsidiaire de conversion du droit d'usage et d'habitation en rente et désigné un expert aux fins d'obtenir les éléments lui permettant de calculer le montant de la rente viagère.

Sur la recevabilité à agir de Mme [N]

M. [F] soutient que Mme [N] n'a pas d'intérêt à agir au motif qu'elle n'habite pas les lieux dans la mesure où elle a déménagé avec son concubin pour habiter à [Adresse 2] depuis le mois de novembre 2014, de sorte que l'exercice de son droit d'usage et d'habitation lui est indifférent et qu'elle ne supporte aucune charge locative relative à son nouveau logement.

Il prétend qu'il n'y a aucun problème de cohabitation entre eux puisqu'elle ne vit pas sur place, et que l'intérêt à agir doit s'apprécier au jour où le juge statue.

Il ajoute que le départ de Mme [N] des lieux en 2007 n'a pas été contraint, circonstance dont elle ne rapporte pas la preuve et qu'il est au contraire volontaire ; il fait valoir qu'elle est revenue vivre dans la maison en juillet 2012 dans un objectif fiscal pour justifier d'une résidence principale, afin d'obtenir une désolidarisation par rapport à ses dettes et que dès l'obtention de cet avantage, elle en est repartie. Il conclut en affirmant que les seules difficultés de cohabitation sont liées et inhérentes à l'exercice de son droit dans la même maison mais ne peuvent lui être imputées à faute.

Mme [N] réplique que l'existence de l'intérêt à agir s'apprécie à la date de la demande introductive d'instance et ne peut être remise en cause par l'effet de circonstances postérieures.

Elle fait valoir en outre que la demande principale en révocation du droit d'usage et d'habitation ne repose pas uniquement sur les difficultés de cohabitation qui sont à l'origine de son installation, en cours d'instance, dans un appartement en location avec son compagnon, mais également sur le défaut de respect par M. [F] de ses obligations d'usager de sorte que son déménagement ne peut la priver de son intérêt à agir.

Considérant qu'indépendamment du fait que l'intérêt à agir s'apprécie au moment de l'introduction de l'instance, soit au mois de mars 2014, période à laquelle Mme [N] occupait le bien immobilier, selon les affirmations de M. [F] quant à la date à laquelle elle l'a de nouveau quitté en novembre 2014, il s'avère que le droit d'usage et d'habitation constitue un droit réel grevant le bien dont Mme [N] a été déclarée attributaire en toute propriété, aux termes de l'acte de liquidation notarié joint à la convention définitive homologuée par le jugement de séparation de corps précédemment visé ; qu'il en résulte que quel que soit le lieu d'habitation de Mme [N], elle dispose d'un intérêt à agir en déchéance de ce droit affectant son droit de propriété ;

Sur la demande de déchéance du droit d'usage et d'habitation

M. [F] fait valoir au soutien de son appel que Mme [N] doit, pour obtenir la déchéance de son droit d'usage et d'habitation, hors les causes d'extinction prévues à l'article 617 du code civil, démontrer l'existence d'un abus de jouissance lequel ne peut être caractérisé que par une dégradation du fonds ou son dépérissement par défaut d'entretien ; il soutient qu'en d'autres termes, les fautes imputables à l'usager doivent être susceptibles de compromettre la substance même du bien et que la reconnaissance de la déchéance du droit suppose une gravité importante voire exceptionnelle de la faute de l'usager.

Il affirme que la preuve n'est rapportée ni du dépérissement du bien, ni de sa dégradation alors qu'au contraire il aurait fait procéder à des travaux d'amélioration et d'aménagement du sol et des peintures et fait déposer à ses frais des gravillons dans les allées du jardin, tout comme il assure l' entretien de celui-ci.

Il fait valoir être resté seul occupant de la maison durant cinq ans et avoir pris en charge l'ensemble de son entretien, y compris celui des parties qui ne sont pas incluses dans son droit d'usage et d'habitation en assumant l'ensemble des abonnements et consommations.

