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29/11/2018 | FRANCE | N°17/01414

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 29 novembre 2018, 17/01414


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES







21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 29 NOVEMBRE 2018



N° RG 17/01414 - N°



AFFAIRE :



[V] [F]



C/

SAS MASTERNAUT







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 février 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 16/00282



Expéditions exécutoires

Ex

péditions

Copies

délivrées le :



à :

Me Hubert CHARPENTIER de l'AARPI SMITH D'ORIA, avocat au barreau de PARIS - Me Sophie RIVIERE - MARIETTE, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Leslie FONTAINE-LOUZOUN de la SELARL LS AVOCATS, avocat au bar...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 29 NOVEMBRE 2018

N° RG 17/01414 - N°

AFFAIRE :

[V] [F]

C/

SAS MASTERNAUT

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 février 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de SAINT GERMAIN EN LAYE

N° Chambre :

N° Section :

N° RG : 16/00282

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Hubert CHARPENTIER de l'AARPI SMITH D'ORIA, avocat au barreau de PARIS - Me Sophie RIVIERE - MARIETTE, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Leslie FONTAINE-LOUZOUN de la SELARL LS AVOCATS, avocat au barreau de PARIS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [V] [F]

né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Hubert CHARPENTIER de l'AARPI SMITH D'ORIA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1060 -

Représentant : Me Sophie RIVIERE - MARIETTE, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 275

APPELANT

****************

SAS MASTERNAUT représentée par son Président domicilié en cette qualité audit siège

N° SIRET : 419 476 593

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Leslie FONTAINE-LOUZOUN de la SELARL LS AVOCATS, Plaidant, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : A0443 - N° du dossier 17/02634

INTIMÉE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 08 octobre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sophie RIVIERE,

M. [V] [F] a été engagé selon contrat de travail à durée indéterminée du 29 mai 2006 en qualité de 'chief technology officer', statut cadre, coefficient 270, position 3.3 par la société Webraska Mobile Technologies. Le contrat prévoyait une rémunération annuelle brute de 110 000 euros, ainsi qu'une partie variable au titre d'objectifs individuels et d'objectifs collectifs.

La société Webraska ayant été acquise par la société Masternaut, le contrat de travail de M. [F] a été transféré à cette dernière, conformément à l'article L.1224-1 du code du travail.

Un contrat de travail a été conclu le 26 décembre 2012 entre les parties (signé le 23 avril 2013 par le salarié), à effet au 1er janvier 2013, avec reprise de l'ancienneté au 27 juillet 2006. Aux termes de ce contrat, M. [F] était engagé en qualité de Directeur/Professional Services en position 3.3, coefficient 270, emploi relevant de la catégorie cadre, moyennant un salaire brut mensuel forfaitaire de 9 166,67 €, calculé sur douze mois, soit une rémunération annuelle brute de 110 000,04 euros, complétée par une rémunération variable en fonction d'objectifs définis annuellement.

La relation de travail relève de la Convention collective nationale des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987, dite Syntec.

Le 10 mars 2015, M. [F] a rompu la relation de travail au motif de manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail en matière de rémunération.

Par requête du 7 avril 2015, reçue le 8 avril 2015, M. [F] a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye afin d'obtenir, pour l'essentiel, un rappel de salaire au titre de la part variable pour les années 2009, 2010 et 2011, et la requalification de sa démission motivée en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec condamnation de l'employeur à diverses sommes à ce titre.

Par jugement rendu le 14 septembre 2015, le conseil (section encadrement), relevant que M. [F] avait saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre le 29 décembre 2014 d'une demande en paiement de prime variable, a déclaré ses demandes irrecevables, en raison du principe de l'unicité de l'instance.

Le 5 octobre 2015, M. [F] a formé un contredit.

Par arrêt rendu le 5 juillet 2016, la cour d'appel de Versailles (sixième chambre) a requalifié en appel le contredit formé par M. [F], réformé le jugement entrepris, et statuant à nouveau, dit que M. [F] est recevable à saisir le conseil de prud'hommes de Saint Germain En Laye, dit n'y avoir lieu d'évoquer et renvoyé la cause et les parties devant le conseil de prud'hommes de Saint Germain En Laye afin que celui-ci entende M. [F] et la société Masternaut en leurs observations au fond.

M. [F] a demandé au conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye :

- la fixation de la moyenne des salaires à 12 291 euros,

- 99 816 euros au titre de rappel de la part variable du salaire pour les années 2009, 2010 et 2011,

- 9 981 euros au titre de congés payés afférents,

- 998 euros au titre de la prime de vacances afférente,

- la requalification de la démission motivée en licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 36 873 euros au titre du préavis conventionnel,

- 3 687 euros au titre de congés payés afférents au préavis,

- 368 euros au titre de la prime de vacances afférente,

- 36 340 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 98 328 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (huit mois de salaire),

- 16 770 euros au titre de rappel du solde de la part variable du salaire pour l'année 2014,

- 1 677 euros au titre des congés payés afférents,

- 167 euros au titre de la prime de vacance afférente,

- 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la remise des bulletins de paie et documents légaux rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour à compter du huitième jour suivant le prononcé du jugement à intervenir, et se réserver le droit de faire liquider l'astreinte,

- l'exécution provisoire de droit sur le fondement de l'article R.1454-28 du code du travail,

- les intérêts légaux avec anatocisme,

- les entiers dépens.

