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05/07/2018 | FRANCE | N°16/05993

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 05 juillet 2018, 16/05993


COUR D'APPEL


DE


VERSAILLES








Code nac : 56C





13e chambre





ARRET N°





CONTRADICTOIRE





DU 05 JUILLET 2018





N° RG 16/05993





AFFAIRE :





SA ENEDIS anciennement ERDF








C/


SAS SAMFISOL venant aux droits de la SARL VOLTAFRANCE 25














Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 23 Juin 2016

par le Tribunal de Commerce de NANTERRE


N° chambre : 3


N° Section :


N° RG : 2014F00736





Expéditions exécutoires


Expéditions


Copies


délivrées le :


à :





Me Bertrand ROL





Me Véronique BUQUET-ROUSSEL





REPUBLIQUE FRANCAISE





AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS





LE CINQ JUILLET DEU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JUILLET 2018

N° RG 16/05993

AFFAIRE :

SA ENEDIS anciennement ERDF

C/

SAS SAMFISOL venant aux droits de la SARL VOLTAFRANCE 25

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 23 Juin 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre : 3

N° Section :

N° RG : 2014F00736

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Bertrand ROL

Me Véronique BUQUET-ROUSSEL

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE CINQ JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:

SA ENEDIS anciennement ERDF

[...]

Représentée par Maître Bertrand ROL de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et par Maître Michel GUENAIRE de l'AARPI GIDE LOYRETTE NOUEL avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T03

APPELANTE

****************

SAS SAMFISOL venant aux droits de la SARL VOLTAFRANCE 25

[...]

Représentée par Maître Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - et par Maître François FERRARI, avocat plaidant au barreau de BEZIERS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mars 2018, Madame Sophie VALAY-BRIERE, présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,

Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE

L'avis du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général a été transmis le 10 janvier 2018 au greffe par la voie électronique

La société Voltafrance 25 a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable.

Elleappartient au groupe SAMFI, lui-même spécialisé dans la production d'énergie, qui a entrepris de développer de très nombreux projets de centrales d'électricité photovoltaïque en France et outre-mer au travers de filiales spécialisées par projet sous les dénominations Elecsol, Voltafrance et Batisolaire.

Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 a organisé les modalités de conclusion des contrats d'achat de l'électricité ainsi produite entre la société Electricité de France (ci-après EDF) et les producteurs de celle-ci.

Cette loi a notamment donné lieu aux décrets d'application du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 et aux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 qui fixent les prix d'achat.

Il est ainsi fait obligation à la société EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables à un prix supérieur au prix auquel la société EDF vend son énergie aux consommateurs.

Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par la société Électricité Réseau de France, devenue Enedis (ci-après 'la société Enedis').

Dans le cadre de cette réglementation, la société Voltafrance 25 a décidé de l'implantation d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 119 kWc, sur la commune de Saint-Etienne-de-Serre. Son projet étant soumis à proposition technique et financière de raccordement au réseau (ci-après 'PTF'), le délai d'instruction de la demande de raccordement était de trois mois à compter de la date de réception de la demande complète

Elle a ainsi envoyé, par l'intermédiaire de son mandataire, la société Samsolar, une demande de raccordement datée du 30 juin 2010. La société Enedis en a accusé réception le 18 novembre 2010 et l'a déclarée complète au 30 juin 2010.

Aucune PTF n'a été reçue par la société Voltafrance 25.

Le décret du 9 décembre 2010 entré en vigueur le 10 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par certaines installations photovoltaïques, aucune demande de contrat d'achat ne pouvant être déposée durant la période de suspension et les demandes suspendues devant faire l'objet, à l'issue de la période de suspension, d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. Cette suspension ne s'applique toutefois pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF. A l'issue de ce moratoire, un arrêté du 4 mars 2011 a fixé le prix d'achat de cette électricité à des tarifs inférieurs à ceux prévus par les arrêtés antérieurs et exclu du bénéfice de l'obligation d'achat les installations d'une puissance supérieure à 100 kWc, désormais soumises à une procédure d'appel d'offres.

A la fin de la période de suspension, la société Voltafrance 25 n'a pas déposé de nouvelle demande de raccordement.

Soutenant que la société Enedis avait commis des fautes, la société Voltafrance 25, puis la société Samfisol, venant aux droits de la société Voltafrance 25, l'on fait assigner devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.