Il ajoute que l'article 627 du code civil selon lequel l'usager et celui qui a un droit d'habitation doivent jouir en bon père de famille, ne prévoit aucune sanction et que l'intimée n'invoque aucune disposition à cet effet. Il conteste en toute hypothèse les attestations produites par Mme [N] destinées à établir que la cohabitation entre eux est difficile, inconfortable ou invivable en les qualifiant d'attestations de circonstance, insignifiantes et partiales et dénie toute force probante aux pièces produites par Mme [N] en vue d'établir des troubles de santé ou des violences et un suivi psychologique. Il fait valoir au contraire que c'est lui qui a été victime de faits de violences de la part de Mme [N] dont il est résulté une ITT de 3 jours.

Il rappelle enfin que Mme [N] a déjà essayé en vain de l'évincer à deux reprises de son droit d'usage et d'habitation et que par sa demande de déchéance, elle souhaite seulement contourner ses obligations.

Mme [N] réplique que le non-respect de ses obligations par le titulaire, constitutif d'un abus du droit d'usage, peuvent justifier sa révocation.

Elle soutient que pour rejeter sa demande de révocation du droit d'usage et d'habitation, le tribunal n'a considéré que quelques éléments pris isolément dont il n'a au surplus pas fait une juste appréciation, alors qu'en l'espèce c'est l'ensemble des différents manquements imputables à M. [F] et les fortes tensions entre eux qui rendent impossible toute cohabitation et qui représentent un caractère de gravité certain, en raison de leur récurrence ; elle fait valoir à cet égard que M. [F] a la mainmise sur les installations de distribution d'énergie et d'eau du fait de la disposition des lieux, ce dont il profite pour couper la chaudière ou les radiateurs ou couper l'électricité en pleine journée ; elle soutient que M. [F] déplace et disperse des objets ou des meubles lui appartenant, que ce comportement impacte sa vie sociale et sa vie privée ; elle prétend que ce harcèlement sur sa personne a eu des répercussions sur sa santé et que M. [F] l'aurait bousculée ; elle dit avoir déposé des mains courantes et des plaintes ; elle soutient que les désagréments résultant de l'exercice du droit d'usage et d'habitation eu égard à la configuration des lieux sont irrémédiables.

Elle affirme que M. [F] a modifié la destination des lieux sans son accord en réalisant des travaux de transformation de la cave, dont il a l'usage, par le coulage au sol d'une chape en résine, une mise en peinture et un ameublement, pour le transformer en une pièce à usage d'habitation ; qu'il ne s'agit pas d'un simple entretien ; qu'il a encore déversé des gravillons dans l'allée extérieure, modifiant là encore les lieux, sans son accord.

Elle reproche encore à M. [F] de n'avoir pas, malgré plusieurs mises en demeure, justifié de la souscription d'une assurance relative aux locaux qu'il occupe et de ne pas s'acquitter des charges et obligations locatives lui incombant, de ne pas entretenir le jardin et de n'avoir pas fait effectuer le ramonage, toutes dépenses qu'elle a assumées.

Elle fait enfin grief à M. [F] d'avoir manqué de signaler en temps utile, une fuite d'eau au droit du grenier aménagé, sous le toit du 2ème étage qu'il occupe, ce qui a aggravé les conséquences du sinistre ainsi qu'une autre fuite au niveau de la cave.

