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17/01/2019 | FRANCE | N°18/04816

France | France, Cour d'appel de Versailles, 14e chambre, 17 janvier 2019, 18/04816


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 00A



14e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 17 JANVIER 2019



N° RG 18/04816 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SQBP



AFFAIRE :



[K] [N]

...



C/

SAS PITNEY BOWES FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés audit siège











Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 13 Juin 2018 par le Tribunal de Commerc

e de VERSAILLES

N° RG : 2018R00111



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



Me Carole DA COSTA DIAS



Me Oriane DONTOT



RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE DIX SEPT JANVIER DEUX...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

14e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 17 JANVIER 2019

N° RG 18/04816 - N° Portalis DBV3-V-B7C-SQBP

AFFAIRE :

[K] [N]

...

C/

SAS PITNEY BOWES FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés audit siège

Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 13 Juin 2018 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES

N° RG : 2018R00111

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Carole DA COSTA DIAS

Me Oriane DONTOT

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX SEPT JANVIER DEUX MILLE DIX NEUF,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [K] [N]

né le [Date naissance 1] 1979 à [Localité 1] (91)

de nationalité française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté par Me Carole DA COSTA DIAS, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 209

assisté de Me Morgan JAMET de la SELARL Arst Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0739 -

SARL UNIVAIR prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

N° SIRET : 503 107 450

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Me Carole DA COSTA DIAS, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 209

assistée de Me Morgan JAMET de la SELARL Arst Avocats, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0739 -

APPELANTS

****************

SAS PITNEY BOWES FRANCE agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux, domiciliés audit siège

N° SIRET : 562 046 235

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20180743

assistée de Me Bruno WEIL de l'ASSOCIATION WEIL & ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R002 -

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 novembre 2018, Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Odette-Luce BOUVIER, président,

Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,

Madame Florence SOULMAGNON, conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE

EXPOSE DU LITIGE

M. [K] [N] a créé en avril 2008 la SARL Univair, spécialisée dans la programmation informatique. Il est devenu gérant et seul associé de la société en juin 2011 et sa compagne, Mme [V], a repris la gérance à compter du mois d'avril 2016.

M. [N] a été engagé le 1er juin 2012 en qualité d'ingénieur avant-ventes par la SAS Pitney Bowes, filiale du groupe Pitney Bowes sur le marché français, dont l'activité historique est la commercialisation de machines à affranchir et de tri de courrier, élargie depuis aux solutions logicielles et 'hardware' dites de 'GED' (gestion électronique des documents) permettant d'optimiser la gestion des flux documentaires dans les entreprises ou administrations par la dématérialisation des documents.

Par avenant à son contrat de travail du 1er septembre 2016, M. [N] a été nommé responsable du pôle avant-ventes de la société Pitney Bowes.

Affirmant avoir découvert que son salarié exerçait des activités concurrentes de celles de son employeur par le biais de la société Univair, dont le siège social se situe au domicile de M. [N] et de Mme [V], et soupçonnant son salarié, pourtant lié par une clause de non-concurrence, et la société Univair d'actes de concurrence déloyale et de manquements par M [N] à son obligation de loyauté, la société Pitney Bowes a déposé une requête fondée sur l'article 145 du code de procédure civile devant le président du tribunal de commerce de Nanterre aux fins de désignation d'un huissier de justice chargé de se rendre dans les locaux de la société Univair et de rechercher des éléments de preuve des agissements déloyaux dénoncés sur les équipements informatiques utilisés par la société Univair ainsi que l'ordinateur professionnel de M. [N], propriété de la société Pitney Bowes.

Par ordonnance du 23 mars 2018, le président du tribunal a accueilli la requête, ordonnant que les documents et fichiers saisis soient séquestrés en l'étude de l'huissier instrumentaire jusqu'à ce que le juge éventuellement saisi autorise la communication des documents ou que les parties en soient d'accord.

Les opérations de constat ont été réalisées le 6 avril 2018.

