COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56C
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 04 JUILLET 2018
N° RG 16/03344
AFFAIRE :
SARL BEIBI
C/
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES
...
Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 14 Avril 2016 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE
N° chambre : 3
N° Section :
N° RG : 2014F01333
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Véronique G...
Me Christophe X...,
Me Bertrand Y...
TC NANTERRE
MP
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE QUATRE JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
SARL BEIBI
[...]
Hôtel des Entreprises
09340 VERNIOLE
Représentée par Maître Véronique G... de la Z..., avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 et par Maître F. A..., avocat plaidant au barreau de BEZIERS
APPELANTE
****************
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS ASSURANCES
[...]
Représentée par Maître Christophe X..., avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et par Maîtres O.LOIZON, L-A. MONTIGNY et B..., avocats plaidants au barreau de PARIS
SA ENEDIS - anciennement dénommée ERDF ELECTRICITE RESEAU DISTRIBUTION FRANCE
[...]
[...]
Représentée par Maître Bertrand Y... H... F...-E... C... AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et par Maître P. D... avocat plaidant au barreau de MARSEILLE
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2018, Madame Sophie I..., présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie I..., Présidente,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE
L'avis du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général a été transmis le 10 janvier 2018 au greffe par la voie électronique
Bureau d'étude ingénierie du bâtiment et de l'industrie d'Etude Ingénierie du Bâtiment et de l'Industrie (ci-après 'la société Beibi') a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable.
Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 a organisé les modalités de conclusion des contrats d'achat de l'électricité ainsi produite entre la société Electricité de France (ci-après EDF) et les producteurs de celle-ci.
Cette loi a notamment donné lieu aux décrets d'application du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 et aux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 qui fixent les prix d'achat.
Il est ainsi fait obligation à la société EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables à un prix supérieur au prix auquel la société EDF vend son énergie aux consommateurs.
Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par la société Électricité Réseau de France, devenue Enedis (ci-après 'la société Enedis').
Dans le cadre de cette réglementation, la société Beibi a décidé de l'implantation d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 719,5 kWc, sur la commune de Savignac. Son projet étant soumis à proposition technique et financière de raccordement au réseau (ci-après 'PTF'), le délai d'instruction de la demande de raccordement était de trois mois à compter de la date de réception de la demande complète.
Elle a ainsi envoyé une demande de raccordement datée du 31 août 2010. Aucune PTF n'a été reçue par la société Beibi.
Le décret du 9 décembre 2010 entré en vigueur le 10 décembre 2010 a suspendu pour une durée de trois mois à compter de son entrée en vigueur l'obligation de conclure un contrat d'achat de l'électricité produite par certaines installations photovoltaïques, aucune demande de contrat d'achat ne pouvant être déposée durant la période de suspension et les demandes suspendues devant faire l'objet, à l'issue de la période de suspension, d'une nouvelle demande complète de raccordement au réseau. Cette suspension ne s'applique toutefois pas aux installations dont le producteur a notifié au gestionnaire de réseau, avant le 2 décembre 2010, son acceptation de la PTF. A l'issue de ce moratoire, un arrêté du 4 mars 2011 a fixé le prix d'achat de cette électricité à des tarifs inférieurs à ceux prévus par les arrêtés antérieurs et exclu du bénéfice de l'obligation d'achat les installations d'une puissance supérieure à 100 kWc, désormais soumises à une procédure d'appel d'offres.
Par courrier du 20janvier 2011, la société Enedis a informé la société Beibi de la suspension de sa demande de raccordement en application du décret du 9décembre2010 et l'a invitée à déposer une nouvelle demande de raccordement.
A la fin de la période de suspension, la société Beibi n'a pas déposé de nouvelle demande de raccordement.
Soutenant que la société Enedis avait commis des fautes, la société Beibi l'a fait assigner devant le tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.
La société Enedis a appelé en garantie la société Axa corporate solutions assurances (ci-après 'la société Axa').
Par jugement contradictoire du 14 avril 2016, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- joint les instance ;
- débouté la société Beibi de toutes ses demandes ;
- dit n'y avoir lieu à statuer sur les demandes de sursis à statuer formulées par la société Enedis et la société Axa ;
- condamné la société Beibi à payer, au titre de l'article 700 du code de procédure civile, à la société Enedis la somme de 5 000 euros et à la société Axa la somme de 2 000 euros ;
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire ;
- condamné la société Beibi aux dépens.