La société Masternaut a demandé au conseil :

- à titre liminaire, de constater l'irrecevabilité des demandes de M. [F] liées aux prétendus rappels de salaires au titre des années 2009, 2010 et 2011,

- à titre principal, de le débouter de ses demandes tendant au paiement de prétendues primes variables au titre des exercices 2009, 2010 et 2011, à la requalification de la rupture de son contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse, au paiement d'un complément de prime variable au titre de l'exercice 2014, et du surplus de ses demandes,

- à titre subsidiaire, de ramener le montant des primes variables demandées au titre des exercices 2009, 2010 et 2011 et le montant des demandes au titre des conséquences de la rupture de son contrat de travail à de plus justes proportions, et de débouter M. [F] de sa demande tendant à voir publier la décision à intervenir sur le site commercial de la société Masternaut,

- à titre reconventionnel, de le condamner à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement rendu le 13 février 2017, notifié le 22 février 2017, le conseil (section encadrement) a :

- dit que les demandes de M. [F] sont recevables,

- dit que la prise d'acte par M. [F] de la rupture de son contrat de travail produit les effets d'une démission,

- débouté M. [F] de l'intégralité de ses demandes,

- débouté la société Masternaut de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- laissé les dépens éventuels à la charge de M. [F].

Le 16 mars 2017, M. [F] a relevé appel total de cette décision par voie électronique.

Une médiation a été proposée, en vain, aux parties.

Par ordonnance rendue le 4 mai 2017, l'affaire a été fixée selon les dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 21 juin 2018, l'instruction a été clôturée, et les plaidoiries fixées au 9 octobre 2018.

Par dernières conclusions écrites du 11 juin 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, M. [F] demande à la cour de :

- infirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit que sa prise d'acte de la rupture de son contrat de travail produisait les effets d'une démission ; l'a débouté de l'intégralité de ses demandes ; laissé les dépens éventuels à sa charge ;

et statuant à nouveau de :

- fixer la moyenne des salaires à 12 291 euros ;

- condamner la société Masternaut à un rappel de la part variable du salaire pour les années 2009, 2010 et 2011 soit la somme de 99 816 euros assortie du congé payé afférent pour un montant de 9 981 euros et de la prime de vacances afférente pour un montant de 998 euros ; l'ensemble assorti des intérêts légaux depuis la date d'exigibilité desdites sommes ;

- requalifier la démission motivée en licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la société Masternaut au versement  :

- de l'indemnité compensatrice du préavis conventionnel soit la somme de 36 873 euros assortie du congé payé afférent pour un montant de 3 687 euros et de la prime de vacances afférente pour un montant de 368 euros ;

- de l'indemnité conventionnelle de licenciement soit la somme de 36 340 euros ;

- de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse soit la somme de 98 328 euros ;

- du rappel du solde de la part variable du salaire pour l'année 2014 soit la somme de 16 770 euros assortie du congé payé afférent pour un montant de 1 677 euros et de la prime de vacances afférente pour un montant de 167 euros ;

- condamner la société Masternaut au versement de la somme de 4.800 euros au visa de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner la société Masternaut à la remise des bulletins de paie et documents légaux rectifiés sous astreinte de 50 euros par jour à compter du quinzième jour suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir et se réserver le droit de faire liquider l'astreinte ;

- intérêts légaux et anatocisme depuis la date d'exigibilité des parts variables 2009, 2010 et 2011, soit respectivement le 1er janvier 2010, le 1er janvier 2011, le 1er janvier 2012 ;

- intérêts légaux et anatocisme depuis le 10 mars 2015, date de la prise d'acte de la rupture et pour les autres sommes ;

- condamner la société Masternaut aux entiers dépens qui comprendront ceux d'exécution éventuels.

Par dernières conclusions écrites du 1er juin 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et prétentions conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Masternaut demande à la cour de :

in limine litis,

- la dire recevable et bien fondée en ses demandes et appel incident ;

- constater l'irrecevabilité des demandes de M. [F] liées aux parts variables prétendument dues au titre des années 2009, 2010 et 2011 ;

sur le fond,

- constater que l'appelant a renoncé moyennant contreparties à toute prétention au titre d'une part variable 2009, 2010 et 2011 et le caractère excessif du chiffrage de sa demande de rappel ;

- constater qu'il n'est donc de faute de sa part et que la prise d'acte de la rupture par M. [F] produit les effets d'une démission ;

- constater que la prime variable versée à M. [F] au titre de l'exercice 2014 représente l'intégralité des sommes dues afférentes à cette prime ;

- constater qu'elle a dû exposer des frais pour se défendre et que le refus qu'il lui soit alloué une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile est inéquitable ;

en conséquence :

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a débouté M. [F] de toutes ses demandes et laissé à sa charge les dépens éventuels de première instance ;

- infirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile, appel incident étant sur ce point formé ;

statuant à nouveau sur les chefs critiqués ;

- condamner M. [F] au versement d'une somme de 5 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

y ajoutant

- condamner M. [F] au entiers dépens d'appel ;

- condamner M. [F] au versement d'une indemnité de 40 928 euros afférente au préavis non-exécuté par celui-ci ;

subsidiairement

- ramener le montant des demandes de M. [F] à de plus justes proportions.

La cour a mis dans les débats l'application, le cas échéant, des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail.

