La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/12/2018 | FRANCE | N°17/07518

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 14 décembre 2018, 17/07518


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



1ère chambre

1ère section





ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 DECEMBRE 2018



N° RG 17/07518



AFFAIRE :



[G] [C]

C/

[J], [E] [Y] épouse [U]

[C] [U]







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

POLE CIVIL

N° Chambre : 1

N° RG : 14/11526



Expéd

itions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Sylvie ALRIQUET



AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS





















REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE QUATORZE DECEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1ère chambre

1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 DECEMBRE 2018

N° RG 17/07518

AFFAIRE :

[G] [C]

C/

[J], [E] [Y] épouse [U]

[C] [U]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Octobre 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

POLE CIVIL

N° Chambre : 1

N° RG : 14/11526

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

Me Sylvie ALRIQUET

AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE QUATORZE DECEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant après prorogation les 16 novembre et 07 décembre 2018 les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :

Monsieur [G] [C]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Sylvie ALRIQUET, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 142 - N° du dossier [C] - Représentant : Me Yves HARTEMANN de la SCP YVES HARTEMANN JOSEPH PALAZZOLO, Plaidant, avocat au barreau de LYON

APPELANT

****************

Madame [J], [E] [Y] épouse [U], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [L] [U]

née le [Date naissance 2] 1957 à [Localité 2]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20161285 - Représentant : Me Hélène AKAOUI-CARNEC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS,

Monsieur [C] [U]

né le [Date naissance 3] 1987 à [Localité 3]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20161285 - Représentant : Me Hélène AKAOUI-CARNEC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 septembre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne LELIEVRE, conseiller, chargée du rapport, et Madame Nathalie LAUER, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

****************

Vu le jugement rendu le 13 octobre 2016 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :

- débouté M. [C] de l'ensemble de ses demandes,

- débouté Me [U] de sa demande au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les demandes plus amples ou contraires,

- condamné M. [C] aux dépens, lesquels pourront être recouvrés selon les modalités de l'article 699 du code de procédure civile ;

Vu l'appel relevé le 20 octobre 2017 par M. [C] qui, dans ses dernières conclusions notifiées le 17 octobre 2017 demande à la cour de :

Vu l'article 1147 du code civil,

Vu l'ordonnance de radiation prise par le président de la chambre disciplinaire nationale de l'ordre des médecins en date du 20 août 2012,

- dire que Maître [U] a commis une faute engageant sa responsabilité en omettant de joindre à son mémoire en appel le timbre fiscal de 35 euros,

- constater en conséquence que M. [C] n'a pu se défendre devant la chambre nationale et qu'il n'a pu bénéficier de l'effet suspensif devant cette juridiction attaché à son recours en appel,

- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Nanterre en date du 13 octobre 2016,

En conséquence,

- condamner Mme [U] à titre personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U] et M. [C] [U], ensemble pris en leur qualité d'héritiers d'[K] [U] à régler à M. [C] les sommes de :

* 300 000 euros de dommages et intérêts au titre du chiffre d'affaires de la première année de radiation (à compter du 1er octobre 2012),

* 1 597 280 euros au titre du préjudice économique lié à la perte de chance d'avoir pu voir la décision d'appel réformée,

- condamner Mme [U] à titre personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U] et M. [C] [U] à régler au docteur [C] la somme de 10 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, distraits au profit de Maître Alriquet, avocat au barreau de Versailles ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 7 décembre 2017 par lesquelles, Mme [U] en sa double qualité et M. [C] [U] demandent à la cour de :

Vu les dispositions de l'article 1231-1 du code civil,

Vu les dispositions des articles R 4127-3 à R 4127-85 du code de la santé publique,

Vu les dispositions des articles L 4122-3 et L 4113-14 du code de la santé publique,

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par la 1ère chambre du tribunal de grande instance de Nanterre le 13 octobre 2016,

- dire que l'appel de M. [C] n'aurait eu aucune chance de prospérer devant la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins, et qu'il n'y a donc aucune perte de chance réparable,

- débouter M. [C] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner [C] à verser à Mme [Y] veuve [U], en sa qualité personnelle, et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U], et à M. [C] [U], tous trois héritiers de Maître [K] [U] la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. [C] aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Rol, avocat postulant ;

SUR CE, LA COUR

FAITS ET PROCÉDURE

M. [G] [C], qui était médecin généraliste inscrit sur la liste des médecins généralistes du tableau de l'Ordre des médecins de [Localité 4], a orienté son activité autour de la chirurgie esthétique. Il indique avoir développé une thérapeutique nouvelle dite technique de ré-injection de graisse représentant une alternative efficace à la chirurgie traditionnelle par prothèse.