Par jugement contradictoire du 23 juin 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- dit irrecevables les demandes formées par la société Voltafrance 25 à l'encontre de la société Enedis ;

- débouté la société Enedis de son exception de nullité de l'assignation délivrée par Samfisol ;

- dit que la société Samfisol a subi un préjudice ouvrant droit à réparation ;

- dit qu'en ne respectant pas le délai de trois mois pour la transmission de la PTF, la société Enedis a commis une faute et qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué ;

- sursis à statuer sur toutes les autres demandes dans l'attente de la réponse de la Cour de justice de l'Union européenne à la question préjudicielle dont l'a saisie la cour d'appel de Versailles dans le cadre de la procédure n°14/2549 ;

- renvoyé l'affaire au rôle des sursis à statuer et dit que, dès que la procédure pourra être reprise, la partie la plus diligente devra en informer le greffe de ce tribunal et qu'à défaut, l'affaire sera radiée au bout de deux années ;

- réservé tous autres droits, moyens et dépens.

Par déclaration reçue le 1er août 2016, la société Enedis a interjeté appel de cette décision.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 janvier 2018, la société Enedis demande à la cour de :

- la recevoir en son appel et la déclarer bien fondée ;

- infirmer le jugement rendu le 23 juin 2016 par le tribunal de commerce de Nanterre en tant qu'il l'a déboutée de sa demande de nullité de l'assignation de Samfisol et dit que Samfisol venait aux droits de Voltafrance ;

- en conséquence, déclarer nulle l'assignation de Samfisol ;

- infirmer le jugement rendu le 23 juin 2016 par le tribunal de commerce de Nanterre en tant qu'il a :

- dit que Samfisol venait aux droits et obligations de Voltafrance, dissoute ;

- dit qu'il existe un lien de causalité entre la faute commise par Enedis et le préjudice invoqué ;

- dit que Samfisol a subi un préjudice ouvrant droit à réparation ;

- en conséquence, débouter Samfisol de l'intégralité de ses demandes ;

- à défaut, débouter Samfisol de sa demande d'évocation ;

- en conséquence, renvoyer l'affaire devant le tribunal de commerce de Nanterre pour qu'il statue sur le quantum du préjudice ;

- à défaut, débouter Samfisol de l'intégralité de ses demandes indemnitaires ;

En tout état de cause,

- condamner Samfisol à payer à Enedis la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile :

- condamner Samfisol aux entiers dépens de l'instance dont le recouvrement sera effectué pour ceux-là concernant par l'A.A.R.P.I. JRF Avocats, représentée par Maître Bertrand Rol, et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 12 janvier 2018, la société Samfisol venant aux droits de la société Voltafrance 25 demande à la cour de :

- jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause ;

- jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a plus le caractère réglementaire ;

- jugeant l'impossibilité pour le tribunal de commerce puis la cour de remettre en cause une disposition législative ;

- jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'Etat exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du code de procédure civile ;

- constatant que Enedis comme ses assureurs n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables ;

- jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif ;

- jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés;

- en tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'Etat et avait organisé la CSPE ;

- constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;

- constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10 juillet 2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 cts revendiqués;

- jugeant la faute d'Enedis consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire ;

- jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions ;

- constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule Enedis des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010;

- rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à Enedis de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement ;

- jugeant qu'Enedis est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation ;

- constatant qu'Enedis n'a pas même respecté une obligation de moyens en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique ;

- constatant la parfaite connaissance par Enedis du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure ;

- constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure ;

- constatant l'aveu d'Enedis devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination ;

- rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;

- rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté la nullité de l'assignation délivrée par Samfisol;

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la complétude du dossier et la responsabilité d'Enedis ;

- constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque ;

- constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement ;

- jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu ;

- constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge ;

- infirmer le jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur le quantum de la demande ;

- usant de son pouvoir d'évocation, condamner la société Enedis à payer à la société Samfisol une indemnité sur la base de la somme de 669 976 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

- à titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner la société Enedis à payer à la société Samfisol une indemnité sur la base de la somme de 730 140 euros ;

- jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme 669 976 euros et condamner la société Enedis sur la base de ce montant ;

- condamner en outre la société Enedis au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de la SCP Buquet-Roussel-de Carfort.

Le ministère public, dans son avis notifié aux parties le 10 janvier 2018, sollicite de la cour qu'elle tire les conséquences de l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 15 mars 2017 dans l'affaire C-515/16 et adopte les points de droit suivants ' le mécanisme de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, en application des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. En effet, dès lors qu'il accorde un avantage aux producteurs de cette électricité, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence ; sont ainsi réunis les critères de l'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les arrêtés susvisés, pris en méconnaissance de l'obligation de notification préalable à la Commission européenne résultant de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont entachés d'illégalité, et, dès lors, ne peuvent être appliqués à la présente affaire'. Il s'en rapporte enfin à la sagesse de la cour sur le caractère juridiquement réparable d'un ou de plusieurs préjudices invoqués par l'intimée, qui pourrait reposer sur un fondement autre que les arrêtés ministériels susmentionnés.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2018.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Aucun moyen n'étant relevé ou susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de la société Enedis recevable.

