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05/07/2018 | FRANCE | N°16/02688

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 05 juillet 2018, 16/02688


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 56C



13e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 05 JUILLET 2018



N° RG 16/02688



AFFAIRE :



SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE



C/



SARL AC-DC ENERGIES







Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 31 Mars 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre : 03

N° Section :

N° RG : 2014

F01342



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 05.07.18



à :



Me Bertrand X...



Me Véronique D...



M.P







REPUBLIQUE FRANCAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE CINQ JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,

La ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 56C

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 JUILLET 2018

N° RG 16/02688

AFFAIRE :

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE

C/

SARL AC-DC ENERGIES

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 31 Mars 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre : 03

N° Section :

N° RG : 2014F01342

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 05.07.18

à :

Me Bertrand X...

Me Véronique D...

M.P

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE CINQ JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:

SA ENEDIS anciennement dénommée ERDF ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE

[...]

[...]

Représentée par Maître Bertrand X... E... C...-B... Y... AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - et par Maître P. Z... avocat au barreau de MARSEILLE

APPELANTE

****************

SARL AC-DC ENERGIES

[...]

[...]

Représentée par Maître Véronique D... de la A..., avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - et par Maître F..., avocat plaidant au barreau de BEZIERS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mars 2018, Madame Sophie G..., présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie G..., Présidente,

Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE

L'avis du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général a été transmis le 9 janvier 2018 au greffe par la voie électronique

La société AC-DC Energie a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable.

Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 a organisé les modalités de conclusion des contrats d'achat de l'électricité ainsi produite entre la société Electricité de France (ci-après EDF) et les producteurs de celle-ci.

Cette loi a notamment donné lieu aux décrets d'application du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 et aux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 qui fixent les prix d'achat.

Il est ainsi fait obligation à la société EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables à un prix supérieur au prix auquel la société EDF vend son énergie aux consommateurs.

Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par la société Électricité Réseau de France, devenue Enedis (ci-après 'la société Enedis').

Dans le cadre de cette réglementation, la société AC-DC Energie a décidé de l'implantation d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 73 kW, sur la commune de Mèze. Son projet étant soumis à proposition technique et financière de raccordement au réseau (ci-après 'PTF'), le délai d'instruction de la demande de raccordement était de trois mois à compter de la date de réception de la demande complète.

Elle a ainsi envoyé, par l'intermédiaire de son mandataire, la société Solid, une demande de raccordement datée du 25août2010 dont la société Enedis a accusé réception au 30 août 2010 par lettre du 8 octobre2010.

Un devis de travaux d'un montant de 4.981,96€TTC a été établi. Il a été accepté et l'acompte d'un montant de 2.490,98€TTC payé le 1er décembre 2010. La société Enedis a ensuite envoyé une PTF.

Le décret du 9 décembre 2010 entré en vigueur le 10 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par certaines installations photovoltaïques, aucune demande de contrat d'achat ne pouvant être déposée durant la période de suspension et les demandes suspendues devant faire l'objet, à l'issue de la période de suspension, d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. Cette suspension ne s'applique toutefois pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF.

La PTF ayant été acceptée par la société AC-DC Energie et renvoyée à la société Enedis le 23décembre2010, la société Enedis a informé la société AC-DC Energie, par lettre recommandée avec accusé de réception du 24 janvier 2011, de la suspension de sa demande de raccordement en application du décret du 9 décembre 2010 et l'a invitée à déposer une nouvelle demande à l'issue de la période de suspension.

A l'issue de ce moratoire, un arrêté du 4 mars 2011 a fixé le prix d'achat de cette électricité à des tarifs inférieurs à ceux prévus par les arrêtés antérieurs et exclu du bénéfice de l'obligation d'achat les installations d'une puissance supérieure à 100 kWc, désormais soumises à une procédure d'appel d'offre.

La société AC-DC Energie n'a pas déposé de nouvelle demande de raccordement.

Soutenant que la société Enedis avait commis des fautes, la société AC-DC Energie l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.