Le 9 novembre 2011, le conseil départemental de l'Ordre des médecins de la ville de Paris a engagé des poursuites à son encontre devant la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre des médecins d'Ile-de-France pour avoir enfreint les dispositions des articles R.4127-3, 4, 19, 31 à 33, 35, 36, 40, 53, 55, 74 et 85 du code de la santé publique et notamment :

- s'être présenté sur un site internet ou lors d'émissions télévisées comme chirurgien, qualification qu'il ne détient pas,

- avoir publié à des fins publicitaires sur le site internet les visages non floutés de patientes avant et après intervention chirurgicale,

- avoir opéré ou participé à l'opération d'une patiente dans une clinique tunisienne et exigé des honoraires fixés sans tact ni mesure et encaissés par des chèques sans nom debénéficiaire,

- être intervenu sans avoir fait pratiquer les examens préalables requis ou les avoir fait réaliser dans des délais exagérément raccourcis,

- n'avoir pas exercé un suivi post-opératoire suffisant.

M. [C] a chargé Me [U], avocat inscrit au barreau de Paris, d'assurer la défense de ses intérêts.

Par ordonnance du 10 juillet 2012, la chambre disciplinaire de première instance de l'Ordre des médecins d'Ile-de-France (ci-après la chambre disciplinaire de première instance) a estimé que l'ensemble de ces manquements et infractions au code de la santé publique étaient caractérisés et a prononcé la radiation définitive de M. [C] du tableau de l'Ordre des médecins avec effet au 1er octobre 2012.

M. [C] a demandé à Me [U] d'exercer un recours contre cette décision.

Me [U] a ainsi établi une requête d'appel le 7 août 2012, laquelle a été reçue par le conseil national de l'Ordre des médecins le 8 août suivant.

Par ordonnance du 20 août 2012, le président de la chambre disciplinaire nationale de l'Ordre des médecins (ci-après la chambre nationale disciplinaire) a déclaré la requête irrecevable sur le fondement des dispositions de l'article R.411-2 du code de justice administrative compte tenu du défaut de versement de la contribution pour l'aide juridique de 35 euros prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts.

Par lettre du 7 septembre 2012, Me [U] a sollicité du greffe l'autorisation de pouvoir venir consulter les cinq exemplaires de sa requête, soutenant que l'un d'entre eux comportait un timbre fiscal.

Le greffe lui a répondu le 12 septembre 2012 n'être plus en possession que de quatre exemplaires originaux de la requête en appel, ayant remis un exemplaire non timbré à M. [C], à sa demande, le 14 août 2012.

Par lettre du 24 septembre 2012, Me [U] a demandé au président de la chambre disciplinaire nationale de reprendre en considération sa position ou rabattre d'office son ordonnance d'irrecevabilité. Celui-ci a refusé d'accéder à sa demande par lettre du 1er octobre suivant.

Par arrêt du 3 décembre 2014, le conseil d'Etat a rejeté le pourvoi en annulation de l'ordonnance du 20 août 2012 formé par M. [C].

M. [C], considérant que Me [U] avait commis une faute en ne déposant pas le timbre fiscal de 35 euros dans le délai d'appel, l'a fait assigner en responsabilité civile professionnelle devant le tribunal de grande instance de Nanterre par acte du 17 septembre 2014, aux fins de voir réparer ses préjudices.

Me [U] est décédé le [Date décès 1] 2017, postérieurement à la décision entreprise.

