COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 56C
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 JUILLET 2018
N° RG 17/03977
AFFAIRE :
SA ENEDIS venant aux droits d'ERDF
C/
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS
SAS CS OMBRIERE LE BOSC
Décision déférée à la cour: jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre
N° chambre : 12
N° Section : 2
N° RG : 14/02549
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 03.07.2018
à :
Me Bertrand X...
Me Christophe Y...,
Me Pierre Z...,
M.P
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE TROIS JUILLET DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
SA ENEDIS venant aux droit d'ERDF
[...]
Représentée par Maître Bertrand X... I... H...-G... A... AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 et par Maître M. B..., avocat plaidant au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
SA AXA CORPORATE SOLUTIONS
[...]
Représentée Me Christophe Y... avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 et par Me Olivier C... et Me Laure-Anne D... de l'AARPI VIGUIE SCHMIDT & ASSOCIES, avocats plaidants au barreau de PARIS, vestiaire : P0564 et représentée par Me Matthias E..., avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : A0288
SAS CS OMBRIERE LE BOSC
[...]
Représentée par Me Pierre Z..., avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 623 et représentée par Me Diane J..., avocat plaidant au barreau de PARIS
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Mars 2018, après réinscription au rôle par acte de saisine du 22 mai 2017, Madame Sophie K..., présidente ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Sophie K..., Présidente,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER
En la présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis du 03 juillet 2018 a été transmis le même jour au greffe par la voie électronique
La société Ombrière Le Bosc (ci-après 'la société Ombrière'), filiale du groupe JMB Energie a pour activité la production d'électricité d'origine renouvelable.
Afin de favoriser le développement des énergies renouvelables en France, la loi du 10 février 2000 a organisé les modalités de conclusion des contrats d'achat de l'électricité ainsi produite entre la société Electricité de France (ci-après EDF) et les producteurs de celle-ci.
Cette loi a notamment donné lieu aux décrets d'application du 6 décembre 2000 et du 10 mai 2001 et aux arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010 qui fixent les prix d'achat.
Il est ainsi fait obligation à la société EDF de conclure avec les producteurs intéressés un contrat pour l'achat de l'électricité produite par les installations de production d'électricité qui utilisent des énergies renouvelables à un prix supérieur au prix auquel la société EDF vend son énergie aux consommateurs.
Le raccordement de ces installations au réseau de distribution est réalisé par la société Électricité Réseau de France, devenue Enedis (ci-après 'la société Enedis').
Dans le cadre de cette réglementation, la société Ombrière a décidé de l'implantation d'une centrale photovoltaïque d'une puissance de 998 kWc, sur la commune de Vias. Son projet étant soumis à proposition technique et financière de raccordement au réseau (ci-après 'PTF'), le délai d'instruction de la demande de raccordement était de trois mois à compter de la date de réception de la demande complète.
Elle a ainsi envoyé, par l'intermédiaire de son mandataire, la société JMB Solar, une demande de raccordement datée du 30 mars 2009. La société Enedis l'a reçue le 3 avril 2009 et a fixé la date d'entrée en file d'attente au 1er avril 2009.
La PTF a été envoyée par la société Enedis le 22 janvier 2010. Elle a été acceptée par la société Ombrière le 28 janvier 2010 et renvoyée à la société Enedis le 5 février 2010, laquelle l'a reçue le 8 février 2010.
La centrale a été mise en service le 3 juin 2010.
L'arrêté du 12 janvier 2010 a modifié à la baisse les tarifs d'achat par EDF de l'électricité produite. L'arrêté du 16 mars 2010 a précisé les conditions d'application de celle-ci en ce que seules échappent à cette baisse les installations pour lesquelles le producteur avait donné son accord à la PTF et versé le premier acompte avant le 11 janvier 2010.
N'entrant dans aucune des dérogations prévues par l'arrêté tarifaire du 16 mars 2010, le projet de la société Ombrière ne pouvait plus bénéficier de l'ancien tarif 'S06" et s'est vu appliquer le nouveau tarif 'S10" en vigueur.
Soutenant que la société Enedis avait commis des fautes, la société Ombrière l'a fait assigner en référé devant le président du tribunal de commerce de Nanterre en réparation de son préjudice.