Par jugement contradictoire du 31 mars 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a :

- dit qu'en ne respectant pas le délai de trois mois pour la transmission de la PTF, la société Enedis a commis une faute et qu'il existe un lien de causalité entre cette faute et le préjudice invoqué par la société AC-DC Energie ;

- sursis à statuer sur l'indemnisation du préjudice dans l'attente de la Cour de justice de l'Union européenne à la question préjudicielle dont l'a saisie la cour d'appel de Versailles dans le cadre de la procédure n°14/2549 ;

- renvoyé l'affaire au rôle des sursis à statuer et dit que, dès que la procédure pourra être reprise, la partie la plus diligente devra en informer le greffe de ce tribunal et qu'à défaut, l'affaire sera radiée au bout de deux années ;

- droits, moyens et dépens réservés.

Par déclaration reçue le 11 avril 2016, la société Enedis a interjeté appel de cette décision.

Par ordonnance d'incident du 22 mai 2017, le conseiller de la mise en état a débouté la société Enedis de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de la décision de la cour d'appel de Versailles dans le cadre de la procédure venant devant cette juridiction portant le n° RG 16/05166.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 5 janvier 2018, la société Enedis demande à la cour de :

Sur la réformation du jugement

1) Sur l'absence de discrimination dans le traitement du dossier,

- dire et juger que les accusations de discrimination formulées par la société AC-DC Energie ne sont ni démontrées ni fondées ;

2) Sur le défaut de lien de causalité,

- dire et juger que la société AC-DC Energie ne démontre pas que, en l'absence de retard dans la transmission de la PTF, elle aurait nécessairement matérialisé son accord sur ce document avant le 2 décembre 2010 ;

- dire et juger, en conséquence, qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois dans la transmission de la PTF et le préjudice allégué, qui résulte exclusivement de l'application du décret du 9 décembre 2010 au projet ;

3) Subsidiairement, sur le caractère non réparable du préjudice allégué,

- dire et juger que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par l'arrêté du 12 janvier 2010, a le caractère d'une aide d'Etat ;

- constater que cet arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;

- dire et juger que cet arrêté est illégal et que son application doit, en tout état de cause, être écartée ;

- au besoin, écarter l'application de l'article 88 de la loi du 12 juillet 2010 en raison de sa contrariété avec l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;

- rejeter, en conséquence, les demandes de la société AC-DC Energie fondées sur une cause illicite ;

4) Plus subsidiairement, sur la perte de chance inexistante,

- dire et juger que le seul préjudice dont pourrait se prévaloir la société AC-DC Energie est la perte d'une chance (i) d'avoir pu matérialiser son accord sur une PTF avant le 1er décembre 2010 minuit (ii) puis d'avoir obtenu un contrat d'achat après avoir réalisé et mis en service sa centrale dans un délai de 18 mois et (iii) enfin d'avoir pu exploiter sur 20 ans sa centrale virtuelle ; que cette perte de chance est inexistante et, dès lors, non indemnisable ;

5) Encore plus subsidiairement, sur l'assiette de la perte de chance,

- dire et juger que les hypothèses de calcul de l'assiette de préjudice sont totalement injustifiées en leur principe et leur quantum ;

6) En conséquence,

- reformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 31mars2016;

- statuant à nouveau, débouter la société AC-DC Energie de l'ensemble de ses demandes;

7) Reconventionnellement,

- condamner la société AC-DC Energie à lui payer à une somme de 20000euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens distraits au profit de Maître Bertrand X..., AARPI - Y... Avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 9 janvier 2018, la société AC-DC Energie demande à la cour de :

- jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause;

- jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a plus le caractère réglementaire ;

- jugeant l'impossibilité pour le tribunal de commerce puis la cour de remettre en cause une disposition législative ;

- jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'Etat exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du code de procédure civile ;

- constatant que la société Enedis 'comme ses assureurs' (sic) n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables ;

- jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif ;

- jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés;