1- Sur la nullité de l'assignation

En cause d'appel, l'irrecevabilité des demandes de la société Voltafrance 25 n'est plus discutée.

La société Enedis soutient que la société Voltafrance 25 ayant été dissoute puis radiée du registre du commerce et des sociétés de Caen le 12 août 2011, à compter du 23 juillet 2011, elle était dépourvue de personnalité morale et par voie de conséquence du droit d'agir en justice à la date à laquelle l'assignation a été délivrée ; que c'est donc à bon droit que le tribunal a déclaré ses demandes irrecevables ; que s'agissant d'une irrégularité pour vice de fond, elle ne pouvait être couverte par la société Samfisol qui ne peut donc pas venir aux droits de la première et reprendre les demandes irrecevables de celle-ci ; qu'en conséquence, l'assignation émanant de la société Samfisol doit être déclarée nulle comme venant aux droits d'une société inexistante ; qu'enfin la jonction prononcée par le tribunal est critiquable.

La société Samfisol expose qu'afin de mettre un terme à la discussion sur la nullité de l'assignation initiale, une nouvelle assignation a été délivrée en son nom et qu'une jonction a été ordonnée par le tribunal ce qui a permis à la procédure d'être en état et d'être jugée au fond.

Il est constant que l'exploit introductif d'instance a été délivré le 14 mars 2014 par la SARL Voltafrance 25 alors qu'il résulte de l'extrait Kbis du 4 mai 2014 produit que la dissolution de cette société avait été décidée le 14 juin 2011 en suite de la réunion de toutes les parts sociales entre les mains de l'associé unique, la société Samfisol, et qu'elle avait ensuite été radiée du registre du commerce et des sociétés de Caen le 12 août 2011 à effet du 23 juillet 2011, en sorte qu'à la date de délivrance de l'assignation, la société Voltafrance 25 était dépourvue de droit et de qualité à agir.

La société Samfisol, qui n'est pas intervenue dans cette instance pour se substituer à la société radiée ou reprendre les demandes de celle-ci à son compte, a fait délivrer à la société Enedis une nouvelle assignation en son nom venant aux droits de la société Voltafrance 25 ce que la fusion absorption réalisée lui permettait de faire en raison de la transmission à son profit des droits et obligations de la société Voltafrance 25.

La demande tendant à voir déclarer nulle l'assignation délivrée le 7 mai 2015 sera donc rejetée et le jugement confirmé sur ce point.

2- Sur les fautes

La société Enedis ne conteste pas le caractère fautif du dépassement du délai d'envoi d'une PTF au producteur mais réplique notamment, dans son argumentation relative au préjudice pour considérer que le caractère certain du préjudice n'est pas prouvé, que la demande de raccordement déclarée complète au 30 juin 2010 ne l'était en réalité pas faute de titre d'urbanisme valable.

Elle réfute également tout traitement discriminatoire des demandes de raccordement répliquant que la décision du 4 février 2013 de l'Autorité de la concurrence ne permet pas d'en tirer des conclusions ; que l'Autorité de la concurrence n'a ni statué de manière définitive, ni reconnu la culpabilité de la société Enedis et que les deux dossiers invoqués par la société Voltafrance 25 ont été régularisés et soumis au moratoire.

La société Samfisol, venant aux droits de la SARL Voltafrance 25, soutient pour l'essentiel que sa demande de raccordement déclarée complète au 30 juin 2010 n'a pas été instruite dans les délais et que la société Enedis ne lui a pas transmis de PTF dans le délai de trois mois, soit avant le 30 septembre 2010, comme elle y était obligée ; que sans cette faute que la société Enedis ne conteste pas elle aurait pu retourner son accord sur la PTF avant l'entrée en vigueur du moratoire de sorte que la société Enedis a engagé sa responsabilité ; que la société Enedis ne peut plus remettre en cause la complétude qu'elle a elle-même accordée sauf à considérer qu'elle a engagé sa responsabilité en déclarant complet un dossier qui ne l'était pas.

Elle fait également valoir que la société Enedis a violé son obligation légale d'instruire les dossiers sans discrimination, que dans un audit réalisé par elle-même la société Enedis reconnaît que le traitement des demandes a répondu à d'autres règles que leur date d'enregistrement, que ces éléments ont conduit l'Autorité de la concurrence à poursuivre son enquête sur les pratiques de la société Enedis, qu'alors que sa propre demande n'a pas été instruite dans les trois mois une autre société a obtenu une PTF en moins de cinq semaines et qu'ainsi le principe de sa demande est justifié sur ce seul fondement.

* Sur le non respect du délai

Il résulte de la délibération de la commission de régulation de l'énergie du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre et de son annexe 1 que la société ERDF, devenue Enedis, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.

