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29/11/2018 | FRANCE | N°17/01249

France | France, Cour d'appel de Versailles, 29 novembre 2018, 17/01249


COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES








21e chambre


ARRET No


CONTRADICTOIRE


DU 29 NOVEMBRE 2018


No RG 17/01249 -


AFFAIRE :


C... X...




C/
SAS FACILITESS






Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 février 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
No Chambre :
No Section : AD
No RG : 15/02619


Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :


à :
Me Karim HAMOUDI

, avocat au barreau de PARIS
Me Clarisse TAILLANDIER-
LASNIER, avocat au barreau de VERSAILLES






RÉPUBLIQUE FRANÇAISE


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


LE VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versaille...

COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES

21e chambre

ARRET No

CONTRADICTOIRE

DU 29 NOVEMBRE 2018

No RG 17/01249 -

AFFAIRE :

C... X...

C/
SAS FACILITESS

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 08 février 2017 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
No Chambre :
No Section : AD
No RG : 15/02619

Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :

à :
Me Karim HAMOUDI, avocat au barreau de PARIS
Me Clarisse TAILLANDIER-
LASNIER, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame C... X...
née le [...] à BONNEVILLE (74130)
de nationalité Française
[...]

Représentant : Me Karim HAMOUDI, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0282

APPELANTE
****************

SAS FACILITESS
No SIRET : 709 80 0 0 15
[...]

Représentant : Me Clarisse TAILLANDIER-LASNIER, Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 428

INTIMÉE
****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 09 octobre 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Philippe FLORES, Président chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,
Madame Florence MICHON, Conseiller,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Monsieur Achille TAMPREAU,

Mme C... X... a été engagée le 6 mai 2013, par contrat à durée déterminée, en qualité d'infirmière par la société Facilitess (la société). Elle a été affectée en qualité d'infirmière concourant au services de santé au travail sur le site SAP, cliente de la société Facilitess. Un contrat à durée indéterminée a été conclu le 12 novembre 2013 et la salariée a continué à exercer ses fonctions sur le même site.

La photographie de la carte d'accès délivrée à Mme X... par SAP montre la salariée portant un voile laissant son visage découvert.

Le 3 juillet 2015, la société Facilitess a avisé Mme X... de son remplacement sur le site SAP à compter du 15 juillet 2015. La société a précisé le 16 juillet 2015 que la salariée était dispensée d'activité dans l'attente de sa nouvelle affectation.

Dans une lettre du 20 juillet 2015, l'employeur a informé Mme X... de ce qu'elle était affectée à compter du 3 août 2015 sur le site de la SC Galec. Cette lettre précisait :
« Tenue : Vous devez avoir chaque jour une tenue irréprochable.
Compte tenu de vos fonctions d'infirmière exercées en contact direct avec la clientèle, le port du voile ou de tout autre signe ostentatoire ne pourra être admis ».

Par mail du 3 août 2015, l'employeur a informé Mme X... de ce qu'elle était dispensée de se rendre sur son lieu de travail ce jour-là et qu'elle était attendue sur le site le lendemain à partir de 8h45. Le 4 août 2015, Mme X..., qui portait le voile, s'est présentée à son poste de travail au sein de l'établissement de la société Galec. Relevant que les prescriptions relatives à la tenue n'avaient pas été respectées, l'employeur a remis à la salariée une mise en demeure de quitter le lieu de travail.

Par lettre datée du 7 août 2015 Mme X... a été mise à pied à titre conservatoire et convoquée à un entretien préalable fixé au 12 août 2015. Elle a été licenciée le 27 août 2015 pour faute grave.

Par requête du 15 septembre 2015, Mme C... X... a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre afin de contester la rupture de son contrat de travail et de demander notamment la condamnation de son employeur au paiement des sommes suivantes :
- 1 617 euros bruts au titre du rappel de mise à pied conservatoire, outre 161,70 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 25 000 euros au titre de l'indemnité pour licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- 1 263,97 euros au titre de l'indemnité de licenciement,
- 7 507,65 euros bruts au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 750,76 euros bruts au titre des congés payés afférents,
- 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société Facilitess a demandé au conseil de débouter Mme X... de ses demandes.