A cette même date, M. [N] a été convoqué à un entretien préalable à son licenciement fixé au 3 mai 2018, cette convocation étant assortie d'une mise en pied à titre conservatoire et de la restitution de son téléphone portable, matériel informatique, badge d'accès à l'entreprise et véhicule.

Par courrier recommandé en date du 15 mai 2018, il a été licencié pour faute lourde.

Par acte du 25 avril 2018, la société Univair et M. [N] ont assigné en référé la société Pitney Bowes devant le président du tribunal de commerce de Nanterre aux fins de rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 mars 2018.

Par ordonnance contradictoire du 13 juin 2018, le juge des référés, retenant notamment qu'à la date de la saisine du juge des requêtes, la seule perspective de litige invoquée par la société Pitney Bowes était une action en concurrence déloyale à l'encontre de la société Univair et contre M. [N] dans une qualité alléguée de gérant de fait ; que le président du tribunal de commerce était donc compétent pour statuer sur la requête, indépendamment des éventuels manquements contractuels de M. [N] dont l'appréciation relève du conseil de prud'hommes ; qu'il eût été particulièrement difficile de circonscrire la mesure d'instruction aux clients et prospects de la société Pitney Bowes, dès lors qu'ils sont considérablement plus nombreux que ceux de la société Univair ; qu'une telle restriction aurait nécessité de transmettre à la société Univair, dont il est allégué que sa concurrence est déloyale, les références de tous les clients et prospects de la société Pitney Bowes ; qu'au regard de cette difficulté, la mesure d'instruction sollicitée satisfait au critère de « proportionnalité au but poursuivi » exigé par la Cour de cassation; que les éléments produits par la société Pitney Bowes montrent que ces sociétés s'adressent aux mêmes clients, parfois pour les mêmes consultations et font appel aux mêmes prestataires ; que différents éléments produits laissent penser que le comportement de la société Univair et de M. [N] est déloyal ; que la société Pitney Bowes a un motif légitime pour solliciter une mesure d'instruction permettant de l'établir ; que la société Pitney Bowes mentionne des indices de concurrence déloyale ; qu'il était nécessaire à la protection de ses droits qu'elle puisse accéder à des données relatives à l'activité de la société Univair ; que la mesure d'instruction ne vise pas M. [N] en tant que salarié mais en tant que dirigeant de la société Univair ; qu'elle est circonscrite à cette société ; qu'elle exclut la vie personnelle du salarié, a :

Au principal,

- renvoyé les parties à se pourvoir,

- débouté la société Univair et M. [N] de leur exception d'incompétence,

- dit n'y avoir lieu à rétracter l'ordonnance,

- dit que l'huissier instrumentaire devra communiquer les documents saisis lors des opérations de constat réalisées le 6 avril 2018 au siège de la société Univair, tels que répertoriés dans le procès-verbal de constat du 6 mai 2018,

- dit irrecevable la demande d'interdiction de la commercialisation de solutions Univair par la société Pitney Bowes,

- condamné la société Univair et M. [N] à payer chacun à la société Pitney Bowes la somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la société Univair et M. [N] solidairement aux dépens.

M. [N] et la société Univair ont relevé appel de la décision par un acte du 6 juillet 2018 visant expressément l'ensemble des chefs de décision.

Dans leurs conclusions transmises le 1er octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de leurs prétentions et moyens, la société Univair et M. [N], appelants, demandent à la cour de :

In limine litis,

-'dire et juger' que le président du tribunal de commerce n'était pas compétent pour statuer sur les demandes de la société Pitney Bowes et rendre l'ordonnance sur requête du 23 mars 2018,

En conséquence,

- rétracter en toutes ses dispositions l'ordonnance sur requête du 23 mars 2018,

- ordonner la levée du séquestre,

- ordonner à l'huissier et à la société Pitney Bowes de leur restituer toutes les pièces obtenues en application de ces mesures d'instruction, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,

En toute hypothèse,

- ordonner la rétractation de l'ordonnance sur requête,

- annuler toutes les mesures d'instruction prises en exécution de l'ordonnance sur requête obtenue,

- ordonner la levée du séquestre,

- ordonner à l'huissier de justice et à la société Pitney Bowes de leur restituer toutes les pièces obtenues en application de ces mesures d'instruction, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard à compter de la signification de l'ordonnance à intervenir,

- condamner la société Pitney Bowes à leur payer la somme de 2 500 euros chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens.