L'article 7.2.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement individuel de la société Enedis applicable à compter du 3 juillet 2010 (ERDF-PRO-RAC-14E Version V.1) pour les installations d'une puissance supérieure à 36 kVA, prévoit que ' A l'issue de cet examen et lorsque le dossier est complet, la demande de raccordement est qualifiée. La date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui-ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante. ERDF confirme par courrier postal ou électronique au demandeur que son dossier est complet. A cette occasion, ERDF communique également la date de qualification de sa demande de raccordement...ainsi que le délai d'envoi de l'offre de raccordement'.

L'article 8.2.1 de ce document précise qu'à 'compter de la date de qualification de la demande de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement ....n'excédera pas trois mois quel que soit le domaine de tension de raccordement'.

Ainsi, sur le fondement des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la société Enedis commet une faute délictuelle lorsque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'est pas respecté.

Ce délai maximum de trois mois se calcule à partir de la date de la réception par la société Enedis du dossier complet de demande de raccordement et s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.

En l'espèce, il est justifié que la société Voltafrance 25 a adressé à la société Enedis une demande de raccordement au réseau public de distribution géré par ERDF, d'une installation de production photovoltaïque de puissance supérieure à 36 kVA, datée du 30 juin 2010, comportant habilitation de la société Samsolar, représentée par M. ou Mme C... D..., pour assurer tout ou partie du suivi de la demande de raccordement.

Il n'est pas contesté que la société Enedis n'a pas envoyé de PTF à la société Voltafrance 25 dans le délai de trois mois ayant commencé à courir le 30 juin 2010, date à laquelle la société Enedis a considéré par courriel du18 novembre 2010 que la demande de raccordement était complète.

La société Enedis, qui a fixé la date d'entrée en file d'attente en dépit selon elle d'un titre d'urbanisme valide et qui n'a par la suite ni réclamé ladite pièce ni remis en cause la complétude de la demande, et qui au surplus n'en tire aucune conséquence juridique quant à l'existence d'une faute, n'est plus fondée à venir remettre en cause la complétude du dossier.

En manquant à son obligation d'adresser une PTF à la société Voltafrance 25 dans le délai de trois mois prévu par les textes, soit avant le 30 septembre 2010 minuit au plus tard, la société Enedis a commis une faute.

* Sur le traitement discriminatoire

La décision du 14 février 2013 dont se prévaut la société Voltafrance 25 pour caractériser le traitement discriminatoire qu'elle reproche à la société Enedis concerne des pratiques reprochées à ERDF dans le traitement des demandes de raccordement des installations photovoltaïques et des pratiques de favoritisme d'ERDF vis à vis de la société EDF EN, et, au vu des éléments recueillis, n'exclut pas que 'lors de la période ayant précédé le moratoire, les filiales ERDF et RTE qui reçoivent les demandes de raccordement aient pu favoriser le traitement des projets portés par les filiales photovoltaïques du groupe de manière à ce que ces dernières puissent bénéficier des tarifs d'achat pré-moratoire beaucoup plus avantageux au plan économique'. Elle en conclut que l'instruction au fond doit être poursuivie. Aucune preuve de ce que cette instruction ait finalement abouti à mettre en évidence de telles pratiques n'est cependant rapportée et cette décision est en outre insusceptible de caractériser une discrimination dont la société Voltafrance 25 aurait été elle-même victime.

Les deux dossiers cités par cette dernière pour étayer ses allégations de traitement discriminatoire ne sont pas plus probants. L'un concerne la société Hélios production dont la demande a été déclarée complète le 28 octobre 2010 mais qui n'a pas échappé au moratoire. L'autre concerne la proposition de raccordement adressée le 23 novembre 2010 au GAEC de Coatyliven, dépendant de l'agence de l'Ouest d'Enedis à Laval, différente de celle ayant traité la demande de la société Voltafrance 25 et qui mentionne que la demande a été déclarée recevable le 30 août 2010.

La seule remise à un producteur d'une PTF dans les délais requis ne caractérise pas davantage la discrimination alléguée, mais seulement la capacité d'Enedis à traiter certaines des demandes dans le délai maximum qui lui était imparti.

Aucun traitement discriminatoire n'est donc caractérisé.

3- Sur le lien de causalité

La société Enedis conteste tout lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois et le préjudice allégué. Soulignant que le projet n'a pas été réalisé, elle soutient que la suspension du projet et la perte de marge ont pour cause exclusive le décret du 9 décembre 2010, sans lequel le dépassement du délai pour transmettre la PTF n'aurait eu aucune des conséquences invoquées par la société Voltafrance 25, ce décret et l'arrêté du 4mars2011 fixant des tarifs d'achat à la baisse ayant modifié les conditions de détermination du tarif applicable. Elle fait également valoir, dans son argumentation relative au préjudice pour soutenir que le préjudice invoqué n'est pas certain, qu'il n'est pas démontré que la société Voltafrance 25 aurait effectivement retourné une PTF accompagnée d'un chèque d'acompte avant le 1er décembre2010 pour échapper au moratoire alors qu'elle disposait de trois mois pour le faire et qu'elle pouvait croire que les tarifs étaient sécurisés.