Le magistrat chargé de la mise en état a, par ordonnance du 6 mars 2017, constaté l'interruption de l'instance.

Celle-ci a ensuite fait l'objet d'une ordonnance de radiation le 26 juin 2017 faute de diligences aux fins de reprise de l'instance.

Suite à une assignation en reprise d'instance délivrée le 17 octobre 2017 par M. [C] à Mme [U] à titre personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U] et à M. [C] [U], l'instance a été rétablie sous le numéro de RG 17/7518.

Sur la responsabilité de Me [U]

Considérant qu'il incombe à M. [C] pour voir engager la responsabilité civile de Me [U], de démontrer l'existence d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité ;

Sur la faute

Considérant que l'avocat est tenu d'accomplir toutes diligences utiles à la défense des intérêts de son client et doit ainsi procéder à toutes celles nécessaires à assurer la recevabilité du recours qu'il a été chargé d'exercer ;

Qu'il est constant en l'espèce que la requête en appel déposée le 7 août 2012 à l'encontre de la décision du 10 juillet 2012 de la chambre disciplinaire de première instance, au greffe de la chambre nationale de l'ordre des médecins, par Me [U] en charge de la défense des intérêts de M. [C], a été déclarée irrecevable par ordonnance rendue le 20 août 2012 par le président de la chambre disciplinaire nationale ci-dessus mentionnée, au motif que ladite requête n'était pas assortie de la contribution, sous forme d'un timbre fiscal de 35 euros, pour l'aide juridique prévue à l'article 1635 bis Q du code général des impôts et qu'à l'expiration du délai d'appel, soit le 13 août 2012, pas plus qu'à la date de l'ordonnance, aucune régularisation n'était parvenue à la chambre ; que par décision du 13 novembre 2014, le Conseil d'Etat, a rejeté le pourvoi formé par M. [C] à l'encontre de cette ordonnance ;

Que la décision entreprise a imputé à Me [U] le fait fautif de n'avoir pas joint le timbre fiscal susvisé, nonobstant l'affirmation faite par celui-ci qu'il avait satisfait à cette diligence procédurale et que le timbre avait pu être fortuitement égaré et la circonstance que M. [C] s'était présenté au greffe sans lui en faire part, et s'était vu remettre à sa demande l'un des cinq exemplaires de la requête litigieuse ;

Que les ayants droit de Me [U] qui exposent n'avoir aucun avis sur les circonstances dans lesquelles la requête d'appel s'est trouvée dépourvue du timbre fiscal nécessaire à sa recevabilité, indiquent qu'ils n'entendent pas remettre en cause la décision du tribunal sur ce point ;

Que la cour considère que c'est par de justes motifs, qui sont adoptés, que le tribunal a retenu l'existence d'une faute à l'encontre de Me [U], en l'absence de la démonstration de sa part qu'il avait bien joint le timbre fiscal à sa requête en appel ;

Sur les préjudices et leur lien de causalité avec la faute retenue

Considérant que M. [C] invoque l'existence de deux types de préjudices, d'une part, la perte du bénéfice de l'effet suspensif de l'appel et d'autre part la perte de chance de voir réformer la décision de première instance ayant prononcé sa radiation définitive ;

Sur la perte du bénéfice de l'effet suspensif de l'appel

Considérant que M. [C] fait valoir que les procédures disciplinaires qui ne constituent pas des procédures d'urgence, sont examinées par l'instance d'appel, à l'issue d'un délai d'au moins une année ; qu'il en déduit qu'il aurait pu continuer à exercer son activité professionnelle durant au moins un an ; qu'il soutient qu'il a ainsi perdu trois mois d'exercice en 2012, que le montant net de ses recettes sur les neuf premiers mois étant de 201 000 euros, il aurait eu au minimum un chiffre d'affaires de 268 000 euros, proche du chiffre d'affaires réalisé en 2010 et 2011 ; qu'il sollicite donc une indemnisation à hauteur de 300 000 euros ;

Que les consorts [U] demandent d'adopter les motifs du jugement entrepris qui a retenu que la perte de bénéfice alléguée était sans lien causal avec la perte de bénéfice de l'effet suspensif de l'appel et de confirmer le jugement en ce qu'il a débouté M. [C] de sa demande ;