Motifs de la décision

Sur les rappels de salaires :

Quant à la recevabilité de la demande :

Selon la société Masternaut, M. [F] est irrecevable en ses demandes en paiement de salaires au titre des années 2009, 2010 et 2011, dès lors d'une part, que l'effet interruptif attaché à la première saisine du conseil de prud'hommes de Nanterre est non-avenu, du fait du

désistement du salarié, et d'autre part, qu'en application de l'article L. 3245-1 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi de juin 2013, en cas de situation de rupture du contrat de travail, la demande de rappel ne peut porter que sur les créances salariales exigibles au cours d'une période de trois ans précédant la rupture. En l'espèce, M. [F] a pris acte de la rupture de son contrat de travail selon courrier en date du 10 mars 2015, à effet de ce même jour, et lorsqu'il a saisi le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye selon acte du 7 avril 2015, le contrat était rompu. Dans ces conditions, seules les sommes exigibles postérieurement au 10 mars 2012 peuvent faire utilement l'objet de demandes en paiement, or le salarié fixe lui-même les dates de prétendue exigibilité au 1er janvier des années 2010, 2011 et 2012, soit avant le 10 mars 2012. Ses demandes sont donc irrecevables pour remonter à plus de trois ans avant la rupture du contrat de travail.

Selon M. [F], l'article L.3245-1 du code du travail ne vise que les rappels de salaires pour lesquels aucune demande en justice n'a encore été introduite, or en l'espèce, ces rappels de salaire ayant fait l'objet d'une demande en justice le 29 décembre 2014 devant le conseil de prud'hommes de Nanterre, les délais de prescription afférents à chacune des sommes en cause ont été interrompus à cette même date par stricte application de l'article 2241 du code civil. Par application de l'article 2242 du même code, cette interruption a produit ses effets jusqu'à l'extinction de ladite instance, c'est à dire jusqu'au jugement de dessaisissement du conseil de prud'hommes de Nanterre du 10 octobre 2017 constatant l'extinction de l'instance conformément à l'article 384 du code de procédure civile. A compter du 10 octobre 2017, un nouveau délai de prescription s'est ouvert. La rupture du contrat de travail est dès lors sans aucun effet sur la validité ou la poursuite de l'interruption de la prescription acquise antérieurement et toujours en cours à la date de rupture du contrat. La réintroduction de l'instance devant le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye le 8 avril 2015 interrompt de nouveau la prescription des rappels de salaire incriminés, et cette nouvelle interruption continue de produire ses effets, l'instance n'étant pas éteinte. Ainsi, pour la part variable de l'année 2009, le délai de prescription, qui allait du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2014, a été interrompu à compter du 29 décembre 2014 jusqu'au 10 octobre 2017, et aussi ( ou à nouveau) le 8 avril 2015 par la saisine du conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye. Il en est de même pour la part variable de l'année 2010, pour laquelle le délai initial de prescription allait du 1er janvier 2011 au 31 décembre 2015, et pour la part variable de l'année 2011, pour laquelle le délai de prescription allait du 1er janvier 2012 au 17 juin 2016, compte tenu de l'application conjointe de l'article 21V de la loi du 13 juin 2013 promulguée le 17 juin 2013 et de l'alinéa 2 de l'article 2222 du code civil.

Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à l'autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail.

Dans sa rédaction issue de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008, l'article L.3245-1 du code du travail disposait que ' L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par cinq ans conformément à l'article 2224 du code civil.', soit, selon ce second texte, cinq ans à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Dans sa rédaction issue de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, l'article L.3245-1 prévoit que 'L'action en paiement ou en répétition du salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat.' Ce second terme fixe un délai de prescription concurrent à celui déterminé par le premier terme, sans pour autant en limiter la portée lorsque la prescription a déjà été interrompue.

Enfin, aux termes de l'article 21 V de la loi du 14 juin 2013 susvisée, ces dispositions 's'appliquent aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la présente loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure' et 'Lorsqu'une instance a été introduite avant la promulgation de la présente loi, l'action est poursuivie et jugée conformément à la loi ancienne. Cette loi s'applique également en appel et en cassation.'

Lorsqu'il a agi devant le conseil de prud'hommes de Nanterre, le 29 décembre 2014, le salarié a interrompu tant la prescription triennale courant à compter du 14 juin 2013 que la prescription quinquennale qui fixe la limite de la prescription en application des dispositions transitoires susvisées. Le désistement intervenu le 25 juin 2015 n'a pas fait disparaître le caractère interruptif de la saisine initiale, dès lors qu'il a été expressément formé en raison de l'instance déjà engagée devant le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, et en réalité afin de réunir l'ensemble des prétentions du salarié devant cette juridiction. Dès lors, le salarié est recevable à solliciter le paiement des salaires et de leurs accessoires qu'il considère lui être dûs au titre des années 2009, 2010 et 2011, peu important la date de la rupture du contrat de travail.

Le moyen est donc écarté.