La société Samfisol, venant aux droits de la SARL Voltafrance 25, réplique que le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et son préjudice, constitué d'une perte de chance assise sur la perte de marge sur l'exploitation de la centrale pendant vingt ans, est établi dès lors que la seule violation du délai de trois mois ouvre droit à réparation, que l'obligation de la société Enedis était une obligation de résultat, que ni l'abandon du projet, dû au fait qu'en application de l'arrêté du 4mars2011 la centrale, d'une puissance supérieure à 100 kWc, ne bénéficiait pas de l'obligation d'achat, ni le moratoire décidé par le Gouvernement, intervenu après l'écoulement du délai d'instruction, ne sont la cause de son préjudice et que le caractère sériel du contentieux, retenu par la société Enedis elle-même, permet de considérer comme acquis automatiquement le lien de causalité.

L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation de conclure un contrat d'achat à compter de l'entrée en vigueur de ce décret, soit le 10 décembre 2010. L'article 3 écarte l'application de cette suspension pour les producteurs ayant notifié leur acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010.

La faute de la société Enedis n'est constituée qu'à l'expiration du délai de trois mois dont elle disposait pour envoyer une PTF, soit le jeudi 30 septembre 2010 minuit au plus tard.

En l'absence de retard de la société Enedis dans l'envoi de la PTF, la société Voltafrance 25 aurait dû renvoyer la PTF complétée de l'acompte avant le mercredi 1er décembre 2010 minuit pour échapper au moratoire et ne pas subir le préjudice allégué. Elle aurait donc disposé de deux mois et un jour, délai amplement suffisant pour procéder à cette formalité et aucun élément ne permet d'affirmer qu'elle n'aurait pas été en mesure de le faire.

Le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par la société Samfisol, venant aux droits de la société Voltafrance 25, est donc établi.

4- Sur le préjudice

La société Enedis demande l'infirmation de la décision en ce qu'elle a dit que la société Samfisol avait subi un préjudice ouvrant droit à réparation.

Le producteur demande à la cour d'infirmer la décision en ce qu'elle a sursis à statuer sur le quantum de l'indemnisation et d'user de son pouvoir d'évocation

La cour relève d'une part que le tribunal - après avoir retenu l'existence d'une faute et d'un lien de causalité entre celle-ci et le préjudice invoqué et qu'aucune des difficultés mentionnées par la société Enedis ne constituait un obstacle insurmontable à la réalisation du projet - a dit que le préjudice subi par la société Samfisolconsistait dans la perte de chance d'avoir pu notifier son acceptation de la PTF à la société Enedis avant le 2 décembre 2010 puis de construire et d'exploiter une centrale bénéficiant des conditions tarifaires de l'arrêté du 12 janvier 2010 et qu'en conséquence la société Samfisolavait subi un préjudice ouvrant droit à réparation, mais que le calcul de l'indemnisation du préjudice ainsi caractérisé se fondant sur l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010, il convenait de surseoir à statuer dans l'attente de la réponse de la CJUE à la question posée par la cour d'appel de Versailles. Ce faisant, le tribunal a nécessairement statué sur l'existence d'un préjudice et son caractère réparable. La cour relève d'autre part que la société Enedis demande l'infirmation du jugement en ce qu'il a retenu l'existence d'un préjudice ouvrant droit à réparation au profit de la société Samfisol. La cour doit dès lors statuer sur le caractère réparable du préjudice dont l'indemnisation est réclamée.

La société Enedis rappelle que, pour ouvrir droit à réparation, le préjudice invoqué devrait être direct, actuel et certain, ce qui exclut la réparation d'un préjudice éventuel ou hypothétique. Elle prétend que le préjudice sollicité n'est pas réparable dès lors que sa licéité n'est pas établie au motif qu'il repose sur le bénéfice d'un tarif d'obligation d'achat quiaurait été versé au producteur par la société EDF en application d'un arrêté, que ce soit l'arrêté du 12janvier2010 ou du 10juillet 2006, constitutif d'une aide d'Etat illégale car non notifiée à la Commission européenne. La société Enedis réplique que l'exception de minimis ne peut être appliquée à cette aide d'Etat, que le législateur n'a pas entendu couvrir cette illégalité, l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 couvrant uniquement une éventuelle illégalité née d'un défaut de consultation de la CRE et du Conseil supérieur de l'énergie, et que la prescription européenne invoquée n'affecte que les pouvoirs de la Commission européenne ni l'Etat français ni le juge judiciaire n'y étant liés. Subsidiairement, si la cour refusait d'écarter le préjudice allégué du fait de son illicéité, la société Enedis demande à ce qu'il ne soit pas fait application del'arrêté du 12 janvier 2010 en raison de son illégalité tirée de sa méconnaissance des règles relatives aux aides d'Etat puisqu'il n'a pas été notifié à la Commission européenne alors qu'il constitue une aide d'Etat.