Par déclaration reçue le 2 mai 2016, la société Beibi a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 29 novembre 2017, la société Beibi demande à la cour de :
- jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause ;
- jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12 janvier 2010 n'a plus le caractère réglementaire ;
- jugeant l'impossibilité pour le tribunal de commerce puis la cour de remettre en cause une disposition législative ;
- jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'Etat exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du code de procédure civile ;
- constatant que Enedis comme ses assureurs n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables ;
- jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif;
- jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12 janvier 2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés;
- en tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'Etat et avait organisé la contribution au service public de l'électricité ;
- constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;
- constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10 juillet 2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 cts revendiqués;
- jugeant la faute d'Enedis consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire ;
- jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions ;
- constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule société Enedis des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010 ;
- rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à la société Enedis de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement ;
- jugeant que la société Enedis est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation ;
- constatant que la société Enedis n'a pas même respecté une obligation de moyens en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique ;
- constatant la parfaite connaissance par la société Enedis du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure ;
- constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure ;
- constatant l'aveu de la société Enedis devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination ;
- rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010 ;
- rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande ;
- constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque ;
- constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement ;
- jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu ;
- constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge ;
- infirmer le jugement en ce qu'il a exclu la responsabilité de la société Enedis et débouté la concluante de sa demande indemnitaire ;
- par voie de conséquence, condamner la société Enedis à payer à la société Beibi une indemnité sur la base de la somme de 4 052 845 euros outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation;
- à titre subsidiaire, si la méthode de la VAN devait être retenue, condamner la société Enedis à payer à la société Beibi une indemnité sur la base de la somme de 3 972 094 euros;
- jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 4 052 845 euros ;
- condamner en outre la société Enedis au paiement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de la Z..., Avocat au Barreau de Versailles.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 5 janvier 2018, la société Enedis demande à la cour de :
A titre principal,
Sur la faute,
- dire et juger que les allégations de pratiques discriminatoires ne sont ni démontrées, ni sérieuses ni fondées ;
Sur l'absence de lien de causalité,
- dire et juger qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement de délai reproché à la société Enedis et le préjudice allégué ;
- dire et juger que le préjudice allégué trouve sa cause dans un triple état de faits et/ou de droit :
- la survenance du décret moratoire du 9 décembre 2010 ;
- l'impossibilité matérielle d'échapper aux effets du moratoire, dans laquelle se serait trouvée la société Beibi si la PTF avait été transmise le 30 novembre 2010 ;
- le choix discrétionnaire par Beibi d'abandonner son projet alors que l'article 5 du décret du 9 décembre 2010 l'invitait à représenter sa demande de raccordement ;
Subsidiairement sur le préjudice,
- dire et juger que l'arrêté du 12 janvier 2010, a instauré une aide d'Etat ;
- constater que ledit arrêté n'a pas été notifié préalablement à la Commission européenne en violation de l'article 108 paragraphe 3 du TFUE ;
- dire et juger en conséquence que cet arrêté est illégal et que le préjudice allégué, fondé exclusivement sur l'application dudit arrêté, est illicite ;
- dire et juger au surplus que la perte de chance, seul préjudice indemnisable, est en l'occurrence nulle ;
- dire et juger enfin et à titre plus subsidiaire encore, qu'à supposer même qu'une perte de chance infime ait existé, le préjudice tel que chiffré par la société Beibi est fantaisiste, non démontré et extrêmement surévalué ;
En conséquence :
- confirmer le jugement entrepris ;
- débouter la société Beibi de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires;
- condamner la société Beibi au paiement d'une somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Y... ;
A titre infiniment subsidiaire,
- condamner la société Axa, en sa qualité d'assureur de responsabilité civile professionnelle, à la garantir pour l'ensemble des condamnations mises à sa charge en principal, frais, intérêts et accessoires ;
- débouter la société Axa de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions contraires;
- condamner la société Axa au paiement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Bertrand Y....