Par ordonnance du 21 décembre 2010, confirmée par un arrêt du 17 octobre 2012 de la cour d'appel de Versailles, la société Enedis a été condamnée à payer par provision à la société Ombrière la somme de 165 770 euros.
La société Enedis ayant formé un pourvoi contre cet arrêt, la cour de cassation a, le 4 juin 2014, accueilli favorablement celui-ci, cassé l'arrêt et renvoyé les parties devant le cour d'appel de Paris.
Par arrêt du 12 janvier 2016, la cour d'appel de Paris a rejeté la demande d'Ombrière.
C'est dans ces circonstances que, parallèlement, la société Ombrière a fait assigner la société Enedis devant le tribunal de commerce de Nanterre.
La société Axa corporate solutions assurances (ci-après 'la société Axa') est intervenue volontairement à l'instance.
Par jugement contradictoire du 27 mars 2014, le tribunal de commerce de Nanterre a :
- dit la société Axa recevable mais mal fondée en son exception d'incompétence au profit du tribunal administratif de Paris, et s'est déclaré compétent ;
- dit la société Axa mal fondée en sa demande d'irrecevabilité de l'action introduite par la société Ombrière, et l'en a débouté ;
- condamné la société Enedis à payer à la société Ombrière à titre de dommages et intérêts, à compter du 3 juin 2010 et jusqu'au 2 juin 2030, pour chaque kWh acheté par la société EDF, une somme égale à 80 % de la différence entre d'une part le prix de ce kWh calculé en application des Conditions Particulières du contrat d'achat n°BTA0059156 telles que signées le 19 novembre 2010 entre la société EDF et la société Ombrière et d'autre part le prix de ce même kWh calculé selon les dispositions de l'arrêté du 10 juillet 2006 appliquées à l'installation de la société Ombrière ;
- dit que la condamnation ci-dessus à titre de dommages et intérêts s'appliquera à compter de la date à laquelle son montant cumulé atteindra la somme de 135 770 euros ;
- condamné la société Axa à garantir la société Enedis de l'ensemble des condamnations mises à sa charge en principal, frais, intérêts et accessoires au-delà du seuil d'intervention de 1 500 000 euros stipulé dans les Conditions particulières du contrat d'assurance liant les deux sociétés ;
- condamné la la société Enedis à payer à la société Ombrière la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- dit n'y avoir lieu à ordonner l'exécution provisoire ;
- condamne la société Enedis aux dépens.
Par déclarations reçues les 2 avril 2014 et 29 avril 2014, la société Enedis puis la société Axa ont interjeté appel de cette décision.
Par arrêt contradictoire du 8 décembre 2015, la cour d'appel de Versailles a saisi la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante :
' Les arrêtés des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, pris en application du décret 2000-1196 du 6 décembre 2000 et du décret 2001-410 du 10 mai 2001, eux-mêmes pris en application de la loi 2000-108 du 10 février 2000, sont-ils contraires aux articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (anciennement 87 et 88 du traité de la communauté européenne), en ce qu'ils constitueraient une aide d'Etat, laquelle, si c'est le cas, dès lors qu'elle n'a pas été notifiée préalablement à la Commission en application de l'article 108 paragraphe 3 dudit traité, affecterait leur légalité''
- sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- ordonné le retrait de la procédure du rôle de la cour ;
- dit que le présent arrêt sera adressé à la Cour de justice de l'Union européenne par pli recommandé ;
- réservé les dépens.
Par ordonnance du 30 juin 2016, la Cour de justice de l'Union européenne a jugé cette demande manifestement irrecevable.