La société Enedis fait valoir en outre, d'une part que le préjudice est incertain et hypothétique en raison du caractère évolutif et précaire de l'encadrement tarifaire de l'achat d'électricité, l'article 88 de la loi du 12juillet2010 disposant ainsi que les contrats régis par l'article 10 de la loi du 10février2000 ne sont conclus et n'engagent les parties qu'à compter de leur signature, que les producteurs ne peuvent se prévaloir d'un tarif d'achat certain, que de nombreux aléas affectent la production électrique, d'autre part que la société Samfisol ne démontre pas la réalité de son préjudice en ce qu'elle ne prouve pas que son projet avait des chances d'être réalisé et car le chiffrage de son préjudice n'est pas justifié, et de troisième part que la perte de chance de bénéficier de tarifs plus favorables ne peut être retenue comme préjudice indemnisable dès lors que durant la phase précontractuelle la perte d'une chance certaine ne peut donner lieu à la réparation du manque à gagner espéré de l'exécution du contrat.

Sur l'indemnisation du préjudice, elle fait valoir qu'un sursis à statuer partiel ne permet pas l'évocation par le juge d'appel.

La société Samfisol, venant aux droits de la société Voltafrance 25,réplique que n'ayant pas reçu de PTF dans le délai imparti son préjudice correspond à au moins 80% de la différence, sur une durée de 20 ans, de la marge entre les anciens et les nouveaux tarifs d'achat d'électricité résultant de l'arrêté du 4 mars 2011, qu'elle aurait mené à bien son projet, que son préjudice est réel, le financement de la centrale étant démontré et aucun problème de construction n'étant susceptible d'apparaître, qu'aucun aléa n'affectait la conclusion du contrat d'achat, le prix d'achat ne pouvant en particulier être revu avant la signature du contrat, et qu'un retard de construction aurait eu pour seul effet la réduction de la durée du contrat conformément à l'article 5 de l'arrêté du 12janvier2010.

Elle soutient que la prétendue illégalité au regard du droit européen de l'arrêté du 12janvier2010 est sans incidence sur le litige dès lors que l'indemnisation du préjudice, même illicite, est acquise, que l'arrêté n'a jamais été attaqué par voie d'action, que sa demande ne porte pas sur l'obtention d'un contrat en vertu de cet arrêté, que les contrats conclus par les autres producteurs ne peuvent être remis en cause, qu'elle ne s'est pas placée elle-même dans une situation illicite, qu'elle aurait pu sans la faute de la société Enedis bénéficier d'un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause puisque l'article 88 de la loi du 12 juillet2010 a validé l'arrêté du 12janvier2010, que ces dispositions légales ont été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil d'Etat et ne peuvent être contrôlées par le juge judiciaire et que dans le secteur de l'énergie éolienne les contrats en cours n'ont pas été remis en cause malgré une décision d'annulation d'un arrêté tarifaire.

Elle fait valoir qu'à supposer que l'arrêté tarifaire soit déclaré aide d'Etat et illégal, il est compatible avec le droit de l'Union, que la Commission européenne a déclaré tel le régime d'aide à l'énergie photovoltaïque dans une décision du 10février 2017, ne s'est pas saisie de l'arrêté du 12janvier2010 et ne l'a pas déclaré incompatible avec le marché intérieur, que la seule illégalité de l'aide ne remet pas en cause une action indemnitaire eu égard à sa compatibilité avec le droit de l'Union, qu'en cas d'illégalité pour défaut de notification seuls les intérêts sur les subventions reçues doivent être restitués par le bénéficiaire de l'aide, qu'en l'espèce aucune subvention n'ayant été reçue faute de poursuite du projet le défaut de notification n'a donc aucune incidence. La société Samfisol prétend en outre que la Cour de justice de l'Union européenne a rejeté la qualification d'aide d'Etat et que les sommes en jeu sont trop faibles pour que l'aide soit qualifiée d'aide d'Etat.

La société Samfisol, venant aux droits de la société Voltafrance 25, soutient également que si l'arrêté du 12janvier2010 devait être déclaré illégal, l'arrêté du 10juillet2006 serait applicable, que ce dernier arrêté, qui fixe un tarif supérieur à celui du 12janvier2010, ne peut plus être remis en cause compte tenu de la prescription décennale prévue en matière de récupération d'une aide et qu'enfin si l'arrêté tarifaire ne pouvait fonder le calcul de son préjudice, le préjudice serait déterminé forfaitairement à un montant identique.