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 10 janvier 2018, la société Axa demande à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger que la société Beibi ne justifie pas du lien de causalité entre la prétendue faute imputée à la société Enedis et le préjudice allégué ni de l'existence de ce préjudice;
- dire et juger que le préjudice allégué par la société Beibi n'est pas réparable dès lors que l'arrêté du 12 janvier 2010 fondant le calcul de ce préjudice est illégal pour défaut de notification préalable à la Commission européenne ;
- en conséquence, confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 14 avril 2016 en ce qu'il a débouté la société Beibi de toutes ses demandes ;
A titre subsidiaire, et si par extraordinaire, la cour reconnaissait l'existence d'un préjudice réparable,
- ordonner une expertise et désigner un expert afin que ce dernier donne à la cour les éléments nécessaires pour apprécier la réalité et le quantum de l'éventuel préjudice subi par la société Beibi ;
En tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes de la société Beibi ;
- débouter la société Enedis de ses demandes de garantie à son égard et, à défaut, faire application du seuil d'intervention de 1 500 000 euros ;
- subsidiairement, lui donner acte à qu'elle se réserve le droit de refuser sa garantie dans l'hypothèse où des pratiques anti-concurrentielles étaient retenues ;
- condamner la partie succombante à lui verser la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Christophe X..., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le ministère public, dans son avis notifié aux parties le 10janvier2018, sollicite de la cour qu'elle tire les conséquences de l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 15 mars 2017 dans l'affaire C-515/16 et adopte les points de droit suivants ' le mécanisme de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, en application des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. En effet, dès lors qu'il accorde un avantage aux producteurs de cette électricité, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence ; sont ainsi réunis les critères de l'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les arrêtés susvisés, pris en méconnaissance de l'obligation de notification préalable à la Commission européenne résultant de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont entachés d'illégalité, et, dès lors, ne peuvent être appliqués à la présente affaire'. Il s'en rapporte enfin à la sagesse de la cour sur le caractère juridiquement réparable d'un ou de plusieurs préjudices invoqués par l'intimée, qui pourrait reposer sur un fondement autre que les arrêtés ministériels susmentionnés.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 15 janvier 2018.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
La société Beibi soutient que la société Enedis avait l'obligation de mettre à disposition la PTF au plus tard le 30novembre2010, sa demande complète de raccordement ayant été reçue par la société Enedis le 31août2010, et qu'en ne lui adressant aucune PTF la société Enedis a commis une faute qui lui ouvre droit à réparation. Elle prétend que le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et son préjudice, constitué d'une perte de chance assise sur la perte de marge sur l'exploitation de la centrale pendant vingt ans, est établi dès lors que la seule violation du délai de trois mois ouvre droit à réparation, que l'obligation de la société Enedis était une obligation de résultat, que ni l'abandon du projet, motivé par le défaut de rentabilité économique dû aux nouveaux tarifs d'achat et le fait qu'en application de l'arrêté du 4mars2011 la centrale, d'une puissance supérieure à 100 kWc, ne bénéficiait pas de l'obligation d'achat, ni le moratoire décidé par le Gouvernement, intervenu après l'écoulement du délai d'instruction, ne sont la cause de son préjudice et que le caractère sériel du contentieux, retenu par la société Enedis elle-même, permet de considérer comme acquis automatiquement le lien de causalité.
Elle prétend également que la société Enedis a violé son obligation légale d'instruire les dossiers sans discrimination, que dans une décision du 14 février 2013 l'Autorité de la concurrence a ainsi indiqué poursuivre une enquête sur ce point car les éléments recueillis étaient de nature à mettre en évidence des pratiques discriminatoires, que dans un audit réalisé par elle-même la société Enedis reconnaît que le traitement des demandes a répondu à d'autres règles que leur date d'enregistrement, qu'alors que sa propre demande n'a pas été instruite dans les trois mois une autre société a obtenu une PTF en moins de cinq semaines et un GAEC a obtenu une PTF le 23novembre2010 pour une demande du 31août 2010 alors qu'il était situé près de 150 places plus loin dans la file d'attente et qu'ainsi le principe de sa demande est justifié sur ce seul fondement.
La société Enedis soutient qu'aucune faute ne peut lui être reprochée avant le 30novembre2010. Elle réfute tout traitement discriminatoire des demandes de raccordement répliquant que la décision du 4 février 2013 de l'Autorité de la concurrence ne permet pas d'en tirer des conclusions et que la société Beibi confond les sociétés RTE et Enedis.
Elle conteste tout lien de causalité entre sa prétendue faute et le préjudice allégué faisant valoir que le dépassement du délai pour transmettre la PTF aurait été sans conséquences dommageables si le décret du 9 décembre 2010 n'avait pas été pris, que la société Beibi n'aurait jamais pu retourner la PTF avant le 1er décembre2010 et échapper ainsi au moratoire, le moratoire et ses conditions d'application étant alors inconnus des pétitionnaires qui disposaient en outre d'un délai de trois mois pour accepter la PTF, et que l'abandon du projet et la perte des revenus tirés d'un contrat d'achat conclu avec la société EDF relèvent du choix discrétionnaire et libre de la société Beibi, la société Enedis contestant que les projets aient perdu leur rentabilité en raison de la baisse des tarifs fixés à l'issue du moratoire.