Par arrêt contradictoire du 20 septembre 2016, la cour d'appel de Versailles a saisi à nouveau la Cour de justice de l'Union européenne de la question préjudicielle suivante :
'1 .L'article 107, paragraphe 1, du TFUE doit-il être interprété en ce sens que le mécanisme d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, tel que ce mécanisme résulte des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 (JORF n°171 du 26 juillet 2006, p. 11133) et 12 janvier 2010 (JORF n°0011 du 14 janvier 2010, p. 727) fixant les conditions d'achat de cette électricité, lus en combinaison avec la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, le décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000 et le décret n° 2001-410, du 10 mai 2001, constitue une aide d'Etat '
2.Et, dans l'affirmative, l'article 108, paragraphe 3, du TFUE doit-il être interprété en ce sens que le défaut de notification préalable à la Commission européenne de ce mécanisme affecte la validité des arrêtés susvisés comportant mise à exécution de la mesure d'aide litigieuse ''
- sursis à statuer dans l'attente de la décision de la Cour de justice de l'Union européenne ;
- ordonné le retrait de la procédure du rôle de la cour ;
- dit que le présent arrêt sera adressé à la Cour de justice de l'Union européenne par pli recommandé, accompagné des textes visés ;
- réservé les dépens.
Par ordonnance du 15 mars 2017, la Cour de justice de l'Union européenne a dit que:
1) L'article 107, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu'un mécanisme, tel que celui instauré par la réglementation nationale en cause au principal, d'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité doit être considéré comme une intervention de l'État ou au moyen de ressources d'État ;
2) L'article 108, paragraphe 3, TFUE doit être interprété en ce sens que, en cas de défaut de notification préalable à la Commission européenne d'une mesure nationale constituant une aide d'État, au sens de l'article 107, paragraphe 1, TFUE, il incombe aux juridictions nationales de tirer toutes les conséquences de cette illégalité, notamment en ce qui concerne la validité des actes d'exécution de cette mesure.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 7 février 2018, la société Enedis demande à la cour de :
- infirmer le jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il l'a condamnée à réparer le préjudice subi par Ombrière ;
- en conséquence, débouter Ombrière de l'intégralité de ses demandes ;
- confirmer le jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre en ce qu'il a condamné Axa à garantir Enedis ;
- débouter Axa de sa demande visant à ce qu'il soit donné acte de ce qu'elle se réserve le droit de refuser sa garantie, malgré les termes de la décision à intervenir ;
- en conséquence, condamner Axa, en sa qualité d'assureur responsabilité civile professionnelle à la garantir pour l'ensemble des condamnations mises à sa charge en principal, frais et accessoires;
En tout état de cause,
- condamner Ombrière à lui payer la somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Ombrière aux entiers dépens de l'instance dont le recouvrement sera effectué pour ceux-là concernant par l'A.A.R.P.I. A... Avocats, représentée par Maître Oriane F..., et ce conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 11 janvier 2018, la société Ombrière demande à la cour de :
- la dire et juger recevable et bien fondée en son appel incident ;
- confirmer le jugement rendu le 27 mars 2014 par le tribunal de commerce de Nanterre en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il jugé qu'elle a une part de responsabilité dans sa perte de chance d'obtenir le tarif favorable du 10 juillet 2006 ; par conséquent, infirmer le jugement sur ce seul point ;
Sur la faute,
- constater, dire et juger que le délai de dix mois pris par Enedis pour traiter sa demande de PTF excède largement le délai impératif de trois mois ;
- constater, dire et juger qu'à supposer ce délai de trois mois simplement indicatif, le délai effectivement pris par Enedis pour traiter la PTF, savoir dix mois, est particulièrement anormal et constitue un manquement fautif dans l'exécution par Enedis de ses obligations légales et professionnelles ;
- constater, dire et juger qu'Enedis ne rapporte pas la preuve d'un cas de force majeure qui serait de nature à expliquer, même partiellement, un tel délai de dix mois pour traiter la demande de PTF et partant à l'exonérer de sa responsabilité ;
- constater, dire et juger qu'Enedis a donc commis une faute à son égard ;
Sur le lien de causalité,