Par jugement rendu le 8 février 2017, le conseil (section activités diverses), après avoir écarté la demande en nullité du licenciement et retenu que celui-ci reposait sur une cause réelle et sérieuse, a :
- fixé la moyenne des salaires à la somme de 2 527,95 euros ;
- condamné en conséquence la société Facilitess prise en la personne de son représentant légal à verser à Mme C... X... les sommes de 1 617 euros à titre de rappel de mise à pied conservatoire, 161,70 euros à titre de congés payés afférents, 7 507,65 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, 750,76 euros à titre de congés payés afférents, 1 263,97 euros à titre d'indemnité légale de licenciement, 950 euros au titre de l'article 700 du code de procédure
civile ;
- ordonné la remise de l'attestation Pôle Emploi et du certificat de travail conformes à la
décision ;
- dit que les condamnations à caractère indemnitaire porteront intérêts de droit à compter du prononcé du présent jugement ;
- débouté Mme C... X... du surplus de ses demandes ;
- condamné la société Facilitess aux entiers dépens.

Le 7 mars 2017, Mme X... a relevé par voie électronique appel partiel de cette décision. Cet appel a été limité au rejet de la demande de la somme de 25 000 euros nets d'indemnité pour licenciement nul, ou, subsidiairement, sans cause réelle et sérieuse.

Par ordonnance rendue le 3 mai 2017, l'affaire a été fixée selon les dispositions de l'article 905 du code de procédure civile.

Par ordonnance rendue le 21 juin 2018, la clôture de l'instruction a été ordonnée et la date des plaidoiries a été fixée au 9 octobre 2018.

Par dernières conclusions écrites du 1er décembre 2017, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile, Mme X... demande à la cour de :
- infirmer le premier jugement en ce qu'il a jugé que le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse et le confirmer pour le surplus ;
- juger que le licenciement est nul et, subsidiairement, qu'il est dépourvu de cause réelle et
sérieuse ;
- fixer la moyenne de salaire à la somme de 2 527,95 euros bruts,
en conséquence, condamner la société Facilitess à payer à Mme X... :
-1 617 euros bruts de rappel de mise à pied conservatoire,
- 161,70 euros bruts de congés payés y afférents ;
- 7 507,65 euros bruts d'indemnité compensatrice de préavis,
- 750,76 euros bruts de congés payés y afférents ;
- 1 263,97 euros d'indemnité légale de licenciement ;
- 25 000 euros nets d'indemnité pour licenciement nul et, subsidiairement, pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 3 000 euros d'indemnité de procédure sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonner la remise de la fiche de paie et des documents sociaux de fin de contrat de travail (attestation Pôle Emploi et certificat de travail) conformes aux condamnations à intervenir ;
- assortir les condamnations à caractère salarial des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la convocation de la partie défenderesse à l'audience de conciliation ;
- condamner la société Facilitess aux entiers dépens de l'instance.

Par dernières conclusions écrites du 30 mars 2018, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties conformément à l'article 455 du code de procédure civile, la société Facilitess demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit et jugé que le licenciement ne procédait pas d'une faute grave et, statuant à nouveau, dire et juger qu'il repose bien sur une telle faute,
- infirmer en conséquence le jugement entrepris en ses condamnations pécuniaires et, statuant à nouveau, dire n'y avoir lieu à la moindre condamnation à quelque titre que cela soit à l'encontre de la SAS Facilitess et la débouter de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,
- condamner Mme X... au paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Motifs de la décision

Sur la nullité du licenciement :

La lettre de licenciement, qui fixe les limites du litige, est ainsi libellée :
« Aux termes de l'article II de votre contrat de travail du 12/11/2013, « le lieu de travail n'est pas fixe et pourra varier en fonction des besoins à satisfaire dans un rayon maximal de 50 kilomètres du centre de Paris ;
En application de ces clauses contractuelles, nous vous avons fait parvenir la notification de votre nouvelle affectation le 20 juillet 2015 sur le site GALEC, [...] , à compter du 3 août 2015 ;