- en tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12janvier2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'Etat et avait organisé la contribution au service public de l'éléctricité ;

- constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;

- constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10 juillet 2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 cts revendiqués ;

- jugeant la faute dela société Enedis consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire ;

- jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions ;

- constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule société Enedis des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010 ;

- rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à la société Enedis de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement ;

- jugeant que la société Enedis est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation ;

- constatant que la société Enedis n'a pas même respecté une obligation de moyens en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique ;

- constatant la parfaite connaissance par la société Enedis du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure ;

- constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure ;

- constatant l'aveu de la société Enedis devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination ;

- rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;

- rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande ;

- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la faute commise par la société Enedis et la responsabilité de celle-ci ;

- constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque ;

- constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement ;

- jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu ;

- constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge ;

- infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a sursis à statuer sur le quantum de l'indemnisation ;

- usant de son pouvoir d'évocation, condamner la société Enedis à lui payer une indemnité sur la base de la somme de 416 621 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;

- à titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner la société Enedis à lui payer une indemnité sur la base de la somme de 483 770 euros;

- jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 416 621 euros et condamner la société Enedis sur la base de ce montant ;

- condamner en outre la société Enedis au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de la A....

Le ministère public, dans son avis notifié aux parties le 10 janvier 2018, sollicite de la cour qu'elle tire les conséquences de l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 15 mars 2017 dans l'affaire C-515/16 et adopte les points de droit suivants ' le mécanisme de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, en application des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. En effet, dès lors qu'il accorde un avantage aux producteurs de cette électricité, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence ; sont ainsi réunis les critères de l'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les arrêtés susvisés, pris en méconnaissance de l'obligation de notification préalable à la Commission européenne résultant de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont entachés d'illégalité, et, dès lors, ne peuvent être appliqués à la présente affaire'. Il s'en rapporte enfin à la sagesse de la cour sur le caractère juridiquement réparable d'un ou de plusieurs préjudices invoqués par l'intimée, qui pourrait reposer sur un fondement autre que les arrêtés ministériels susmentionnés.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2018.

Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

La société Enedis soutient avoir adressé une PTF le 8décembre2010 et ne conteste pas le caractère fautif du dépassement du délai d'envoi d'une PTF au producteur. Elle réfute tout traitement discriminatoire des demandes de raccordement répliquant que la décision du 14 février 2013 de l'Autorité de la concurrence dont se prévaut la société AC-DC emergie ne permet pas d'en tirer des conclusions, que celle du 17décembre 2013 concerne les sociétés EDF et EDF EN et un autre sujet, que le Conseil d'Etat ne l'a pas sanctionnée dans un arrêt du 28novembre2012 qui a annulé un arrêté le tarif d'utilisation du réseau de distribution d'électricité dont la détermination relève du Gouvernement et non de la société Enedis.

Elle conteste tout lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois et le préjudice allégué. Soulignant que le projet n'a pas été réalisé, elle soutient que la suspension du projet et la perte de l'ancien tarif avantageux ont pour cause exclusive le décret du 9 décembre 2010, sans lequel le dépassement du délai pour transmettre la PTF n'aurait eu aucune des conséquences invoquées par la société AC-DC Energie, que l'envoi de la PTF dans le délai ne lui aurait pas assuré d'échapper au moratoire dès lors qu'elle disposait d'un nouveau délai de trois mois pour accepter la PTF et qu'elle ne démontre pas avec certitude qu'elle aurait analysé et renvoyé la PTF au plus tard le 1er décembre2010 alors que le moratoire n'a été annoncé que le 2 décembre 2010.