- constater, dire et juger que si Enedis avait remis la PTF dans le délai de trois mois, soit avant et au plus tard le 1er juillet 2009, elle disposait alors d'un délai de plus de 6 mois avant la date butoir du l1 janvier 2010 pour examiner, accepter, signer et retourner la PTF, avec le chèque d'acompte;
- constater, dire et juger qu'en l'état de ce calendrier très large, il n'y a donc pas d'aléa ou un aléa infime quant à la possibilité pour Ombrière de retourner la PTF signée avant le 11 janvier 2010 ;
- constater, dire et juger qu'ayant exécuté toutes les démarches, formalités et retours qui s'imposaient en temps utiles et ayant de fait construit et mis en service la Centrale PV et conclu avec EDF-OA un contrat d'achat OA qui applique le tarif issu de l'arrêté du 12 janvier 2010, c'est bien le retard d'Enedis qui est seul à l'origine du préjudice subi pour n'avoir pas pu bénéficier d'un contrat d'achat OA appliquant le tarif plus avantageux issu de l'arrêté du 10 juillet 2006 ;
Sur le préjudice, à supposer que la cour considère que l'arrêté du 10 juillet 2006 constitue une aide d'Etat,
- constater, dire et juger que par application des principes de confiance légitime et d'égalité, en l'état de la décision de compatibilité de la Commission européenne du 10 février 2017 et par analogie avec ce qui s'est passé dans l'éolien, le préjudice est réparable nonobstant l'absence de notification préalable de l'arrêté du 10 juillet 2006 ;
- constater, dire et juger qu'elle est recevable et bien fondée à être indemnisée du préjudice direct et certain que la faute d'Enedis lui a causé égal, pour chaque kWh vendu, à l'écart existant entre d'une part le prix effectivement payé par EDF, soit 42 c€/kWh à partir du 3 juin 2010, avec les conditions de plafonnement et d'indexation définies aux articles 3 et 4 du contrat d'achat, et d'autre part le tarif fixé par l'arrêté du 10 juillet 2006 avec les modifications que pourra subir ce tarif jusqu'à échéance du contrat, le 2 juin 2030 ;
- constater, dire et juger que ce préjudice peut d'ores et déjà être évalué à la somme totale de 4 936 897 euros hors taxes, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ou subsidiairement de l'assignation ;
- condamner Enedis et son assureur Axa, in solidum, à lui payer en deniers ou en quittances la somme de 4 936 897 euros hors taxes ;
A titre subsidiaire,
- condamner Enedis et son assureur Axa in solidum à lui payer, en deniers ou en quittances, à la société Ombrière la somme de 2 130 133 euros hors taxes correspondant au préjudice d'ores et déjà éprouvé et justifié pour la période courant du 3 juin 2010 au 31 décembre 2017, majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure ou subsidiairement de l'assignation et,
- condamner pour le surplus la société Enedis et son assureur Axa in solidum à lui rembourser au fur et à mesure le différentiel entre les sommes issues de la facturation mensuelle auprès de EDF OA en application de son contrat d'schat OA et celles qui auraient été recouvrées en application du tarif d'achat issu de l'arrêté du 10 juillet 2006 ;
- dire que ce remboursement interviendra dans les 30 jours de la notification par la société Ombrière de chacune des dites factures ;
A titre infiniment subsidiaire, sur l'expertise judiciaire,
S'agissant du préjudice courant du 31décembre 2017 jusqu'à l'issue du contrat d'achat d'électricité,
- désigner tel expert financier il plaira à la cour avec pour mission de :
* prendre connaissance de tous documents ;
* entendre tout sachant ;
* examiner le préjudice financier à venir, limité à la période courant du 31 décembre 2017 jusqu'à l'issue de la durée de 20 ans du contrat d'achat d'électricité ;
* donner d'une manière générale tous éléments permettant au juge du fond de se prononcer, le cas échéant, sur le préjudice subi ;
* juger que les frais d'expertise seront supportés par la société Enedis, et si la garantie de la société Axa est jugée acquise, in solidum par les sociétés Enedis et Axa ;
En tout état de cause,
- ordonner la capitalisation des intérêts de toutes sommes au paiement desquelles la société Enedis sera condamnée ;
- condamner in solidum les sociétés Enedis et Axa à lui verser la somme de 65 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 18 janvier 2018, la société Axa demande à la cour de :
- la déclarer recevable et bien fondée en son appel et son appel incident ainsi qu'en l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
A titre principal,
- dire et juger qu'Ombrière ne justifie pas du lien de causalité entre la faute imputée à Enedis et le préjudice allégué, ni de l'existence de ce préjudice ;
- dire et juger que le préjudice allégué par Ombrière n'est pas réparable dès lors que les arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010 fondant le calcul de ce préjudice sont illégaux pour défaut de notification préalable à la Commission européenne ;