Au soutien de leurs demandes, la société Univair et M. [N] font valoir essentiellement:

- sur la compétence, que le litige pour la solution et dans la perspective duquel ont été requises les mesures d'instruction relève normalement de la juridiction prud'homale ; qu'en effet, des faits qualifiés de concurrence déloyale commis au préjudice de l'employeur pendant l'exécution du contrat de travail relèvent de la compétence exclusive du conseil des prud'hommes ; qu'il en est de même des manquements à l'obligation de loyauté reprochés au salarié ; qu'aucun texte ne prévoyant le pouvoir du président du conseil de prud'hommes pour statuer sur requête, le président du tribunal de grande instance est donc compétent, en vertu de sa compétence générale énoncée à l'article 812, alinéa 2, du code de procédure civile ;

- qu'au principal, la généralité de la mesure d'instruction excède manifestement les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile ; qu'en effet, l'ordonnance du 23 mars 2018 autorise l'huissier à appréhender l'intégralité des données et des documents personnels de M. [N] ; que cette ordonnance autorise la saisie sur la totalité des documents relatifs à l'activité de la société Univair ;

- que les mesures d'instruction autorisées ne sont justifiées par aucun motif légitime ; qu'au regard de la clause Loyauté du contrat de travail de M. [N], le salarié de la société Pitney Bowes est autorisé à exercer une activité professionnelle annexe, sous réserve que celle-ci ne soit pas concurrente et qu'il en informe son employeur ;

- que la société Pitney Bowes et la société Univair ne sont pas concurrentes puisqu'elles ont des objets sociaux différents, des codes Naf différents et elles n'exercent en aucun cas de façon rivale sur un même marché ; que M. [N] a informé la société Pitney Bowes de ses intérêts dans la société Univair ;

- que la société Univair n'a jamais conclu de contrat avec les « Mutuelles du Soleil » dont la société Pitney Bowes prétend avoir perdu le marché ;

- que la nomination de Mme [V] en qualité de gérante de la société Univair ne procède d'aucune manoeuvre déloyale, celle-ci étant spécialisée dans le marketing opérationnel dans les sociétés informatiques ;

- que M. [N], auquel il est reproché d'avoir surfacturé des prestations à la société Pitney Bowes par l'intermédiaire de la société Thétys, n'a jamais touché de commission de la part de cette société ; qu'aucun préjudice n'existe pour la société Pitney Bowes, laquelle a, au contraire, gagné des marchés grâce à son partenariat avec Thetys ;

- que M. [N], accusé d'avoir violé sa clause d'exclusivité en devenant associé de la société Custodia en 2015, a été uniquement associé de cette société Custodia, laquelle n'a pas eu d'activité;

- que les affirmations selon lesquelles M. [N] aurait démarché des salariés de la société Pitney Bowes ne sont étayées par aucune pièce ;

- que les circonstances n'exigeaient en aucun cas que la mesure ne soit pas prise contradictoirement; que le risque de déperdition de documents est nul dans la mesure où la société Pitney Bowes avait connaissance depuis l'embauche de M. [N] de l'existence de la société Univair et des liens avec celui-ci ;

-que les mesures d'instruction autorisées constituent une atteinte illégitime et disproportionnée à des droits fondamentaux, le secret des affaires et le droit au respect de la vie privée.

Dans ses conclusions transmises le 30 octobre 2018, auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé détaillé de ses prétentions et moyens, la société Pitney Bowes, intimée, demande à la cour de :

- confirmer dans toutes ses dispositions l'ordonnance rendue par le président du tribunal de commerce de Versailles statuant 'en la forme des référés',

- rejeter l'ensemble des demandes de la société Univair et de M. [N],

- condamner la société Univair et M. [N] à verser chacun la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.