Quant au bien fondé de la demande :

M. [F] fait valoir que l'employeur n'a fixé aucun objectif, ni individuel ni collectif, tel que prévu par le contrat de travail, et n'a versé aucune part variable de 2009 jusqu'à l'année 2011 incluse. L'employeur, qui doit justifier du paiement ou du fait qui a produit l'extinction de son obligation en application de l'article 1315 ancien du code civil, considère que la créance de rémunération antérieure aurait été apurée par la signature du nouveau contrat de travail, et que le salarié ne prouve pas que ce point a été évoqué lors de la renégociation du contrat, mais la renonciation à un droit ne se présume pas en matière contractuelle, et le contrat de travail signé en décembre 2012, qui constitue un avenant au contrat initial du 27 juillet 2006, n'a pas pour effet, à défaut de stipulation expresse des parties, d'éteindre les créances salariales nées antérieurement à l'exécution du dit contrat. La société Masternaut ne produit aucun élément prouvant que, ainsi qu'elle l'allègue, il aurait renoncé à ses parts variables en contrepartie de la prise en charge de son inscription à un programme de formation, ce qu'il conteste formellement. Par ailleurs, les dispositions de l'article L.6321-1 du code du travail, qui font obligation à l'employeur d'assurer l'adaptation des salariés à leur poste de travail et au développement de leur compétence, n'évoquent aucune contrepartie de la part du salarié. La société ne produit pas non plus d'élément prouvant que comme elle le soutient, une décision conjointe de la direction et du conseil d'administration, à laquelle il aurait acquiescé, serait intervenue, de ne procéder à aucune définition ni aucune attribution de prime aux membres du comité de direction. Elle ne produit aucun élément relatifs aux critères retenus pour asseoir la rémunération variable pour les années incriminées, ni ne montre en quoi les objectifs, n'ayant pas été atteints, ne pouvaient produire de rémunération variable à son bénéfice. Le contrat de travail signé avec la société Webraska étant opposable à la société Masternaut actuelle, du fait de son transfert, il revient au nouvel employeur de s'acquitter des dettes salariales contractées par l'ancien employeur avant la cession de l'entreprise. Le fait qu'il ait signé un nouveau contrat avec la société Masternaut ne saurait faire disparaître les créances de rémunération nées du précédent contrat, le nouveau contrat de travail ne faisant nulle part mention d'un renoncement du salarié à ses droits nés antérieurement, ni au 'troc' de ceux-ci contre la prise en charge d'une formation. Il sollicite en conséquence un rappel de salaire correspondant pour chacune des années en cause à 30% de sa rémunération annuelle brute, augmenté des congés payés afférents, et de la prime de vacances afférente visée à l'article 31 de la convention collective.

La société Masternaut soutient que le salarié a renoncé au paiement de la part variable de sa rémunération au titre des exercices 2009, 2010 et 2011, dont il n'établit au demeurant aucunement qu'elle lui serait due. Dans le cadre des négociations conduites par lui en 2012, et visant à obtenir la prise en charge par la société de son inscription au programme Executive MBA de la Reims Management School, à hauteur de la somme de 22 000 euros, il a à plusieurs reprises mis en avant le fait qu'il ne solliciterait pas le règlement de telles sommes, et accepté sans réserve aucune l'avenant relatif à la détermination de sa nouvelle part variable de rémunération. Il serait difficile, dans le cas contraire, d'expliquer la prise en charge par la société, sans contrepartie aucune, de la formation de l'un de ses salariés à hauteur d'une somme d'une telle importance, et en dehors de toute obligation légale, de même que l'absence totale de réclamation de M. [F] à ce titre, et le versement par la société à compter de la signature de l'avenant au contrat de travail du 26 décembre 2012 de la part variable de rémunération sans mention aucune de celles impayées des années précédentes. Ainsi, l'attitude adoptée par le salarié envers son ancien employeur comme la mauvaise foi dont il a fait preuve tant pendant l'exécution de son contrat de travail que postérieurement à son départ de la société sont parfaitement contraires à l'obligation de loyauté pesant sur lui. A titre subsidiaire, la société fait valoir que les sommes sollicitées sont disproportionnées, seules les parts variables liées aux objectifs individuels pouvant être appliquées au salarié. La part variable de rémunération fondée sur les objectifs collectifs, visant la seule qualité de membre du comité de direction du salarié, était en effet doublement conditionnée à sa définition par le conseil d'administration et à l'accord du conseil d'administration préalablement à toute attribution, or, du fait des résultats très négatifs de la société sur les exercices 2009, 2010 et 2011, il a été décidé conjointement par la direction et le conseil d'administration de ne procéder à aucune définition, ni à aucune attribution de prime aux membres du comité de direction. M. [F], en sa qualité de membre de la direction, était parfaitement informé de cet état de fait et avait acquiescé à cette décision. C'est donc de parfaite mauvaise foi qu'il prétend désormais bénéficier d'une telle prime, laquelle ne pouvait en aucun cas lui être automatiquement attribuée du fait de l'atteinte d'objectifs individuels ou encore du fait de l'absence de définition de ses objectifs par son employeur.

Selon le contrat de travail conclu le 29 mai 2006, opposable par M. [F] à la société Masternaut, le salarié a droit au paiement d'une rémunération variable, ainsi définie : 'une partie variable tant au titre d'objectifs individuels pouvant aller jusqu'à 10% de sa rémunération fixe, que d'objectifs collectifs en tant que membre du Comité de direction pouvant aller jusqu'à 20% de sa rémunération fixe brute. L'attribution de cette dernière sera sujette à un ensemble de critères liés aux performances de l'entreprise ( prise de commandes nouvelles, niveau du chiffre d'affaires, respect des prévisions de trésorerie) définis par le Conseil d'Administration. Toute attribution devra, en conséquence, faire l'objet d'un accord du Conseil d'Administration.'