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 27 mars 2014 en ce qu'il a fait droit à la demande d'indemnisation de Ombrière ;
- déclarer la société Ombrière mal fondée en l'ensemble de ses demandes et l'en débouter;
En tout état de cause,
- rejeter l'ensemble des demandes d'Ombrière ;
- infirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Nanterre le 27 mars 2014 en ce qu'il l'a condamnée à garantir Enedis des condamnations prononcées à l'encontre de cette dernière;
- débouter Enedis et Ombrière de leurs demandes à son égard et, à défaut, faire application du seuil d'intervention de 1 500 000 euros ;
- subsidiairement, lui donner acte qu'elle se réserve le droit de refuser sa garantie dans l'hypothèse ou des pratiques anti-concurrentielles étaient retenues ;
- condamner la partie succombante à lui verser à Axa la somme de 10 000 euros par application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Maître Christophe Y..., Avocat, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le ministère public, dans son avis notifié aux parties le 3 juillet 2017, sollicite de la cour qu'elle tire les conséquences de l'ordonnance rendue par la Cour de justice de l'Union européenne le 15 mars 2017 dans l'affaire C-515/16 et adopte les points de droit suivants ' le mécanisme de l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité, en application des arrêtés ministériels des 10 juillet 2006 et 12 janvier 2010, doit être considéré comme une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat. En effet, dès lors qu'il accorde un avantage aux producteurs de cette électricité, cet avantage est susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres et d'avoir une incidence sur la concurrence ; sont ainsi réunis les critères de l'aide d'Etat au sens de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les arrêtés susvisés, pris en méconnaissance de l'obligation de notification préalable à la Commission européenne résultant de l'article 108 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, sont entachés d'illégalité, et, dès lors, ne peuvent être appliqués à la présente affaire'. Il s'en rapporte enfin à la sagesse de la cour sur le caractère juridiquement réparable d'un ou de plusieurs préjudices invoqués par l'intimée, qui pourrait reposer sur un fondement autre que les arrêtés ministériels susmentionnés.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 22 février 2018.
Pour un plus ample exposé des prétentions et des moyens des parties, il est renvoyé à leurs dernières écritures signifiées conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
1- Sur la faute
Les sociétés Enedis et Axa ne contestent pas le caractère fautif du dépassement du délai de trois mois.
La société Ombrière soutient que la société Enedis, qui a reçu le 1er avril 2009 sa demande de raccordement déclarée complète, avait l'obligation de mettre à disposition la PTF avant le 1er juillet 2009, ce qu'elle n'a pas fait puisque la PTF lui a été transmise le 22 janvier 2010, engageant ainsi sa responsabilité. Elle affirme que la violation du délai de trois mois ouvre droit à réparation et que si la PTF lui avait été délivrée dans le délai imparti, voire quinze jours après avoir reconnu son retard, elle aurait encore disposé de plus de trois mois avant la date butoir du 11 janvier 2010 pour accepter et retourner la PTF signée et acceptée. Elle rappelle que le délai de trois mois résulte tout d'abord de l'article 13 du décret n°2006-1731 du 23 décembre 2006 puis de la délibération de la Commission de régulation de l'énergie (CRE), que le contrat de service public du 24 octobre 2005 conclu entre l'Etat et la société EDF va encore plus loin puisqu'il fait référence à un délai inférieur à trois mois et enfin des procédures internes de traitement de la société Enedis. Elle ajoute qu'à supposer que le délai de trois mois soit constitutif d'une simple obligation de moyen ou même indicatif, le délai de dix mois pris par la société Enedis pour traiter sa demande est particulièrement fautif et anormal et rappelle enfin que celle-ci n'allègue ni ne démontre la survenance d'un cas de force majeure ou d'une cause étrangère.
L'article 13 du décret n°2006-1731 du 23 décembre 2006 approuvant le cahier des charges type de concession du réseau public de transport d'électricité dispose que le concessionnaire définit des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution et qu'à défaut de procédures approuvées, le délai de transmission de la PTF ne peut excéder trois mois à compter de la réception de la demande de l'utilisateur.