***

Considérant que la décision de la chambre disciplinaire de première instance rendue le 10 juillet 2012 a prononcé la radiation définitive de M. [C] du tableau de l'Ordre des médecins et dit que cette sanction prendrait effet le 1er octobre 2012, si à cette date la décision était définitive ;

Qu'il résulte de l'article L4122-3 alinéa V du code de la santé publique que l'appel contre les décisions des chambres disciplinaires de première instance a un effet suspensif sauf lorsque la chambre est saisie en application de l'article L 4113-14 ; que ce dernier texte permet en cas d'urgence, lorsque la poursuite de son exercice par un médecin expose ses patients à un danger grave, au directeur général de l'agence régionale de santé dont relève le lieu d'exercice de celui-ci, de prononcer la suspension immédiate du droit d'exercer pour une durée maximale de cinq mois ; que dans cette hypothèse, ledit directeur saisit selon les cas le conseil régional ou interrégional ou la chambre disciplinaire de première instance ;

Considérant en l'espèce que la procédure disciplinaire suivie à l'encontre de M. [C] n'a pas fait l'objet d'une procédure de suspension immédiate de son droit d'exercer ;

Que M. [C] a de fait été privé d'exercer, à compter du 1er octobre 2012, date de prise d'effet de la décision de la chambre disciplinaire de première instance ;

Qu'il fait à juste titre valoir que l'irrecevabilité de son recours lui a fait perdre le bénéfice de l'effet suspensif de celui-ci qui aurait perduré jusqu'à ce qu'intervienne la décision de la chambre disciplinaire nationale ;  

Qu'il existe en effet un lien de causalité direct, non sérieusement contesté par les consorts [U] entre la faute commise par Me [U] et la perte de l'effet suspensif du recours ;

Que M. [C] établit au moyen des pièces produites, constituées d'une procédure disciplinaire en cours devant la chambre nationale et d'un document en provenance d'un site internet que la procédure d'instruction et d'audiencement devant l'instance ordinale nationale est d'environ un an ;

Considérant d'autre part qu'il résulte des avis d'impôt sur le revenu de M. [C] qu'il a déclaré en 2012, un résultat fiscal, seul à prendre en considération, de 23 802 euros, et qu'il avait eu en 2010 et 2011 un résultat fiscal respectif de 67 103 euros et 96 514 euros ;

Que force est de constater que son chiffre d'affaires a diminué de moitié par rapport aux exercices 2010 et 2011, ce qui ne peut s'expliquer par la seule interdiction d'exercice à compter du 1er octobre 2012, le résultat relevé correspondant en effet, pour cette année 2012, à neuf mois d'exercice ; que M. [C] ne fournit aucun élément de réponse sur ce point ;

Que cependant, M. [C] doit se voir indemniser pour la perte d'exercice sur un an, à compter du 1er octobre 2012, au vu de son résultat pour cette année, avec toutefois un aléa compte tenu de la nette diminution de ses revenus, incontestablement lié à son chiffre d'affaires en correspondance avec le nombre de ses consultations ; qu'il convient par conséquent de considérer qu'il a subi un préjudice qui sera justement indemnisé par la somme de 30 000 euros, que les consorts [U] seront condamnés à lui verser ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il l'avait débouté de sa demande à ce titre ;

Sur la perte de chance de voir réformer la décision de la chambre disciplinaire de première instance

Considérant que M. [C] prétend que si la requête en appel avait été déclarée recevable, la Chambre disciplinaire nationale aurait réformé la décision du 10 juillet 2012 et annulé la sanction de radiation ou à tout le moins "réduit" celle-ci, ce qui lui aurait permis de poursuivre son activité ; qu'il fait valoir, qu'il n'a pu se défendre en première instance, dans la mesure où il n'était pas présent et où seul le collaborateur de Me [U] était présent ;