Le chiffre d'affaires prétendument manqué et par suite la perte de marge que la société Samfisol sollicite au titre de l'indemnisation de son préjudice est estimée par rapport à la perte du tarif d'achat de l'électricité fixé par l'arrêté tarifaire du 12janvier 2010.

Or la perte d'un avantage dont l'obtention aurait été contraire au droit ne peut être considéré comme un préjudice réparable. Rétablir, comme c'est le propre de la responsabilité civile, 'l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit' ne peut conduire à reconstituer un avantage illicite.

Tel est le cas d'un régime d'aide contraire au droit de l'Union européenne. En effet, le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire et le juge judiciaire doit appliquer le droit de l'Union dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne.

Il convient, par conséquent, de rechercher si tel est le cas des arrêtés tarifaires du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil.

L'article 107 alinéa 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.

En son alinéa 2, l'article 107 précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur (...) c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.

L'article 108 du même traité fonde le pouvoir de contrôle de la Commission européenne pour procéder à l'examen permanent des régimes d'aides d'Etat, proposer des évolutions, déclarer compatibles ou non avec le marché les aides d'Etat et la nécessité de lui notifier les projets d'aides préalablement à leur mise en oeuvre.

Il se déduit de ces dispositions que toute aide d'Etat qui n'a pas été soumise à la Commission européenne préalablement à sa mise à exécution est présumée illégale jusqu'à ce qu'elle ait statué.

En suite des deux questions préjudicielles qui lui ont été posées par la présente cour dans le litige opposant les sociétés Enedis et Axa à la SAS Ombriere le Bosc, la CJUE a, par ordonnance du 15 mars 2017, dit s'agissant de la première question que :

1) L'article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme, tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État ;

et s'agissant de la seconde question, après avoir précisé qu'il appartenait à la juridiction de renvoi de déterminer préalablement si la mesure nationale en cause au principal constitue une aide d'Etat en vérifiant si les trois autres conditions visées à l'article 107 sont remplies, que

2) L'article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que, en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'État, au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.

La CJUE ayant ainsi répondu que l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité est une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources de l'Etat, il convient de rechercher si les trois autres conditions de l'aide d'Etat sont réunies, étant précisé qu'elle a également indiqué que le mécanisme relatif au tarif photovoltaïque instauré par la loi 2000-108 est identique à celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2013 (C-262/12, EU:C/2013:851) en matière éolienne à la suite duquel le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 28mai2014 n°324852, a considéré que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisation l'énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par les arrêtés attaqués, a le caractère d'une aide d'Etat.

La Commission de régulation de l'énergie, dans son avis consultatif préalable à l'adoption de l'arrêté du 4mars2011 qui fixait les tarifs d'achat à des niveaux moindres que ceux des arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010, a considéré que 'les tarifs proposés induisaient des rentabilités comparables ou supérieures au coût moyen pondéré du capital de référence' estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables.

Dans son rapport de juillet 2013 portant sur la politique de développement des énergies renouvelables, la Cour des comptes a considéré que 'la situation qu'a connue la filière solaire photovoltaïque durant la période 2010 à 2011"pouvait être qualifiée de 'bulle photovoltaïque, provoquée par une déconnexion entre les tarifs d'achat et la réalité des coûts' de production

La Commission européenne a également relevé dans sa décision du 27 mars 2014 que pour 'le photovoltaïque en France, le tarif offrait des rentabilités excédant la rentabilité normale des capitaux'. Le succès du mécanisme d'achat dans le secteur photovoltaïque a été tel qu'il a de fait obligé le Gouvernement à revoir les tarifs applicables à la baisse.

Il est ainsi démontré que les arrêtés du 12 janvier 2010 et du 10 juillet 2006 permettant d'acquérir l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à sa valeur de marché accordaient un avantage aux seuls producteurs de cette électricité.

En garantissant un prix d'achat supérieur au prix du marché, ces dispositions législatives et réglementaires étaient de nature à fausser la concurrence et donc à avoir une incidence sur celle-ci.

Enfin, cet avantage était susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres en raison de la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne.

Il se déduit de ces éléments que le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par l'arrêté du 12 janvier 2010 et celui du 10 juillet 2006 constitue une aide d'Etat, qui ne peut pas justifier l'application de l'exception de minimis au sens du règlement n°1407/2013 du 18 décembre 2013 au regard du montant des aides très supérieures à 200 000 € par entreprise sur trois années.