La société Axa considère que c'est la date de dépôt de la demande de raccordement qui est la cause du préjudice allégué par la société Beibi, dès lors que si elle avait reçu une PTF le 30novembre 2010, son acceptation n'aurait pas pu parvenir à la société Enedis avant le 1er décembre 2010, que ce prétendu dommage résulte de l'instauration du moratoire puis d'un nouveau tarif par arrêté du 4 mars2011 et que la société Beibi a elle-même pris la décision d'abandonner ce projet et de se priver ainsi de toute possibilité de gain.
1- Sur les fautes
* Sur le non respect du délai
Il résulte de la délibération de la commission de régulation de l'énergie du 11 juin 2009 portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre et de son annexe 1 que la société ERDF, devenue Enedis, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.
L'article 7.2.3 de la procédure de traitement des demandes de raccordement individuel d'Enedis applicable à compter du 3 juillet 2010 (ERDF-PRO-RAC 14E version v.1) pour les installations d'une puissance supérieure à 36 kVA, prévoit que ' A l'issue de cet examen et lorsque le dossier est complet, la demande de raccordement est qualifiée. La date de qualification de la demande de raccordement est fixée à la date de réception du dossier lorsque celui-ci est complet ou à la date de réception de la dernière pièce manquante. ERDF confirme par courrier postal ou électronique au demandeur que son dossier est complet. A cette occasion, ERDF communique également la date de qualification de sa demande de raccordement... ainsi que le délai d'envoi de l'offre de raccordement'.
L'article 8.2.1 de ce document précise qu' 'à compter de la date de qualification de la demande de raccordement, le délai de transmission au demandeur de l'offre de raccordement (...) n'excédera pas trois mois quelque soit le domaine de tension de raccordement'.
Ainsi, sur le fondement des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la société Enedis commet une faute délictuelle lorsque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'est pas respecté.
Ce délai maximum de trois mois se calcule à partir de la date de la réception par la société Enedis du dossier complet de demande de raccordement et s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.
En l'espèce, il n'est pas contesté que la société Enedis n'a pas envoyé de PTF à la société Beibi dans le délai de trois mois ayant commencé à courir selon les parties le 31août2010, date de qualification de la demande de raccordement selon la lettre que la société Enedis a adressée à la société Beibi le 20janvier2011, sans que la complétude du dossier ait été auparavant constatée, cette complétude n'ayant toutefois pas été remise en cause ultérieurement.
En manquant à son obligation d'adresser une PTF à la société Beibi dans le délai de trois mois prévu par les textes, soit le mardi 30novembre2010 minuit au plus tard, la société Enedis a commis une faute.
* Sur le traitement discriminatoire
Quant aux allégations de traitement discriminatoire, la décision du 14 février 2013 concerne des pratiques reprochées à la société ERDF dans le traitement des demandes de raccordement des installations photovoltaïques et des pratiques de favoritisme de la société ERDF vis à vis de la société EDF EN, et, au vu des éléments recueillis, n'exclut pas que 'lors de la période ayant précédé le moratoire, les filiales ERDF et RTE qui reçoivent les demandes de raccordement aient pu favoriser le traitement des projets portés par les filiales photovoltaïques du groupe de manière à ce que ces dernières puissent bénéficier des tarifs d'achat pré-moratoire beaucoup plus avantageux au plan économique'. Elle en conclut que l'instruction au fond doit être poursuivie. Aucune preuve de ce que cette instruction ait finalement abouti à mettre en évidence de telles pratiques n'est cependant rapportée et cette décision est en outre insusceptible de caractériser une discrimination dont la société Beibi aurait été elle-même victime.
Les deux dossiers cités par cette dernière pour étayer ses allégations de traitement discriminatoire ne sont pas plus probants. L'un concerne la société Hélios production dont la demande a été déclarée complète le 28 octobre 2010 mais qui n'a pas échappé au moratoire. L'autre concerne la proposition de raccordement adressée le 23 novembre 2010 au GAEC de Coatyliven, dépendant de l'agence de l'Ouest de la société Enedis à Laval, différente de celle ayant traité la demande de la société Beibi et qui mentionne que la demande a été déclarée recevable le 30 août 2010.
La seule remise à un producteur d'une PTF dans les délais requis ne caractérise pas davantage la discrimination alléguée, mais seulement la capacité de la société Enedis à traiter certaines des demandes dans le délai maximum qui lui était imparti.