Cette notification précisait : « Tenue : Vous devrez avoir chaque jour une tenue irréprochable. Compte tenu de vos fonctions d'infirmière exercées en contact avec la clientèle, le port du voile ou de tout autre signe ostentatoire ne pourra être admis ».
En date du 3 août 2015, vous vous êtes présentée sur le site vêtue d'un voile contrairement aux consignes précisées dans la notification du 20 juillet 2015. Votre présence sur le site n'étant pas envisageable dans ces conditions, nous vous avons mis en demeure de quitter le site via la remise en main propre d'un courrier le même jour.
Par conséquent, vous avez contrevenu aux articles I et VII de votre contrat de travail, 7.1 du règlement intérieur applicable à notre société, en vertu desquels vous avez l'obligation de vous confirmer strictement aux instructions qui vous sont délivrées, dans le cadre de vos fonctions, par votre supérieur hiérarchique. Vous avez donc fait preuve d'insubordination, ce que nous ne pouvons tolérer.
Votre conduite est constitutive d'une faute professionnelle grave et il découle de l'ensemble des éléments qui précèdent que vous avez gravement manqué à vos obligations professionnelles".

Quant au moyen tiré de l'exercice d'une mission de service public :

La salariée conteste la décision du conseil de prud'hommes qui, pour écarter la demande de nullité du licenciement, a retenu que l'entreprise exerçait une mission de service public, de sorte que l'employeur avait la possibilité de restreindre la liberté de manifester des signes religieux. Elle soutient au contraire que la société Facilitess est une personne de droit privé, qui ne gère aucun service public et qu'elle a toujours été affectée dans d'autres entreprises privées, afin que celles-ci remplissent leur obligation légale d'avoir un service d'infirmerie.

La société expose qu'un employeur privé mais participant à une mission de service public, peut prévoir l'interdiction de port de signes religieux en application des principes de neutralité et de laïcité des services publics, ces principes étant applicables même lorsque la mission de service public est exercée par une personne de droit privé. Or, l'infirmier en entreprise, de par son statut et ses missions, qui sont réglementés tout à la fois par le code de la santé publique et le code du travail, se trouve être l'un des acteurs des services de santé au travail avec lesquels il travaille en étroite coordination et collaboration. L'employeur affirme que les services de santé au travail, auxquels appartiennent les infirmiers en entreprise, exercent une authentique mission de service public. Il en déduit que les principes de neutralité et de laïcité permettaient et imposaient que soit apportée une restriction à la liberté religieuse des salariés de droit privé participant à une mission de service public, de sorte qu'il était parfaitement en droit, sans encourir le reproche de commettre la moindre discrimination, de prescrire à Mme X... l'interdiction du port d'un voile.

Indépendamment des cas dans lesquels le législateur a entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public. Même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission. Un organisme de droit privé, alors même que son activité poursuit un intérêt général, n'est chargé d'une mission de service public que si une personne publique lui a confié ce service public, tout en continuant à l'assumer.

Si le service de santé peut être regardé comme relevant d'une mission d'intérêt général, l'employeur ne justifie, ni n'allègue, tenir de l'administration une mission de service public, ni exercer à ce titre une quelconque prérogative de puissance publique ou bien que l'administration, après avoir défini une mission de service public qu'elle lui aurait confiée, exerce sur elle un contrôle afin de vérifier si les objectifs sont respectés. L'employeur ne justifie pas davantage que la salariée exerçait ses fonctions dans une entreprise qui aurait exercé une mission de service public telle que définie ci-dessus.

Dès lors, c'est à tort que le conseil de prud'hommes a retenu que l'employeur pouvait, dans le cadre de sa mission de service public, restreindre la liberté de manifester des signes religieux. Le jugement sera donc infirmé en conséquence.