Il incombe à la société Masternaut qui soutient que le salarié a renoncé au bénéfice de sa rémunération d'en rapporter la preuve. Or, la renonciation de M. [F] ne se déduit en l'espèce ni du fait que son employeur lui a financé une formation professionnelle, d'un coût au demeurant bien moindre que le montant du salaire auquel le salarié estime avoir droit, ni du contenu de l'échange intervenu entre le salarié et l'employeur selon courriers électroniques du 5 mars 2012 que la société verse aux débats, ni encore du silence conservé par l'une ou l'autre partie en ce qui concerne le paiement des parts variables en cause. La preuve de la renonciation de M. [F] au paiement de la part variable de sa rémunération n'est donc pas rapportée.

L'employeur, qui n'établit pas que le salarié serait de mauvaise foi, ne justifie pas avoir fixé au salarié des objectifs individuels pour les années 2009, 2010 et 2011, ni ne produit d'élément permettant de déterminer si les objectifs, à les supposer fixés, ont été atteints pour les années de référence. La rémunération variable assise sur les objectifs collectif, dès lors qu'elle est prévue au contrat, n'est pas à la discrétion de l'employeur, qui ne peut priver le salarié de son droit à cette rémunération variable au motif qu'elle serait conditionnée à sa définition par le conseil d'administration et à l'accord de celui-ci. Là encore, il appartient à l'employeur de fixer les objectifs, et de produire les éléments permettant au salarié de vérifier si ces objectifs ont été ou non atteints. En l'espèce, l'employeur, qui ne peut se dispenser d'une obligation contractuelle de façon unilatérale en invoquant de prétendues difficultés économiques, ne justifie pas de la définition des objectifs collectifs par le conseil d'administration, La prétendue participation du salarié ne saurait valoir, à elle seule, acceptation de la suppression de cette part variable de rémunération contractuelle. En l'absence de fixation des objectifs par l'employeur, il appartient au juge de fixer la rémunération variable due au salarié en fonction des critères visés au contrat, des accords conclus les années précédentes, et des données de la cause. Au regard de ces éléments, la part de la rémunération variable due au salarié pour les années 2009, 2010 et 2011 doit être fixée à 99 816 euros bruts. La société sera donc condamnée au paiement de cette somme, outre 9 981 euros bruts au titre des congés payés afférents, et 998 euros bruts au titre de la prime de vacances. Les sommes de 99 816 euros bruts et 9 981 euros bruts porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation par le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, soit le 15 avril 2015, et la somme de 998 euros bruts portera intérêts au taux légal à compter de la date de l'audience devant le dit conseil, soit le 12 décembre 2016, conformément aux articles 1231-6 et 1344-1, du code civil, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil.

Sur la rupture du contrat de travail :

Selon M. [F], l'absence de fixation des objectifs dont dépend la rémunération variable constitue à elle seule un manquement justifiant la prise d'acte de la rupture aux torts de l'employeur. Le manquement de l'employeur s'est poursuivi pendant plusieurs années, concernait le salaire contractuellement convenu et représentait financièrement chaque année 30% de sa rémunération ; il n'a pas été réparé, même tardivement, puisque la société Masternaut a persisté dans son refus, sans apporter aucun élément ni de fait ni de droit au soutien de sa position. La rupture du contrat était alors inévitable, la relation de travail ne pouvant se poursuivre. L'allégation de l'employeur selon laquelle il aurait démissionné pour pouvoir intégrer plus vite une autre société est sans aucun fondement. Il sollicite une indemnité compensatrice de préavis de trois mois, selon les dispositions des articles 15 et 17 de la convention collective, soit 36 873 euros, augmentée du congé payé afférent et de la prime de vacance afférente, une indemnité conventionnelle de licenciement conformément aux modalités fixées par l'article 19 de la convention collective, soit 36 340 euros, et une indemnité pour défaut de cause réelle et sérieuse en application de l'article L.1235-3 du code du travail, équivalente à huit mois de salaire, précisant qu'il n'a retrouvé un contrat à durée indéterminée que le 1er septembre 2015.

Selon la société Masternaut, les faits que lui reproche le salarié sont impropres à fonder la prise d'acte par ce dernier de la rupture de son contrat de travail aux torts exclusifs de son employeur. En premier lieu, les prétendus griefs invoqués ne relèvent pas d'une exécution fautive de l'employeur, M. [F] ayant renoncé au versement de la partie variable de sa rémunération pour les années 2009, 2010 et 2011, dans le cadre des négociations conduites par lui en 2012 pour ensuite tenter de réclamer ces mêmes sommes à seule fin d'obtenir un départ négocié dans les meilleures conditions financières possibles. Force est ainsi de relever sa parfaite déloyauté. En second lieu, alors que les faits fautifs doivent être suffisamment graves pour rendre impossible la poursuite de la relation contractuelle pour que la prise d'acte décidée par le salarié soit considérée comme justifiée, le non-versement au salarié de la part variable de sa rémunération au titre des exercices 2009, 2010 et 2011 n'a nullement empêché la poursuite du contrat de travail pendant plusieurs années, le salarié continuant d'exercer ses fonctions au sein de la société sans jamais émettre la moindre contestation à cet égard, et ce jusqu'au 22 décembre 2014. Ce n'est que par pure opportunité et à la suite de l'échec de ses tentatives de négociations pour quitter la société qu'il tente d'invoquer, en parfaite mauvaise foi, le non-versement de primes anciennes. A titre subsidiaire, elle fait valoir que le salarié ne justifie pas l'étendue de son préjudice au soutien de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors qu'il a exercé dès l'été 2014 des pressions constantes sur son employeur afin d'obtenir son départ de la société, avant de multiplier par la suite les procédures à son encontre, et qu'il a quitté son emploi pour rejoindre son ancien directeur général, et travailler ainsi pour un concurrent direct de son employeur. Elle sollicite par ailleurs, ayant constaté que le salarié avait rejoint une autre activité professionnelle dès la rupture de son contrat, et pendant la période de son préavis, les sommes dues par M. [F] au titre du préavis non exécuté, à hauteur de 40 928 euros, montant que ne saurait contester le salarié puisqu'il correspond à sa demande afférente à l'indemnité compensatrice de préavis conventionnelle.