Au soutien de ses prétentions, la société Pitney Bowes fait valoir :

- que l'éventuelle instance au fond en concurrence déloyale qui est envisagée est de nature commerciale ; que l'action de nature délictuelle qu'elle pourrait engager devant la juridiction consulaire à l'encontre de la société Univair ainsi que de M. [N] en sa qualité de gérant de fait ne peut donc pas ressortir de la compétence de la juridiction prud'homale ;

- que le juge des requêtes a pris soin de circonscrire la mesure à tous documents ou données relatifs à la société Univair, soit des données de nature purement commerciale ; que rien ne permettait d'accéder à des données personnelles ou privées ; que le périmètre des recherches de l'huissier de justice a été restreint à trois sociétés Eukles, Thetys et Mutuelles du Soleil ;

- que contrairement à ce qui est soutenu par les appelants, le lien de concurrence est 'le fil rouge' de la mise en place de la société Univair, lui permettant de générer un important chiffre d'affaires ; que celà ressort de l'ensemble des éléments mis à jour sur l'ordinateur professionnel que M. [N] a remis à son employeur le jour où sa mise à pied lui a été notifiée ;

- que le fait que l'objet social et le code Naf de la société Univair ne soient pas les mêmes que ceux de la société Pitney Bowes ne permet en rien de conclure à l'absence de lien de concurrence entre ces deux sociétés ;

- que M. [N] a tenté et réussi à débaucher plusieurs anciens salariés ou salariés de la société Pitney Bowes ;

- qu'aucun élément probant n'a été avancé par les appelants qui permettent de démontrer que M. [N] aurait informé son employeur de l'existence de la société Univair et de son implication dans celle-ci ;

- que si la société Pitney Bowes avait eu la moindre connaissance des activités parallèles mise en place par M. [N], elle n'aurait jamais accepté de promouvoir celui-ci et de lui confier un poste aussi sensible ;

- qu'il était absolument nécessaire de procéder sur requête et de manière non contradictoire pour éviter un dépérissement des preuves ; que le fait que l'ordinateur professionnel était relié au réseau de la société Pitney Bowes ne permet en rien d'affirmer que celle-ci aurait donc eu connaissance de cette messagerie parallèle.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 8 novembre 2018.

MOTIFS DE LA DECISION

I- Sur la compétence du président du tribunal de commerce

L'article 145 du code de procédure civile énonce :

' S'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé'.

Selon l'article 875 du code de procédure civile, le président du tribunal de commerce peut ordonner sur requête, dans les limites de la compétence du tribunal, toutes mesures urgentes, lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Le juge des requêtes peut ordonner, sur le fondement de l'article 145 précité, une mesure d'instruction avant tout procès, dès lors que le litige est de nature à relever, ne serait-ce qu'en partie, de la compétence de la juridiction à laquelle il appartient (Civ.2ème, 7 juin 2012, Bull. II, pourvoi n° 11-15.490).

En l'espèce, la requête unique présentée au président du tribunal de commerce par la société Pitney Bowes expose que celle-ci tend à voir conserver, avant tout procès, la preuve de l'ensemble des agissements anticoncurrentiels de M. [N] et de la société Univair dont il est l'associé majoritaire.

Aux termes de cette requête, les faits reprochés à M. [N], à les supposer établis, sont commis en sa qualité de salarié de la société Pitney Bowes mais également de dirigeant de fait allégué de la société Univair qu'il a créée en 2008.

Par ailleurs il est fait grief à la société Univair d'exercer des activités concurrentes de celles de la société Pitney Bowes en usant de manoeuvres déloyales, par le détournement notamment d'informations relatives au secret des affaires pour les exploiter à son bénéfice, causant un préjudice à la société Pitney Bowes et en particulier la perte d'un appel d'offres.

Ces agissements de concurrence déloyale sont susceptibles de relever pour partie de la compétence au fond du tribunal de commerce, peu important qu'une partie des faits litigieux qualifiés de manquements contractuels aient pu être commis par M. [N] en sa qualité de salarié et soient susceptibles, de ce fait, de relever de la compétence de la juridiction prud'homale.