Considérant ceci exposé, que le droit d'usage et d'habitation est régi par les articles 625 et suivants du code civil ; que notamment, l'article 625 de ce code prévoit que le droit d'usage et d'habitation s'établit et se perd de la même manière que l'usufruit ;

Qu'outre les causes de droit commun d'extinction de l'usufruit énoncées par l'article 617 du code civil, l'article 618 du même code dispose que l'usufruit peut aussi cesser par l'abus que l'usufruitier fait de sa jouissance, soit en commettant des dégradations sur le fonds, soit en le laissant dépérir faute d'entretien ; que dans ce cas, les juges peuvent, suivant la gravité des circonstances, ou prononcer l'extinction de l'usufruit, ou n'ordonner la rentrée du propriétaire dans la jouissance du bien grevé, que sous la charge de payer annuellement à l'usufruitier une somme déterminée jusqu'au moment où l'usufruit aurait dû cesser ;

Considérant qu'il incombe à Mme [N] de démontrer que M. [F] met le bien en péril, soit en commettant des dégradations, soit en le laissant dépérir faute d'entretien ;

Qu'il est rappelé que M. [F] est titulaire d'un droit d'usage et d'habitation viager ; que ses obligations d'entretien sont celles d'un locataire pour ce qui concerne les parties du bien faisant l'objet de son droit ;

Que comme les premiers juges l'ont relevé, l'aménagement de l'allée du jardin par la mise en oeuvre de gravillons, ou la pose d'une chape en résine au niveau de la cave constituent des travaux exempts de critiques en ce qu'ils tendent à l'amélioration du bien ; que Mme [N] ne démontre pas une modification de la destination de la cave dont l'usage est laissé à M. [F] ;

Que les factures par lesquelles Mme [N] justifie qu'elle a fait procéder courant 2002 à l'élagage d'un arbre fruitier et d'un arbre d'ornement, ne constituent pas une preuve de ce que M. [F] n'aurait pas assumé l'entretien courant du jardin ; que s'agissant des fuites affectant la couverture ou la cave, elles ressortent des grosses réparations qui incombent au propriétaire et que la seule production des factures ne permet pas d'affirmer que M. [F] n'aurait pas révélé les fuites en question alors qu'il était de son intérêt, puisqu'habitant les lieux, de les voir réparer au plus vite ;

Que M. [F] produit par ailleurs des factures d'entretien de la chaudière et justifie du paiement de diverses charges ; que le désaccord des parties sur la répartition des charges concernant les taxes foncières et d'habitation ou relatives aux énergies consommées et aux abonnements est indifférent aux causes d'extinction du droit d'usage et d'habitation ;

Que de même, les lettres de mise en demeure de M. [F] de justifier d'une assurance habitation concernant les parties de l'immeuble qu'il occupe, sont insuffisantes à caractériser son manquement à ce sujet ;

Que Mme [N] ne rapporte pas la preuve de la mise en péril du bien, que ce soit par des dégradations ou par un défaut caractérisé d'entretien ;

Que par suite, il ne saurait être mis fin au droit d'usage et d'habitation dont bénéficie M. [F] sur le fondement de l'article 618 du code civil dont les conditions ne sont pas réunies ;

Sur la demande de conversion en rente du droit d'usage et d'habitation

Considérant que par la décision entreprise querellée, le tribunal a fait droit à la demande subsidiaire de Mme [N] de convertir en rente viagère le droit d'usage et d'habitation de M. [F] sur le fondement de l'article 618 alinéa 3 du code civil en visant une jurisprudence ayant étendu l'application de cet article au droit d'usage et d'habitation lorsque la mésentente qui s'est instaurée entre l'usager et le propriétaire rend impossible la poursuite de l'exécution de ce droit en nature ;