Quant au moyen relatif à l'existence d'une discrimination :

Mme X... expose que le licenciement pour faute grave a été explicitement prononcé au motif qu'elle n'avait pas respecté l'obligation qui lui avait été imposée dans le cadre du document lui notifiant son changement d'affectation de ne pas porter de voile ou tout autre signe ostentatoire. Elle en déduit que le licenciement est fondé sur une discrimination directe illicite, dès lors qu'il n'existait aucun règlement intérieur édictant une clause générale de neutralité. Elle précise que l'employeur ne peut pas s'appuyer sur des préjugés éventuellement défavorables de sa clientèle envers telle ou telle religion, préjugés eux-mêmes punis par la loi, pour plaire à ses clients et leur éviter le contact avec des salariés qui appartiendraient à cette religion. La salariée ajoute que la mesure d'interdiction de port du voile est disproportionnée, puisque aucune discussion n'a été entamée avec elle et aucune explication ne lui a été fournie et que, de surcroît, elle est la seule salariée à avoir été visée par une telle interdiction. Mme X... considère donc que son licenciement constitue une mesure discriminatoire et doit donc être annulé.

L'employeur explique que la salariée, qui exerçait ses fonctions d'infirmière en entreprise dans le cadre d'un contrat de prestation de services, était en relation quotidienne avec, à la fois, la société cliente et le public constitué des salariés de cette dernière. Du fait de la nature des fonctions exercées, Mme X... était placée dans une relation potentiellement extrêmement intime avec les salariés, hommes ou femmes, se rendant à l'infirmerie, par définition pour des problèmes de santé, et donc potentiellement amenés à faire-part de difficultés personnelles/intimes, et que ces fonctions étaient de nature à justifier que la salariée ne soit porteuse d'aucun signe extérieur témoignant de son appartenance à une quelconque religion et ce dans le souci de préserver l'authenticité de relations exemptes de toute considération relative à la croyance religieuse et ce indépendamment même de tout préjugé. Elle en déduit qu'en considération de la tâche à accomplir, elle avait la possibilité d'interdire à Mme X... de porter le voile. La société ajoute que la société cliente, SC GALEC, avait expressément demandé à ce que la salariée qui allait être mise à sa disposition, dans le cadre du contrat de prestation de services, ne soit pas porteuse du voile. L'employeur considère que cette demande expresse de sa cliente constituait une exigence professionnelle essentielle et déterminante, en raison de la nature de l'activité professionnelle ou des conditions de son exercice, exigence l'autorisant à interdire de porter le voile. L'employeur affirme en conséquence que le licenciement, pour faute grave était justifié dès lors que la salariée avait refusé de se soumettre à l'interdiction qui lui avait été faite.

Il résulte des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut être sanctionné , licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de d'affectation, de qualification ou de mutation en raison de son apparence physique ou de ses convictions religieuses. En application de l'article L. 1134-1du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 mars 2017 (CJUE, Asma Bougnaoui , aff. C-188/15), a dit pour droit : "L'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que la volonté d'un employeur de

tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition". Par arrêt du même jour (CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C-157/15), la Cour de justice a dit pour droit : "L'article 2, § 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. En revanche, une telle règle interne d'une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l'article 2, § 2, sous b), de la directive 2000/78/CE s'il est établi que l'obligation en apparence neutre qu'elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l'employeur, dans ses relations avec ses clients, d'une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier". La Cour de justice a précisé, dans les motifs de cette dernière décision (§ 43), s'agissant du refus d'une salariée de renoncer au port du foulard islamique dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès de clients de l'employeur, qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eût été possible à l'employeur, face à un tel refus, de lui proposer un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.

Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Aux termes de l'article L. 1321-3, 2o, du code du travail, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients. En présence du refus d'un salarié de se conformer à une telle clause dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l'entreprise, il appartient à l'employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer à la salariée un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.

L'employeur ne justifie pas de l'existence d'un règlement intérieur, ni d'une note de service, contenant une clause générale et indifférenciée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail et ne s'appliquant qu'aux salariés en contact avec les clients.

Le port du voile par la salariée était connu de l'employeur puisque la photographie de la carte d'accès au site SAP montre l'infirmière portant un tel voile.