Que les consorts [U] répliquent que si la chambre disciplinaire nationale avait statué, elle aurait certainement confirmé la décision de radiation en raison de la répétition des manquements commis par M. [C] et de leur gravité ; que M. [C] n'a donc subi aucune perte de chance ; qu'ils font valoir à titre subsidiaire que si la cour estime que la décision de la chambre disciplinaire d'appel présentait une chance d'éventualité favorable, elle constatera que le préjudice invoqué n'est pas sérieux ;

***

Considérant que l'omission ou l'erreur commise dans une voie de recours s'analyse en une perte de chance d'obtenir une décision favorable de la juridiction qui aurait dû être saisie ;

Considérant qu'il convient d'examiner les chances de succès qu'aurait eues la requête déposée en appel par M. [C] à l'encontre de la décision de première instance ; que celle-ci a statué sur quatre griefs constituant des infractions aux dispositions des articles R 4127-3, 4, 19, 31 à 33, 35, 36, 40, 53, 55, 74 et 85 du code de la santé publique, reprochés à M. [C], soit pour notamment :

* avoir opéré ou participé à l'opération d'une patiente dans une clinique tunisienne et exigé des honoraires fixés sans tact ni mesure et encaissés par des chèques sans nom de bénéficiaire,

* être intervenu sans avoir fait pratiquer les examens préalables requis ou les avoir fait réaliser dans des délais exagérément raccourcis et n'avoir pas exercé un suivi post-opératoire suffisant,

* s'être présenté sur un site internet ou lors d'émissions télévisées comme chirurgien, qualification qu'il ne détient pas,

* avoir publié à des fins publicitaires sur le site internet les visages non floutés de patientes avant et après intervention chirurgicale,

* Sur le grief tiré de l'exercice d'une médecine foraine et sur le manquement à la probité

Considérant que dans son ordonnance du 10 juillet 2012, la chambre disciplinaire de première instance a retenu "qu 'il est établi par les pièces du dossier que le docteur [G] [C] est intervenu lors de la liposuccion et de l'augmentation mammaire subie par Mme [I] en Tunisie ; qu'en effet, à supposer même qu'il n 'ait pas opéré cette patiente lui-même comme il le soutient, sans être au demeurant en mesure de donner l'identité et les qualifications du chirurgien tunisien qui serait intervenu, il n'en demeure pas moins qu'il reconnaît avoir assisté l'opérateur auprès de sa patiente ; qu'il a d'ailleurs encaissé les trois chèques établis à son nom par Mme [I] pour un montant total de 7 400 euros révélateur d'un manque de tact et de mesure dans la fixation de ses honoraires, notamment s'agissant comme il l'affirme d'une simple assistance opératoire ; que s'il soutient les avoir rétrocédés en tout ou partie à ce collègue tunisien, il n 'apporte aucun élément de preuve à l'appui de ses affirmations ; qu 'ainsi le docteur [C] qui est inscrit au tableau de l'Ordre de la ville de [Localité 4] et qui n'a sollicité aucune autorisation pour exercer en dehors de la ville de [Localité 4], s'est rendu coupable d'exercice de la médecine foraine prohibé par l'article R.4127-74 du code de la santé publique ; qu'en outre il a manqué de probité dans la fixation et le mode d'encaissement de ses honoraires (article R. 4127-3 et 53 du même code)" ;

Que s'agissant de ce premier grief M. [C] faisait valoir dans sa requête en appel que si sa présence en Tunisie était établie lors de l'intervention de Mme [R], qu'aucun élément du dossier ne démontrait qu'il était effectivement intervenu lors des actes pratiqués sur cette dernière, qu'il avait informé la patiente rencontrée à Lyon qu'il ne pratiquait pas la médecine foraine et qu'il était médecin et non chirurgien ; qu'il fait valoir que c'est le docteur [A] [E], chirurgien plasticien, qui a pratiqué l'intervention et que sa propre assistance n'a impliqué aucun acte positif de sa part ; que s'agissant des trois chèques encaissés établis à son nom, ils ne correspondent pas à des honoraires mais à un remboursement d'avances consenties à la patiente en raison d'une difficulté rencontrée par elle dans l'utilisation de sa carte bancaire ; qu'il prétendait que seul le docteur [E] avait perçu, dès l'intervention le montant des honoraires "ainsi réglés déduction faite du coût de la clinique [Localité 5]" ; qu'il fournissait au soutien de ses moyens de réformation, deux attestations du docteur [E] relatives à l'intervention et aux honoraires perçus, de nature selon lui à écarter le grief susvisé ;