En tout état de cause, le débat sur la compétence n'a plus guère d'intérêten cause d'appel dès lors que la présente cour est juridiction d'appel des décisions émanant tant du président du tribunal de grande instance de Versailles que du président du tribunal de commerce de Versailles et qu'en application des dispositions de l'article 79, alinéa 1, du code de procédure civile, elle a compétence pour statuer sur les mérites de la requête présentée par la société Pitney Bowes, l'ordonnance sur requête ne pouvant être rétractée au seul motif que le juge des requêtes était matériellement incompétent.

II- Sur les mérites de la requête

Selon l'article 145 du code de procédure civile, "s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées, à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé".

Le juge, saisi d'une demande de rétractation d'une ordonnance sur requête ayant ordonné une mesure sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile et tenu d'apprécier au jour où il statue les mérites de la requête, doit s'assurer de l'existence d'un motif légitime, au jour du dépôt de la requête initiale et à la lumière des éléments de preuve produits à l'appui de la requête et de ceux produits ultérieurement devant lui, à ordonner la mesure probatoire et des circonstances justifiant de ne pas y procéder contradictoirement.

L'urgence n'est pas une condition requise pour que soient ordonnées sur requête des mesures d'instruction sur le fondement de l'article 145 ; l'existence de contestations sérieuses ne constitue pas un obstacle à la mise en oeuvre de la mesure sollicitée, l'application de cet article n'impliquant aucun préjugé sur la responsabilité des parties appelées à la procédure, ni sur les chances de succès du procès susceptible d'être ultérieurement engagé.

Il résulte enfin de l'article 145 que le demandeur à la mesure d'instruction n'a pas à démontrer l'existence des faits qu'il invoque puisque cette mesure in futurum est destinée à les établir, mais qu'il doit justifier d'éléments rendant crédibles les griefs allégués.

* sur le caractère légalement admissible de la mesure ordonnée

Les appelants soutiennent en premier lieu que la généralité de la mesure d'instruction excède manifestement les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile.

Au sens de l'article 145, les mesures légalement admissibles sont celles prévues par les articles 232 à 284-1 du code de procédure civile et elles ne doivent pas porter une atteinte disproportionnée aux intérêts légitimes du défendeur.

Le secret des affaires ne constitue pas en lui-même un obstacle à l'application des dispositions de l'article 145 du code de procédure civile dès lors que les mesures ordonnées procèdent d'un motif légitime et sont nécessaires à la protection des droits de la partie qui les a sollicitées.

Au cas d'espèce, la mission confiée à l'huissier de justice, autorisé à se faire assister de tout expert en informatique, consistait à :

'1- Se rendre au siège social de la société Univair SARL sis [Adresse 1] ainsi qu'en tout autre lieu dans le ressort du tribunal de commerce de Versailles où se trouvent les documents et fichiers visés ci-après,

2- Accéder aux postes de travail et informatique de marque DELL, modèle Latitude E7470 référence Pitney Bowes FR-DB2SNC2 ainsi qu'au téléphone portable de marque APPLE modèle 5S N°355671078987079 mis à disposition de M. [N] par la société Pitney Bowes, et accéder à tout ordinateur, téléphone ou tablette utilisés par M. [N] et Mme [O] [V] dans le cadre de leurs fonctions de gérante et de gérant de fait de la société Univair SARL, et de :

* dresser inventaire, constater la présence et prendre copie de tous documents, programmes, fichiers informatiques ou conversations échangées sur tout type de services de messagerie, et notamment à travers l'adresse courriel '[Courriel 1]' relatifs à la société Univair SARL, ses contacts commerciaux, les projets de contrats ou contrats qu'elle a pu conclure avec toutes société ou organismes publics ou parapublics ou administrations, et au site internet enregistré sous le nom de domaine '[Courriel 1]',

* dresser inventaire, constater la présence et prendre copie de tous documents, programmes, fichiers informatiques ou conversations échangées sur tout type de services de messagerie, et notamment à travers l'adresse de messagerie '[Courriel 1]', se rattachant à la société EUKLES, et notamment des programmes et/ou matériels suivants : e-DocPro, e-kup, Titan, E-contrat,