L'interdiction de porter le voile opposée à la salariée repose sur un courrier qui lui a été adressé personnellement le 20 juillet 2015 pour lui notifier sa nouvelle affectation sur le site de SC
GALEC. Cette lettre contenait une mention relative à la tenue : "vous devez avoir chaque jour

une tenue irréprochable. Compte tenu de vos fonctions d'infirmières en contact direct avec la clientèle, le port du voile ou de tout autre signe ostentatoire ne pourra être admis". Cette mesure fait manifestement suite à un échange avec les responsables de SC GALEC. En effet, Au directeur des ressources humaines de cette entreprise, qui demandait dans un mail du 21 juillet 2015 "quelles assurances avez-vous qu'elle respecte bien ses engagements ? Que ferez-vous le cas échéant ?", la responsable des comptes Facilitess répondait "sachez que nous avons imposé à notre infirmière de ne pas venir avec tout signe religieux ou même ostentatoire. De ce fait, elle devra se présenter le lundi 3 août sur votre site". Il apparaît que l'interdiction n'a été fulminée que pour interdire la manifestation par la salariée de son appartenance religieuse, l'extension aux signes ostentatoires, catégorie vague et indéfinie, n'ayant manifestement pour objet que de renforcer la prohibition du port du voile et d'éviter que la salariée ne parvienne à la contourner d'une façon quelconque.

L'employeur ne justifiant pas que cette interdiction ait été notifiée à d'autres salariés exerçant dans un service de santé au travail, il apparaît que cette restriction à la liberté religieuse est une mesure purement individuelle.

Dans une lettre du 22 juillet 2015, la salariée a protesté contre cette interdiction de port du voile en relevant qu'elle avait toujours travaillé avec son foulard sans que cela pose le moindre problème, que la nature de son travail ne justifiait en rien une telle interdiction et que ni le contrat de travail, ni le règlement intérieur de l'entreprise ne prévoyait une telle clause.

Au delà de considération générale sur l'intimité de la relation qui, selon lui, pourrait se nouer avec les salariés venant en consultation, l'employeur ne justifie d'aucun élément concret qui permettrait d'établir que l'interdiction du port du voile constituerait une exigence nécessaire et proportionnée au bon exercice des fonctions d'infirmière en entreprise. Il ne justifie pas quelle exigence de nature professionnelle précise justifierait qu'une telle interdiction soit limitée à la seule Mme X..., qui manifestait son appartenance à la religion musulmane par le port du voile. L'employeur n'explique, ni ne justifie, davantage en quoi une telle restriction à la liberté doit être limitée au port du voile et ne concerne pas d'autres manifestations d'appartenance politique, philosophique ou religieuse.

Ainsi que l'a dit la Cour de Justice de l'Union européenne dans son arrêt du 14 mars 2017, la volonté d'un employeur de tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de l'article 2, § 2, sous b), de la directive 2000/78/CE. La société Facilitess, qui ne justifie en rien des motivations réelles de la société SC Galec pour exiger que la salariée mise à sa disposition ne soit pas porteuse du voile, ne pouvait s'abriter derrière la volonté de sa cliente pour imposer une restriction injustifiée à la liberté religieuse.

Les conditions dans lesquelles l'employeur a retenu une insubordination à l'encontre de la salariée ne laissent aucun doute sur la discrimination. En effet, dans sa lettre du 22 juillet 2015, la salariée avait déjà protesté de façon argumentée contre la mesure d'interdiction de port du voile qui lui était appliquée. Alors que Mme X... devait se rendre sur le site de sa nouvelle affectation, l'employeur lui a indiqué dans un mail du 3 août 2015, que, "suite à un souci organisationnel sur le site galec", elle était dispensée de venir ce jour-là et qu'elle était attendue le lendemain à partir de 8h45. Or, le 4 août 2015, il lui était remis une mise en demeure dactylographiée, datée du 3 août 2015, par laquelle l'employeur relevait que la salariée n'avait pas respecté les prescriptions relatives à la tenue et était mise en demeure de quitter le site. Cette lettre, qui a été préparée la veille, révèle que l'employeur entendait se saisir du port du voile pour la mettre à pied dès son arrivée sur les lieux, sans chercher d'autre solution, et à engager ensuite la procédure de licenciement pour faute grave.