La société AC-DC Energie réplique que la société Enedis avait l'obligation de mettre à disposition la PTF au plus tard le 30novembre2010, sa demande complète de raccordement ayant été reçue par la société Enedis le 30août2010, et qu'en ne lui adressant qu'un devis de travaux le 1er décembre2010 et non une PTF avant le terme du délai de trois mois la société Enedis a commis une faute qui lui ouvre droit à réparation. Elle prétend que le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et son préjudice, constitué d'une perte de chance assise sur la perte de marge sur l'exploitation de la centrale pendant vingt ans, est établi dès lors que la seule violation du délai de trois mois ouvre droit à réparation, que l'obligation de la société Enedis était une obligation de résultat, que ni l'abandon du projet, motivé par le défaut de rentabilité économique dû aux nouveaux tarifs d'achat et au fait qu'en application de l'arrêté du 4mars2011 seules les centrales d'une puissance inférieure à 100 kWc bénéficient de l'obligation d'achat, 'ce qui n'est pas le cas de la centrale en cause', ni le moratoire décidé par le Gouvernement, intervenu après l'écoulement du délai d'instruction, ne sont la cause de son préjudice et que le caractère sériel du contentieux, retenu par la société Enedis elle-même, permet de considérer comme acquis automatiquement le lien de causalité.

Elle prétend également que la société Enedis a violé son obligation légale d'instruire les dossiers sans discrimination, que dans une décision du 14 février 2013 l'Autorité de la concurrence a ainsi indiqué poursuivre une enquête sur ce point car les éléments recueillis étaient de nature à mettre en évidence des pratiques discriminatoires, que dans un audit réalisé par elle-même la société Enedis reconnaît que le traitement des demandes a répondu à d'autres règles que leur date d'enregistrement, qu'alors que sa propre demande n'a pas été instruite dans les trois mois une autre société a obtenu une PTF en moins de cinq semaines et un GAEC a obtenu une PTF le 23novembre2010 pour une demande du 31août 2010 alors qu'il était situé près de 150 places plus loin dans la file d'attente et qu'ainsi le principe de sa demande est justifié sur ce seul fondement.

Sur les fautes :

Il résulte de la délibération de la commission de régulation de l'énergie du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre et de son annexe 1 que la société ERDF, devenue Enedis, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.

L'article 7.2.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement individuel d'Enedis applicable à compter du 3 juillet 2010 (ERDF-PRO-RAC 14E version v.1) pour les installations d'une puissance supérieure à 36 kVA, prévoit que ' A l'issue de cet examen et lorsque le dossier est complet, la demande de raccordement est qualifiée. La date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui-ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante. ERDF confirme par courrier postal ou électronique au demandeur que son dossier est complet. A cette occasion, ERDF communique également la date de qualification de sa demande de raccordement... ainsi que le délai d'envoi de l'offre de raccordement'.

L'article 8.2.1 de ce document précise qu' 'à compter de la date de qualification de la demande de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement (...) n'excédera pas trois mois quelque soit le domaine de tension de raccordement'.

Ainsi, sur le fondement des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la société Enedis commet une faute délictuelle lorsque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'est pas respecté.

Ce délai maximum de trois mois se calcule à partir de la date de la réception par la société Enedis du dossier complet de demande de raccordement et s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.

En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Enedis n'a pas envoyé de PTF à la société AC-DC Energie dans le délai de trois mois ayant commencé à courir selon les parties le 30août2010, date de réception de la demande de raccordement indiquée par la lettre datée du 8 octobre2010 que la société Enedis a adressée à la société AC-DC Energie sans que la complétude du dossier ait été alors constatée, cette complétude n'ayant toutefois pas été remise en cause ultérieurement.

La société Enedis produit ainsi la première page de la PTF correspondant au projet de la société AC-DC Energie datée du 8 décembre 2010 et signée par la société Solid, le mandataire, et un recommandé avec avis de réception portant la référence de la demande de la société AC-DC Energie et la mention 'PTF' dont il résulte que la PTF a été reçue par la société Solid le 11décembre2010.

En manquant à son obligation d'adresser une PTF à la société AC-DC Energie dans le délai de trois mois prévu par les textes, soit le mardi 30novembre2010 minuit au plus tard, la société Enedis a commis une faute.