Il est établi par la réponse apportée par le secrétaire d'Etat auprès du ministère des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes sur le régime d'aides accordées aux producteurs d'électricité d'origine photovoltaïque, à la question écrite de M. E... du 27 septembre 2016 que l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a pas été notifié à la Commission européenne.

Selon les écritures des parties, il en est de même de l'arrêté du 10 juillet 2006.

Ces deux arrêtés ayant été remplacés depuis aucune régularisation n'est possible. Contrairement à ce qui est vainement soutenu par la société Samfisol le IV de l'article 88 de la loi du 12 juillet2010 n'a validé l'arrêté du 12janvier2010 qu'en tant qu'il serait contesté par des moyens tirés d'une part, d'une irrégularité de consultation, laquelle ne peut viser que les consultations du Conseil supérieur de l'énergie et de la Commission de régulation de l'énergie et d'autre part, de l'application immédiate de nouvelles règles tarifaires aux demandes de contrat d'achat formulées sous l'empire de l'ancienne tarification de l'arrêté du 10 juillet 2006 et non au regard de l'obligation de notification préalable d'une aide d'Etat à la Commission en application de l'article 108 du TFUE, ce que la loi n'aurait au demeurant pas pu faire sauf à compromettre l'effectivité du droit de l'Union.

Si les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier le respect par les Etats membres de la procédure de notification, seule la Commission européenne est compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché intérieur. Dès lors, la cour ne peut se substituer à elle dans cette appréciation, même si ultérieurement, la Commission européenne a, à plusieurs reprises, décidé que les mécanismes d'aide mis en place par la France en matière de production d'électricité photovoltaïque après le moratoire étaient compatibles avec le marché intérieur, étant en outre observé que ces décisions postérieures de la Commission européenne ont porté sur des mécanismes d'aide différents, plus contraignants, et qui instauraient des tarifs bien inférieurs à ceux promulgués par les arrêtés des 10juillet2006 et 12 janvier 2010.

Le seul défaut de notification à la Commission européenne préalablement à leur mise en oeuvre rend les arrêtés du 10juillet 2006 et du 12janvier2010 non conformes au droit de l'Union et, par suite, illicite et non réparable le préjudice sollicité qui correspond à au moins 80% de la différence, sur une durée de 20 ans, de la marge entre les tarifs d'achat d'électricité résultant des arrêtés du 12 janvier 2010 et du 4 mars 2011, soit à la perte d'un avantage résultant d'une aide illégale.

Le sort des contrats en cours, l'absence de toute action en récupération d'une aide susceptible d'être considérée comme contraire au droit de l'Union et les modalités d'une telle action en récupération, dont les règles de prescription définies par le règlement n°659/1999 du 22 mars1999 du Conseil de l'Union européenne, sont sans incidence sur le caractère licite de l'indemnisation sollicitée sur le fondement de l'article 1240 du code civil.

La société Samfisol doit donc être déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice résultant de la perte de marge née de la perte du tarif fixé par l'arrêté du 12 janvier 2010.

Elle doit également l'être de sa demande subsidiaire d'une indemnisation forfaitaire évaluée à un montant identique. En effet, sous couvert d'une telle demande, le producteur sollicite en réalité la réparation du même préjudice forfaitairement évalué 'à un montant identique à celui découlant de l'arrêté tarifaire inapplicable'.

Or le fait d'évaluer forfaitairement ce même préjudice ne le rend pas plus réparable, étant précisé au surplus que le principe de réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour la victime permet à celle-ci de demander la réparation de tout son préjudice mais seulement de son préjudice et s'oppose à ce qu'il puisse lui être alloué des dommages-intérêts forfaitairement évalués.

Il y a lieu par conséquent d'infirmer le jugement en ce qu'il a dit que la société Samfisol a subi un préjudice ouvrant droit à réparation et de rejeter les demandes indemnitaires, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens des parties.

PAR CES MOTIFS,

La cour statuant contradictoirement,

Déclare recevable l'appel formé par la société Enedis ;

Rejette la demande de la société Enedis tendant à voir déclarer nulle l'assignation délivrée par la SAS Samfisol, venant aux droits de la société Voltafrance 25 ;

Confirme le jugement sauf en ce qu'il a dit que la société Samfisol a subi un préjudice ouvrant droit à réparation ;

Statuant de ce chef,

Dit que le préjudice sollicité n'est pas réparable ;

En conséquence, déboute la société Samfisol, venant aux droits de la société Voltafrance 25, de ses demandes,

Condamne la SAS Samfisol, venant aux droits de la SARL Voltafrance 25, à payer à la SA Enedis la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la SAS Samfisol, venant aux droits de la SARL Voltafrance 25, aux dépens de 1ère instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit des avocats pouvant y prétendre conformément à l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 16/05993
Date de la décision : 05/07/2018

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles 13


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-07-05;16.05993 ?
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