Considérant cependant que ces attestations, établies courant août 2012, soit postérieurement à la décision de première instance, ne sont accompagnées d'aucune pièce d'identité de leur auteur, le docteur [A] [E], de sorte que leur valeur probante est sujette à caution ; que d'autre part, selon la première, son auteur indique qu'il a opéré Mme [R], tout en précisant que le docteur [C], qui était le médecin traitant de la patiente, a assisté à l'intervention en tant qu'aide opératoire ; que comme les premiers juges l'ont retenu, cette pièce ne fait que confirmer le moyen de M. [C] selon lequel il n'a pas pratiqué lui même l'intervention, mais a seulement assisté à celle-ci ; que le fait même de sa participation à l'intervention dans une proportion importante se trouve toutefois corroboré par la circonstance qu'il a encaissé trois chèques établis à son nom par Mme [R], pour un montant de 7 400 euros ; que la seconde attestation du docteur [E], selon laquelle les frais d'intervention relatifs aux honoraires de la clinique se sont élevés à l'équivalent de 5 000 euros, qui n'est accompagnée d'aucune pièce justificative, ne constitue pas la preuve que des honoraires n'ont pas été versés à M. [C] au moyen des chèques dont la remise n'est pas contestée ; que M. [C] ne produit aucune pièce établissant qu'il aurait avancé des sommes à sa patiente dont le remboursement constituerait la cause des chèques litigieux, de sorte que cette explication n'est pas vraisemblable et doit être rejetée ; que l'attestation produite ne contredit donc pas l'encaissement de la somme susvisée par M. [C] à titre d'honoraires ;

Qu'ainsi les pièces nouvelles produites au soutien de la requête en appel de M. [C] ne sont pas de nature à écarter le grief de la pratique d'une médecine foraine suffisamment caractérisée par les circonstances et les sommes perçues directement par lui, dès lors qu'inscrit au tableau de l'Ordre de la ville de [Localité 4], il n'avait pas sollicité d'autorisation pour exercer la médecine en dehors de celle-ci ; que la fixation et le mode d'encaissement des honoraires justifiait de retenir également le grief de manquement à l'obligation de probité ;

Qu'à titre superfétatoire les consorts [U] font justement valoir qu'il ne peut être reproché à la collaboratrice de Me [U] de n'avoir pas cité le nom du chirurgien tunisien ayant opéré Mme [R] alors que M. [C] n'avait remis aucune pièce à ce sujet ;

* Sur le second grief relatif au manquement aux examens préalables à l'intervention et post-opératoires

Considérant que la chambre disciplinaire de première instance a estimé sur ce point :

"Considérant en deuxième lieu qu 'il ressort également des pièces du dossier que les examens pré opératoires pratiqués avant l'intervention ont été soit hâtifs, soit lacunaires : absence de mammographie préalable, examens biologiques effectués la veille au soir de l'opération et consultation d'anesthésie préopératoire dans les minutes précédant celle-ci ; que Mme [I] n 'a pas bénéficié d'un suivi post-opératoire suffisant puisqu'elle a repris l'avion pour la France le surlendemain sous antalgiques et anticoagulants sans que lui ait été remise la carte d'implant mammaire  ; que, ce faisant le docteur [C] n'a pas délivré à sa patiente des soins suffisamment consciencieux et dévoués et lui a fait courir des risques injustifiés (articles R.4127-32 et 40 du code de la santé publique)" ;