Quant au traitement discriminatoire, la décision du 17 décembre 2013 de l'Autorité de la concurrence dont se prévaut la société AC-DC Energie pour caractériser le traitement discriminatoire qu'elle reproche à la société Enedis, sanctionne la société EDF et non la société Enedis pour avoir favorisé de manière abusive sa filiale EDF ENR en mettant à sa disposition divers moyens non reproductibles par la concurrence et ce pour des faits qui, tout en étant relatifs au marché photovoltaïque, ne concernent pas le traitement par la société Enedis des demandes de raccordement.

La décision du 14 février 2013 concerne des pratiques reprochées à la société ERDF dans le traitement des demandes de raccordement des installations photovoltaïques et des pratiques de favoritisme de la société ERDF vis à vis de la société EDF EN, et, au vu des éléments recueillis, n'exclut pas que 'lors de la période ayant précédé le moratoire, les filiales ERDF et RTE qui reçoivent les demandes de raccordement aient pu favoriser le traitement des projets portés par les filiales photovoltaïques du groupe de manière à ce que ces dernières puissent bénéficier des tarifs d'achat pré-moratoire beaucoup plus avantageux au plan économique'. Elle en conclut que l'instruction au fond doit être poursuivie. Aucune preuve de ce que cette instruction ait finalement abouti à mettre en évidence de telles pratiques n'est cependant rapportée et cette décision est en outre insusceptible de caractériser une discrimination dont la société AC-DC Energie aurait été elle-même victime.

Les deux dossiers cités par cette dernière pour étayer ses allégations de traitement discriminatoire ne sont pas plus probants. L'un concerne la société Hélios production dont la demande a été déclarée complète le 28 octobre 2010 mais qui n'a pas échappé au moratoire. L'autre concerne la proposition de raccordement adressée le 23 novembre 2010 au GAEC de Coatyliven, dépendant de l'agence de l'Ouest de la société Enedis à Laval, différente de celle ayant traité la demande de la société AC-DC Energie et qui mentionne que la demande a été déclarée recevable le 30 août 2010.

La seule remise à un producteur d'une PTF dans les délais requis ne caractérise pas davantage la discrimination alléguée, mais seulement la capacité de la société Enedis à traiter certaines des demandes dans le délai maximum qui lui était imparti.

Aucun traitement discriminatoire n'est donc caractérisé.

Sur le lien de causalité :

L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation de conclure un contrat d'achat à compter de l'entrée en vigueur de ce décret, soit le 10 décembre 2010. L'article 3 écarte l'application de cette suspension pour les producteurs ayant notifié leur acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010.

La faute de la société Enedis n'est constituée qu'à l'expiration du délai de trois mois dont elle disposait pour envoyer une PTF, soit le mardi 30novembre2010 minuit.

En l'absence de retard de la société Enedis dans l'envoi de la PTF, la société AC-DC Energie aurait dû renvoyer la PTF complétée de l'acompte avant le mercredi 1er décembre 2010 minuit pour échapper au moratoire et ne pas subir le préjudice allégué. Elle aurait donc disposé de 24 heures pour procéder à cette formalité.

L'adoption d'un moratoire n'a été annoncée par le Gouvernement que par communiqué du 2décembre 2010 sans que ni la date du décret ni celle de prise d'effet du moratoire n'aient été précisées, seules des informations officieuses sur une nouvelle baisse des tarifs ayant été diffusées par la presse spécialisée à compter du 30novembre2010 et le principe d'un moratoire n'ayant été évoqué sur un blog que le 1er décembre 2010 à 23 heures 33, sans que la date de la demande complète de raccordement ne soit remise en cause pour la détermination du tarif d'achat applicable au projet. En sorte qu'avant le 2 décembre 2010 les demandeurs d'un raccordement n'étaient pas incités à renvoyer la PTF avant le mercredi 1er décembre 2010 minuit.