Il en découle que le licenciement qui a frappé Mme X... repose sur une discrimination directe illicite et que sa nullité doit être retenue.

Quant aux conséquences de la nullité :

La salariée explique qu'elle a été brutalement licenciée au terme d'une procédure expéditive et pour un motif discriminatoire, alors qu'elle était une jeune mère d'un enfant né en 2014. Elle ajoute être restée sans emploi pendant plus d'un an avant de retrouver une activité d'infirmière libérale, laquelle ne lui procure pas de revenus réguliers. Elle réclame l'allocation d'une indemnité pour licenciement nul d'un montant de 25 000 euros bruts.

L'employeur soutient que la salariée ne justifie pas d'un préjudice qui serait supérieur à six mois de salaire.

Lorsque le salarié, dont le licenciement, est nul ne demande pas sa réintégration dans son poste, il a droit, d'une part, aux indemnités de rupture, et, d'autre part, à une indemnité réparant l'intégralité du préjudice résultant du caractère illicite du licenciement et au moins égale à celle prévue par l'article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance no 2017-1387 du 22 septembre 2017, quelles que soient son ancienneté et la taille de l'entreprise. Cette indemnité doit donc être au moins égale aux six derniers mois de salaire.

Au regard de l'ancienneté de la salariée, de son âge, des conditions de son éviction de l'entreprise, de la durée de chômage qu'elle a subi et de ses perspectives professionnelles, le préjudice résultant du licenciement doit être arrêté à la somme de 20 000 euros bruts.

La salariée doit également percevoir un rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, une indemnité de préavis, correspondant au salaire qu'elle aurait dû percevoir pendant cette période, si le licenciement n'avait pas été affecté de nullité et une indemnité de licenciement. Le jugement n'ayant pas exprimé les condamnations de ces chefs en sommes brutes, sera infirmé en conséquence. L'employeur sera condamné au paiement de 1 617 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre 161,70 euros bruts au titre des congés payés afférents, 7 507,65 euros bruts, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 750,56 euros bruts au titre des congés payés afférents, 1 267,94 bruts à titre d'indemnité légale de licenciement. Ces sommes porteront intérêt au taux légal à compter de la convocation devant le conseil de prud'hommes conformément à l'article 1231-6 du code civil.

La société doit être condamnée à remettre à la salariée un bulletin de salaire et les documents de fin de contrat conformes à la présente décision.

Sur les dépens et les frais irrépétibles :

L'employeur, qui succombe, doit supporter les dépens.

Il paraît inéquitable de laisser à la charge de la salariée l'intégralité des sommes avancées par elle et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Nanterre le 8 février 2017,

Statuant de nouveau,

Dit que le licenciement est nul,

Condamne la société Facilitess à payer à Mme X..., avec les intérêts légaux à compter de la convocation devant le conseil de prud'hommes, les sommes suivantes :
- 1 617 euros bruts à titre de rappel de salaire pour la période de mise à pied conservatoire, outre 161,70 euros bruts au titre des congés payés afférents,

- 7 507,65 euros bruts, à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 750,56 euros au titre des congés payés afférents,
- 1 267,94 bruts à titre d'indemnité légale de licenciement,

Condamne la société Facilitess à payer à Mme X... les sommes suivantes :
- 20 000 euros bruts à titre d'indemnité pour licenciement nul,
- 3 000 euros au titre des frais irrépétibles,

Condamne la société Facilitess à remettre à Mme X... un bulletin de salaire et les documents de fin de contrat (attestation Pôle emploi et certificat de travail) conformes à la présente décision.

Déboute Mme X... du surplus de ses prétentions.

Déboute la société Facilitess de ses demandes.

Condamne la société Facilitess aux dépens de premières instance et d'appel.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Numéro d'arrêt : 17/01249
Date de la décision : 29/11/2018

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-11-29;17.01249 ?
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