Considérant que dans sa requête en appel, M. [C] prétendait que de tels reproches concernant le suivi médical pré et post-opératoire étaient dénués de fondement à son encontre dès lors qu'il n'est pas intervenu à l'acte ; que les examens préalables et le suivi post-opératoire relevaient de la seule responsabilité de la clinique [Établissement 1] ; qu'il ajoutait que Mme [R] avait fait l'objet d'une mammographie quelques mois plus tôt et que cet examen n'est pas systématique chez une patiente de son âge et n'est fortement préconisé qu'après l'âge de 40 ans ; qu'il faisait en dernier lieu valoir que la patiente n'avait formulé aucun grief contre le médecin ayant pratiqué l'intervention ;

Considérant cependant que c'est à juste titre que le tribunal a retenu que les dénégations de M. [C] ne le libéraient pas des obligations déontologiques et médicales qui lui incombaient ; que sa présence sur place et la perception d'honoraires démontrent qu'il était partie prenante à l'intervention pratiquée sur sa patiente et qu'il ne peut sérieusement soutenir que les examens préalables à celle-ci, l'organisation d'une consultation avec un anesthésiste dans des délais suffisants avant l'intervention et les soins post-opératoires ne lui incombaient pas ;

Qu'ainsi le grief de manquement à la délivrance de soins suffisamment consciencieux et dévoués et selon lequel le docteur [C] a fait courir à sa patiente des risques injustifiés, non sérieusement démenti, aurait également été retenu par la chambre disciplinaire nationale, si elle avait été amenée à se prononcer ;

* Sur le troisième grief relatif à l'existence d'un site publicitaire

Considérant que sur ce grief, la chambre disciplinaire de première instance a motivé sa décision comme suit :

"Considérant en troisième lieu qu 'il ressort des pièces du dossier que le docteur [C] disposait d'un site internet où il se présentait comme chirurgien esthétique, qualité qu'il ne possède pas, et vantait les mérites de ses interventions telles notamment que relatées dans la presse ou dans des émissions télévisées ; qu'il y présentait des photographies des cabinets de chirurgie où il intervenait à [Localité 4], à Tunis et à Marrakech ; qu'il s'agissait à l'évidence d'un site publicitaire et que le docteur [C] a enfreint les dispositions de l'article R. 412 7-19 du code de la santé publique" ;

Que dans sa requête d'appel, M. [C] faisait valoir qu'il avait expliqué lors de la procédure de conciliation et à l'audience du 29 mai 2012 qu'il avait commis une maladresse en mettant des photographies de cliniques où il n'a jamais prétendu intervenir comme chirurgien ni même comme médecin ; qu'il précisait n'avoir pas voulu donner à son site un caractère publicitaire et qu'il avait respecté l'injonction faite par le conseil de l'Ordre de faire disparaître les éléments critiqués sur son site internet, allant même jusqu'à le supprimer totalement à compter du mois de mai 2012, de sorte que ce grief est sans objet ; qu'il ajoute devant la cour qu'il exposait sur son site l'évolution de la médecine esthétique et la nécessité d'éviter des gestes invasifs ; qu'en outre il ne s'y présentait pas comme chirurgien mais comme médecin ;

Considérant cependant que M. [C] s'abstient de produire des pièces justificatives de ses simples affirmations visant à contester le caractère publicitaire du site et la qualification sous laquelle il y figurait tendant à remettre en cause le bien fondé de la motivation de la décision de la chambre disciplinaire de première instance ; que le seul fait d'avoir fermé le site litigieux est sans effet sur son caractère illicite au regard des dispositions de l'article R 4127-19 du code de la santé publique, étant rappelé que la chambre disciplinaire de première instance a statué postérieurement à la disparition du site ; que l'infraction reprochée est caractérisée et que l'instance d'appel n'aurait pas statué différemment quant à son existence ;

* Sur le quatrième grief tiré du non-respect du secret médical

Considérant que la chambre disciplinaire de première instance a retenu :

"Considérant en quatrième et dernier lieu que figuraient également sur le site publicitaire internet du docteur [C] des photographies de certaines de ses patientes, à visage découvert et identifiable, avant et après intervention ; qu 'il a ainsi gravement porté atteinte au respect du secret médical (article R.4127-4 du code de la santé publique) sans qu'il puisse utilement se prévaloir de la circonstance, au surplus non établie, que la participation des intéressées à l'émission télévisée "le droit de savoir" valait accord de ces dernières pour l'utilisation et la publication de ces photographies tirées de leur dossier médical" ;