Le devis de travaux que la société AC-DC Energie produit est signé par la société Solid, mandataire de la société AC-DC Energie, qui, aux termes de la demande de raccordement, n'a pas reçu mandat de procéder aux règlements financiers relatifs au raccordement. Il y est indiqué manuscritement 'payé' - le mot dactylographié 'fait' étant barré - le 30 novembre 2010 et y figure le tampon 'payé le 1er décembre 2010". Aucune date d'établissement ou d'envoi de ce devis par la société Enedis ne figurant dessus ni n'étant justifiée par une autre pièce versée aux débats, la production de ce seul devis ne permet pas d'établir le délai dans lequel le mandataire de la société AC-DC Energie l'a accepté.

Par ailleurs, si la première page de la PTF porte la date manuscrite du 8 décembre 2010, soit la même date que celle de la PTF, et la signature de la société Solid, cette acceptation n'a pu intervenir ce jour-là dès lors que le recommandé avec avis de réception portant la référence de la demande de raccordement et la mention 'PTF' produit par la société Enedis révèle que la PTF a été reçue par la société Solid le 11décembre2010.

En outre la société Enedis verse aux débats l'enveloppe d'envoi de la PTF acceptée qui porte la date du 23décembre2010 selon le cachet de La Poste. Ni cette pièce ni cette date ne sont contestées par la société AC-DC Energie.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société AC-DC Energie n'aurait pas accepté et renvoyé une PTF avant le 1er décembre2010 minuit si la société Enedis avait respecté le délai qui lui était imparti.

Le préjudice allégué constitué d'une perte de marge soit à tout le moins d'un pourcentage de la perte de marge, à supposer qu'il soit licite, n'a donc pas pour cause déterminante le retard de la société Enedis dans l'envoi d'une PTF mais la date de la demande de raccordement, la suspension de l'obligation d'achat prévue par le décret du 9décembre2010, son application rétroactive aux producteurs n'ayant pas notifié leur acceptation de la PTF avant le 2décembre2010 ainsi que la baisse des tarifs résultant de l'arrêté du 4mars2011.

Le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et le préjudice invoqué par la société AC-DC Energie n'est donc pas établi.

Au surplus le préjudice ne peut constituer en la perte de marge dont se prévaut la société AC-DC Energie dès lors que le projet n'a pas été poursuivi par la société AC-DC Energie qui n'a ni déposé de nouvelle demande de raccordement ni conclu de contrat d'achat d'électricité avec la société EDF, alors que, contrairement à ce qu'elle affirme dans ses conclusions, la centrale envisagée étant d'une puissance de 73 kW n'était pas soumise à une procédure d'appel d'offres, et ce peu important que l'abandon du projet ait été motivé par une moindre rentabilité ou non étant toutefois observé que la Cour des comptes a constaté que les tarifs fixés à l'issue du moratoire étaient demeurés attractifs puisque seuls des projets d'une puissance cumulée de 0,4GW ont été abandonnés sur la totalité des projets ayant perdu le bénéfice de l'obligation d'achat aux conditions antérieures qui représentaient une puissance cumulée de 3,3GW.

Il convient dès lors de confirmer le jugement en ce qu'il a dit qu'en ne respectant pas le délai de trois mois pour la transmission de la PTF la société Enedis a commis une faute mais de l'infirmer en toutes ses autres dispositions et de débouter la société AC-DC Energie de l'ensemble de ses demandse, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens.

PAR CES MOTIFS,

La Cour statuant contradictoirement,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit que la société Enedis a commis une faute à l'égard de la société AC-DC Energie en ne respectant pas le délai de trois mois pour la transmission de la PTF;

L'infirme pour le surplus;

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Dit que le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et le préjudice alléguépar la société AC-DC Energie n'est pas établi;

Déboute la société AC-DC Energie de l'ensemble de ses demandes;

Condamne la société AC-DC Energie à payer la SA Enedis la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne la société AC-DC Energie aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie G..., Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 16/02688
Date de la décision : 05/07/2018

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Versailles 13


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-07-05;16.02688 ?
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