Les articles 4.2.1.3 et 4.2.1.4 de la procédure de traitement des demandes de raccordement des installations de production d'électricité aux réseaux publics de distribution d'Enedis applicable à compter du 1er mars 2008 (ERDF-PRO-RES-21E version V6) prévoient que la demande de PTF donne lieu à la réalisation d'une étude détaillée par la société Enedis, fournie sous trois mois à compter de la réception de tous les éléments permettant d'instruire la demande et qu'après accord du demandeur sur la PTF et versement d'un acompte, la société Enedis réalise les études permettant de préciser les coûts et les délais de réalisation des ouvrages de raccordement à l'issue desquelles elle élabore la convention de raccordement.
Les articles 4.7 et 4.8 précisent que le demandeur dispose d'un délai de trois mois pour donner son accord sur la PTF mais également pour accepter la convention de raccordement.
Il résulte par ailleurs de la délibération de la commission de régulation de l'énergie du 11 juin 2009, soit postérieurement à la demande de raccordement litigieuse, portant décision sur les règles d'élaboration des procédures de traitement des demandes de raccordement au réseau public de distribution d'électricité et le suivi de leur mise en oeuvre et de son annexe 1 que la société ERDF, devenue Enedis, avait l'obligation de transmettre aux demandeurs une PTF dans un délai n'excédant pas trois mois à compter de la réception de sa demande de raccordement complète.
Ainsi, sur le fondement des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, la société Enedis commet une faute délictuelle lorsque le délai de trois mois dont elle dispose pour adresser une PTF à un candidat au raccordement au réseau électrique n'est pas respecté.
Ce délai maximum de trois mois se calcule à partir de la date de la réception par la société Enedis du dossier complet de demande de raccordement et s'apprécie à la date de réception de la PTF par le demandeur.
En l'espèce, il est justifié que la société JMB Solar a adressé à la société Enedis pour le compte de la société Ombrière des 'fiches de collecte de renseignements pour une étude de faisabilité ou détaillée (avec ou sans proposition technique et financière) dans le cadre du raccordement d'une centrale de production de plus de 250 kVA au réseau HTA de distribution exploité par ERDF', datées du 30 mars 2009.
Selon mail en date du 3 avril 2009, la société Enedis a fixé la date d'entrée en file d'attente au 1er avril 2009 et informé le mandataire qu'un devis lui serait adressé dans un délai de trois mois.
Le 22 septembre suivant la société Enedis lui a indiqué qu'en raison d'un problème interne concernant cette étude, celle-ci serait rendue sous quinze jours. Une PTF a finalement été émise le 22 janvier 2010. Elle a été acceptée le 28 janvier suivant et renvoyée complétée d'un acompte de 7 248,40 € à la société Enedis qui l'a reçue le 8 février 2010.
La faute de la société Enedis, qui a émis une PTF le 22 janvier 2010 soit après le délai de trois mois qui expirait le 1er juillet 2009, est donc caractérisée.
2- Sur le lien de causalité
La société Enedis soutient qu'il n'existe pas de lien de causalité entre le dépassement du délai de trois mois et le préjudice allégué tiré de la perte du tarif d'achat issu de l'arrêté du 10 juillet 2006 dès lors que les caractéristiques du projet étaient loin d'être certaines et solides.
Elle fait valoir d'une part que le préjudice invoqué résulte du dépôt tardif de la demande de contrat d'achat auprès d'EDF, puisque si la société Ombrière avait formé en même temps, comme tout opérateur diligent, une demande de raccordement auprès d'elle et une demande de contrat d'achat auprès d'EDF elle aurait pu bénéficier du tarif de l'arrêté du 10 juillet 2006. Elle précise que la société Ombrière ne peut pas se fonder sur un courrier envoyé par EDF pour tenter de s'exonérer de sa responsabilité résultant du non respect de l'arrêté du 10 juillet 2006 et qu'elle pouvait parfaitement anticiper le changement tarifaire intervenu le 12 janvier 2010 dès lors que le Ministre de l'écologie, de l'énergie et du développement durable avait annoncé dès le 9 septembre 2009 son intention de modifier les tarifs d'achat en vigueur et publié un projet d'arrêté, que les arrêtés du 10 juillet 2006 ont succédé à deux arrêtés tarifaires du 13 mars 2002 démontrant ainsi que le régime de l'obligation d'achat de l'électricité photovoltaïque est soumis depuis son origine à des changements tarifaires certains et que sa société mère, la société JMB Energie, est un professionnel averti.