La lettre de rupture du contrat de travail est ainsi rédigée :

' Par la présente, je vous informe de ma décision de démissionner de la société à compter de ce jour, mardi 10 mars 2015 eu égard aux manquements dans l'exécution de mon contrat de travail en matière de rémunération. Toutes les tentatives amiables que j'ai faites pour que ma situation soit enfin régularisée s'étant heurtées à une fin de non-recevoir, je ne peux que prendre acte de la rupture de mon contrat de travail pour non-exécution de vos obligations contractuelles.

A plusieurs reprises en effet, j'ai demandé verbalement à ma hiérarchie de bien vouloir reconsidérer le fait que, malgré la clause explicite de mon contrat de travail répartissant ma rémunération entre un salaire fixe et une partie variable de 30 % assise sur des objectifs, aucun objectif ne m'a été fixé pour les années 2009, 2010 et 2011. C'est ainsi pratiquement un an de salaire, c'est à dire près de 100.000 euros que je n'ai pas pu percevoir.

Quand mon contrat de travail a été transféré à la société MASTERNAUT, je me suis ouvert à nouveau à ma hiérarchie de cette situation mais, si des objectifs m'ont alors été fixés et des parts variables versées en conséquence, le passé n'a jamais été apuré.

Aussi, lorsqu'on m'a proposé récemment une rupture conventionnelle, après que j'ai pu constater les nombreux départs de la société de cadres de direction, il ne pouvait pas être question pour moi de négocier ou de signer quoi que ce soit sans que soit enfin réglé cet arriéré pour lequel j'ai été plus que patient.

J ai alors demandé à mon Conseil d'intervenir auprès de la société mais il n'est pas parvenu à vous faire changer d'avis.

Je me suis résolu à vous écrire officiellement le 22 décembre 2014 dernier pour poser une nouvelle fois le problème en le détaillant et en rapportant mes éléments de fait et de droit, espérant toujours, à défaut d'une réponse positive, une réelle prise en compte de votre part. Celle-ci n'a pas eu lieu.

Je vous avais indiqué également dans ce courrier que je ne pourrai que saisir la juridiction compétente pour ne pas que les délais de prescription légale viennent faire disparaître ces sommes. La position de la société n'a pas changé pour autant.

J'ai alors saisi le conseil des prud'hommes, espérant cette fois que cette saisine ou l'audience de conciliation amènerait la société à reconsidérer enfin la situation. Il n'en a rien été.

Je me trouve donc aujourd'hui face à un déni de la réalité, à la fois humaine, professionnelle et juridique. Au-delà de l'arriéré financier, ce déni est déjà un manquement grave à une exécution loyale du contrat de travail.

Je cesserai donc mes fonctions le mardi 10 mars 2015 au soir.(...)'

La démission de M. [F] étant motivée par des manquements de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail, elle constitue une prise d'acte.

La prise d'acte permet au salarié de rompre le contrat de travail en cas de manquement suffisamment grave de l'employeur empêchant la poursuite de ce contrat. Lorsqu'un salarié prend acte de la rupture de son contrat de travail en raison de faits qu'il reproche à son employeur, cette rupture produit les effets, soit d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués le justifiaient, soit, dans le cas contraire, d'une démission. Le manquement doit être apprécié selon qu'il était ou non de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail.

En l'espèce, ainsi qu'il l'a été indiqué ci-dessus, l'employeur a manqué à ses obligations en s'abstenant de payer à son salarié le salaire convenu. Il en est résulté pour le salarié une perte de salaire de 99 816 euros, accessoires en sus. La mauvaise foi du salarié, invoquée par l'employeur, n'est pas démontrée. Un tel manquement, qui a persisté jusqu'à la rupture, l'employeur s'abstenant d'acquitter sa dette, quand bien même le contrat de travail s'est poursuivi pendant plusieurs années après que les rémunérations dues au salarié sont devenues exigibles, est suffisamment important pour empêcher la poursuite du contrat de travail, en sorte que M. [F] était bien fondé à prendre acte de la rupture aux torts de son employeur. Sa prise d'acte produit en conséquence les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et le jugement du conseil de prud'hommes doit donc être infirmé.

En application de l'article 15 de la convention collective, qui fixe la durée du préavis en cas de rupture du contrat de travail à trois mois, il sera alloué à M. [F] la somme de 36 873 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre celles de 3 687 euros bruts au titre des congés payés afférents et celle de 368 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente.

En application de l'article 19 de cette même convention, il lui sera également alloué une indemnité conventionnelle de licenciement d'un montant de 36 340 euros bruts.

Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation par le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, soit le 15 avril 2015, conformément aux articles 1231-6 et 1344-1 du code civil, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil.