Que M. [F] conclut à l'infirmation de la décision sur ce point en relevant que la mésentente ne peut justifier la modification du droit d'usage et d'habitation ; que la mésentente invoquée n'existe plus du fait du déménagement de Mme [N] et que la cohabitation entre l'usager et le propriétaire est inhérente à l'exercice du droit et ne saurait fonder sa modification ; qu'il expose que Mme [N] a vécu dans les lieux de 2005 à 2007, puis a quitté la maison volontairement pendant cinq ans, pour y revenir momentanément en 2012 ; que l'acte constitutif du droit d'usage et d'habitation a prévu qu'en cas de non respect du droit d'usage et d'habitation, Mme [N] devrait fournir à M. [F] un logement aux mêmes conditions ou lui donner la moitié de la valeur de la maison, estimée à 225 000 euros ; que Mme [N] ne peut prétendre mettre fin à son droit d'usage et d'habitation en lui servant une rente annuelle de 1 633,22 euros ; qu'il soutient d'autre part que la demande de conversion de son droit en rente viagère ne repose sur aucun fondement juridique, l'article 618 du code civil ne réglementant que l'abus de jouissance par la dégradation du bien ; que le tribunal s'est contredit en faisant application de l'alinéa 3 de ce texte tout en retenant que les conditions de l'extinction de son droit d'usage et d'habitation n'étaient pas réunies ; qu'il ajoute que l'article 762 du code civil n'est applicable qu'aux rapports entre le conjoint survivant et les héritiers nu-propriétaires et qu'en outre la loi exclut que l'usufruit du conjoint survivant soit converti en rente, contre la volonté de celui-ci s'agissant d'un logement occupé à titre de résidence principale ; que ce qui est interdit pour l'usufruit l'est a fortiori pour le droit d'usage et d'habitation ; que les articles 625 et 617 du code civil régissant le droit d'usage et d'habitation ne prévoient pas l'extinction de ce droit par conversion et qu'il n'existe donc aucun fondement possible à la demande de Mme [N] ;

Que la jurisprudence invoquée par Mme [N] n'a été appliquée que dans de très rares cas comme sanction limitée aux lieu et place de la déchéance du droit d'usage et d'habitation et qu'elle n'est intervenue que dans des cas spécifiques et exceptionnels notamment lorsque l'occupant avait abandonné les lieux ; qu'il en va différemment en l'espèce où M. [F] est resté dans les lieux et occupe le bien normalement en procédant à son entretien ; qu'il prétend enfin que Mme [N] est à l'origine de la situation qu'elle a créée à dessein pour se prévaloir d'une impossibilité d'exécution en nature afin de l'évincer ;

Que Mme [N] réplique que la mésentente et la dégradation des relations avec M. [F], dans la configuration particulière des lieux, rendent l'exécution en nature du droit d'usage et d'habitation manifestement impossible ; qu'elle fait état de nombreuses attestations, établies pour la plupart en 2013 et 2014, témoignant de l'impossibilité de cohabitation ; qu'elle fait valoir qu'elle n'a jamais pensé que les choses pourraient dégénérer comme elles l'ont fait, lors de son retour en 2012 ; qu'elle ne peut mener une vie familiale normale dans les lieux ; que son déménagement ne résulte pas d'un choix personnel mais du caractère intenable de la cohabitation, pour elle et son compagnon ; qu'il s'agit pour elle d'un départ contraint, mais temporaire, dans l'attente de l'issue de la procédure ; qu'elle fonde sa demande sur l'article 618 alinéa 3 du code civil en prétendant qu'une jurisprudence "constante" a étendu l'application de cet article au droit d'usage et d'habitation lorsque la mésentente instaurée entre l'usager et le propriétaire rend impossible la poursuite de son exécution en nature ;

Considérant que l'article 618 alinéa 3 du code civil invoqué au soutien de la demande de Mme [N], constitue le prolongement des deux alinéas précédents et notamment de l'alinéa 1er qui détermine les causes d'extinction du droit d'usage et d'habitation dont cet alinéa 3 fixe les modalités et les conséquences ;

Qu'en l'espèce, s'il n'est pas sérieusement contestable qu'il existe une mésentente durable entre les ex-époux, les pièces produites démontrent qu'elle n'est pas le fait unique de M. [F] ; que surtout, la mésentente ne constitue pas une cause d'extinction du droit d'usage et d'habitation selon le texte précité ; que la jurisprudence citée, loin d'être constante, résulte d'une seule décision de la Cour de cassation (Civ 1ère 10 juin 1981 - 80 - 10.524) qui a retenu que la cour d'appel "a pu ordonner l'exécution du droit d'usage et d'habitation par l'équivalent en convertissant ce droit en une rente viagère" ; que l'espèce diffère sensiblement de celle de la présente instance en ce qu'elle concerne une hypothèse dans laquelle la bénéficiaire du droit d'usage et d'habitation qui était la venderesse du bien, n'habitait plus les lieux et qu'elle invoquait elle-même la mésentente ;