* dresser inventaire, constater la présence et prendre copie de tous documents, programmes, fichiers informatiques ou conversations échangées sur tout type de services de messagerie, et notamment à travers l'adresse de messagerie 'alefauconnier@univair.fr', se rattachant aux sociétés THETYS et MUTUELLES DU SOLEIL,

3- Dresser inventaire et prendre copie de :

- toute liste des contacts, carnets d'adresse papier ou informatique des clients et prospects de la société Univair ainsi que des coordonnées téléphoniques et adresses mails de leurs responsables prescripteurs,

- tout document portant sur le commissionnement ou la rémunération des personnes ou de sociétés auxquelles la société Univair a eu recours depuis le 01.06.2012,

- tous contrats conclus par la société Univair, notamment avec les sociétés suivantes : THETYS SAS, EUKLES SAS, MUTUELLES DU SOLEIL,

4- Faire la copie du registre d'entrée et de sortie du personnel de la société Univair SARL et constater la présence et prendre copie de toute carte de visite de salariés de la société Univair,'.

Contrairement à ce que soutient M. [N], les mesures ordonnées n'autorisent pas l'huissier de justice à appréhender l'intégralité des données et documents personnels de l'intéressé tels qu'informations bancaires, médicales, familiales, dès lors qu'elles visent, outre l'ordinateur et le téléphone professionnel mis à la disposition du salarié par son employeur, l'accès aux supports informatiques dédiés à la seule activité de la société Univair ('utilisés par M. [N] et Mme [O] [V] dans le cadre de leurs fonctions de gérante et de gérant de fait de la société Univair SARL'), et la copie de documents et données commerciaux relatifs à la société Univair, étant toutefois rappelé que la société Pitney Bowes ne peut valablement se reporter au contenu du procès-verbal dressé par l'huissier de justice pour contredire l'appelant sur ce point, en se prévalant de l'absence d'élément de nature personnelle dans l'inventaire dressé par l'huissier de justice.

En revanche, l'ordonnance sur requête autorise l'appréhension de la totalité des documents relatifs à l'activité de la société Univair, sans aucune restriction, ni aucune limitation dans le temps à l'exception des documents portant sur le commissionnement ou la rémunération des personnes ou sociétés auxquelles la société Univair a eu recours, dès lors que l'huissier de justice est autorisé à appréhender tous contrats ou projets de contrats conclus par la société Univair, tous documents afférents à ses contacts commerciaux, toute liste des contacts et carnets d'adresse de ses clients et prospects, avec les coordonnées téléphoniques et adresses mails de leurs responsables prescripteurs, et plus généralement à prendre copie de 'tous documents, programmes, fichiers informatiques ou conversations échangées sur tout type de services de messagerie, et notamment à travers l'adresse courriel 'alefauconnier@univair.fr' relatifs à la société Univair SARL'.

Il peut être relevé qu'aucune recherche plus ciblée n'a été sollicitée et ordonnée concernant les tentatives de débauchage de salariés de la société Pitney Bowes imputées à M. [N] 'depuis au moins 2016" ou le détournement d'informations commerciales confidentielles de ladite société dont il est allégué qu'elles ont été utilisées par la société Univair pour se livrer à des actes de concurrence déloyale, relatives notamment à son fichier clients et à la configuration et au paramétrage des systèmes d'information desdits clients et de leurs besoins spécifiques.

La mesure ordonnée s'analyse dès lors en une mesure d'investigation générale excédant les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile, n'étant circonscrite ni dans son objet ni dans le temps, portant sur l'ensemble de l'activité de la société Univair ; elle n'est pas limitée à la recherche d'informations relatives aux faits litigieux décrits dans la requête et ne peut donc être considérée comme proportionnée à l'objectif poursuivi.

La demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 mars 2018 est donc justifiée pour ce motif.

Au surplus, les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction ne sont pas suffisamment caractérisées.

* Sur les circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction

Selon l'article 493 du code de procédure civile, l'ordonnance sur requête est une décision rendue non contradictoirement dans les cas où le requérant est fondé à ne pas appeler de partie adverse.