En vertu de l'article L.1235-3 du code du travail dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable au litige, le salarié a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure aux six derniers mois de salaire. Au vu des éléments d'appréciation dont dispose la cour, et notamment de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise, de son parcours professionnel, de sa rémunération et de son âge, le préjudice résultant du licenciement sans cause réelle et sérieuse doit être évalué à 98 000 euros bruts. L'employeur sera condamné au paiement de cette somme, qui portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision, compte tenu de sa nature indemnitaire, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil.

Par ailleurs, il y a lieu en application de l'article L.1235-4 du code du travail d'ordonner le remboursement par l'employeur aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont le cas échéant versées à M. [F], du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt, et ce à concurrence de six mois d'indemnités.

La société Masternaut est, quant à elle, déboutée de sa demande au titre du préavis non exécuté.

Sur le rappel de salaire sur la part variable 2014 :

M. [F] soutient qu'il a atteint les objectifs qui lui avaient été fixés pour 2014, et qu'en conséquence, il a droit à une part variable correspondant à 100% des objectifs réalisés, soit

33 600 euros, alors qu'il n'a perçu que 16 830 euros. L'objectif de 750 000 euros de 'booking' qui lui a été fixé dans son entretien annuel a été atteint, contrairement à ce qu'a retenu le conseil de prud'hommes, qui a confondu un objectif de prise de commande avec un objectif de chiffre d'affaires, lequel ne lui a jamais été fixé. Par ailleurs, au vu des notations qui lui ont été attribuées (4/5, ce qui correspond à l'évaluation 'dépasse les attentes'), il a rempli ses objectifs 'booking Prof services' et 'introduction des nouveaux produits'. S'agissant de la part variable correspondant à l'objectif 'booking ACV', pour laquelle sa notation est de 2/5 ( inférieur aux attentes), il ne peut matériellement vérifier le calcul de sa rémunération, faute d'information contradictoire sur les résultats de l'objectif, en sorte que la totalité de la pondération doit lui être attribuée. Enfin, la grille d'analyse des résultats communiquée par la société Masternaut dans son courrier du 15 mai 2015 ne correspond pas à celle diffusée antérieurement par la direction des ressources humaines telle qu'en sa possession, et la société n'apporte aucun élément de preuve que les modifications dont elle fait état dans son courrier aient été portées à sa connaissance avant la fixation de ses objectifs le 18 mars 2014. Or, il n'appartient pas à l'employeur de modifier les règles relatives au calcul des parts variables après que l'exercice a été entamé, sans l'information et l'accord du salarié.

La société Masternaut fait valoir que le salarié n'a pas atteint 100% de ses objectifs, de sorte qu'il ne peut solliciter le paiement de l'intégralité de la partie variable de sa rémunération. Les objectifs individuels fixés pour l'année 2014 lors de son entretien annuel d'évaluation du 18 mars 2014 n'ont été achevés qu'à 50%, en sorte qu'elle lui a versé 50% de cette part variable. Les grilles d'évaluation annuelle qu'elle a mises en place au dernier trimestre de l'année 2014, pour lesquelles M. [F] a comme les autres collaborateurs concernés reçu une formation obligatoire, procèdent à une distinction entre l'évaluation globale du collaborateur et l'évaluation chiffrée de l'atteinte des objectifs, et ainsi qu'il l'a été indiqué au salarié, la notation 4 signifie 61 à 80% d'atteinte des objectifs individuels. M. [F], lorsqu'il a complété sa propre évaluation annuelle, a lui-même reconnu ne pas avoir atteint un niveau d'achèvement d'objectifs de 100%. Il est donc de mauvaise foi lorsqu'il prétend à l'attribution d'une prime correspondant à un tel niveau. Le tableau communiqué par le salarié au soutien de sa demande, au titre duquel il fait état d'une réalisation à 101,70% de son objectif annuel ne repose sur aucune donnée tangible ; la catégorie visée ne représente qu'un seul des trois postes d'objectifs qui lui avaient été assignés, et le salarié se fonde sur un tableau prévisionnel de chiffres d'affaire qui, après vérification, s'est avéré largement surestimé, au regard du chiffre réalisé tel que confirmé par le directeur administratif de la société.

Le contrat de travail du 26 décembre 2012 prévoit, s'agissant de la rémunération variable, qu'elle 's'appuiera sur l'atteinte d'objectifs définis chaque année, à l'occasion des entretiens annuels qui seront, le cas échéant, revus lors d'entretiens professionnels en cours d'années, et emporteront l'accord exprès du salarié. Les primes variables sont en effet un des moyens par lequel la Société oriente sa politique stratégique en rémunérant ses salariés sur les résultats induits par les missions dirigées ou finalisées par ces derniers et sur leur contribution aux résultats de la Société. Il est d'ores et déjà établi que la prime variable du Salarié représentera 30% du salaire fixe annuel brut pour 100% des objectifs réalisés durant la période de référence correspondante à l'année civile.'

Le 18 mars 2014, lors de son entretien annuel de performance, les objectifs suivants ont été fixésà M. [F] :

libellé et plan d'actions

indicateurs de performance

pondération de l'objectif

(%)

date cible

booking ACV - Prof Services 2014

750 K €

50

01/02/2015

booking ACV - Sales France et Distrib 2014

12,254 M.€

40

01/02/2015

introduction des nouveaux produits

faciliation, établissement de prix, offres packagées, réponse aux RFQ, présentations

10

01/02/2015

Lorsque le salarié a droit au paiement d'une rémunération variable selon des modalités déterminées par l'employeur, le salarié doit pouvoir vérifier que le calcul de sa rémunération variable a été effectué conformément aux modalités prévues. Lorsqu'il se prétend libéré du paiement de cette part variable, l'employeur doit rapporter la preuve du fait qui a éteint son obligation. En outre, il appartient à l'employeur de justifier des éléments permettant de déterminer si les objectifs fixés au salarié pour les années de référence ont été atteints.