Aucun traitement discriminatoire n'est donc caractérisé.
2- Sur le lien de causalité
L'article 1er du décret du 9 décembre 2010 a suspendu l'obligation de conclure un contrat d'achat à compter de l'entrée en vigueur de ce décret, soit le 10 décembre 2010. L'article 3 écarte l'application de cette suspension pour les producteurs ayant notifié leur acceptation de la PTF avant le 2 décembre 2010.
La faute de la société Enedis n'est constituée qu'à l'expiration du délai de trois mois dont elle disposait pour envoyer une PTF, soit le mardi 30novembre2010 minuit.
En l'absence de retard de la société Enedis dans l'envoi de la PTF, la société Beibi aurait dû renvoyer la PTF complétée de l'acompte avant le mercredi 1er décembre 2010 minuit pour échapper au moratoire et ne pas subir le préjudice allégué. Elle aurait donc disposé de 24 heures pour procéder à cette formalité.
L'adoption d'un moratoire n'a été annoncée par le Gouvernement que par communiqué du 2décembre 2010 sans que ni la date du décret ni celle de prise d'effet du moratoire n'aient été précisées, seules des informations officieuses sur une nouvelle baisse des tarifs ayant été diffusées par la presse spécialisée à compter du 30novembre2010 et le principe d'un moratoire n'ayant été évoqué sur un blog que le 1er décembre 2010 à 23 heures 33, sans que la date de la demande complète de raccordement ne soit remise en cause pour la détermination du tarif d'achat applicable au projet. En sorte qu'avant le 2 décembre 2010 les demandeurs d'un raccordement n'étaient pas incités à renvoyer la PTF avant le mercredi 1er décembre 2010 minuit.
Quand bien même la société Enedis aurait respecté le délai qui lui était imparti, la société Beibi, qui n'avait aucune raison de retourner la PTF au plus vite, n'aurait pas pu l'accepter et la renvoyer avant le 1er décembre 2010 minuit.
Le préjudice allégué constitué, soit d'une perte de marge soit, à tout le moins d'un pourcentage de la perte de marge, à supposer qu'il soit licite, n'a donc pas pour cause déterminante le retard de la société Enedis dans l'envoi d'une PTF mais la date de la demande de raccordement, la suspension de l'obligation d'achat prévue par le décret du 9décembre2010, son application rétroactive aux producteurs n'ayant pas notifié leur acceptation de la PTF avant le 2décembre2010 ainsi que la baisse des tarifs résultant de l'arrêté du 4mars2011 et la mise en place d'une procédure d'appel d'offres pour les centrales d'une puissance supérieure à 100 kW.
Le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et le préjudice invoqué par la société Beibi n'est donc pas établi.
Au surplus le préjudice ne peut consister en la perte de marge dont se prévaut la société Beibi dès lors que le projet n'a pas été poursuivi par celle-ci qui n'a ni déposé de nouvelle demande de raccordement ou répondu à un appel d'offres, ni conclu de contrat d'achat d'électricité avec la société EDF, et ce peu important que l'abandon du projet ait été motivé par une moindre rentabilité ou non étant toutefois observé que d'une part que la CRE, dans son avis consultatif préalable à l'adoption de l'arrêté du 4mars2011, a considéré que 'les tarifs proposés induisaient des rentabilités comparables ou supérieures au coût moyen pondéré du capital de référence' estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables, et d'autre part que la Cour des comptes a constaté que les tarifs fixés à l'issue du moratoire étaient demeurés attractifs puisque seuls des projets d'une puissance cumulée de 0,4GW ont été abandonnés sur la totalité des projets ayant perdu le bénéfice de l'obligation d'achat aux conditions antérieures qui représentaient une puissance cumulée de 3,3GW.
Il convient dès lors de confirmer le jugement sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens.
PAR CES MOTIFS,
La Cour statuant contradictoirement,
Dit que la société Enedis a commis une faute à l'égard de la société Bureau d'étude ingénierie du bâtiment et de l'industrie ;
Dit que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice alléguépar la société Bureau d'étude ingénierie du bâtiment et de l'industrie n'est pas établi;
Confirme en conséquence le jugement en toutes ses dispositions;
Y ajoutant,
Condamne la société Bureau d'étude ingénierie du bâtiment et de l'industrie payer à la SA Enedis la somme de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société Bureau d'étude ingénierie du bâtiment et de l'industrie à payer à la société Axa corporate solutions assurances la somme de 6 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société Bureau d'étude ingénierie du bâtiment et de l'industrie aux dépens d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Sophie I..., Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,