Considérant que M. [C] expliquait dans sa requête en appel que certaines de ses patientes ayant signé une autorisation à la chaîne télévisée TF1 pour pouvoir figurer dans l'émission "Le droit de savoir" consacrée à la chirurgie esthétique, il avait cru pouvoir faire figurer leur photographie sur son site internet et reconnaissait son erreur en indiquant qu'il aurait dû faire un renvoi à ce reportage par un lien ; qu'il ajoutait toutefois que ce grief n'avait "plus lieu d'être", le site n'existant plus depuis le mois de mai 2012, que donc les photographies litigieuses avaient disparu ; qu'en outre, deux patientes lui avaient confirmé leur accord par écrit ; qu'il joignait à sa requête les attestations de deux patientes ;

Considérant que M. [C] a admis son erreur ; que la fermeture du site n'a pas d'incidence sur l'existence de l'infraction ; que les témoignages produits aux débats se limitent à trois patientes et que M. [C] ne démontre pas que les photographies utilisées sur son site se limitaient à ce nombre ; qu'il n'est en outre pas établi, si Mmes [O], [B] et [X] ont donné leur autorisation à la publication de leur image, avant et après intervention, qu'elles étaient informées, préalablement à cette autorisation, de leur publication sur un site internet à visée publicitaire ; qu'il en résulte que la violation du secret médical est caractérisée et que les attestations produites ne permettent pas de considérer que l'instance d'appel aurait statué autrement ;

Considérant que constitue une perte de chance réparable la disparition actuelle et certaine d'une éventualité favorable, même minime ;

Qu'il résulte de ce qui précède que M. [C] ne démontre pas que la chambre disciplinaire nationale aurait eu une appréciation différente des griefs retenus à son encontre par la décision de première instance, ce même en ayant connaissance des quelques pièces complémentaires jointes à la requête en appel ;

Que par suite, M. [C], auquel cette preuve incombe, ne pouvait espérer obtenir une sanction moins sévère, voire pas de sanction comme il le prétend ;

Considérant en effet que l'instance disciplinaire nationale est chargée de veiller au respect de la déontologie et de la santé publique ; qu'elle ne peut prendre le risque de mise en danger de la vie de patients ; que la chambre de première instance a appliqué la sanction la plus lourde en considération du nombre et de la gravité des manquements à la déontologie commis par le docteur [C], quand bien même une précédente décision de suspension temporaire avec sursis avait été annulée le 21 février 2008 ;

Que M. [C] ne rapporte ainsi pas la preuve d'une perte de chance réparable résultant de la chance de voir réformer en appel la décision de la chambre disciplinaire de première instance ;

Que le jugement est confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande à ce titre ;

Considérant que la présente décision fait partiellement droit aux demandes de M. [C] ; que les consorts [U] doivent être condamnés aux dépens de première instance ainsi qu'à ceux d'appel ;

Que les conditions d'application de l'article 700 du code de procédure civile étant réunies, il convient de condamner les consorts [U] à payer à M. [C] la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre de l'ensemble des frais exposés en première instance et en appel ;

Considérant que la demande des consorts [U] présentée sur le même fondement est rejetée ;

PAR CES MOTIFS

La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Infirme le jugement entrepris en qu'il a débouté M. [C] de sa demande de réparation au titre de la perte de l'effet suspensif de l'appel, sur les dépens et sur l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Condamne Mme [U] à titre personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U] et M. [C] [U] à payer à M. [C] la somme de 30 000 euros en réparation de son préjudice constitué par la perte du bénéfice de l'effet suspensif de l'appel,

Condamne Mme [U] à titre personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U] et M. [C] [U] à payer à M. [C] la somme de 5 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,

Condamne Mme [U] à titre personnel et en sa qualité de représentante légale de son fils [U] [U] et M. [C] [U] aux dépens de première instance ainsi qu'à ceux d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 17/07518
Date de la décision : 14/12/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°17/07518 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-12-14;17.07518 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award