L'employeur verse aux débats le détail de l'évaluation chiffrée des atteintes des objectifs de M. [F] (pièce n°23), pour justifier de ses dires. L'évaluation faite par le salarié lui-même de l'atteinte de ses objectifs ne constitue pas une preuve de ce qu'ils ont été réellement atteints, ou de ce qu'ils ne l'ont pas été. Dès lors, il est indifférent que M. [F], comme le souligne l'employeur, ait reconnu ne pas avoir atteint le chiffre de 100% d'objectif. Pour l'objectif 'booking ACV - Prof Services 2014" qui est un objectif chiffré, l'employeur conteste les données avancées par le salarié, mais ne produit pas lui-même d'éléments, notamment chiffré, établissant qu'il n'a pas été atteint. Le 'détail des projets facturés pour 2014" (pièce n°28) dont se prévaut l'employeur ne constitue pas un élément probant, dès lors qu'un objectif de 'booking' est différent d'un objectif de facturation. Pour l'objectif 'booking ACV - Sales France et Distrib 2014", également chiffré, il n'est pas fourni d'élément permettant de déterminer s'il a été atteint. Enfin, pour l'objectif 'introduction des nouveaux produits', qui n'est pas chiffré, il est retenu par l'employeur une performance de 61-80%, avec l'appréciation suivante ' bon travail sur le projet Migration', mais les éléments permettant de déterminer si l'objectif a été atteint au regard des indicateurs de performance fixés le 18 mars 2014 (facilitation, établissement de prix, offres packagées, réponse aux RFQ, présentations) ne sont pas fournis. Dès lors, il incombe à la cour de fixer le montant de la rémunération en fonction des critères convenus entre les parties et des éléments de la cause. Au vu de ces éléments, le montant total de la rémunération variable due à M. [F] au titre de l'année 2014 est fixé à 33 600 euros bruts, soit un reliquat dû au salarié de 16 770 euros bruts, outre 1 677 euros bruts au titre des congés payés afférents, et 167 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente. Ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter de la date de l'audience devant le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, soit le 12 décembre 2016, conformément aux articles 1231-6 et 1344-1, du code civil, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil.

Sur la remise des documents sociaux :

Il sera ordonné à l'employeur de remettre à M. [F] un bulletin de paie récapitulatif et les documents légaux rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire de fixer une astreinte.

Sur dépens et les frais irrépétibles :

Les dépens de première instance et d'appel, qui ne comprennent pas les éventuels frais d'exécution forcée, dont le sort est régi par les dispositions du code des procédures civiles d'exécution, sont à la charge de l'employeur, partie succombante.

L'employeur sera également condamné à payer au salarié une somme de 3 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance et en appel, qui portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision, compte tenu de sa nature indemnitaire, avec capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil, et sera débouté de sa propre demande à ce titre.

Par ces motifs,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme le jugement rendu le 13 février 2017 par le conseil de prud'hommes de Saint Germain en Laye, sauf en ce qu'il a dit que les demandes de M. [F] sont recevables, et en ce qu'il a débouté la société Masternaut de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Statuant à nouveau des chefs infirmés, et y ajoutant,

Condamne la société Masternaut à payer à M. [F] les sommes de :

- 99 816 euros bruts au titre de la rémunération variable due pour les années 2009, 2010 et 2011,

- 9 981 euros bruts au titre des congés payés afférents,

toutes sommes avec intérêts au taux légal à compter du 15 avril 2015, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,

- 998 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente, avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2016, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,

Dit que la prise d'acte de la rupture de son contrat de travail par M. [F] produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Masternaut à payer à M. [F] les sommes de  :

- 36 873 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 3 687 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 368 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente,

- 36 340 euros bruts au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

toutes sommes avec intérêts au taux légal à compter du 15 avril 2015, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,

- 98 000 euros bruts au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne le remboursement par la société Masternaut aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à M. [F], du jour de la rupture du contrat de travail au jour du présent arrêt, et ce à concurrence de six mois d'indemnités.

Condamne la société Masternaut à payer à M. [F] les sommes de  :

- 16 770 euros bruts au titre du solde de la rémunération variable due pour l'année 2014,

- 1 677 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 167 euros bruts au titre de la prime de vacances afférente,

toutes sommes avec intérêts au taux légal à compter du 12 décembre 2016, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil,

Ordonne à la société Masternaut de remettre à M. [F] un bulletin de paie récapitulatif rectifié et les documents de rupture rectifiés conformément aux dispositions du présent arrêt,

Déboute la société Masternaut de sa demande en paiement au titre du préavis non exécuté,

Condamne la société Masternaut à payer à M. [F] la somme totale de 3 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt, et capitalisation des intérêts dans les termes de l'article 1343-2 du code civil.

Rejette le surplus des demandes,

Déboute la société Masternaut de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société Masternaut aux dépens de première instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 17/01414
Date de la décision : 29/11/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 21, arrêt n°17/01414 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-29;17.01414 ?
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