Les mesures d'instruction prévues à l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent être ordonnées sur requête que lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement.

Le juge saisi d'une demande de rétractation statue sur les mérites de la requête en se prononçant, au besoin d'office, sur la motivation de la requête ou de l'ordonnance justifiant qu'il soit dérogé au principe de la contradiction, motivation qui doit s'opérer in concreto et ne peut pas consister en une formule de style. Les circonstances susceptibles d'autoriser une telle dérogation doivent être caractérisées dans la requête ou dans l'ordonnance.

En l' espèce, la requête énonce, en page 5, qu'' une procédure par requête s'impose pour éviter que les personnes impliquées ne tentent de détruire les preuves utiles à l'action en indemnisation de la requérante. Les mesures, objets de la présente requête ne peuvent donc être efficacement sollicitées et mises en oeuvre de manière contradictoire'.

L'ordonnance, qui vise la requête et les pièces qui y sont jointes, ce qui vaut adoption implicite des motifs figurant dans la requête, mentionne " qu'une mesure d'instruction in futurum ne peut être ordonnée qu'à condition qu'il soit justifié de l'existence de circonstances autorisant une dérogation au principe de la contradiction ; que si cette mesure d'instruction était requise lors d'un débat contradictoire, les preuves recherchées auraient probablement disparu et/ou une version édulcorée de la vérité aurait été construite et serait présentée".

Ainsi tant la requête que l'ordonnance ne visent que le risque de dépérissement des preuves par des motifs généraux et insuffisants, sans démonstration ni prise en compte d'éléments propres au cas d'espèce et confrontation aux éléments de fait du litige et ne satisfont pas à l'exigence de motivation telle qu'affirmée par le texte légal.

En conséquence, et pour ce second motif, la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête est justifiée.

En conséquence, et pour ces motifs, il convient d'infirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a rejeté la demande de rétractation de l'ordonnance sur requête du 23 mars 2017.

Il convient de tirer les conséquences de la perte de fondement juridique, du fait de la rétractation, des opérations réalisées en vertu de l'ordonnance sur requête du 23 mars 2018 en annulant le procès-verbal de constat d'huissier du 6 avril 2017 et les opérations de visite du même jour au siège social de la société Univair et en ordonnant à l'huissier instrumentaire et à la société Pitney Bowes de restituer à la société Univair et à M. [N] les pièces appréhendées lors des opérations de constat, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette dernière mesure d'une astreinte.

Sur les autres demandes

L'équité commande de faire droit à la demande des appelants présentée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; la société Pitney Bowes, intimée, est condamnée à leur verser à ce titre la somme visée au dispositif de la présente décision.

Partie perdante pour l'essentiel, l'intimée ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles et doit supporter les dépens de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS LA COUR

Statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME l'ordonnance rendue le 13 juin 2018 par le président du tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'elle a rejeté l'exception d'incompétence,

INFIRME l'ordonnance en ses autres dispositions,

RÉTRACTE l'ordonnance rendue sur requête le 23 mars 2018,

Y AJOUTANT,

ANNULE le procès-verbal de constat d'huissier de justice du 6 avril 2018 et les opérations de visite du même jour au siège social de la SARL Univair,

ORDONNE à la SCP CBH75.PARIS-David BUZY & [Z] [U] et à la société Pitney Bowes de restituer à la société Univair et à M. [N] l'ensemble des pièces appréhendées lors des opérations de constat du 6 avril 2018,

DIT n'y avoir lieu à assortir cette mesure de restitution d'une astreinte,

CONDAMNE la société Pitney Bowes à payer à M. [N] et à la société Univair la somme de 2 000 euros chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

REJETTE toute autre demande en ce comprise celle formée par la société Pitney Bowes sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DIT que la société Pitney Bowes supportera les dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, président et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 14e chambre
Numéro d'arrêt : 18/04816
Date de la décision : 17/01/2019

Références :

Cour d'appel de Versailles 14, arrêt n°18/04816 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-17;18.04816 ?
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