Qu'il en va ici différemment et que l'acte sous seing privé par lequel les parties ont librement instauré au profit de M. [F] un droit d'usage et d'habitation a également prévu à la charge de Mme [N] la somme qu'elle devrait verser au cas de non respect de ses engagements, à titre de contrepartie de la disparition du droit litigieux ;

Que le contrat est la loi des parties ; qu'il ne peut être remis en cause, sauf pour cause de nullité ; que Mme [N] a déjà par le passé été déboutée par des décisions devenues irrévocables, d'une demande d'expulsion de M. [F] ainsi que d'une demande en annulation de la convention passée et d'une demande de déchéance du terme de la convention ; que l'acte sous seing privé a été conclu dans le cadre d'une séparation de corps qui suppose d'ores et déjà l'existence d'une mésentente, de sorte que si celle-ci s'est aggravée, elle n'est pas nouvelle ; que dès lors que les conditions du prononcé de l'extinction du droit d'usage et d'habitation de M. [F] ne sont pas réunies, il ne saurait être fait droit, sauf accord des parties, en l'espèce inexistant, à l'aménagement de la sortie de ce droit et à la conversion sollicitée de ce droit en rente viagère ;

Que le jugement entrepris sera donc infirmé en ce qu'il a fait droit à cette demande et ordonné une expertise qui n'a dès lors pas lieu d'être ;

Sur la demande reconventionnelle de M. [F]

Considérant que M. [F] sollicite la condamnation de Mme [N] à ne pas faire obstacle à l'exercice de son droit d'usage et d'habitation, ce sous astreinte de 500 euros par infraction constatée ;

Que Mme [N] s'oppose à cette demande en faisant valoir que le tribunal n'a pas statué sur ce point, dans l'attente du résultat de l'expertise ; qu'il n'y a pas eu chose jugée en première instance et que ce point n'est donc pas soumis à l'appel sauf si la cour évoquait l'entier litige ;

Qu'en toute hypothèse, à l'impossible nul n'est tenu et que la mise en oeuvre de la demande suppose l'installation d'un huissier à demeure et se heurte à ce qui est prévu par l'acte du 8 novembre 2005 prévoyant déjà une sanction en cas de non respect du droit d'usage et d'habitation de M. [F] ;

Considérant que par application de l'article 568 du code de procédure civile, la cour d'appel qui infirme un jugement qui a ordonné une mesure d'instruction, peut évoquer les points non jugés si elle estime de bonne justice de donner à l'affaire une solution définitive ;

Qu'il en va ainsi en l'espèce ;

Considérant qu'il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de M. [F] dont le droit d'usage et d'habitation est garanti par les termes du protocole d'accord conclu entre les parties ; qu'il est donc débouté de sa demande ;

Considérant que Mme [N], partie perdante, doit être condamnée aux dépens de première instance en ce compris, le cas échéant, les frais d'expertise, ainsi qu'à ceux d'appel ;

Considérant que les conditions n'en étant pas réunies, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Confirme le jugement en ce qu'il a rejeté la fin de non recevoir tirée du défaut d'intérêt à agir,

Au fond, l'infirme,

Statuant à nouveau et ajoutant au jugement entrepris,

Déboute Mme [N] de l'intégralité de ses demandes,

Déboute M. [F] de sa demande reconventionnelle,

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,

Condamne Mme [N] aux dépens de première instance en ce compris les frais d'expertise, ainsi qu'à ceux d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 17/01562
Date de la décision : 15/02/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°17/01562 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-02-15;17.01562 ?
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