Elle fait valoir d'autre part que la perte de l'ancien tarif d'achat a pour cause certaine exclusive l'adoption par le Gouvernement de l'arrêté tarifaire du 12 janvier 2010 puisque sans l'adoption de cet arrêté, complété le 16 mars 2010, qui a remis en cause a posteriori l'état du droit, le dépassement du délai de trois mois n'aurait eu aucune des conséquences invoquées par la société Ombrière.
La société Ombrière soutient en premier lieu que le retard avec lequel la société Enedis a transmis la PTF est la cause exclusive de la perte définitive et certaine du bénéfice du tarif issu de l'arrêté du 10 juillet 2006 puisque la remise de la PTF après le 11 janvier 2010 a eu pour conséquence directe d'opérer une modification du régime tarifaire de sa centrale et précise que seule la date de retour de la PTF et de l'acompte a été prise en compte par la société EDF pour lui refuser le bénéfice du tarif ancien alors que pour deux autres demandes de raccordement déposées à la même période elle a obtenu les PTF le 30 juillet et le 8 septembre 2009 et donc le bénéfice de ce tarif.
Elle prétend en second lieu qu'elle n'a commis aucune faute ou négligence ayant concouru à la réalisation de son préjudice car rien ne lui imposait de déposer concomitamment à sa demande de PTF ou avant le 1er novembre 2009 une demande de contrat d'achat OA et qu'à l'époque rien ne le justifiait puisqu'elle avait fait sa demande de PTF très en amont, que les conditions pour conserver le tarif de 2006 n'ont été connues qu'a posteriori et qu'il ne peut pas être reproché ni à elle même ni à sa société mère de ne pas avoir anticipé le changement rétroactif à venir.
La société Axa soutient que la société Ombrière est la première responsable de la situation dont elle se plaint puisqu'elle s'est elle-même privée du bénéfice du tarif d'achat résultant de l'arrêté tarifaire du 10 juillet 2006 en ne formulant pas de demande de contrat d'achat avant le 1er novembre 2009 et que le dommage résultant de la perte de chance de conclure un contrat d'achat d'électricité aux conditions en vigueur à la date de la demande de raccordement est avant tout la conséquence de l'instauration d'un nouveau tarif d'achat par arrêté du 12 janvier 2010.
L'article 3 de l'arrêté du 12 janvier 2010 (NOR: DEVE0930803A), qui a instauré des tarifs d'achat inférieurs à ceux de l'arrêté du 10 juillet 2006, précise que c'est la date de demande complète de raccordement au réseau public par le producteur qui détermine les tarifs applicables à une installation.
L'article 1er de l'arrêté du 16 mars 2010 (NOR: DEVE1006506A), venu compléter l'arrêté du 12 janvier 2010, précise que ' Les installations mises en service avant le 15 janvier 2010 bénéficient des conditions d'achat telles qu'elles résultaient des dispositions de l'arrêté du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil telles que visées au 3° de l'article 2 du décret n° 2000-1196 du 6 décembre 2000.
Parmi les installations non mises en service avant le 15 janvier 2010, seules peuvent bénéficier des conditions d'achat mentionnées ci-dessus les installations suivantes :
Installations pour lesquelles le producteur a donné son accord sur la proposition technique et financière de raccordement transmise par le gestionnaire de réseau et a versé, avant le 11 janvier 2010, le premier acompte dans les conditions définies par la documentation technique de référence du gestionnaire de réseau ;
Installations pour lesquelles une demande de contrat d'achat, conforme aux dispositions de l'arrêté du 10 juillet 2006 précité et du décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 modifié susvisé, a été déposée avant le 1er novembre 2009 ;
Installations de puissance crête supérieure à 36 kW et inférieure ou égale à 250 kW, pour lesquelles une demande de contrat d'achat, conforme aux dispositions de l'arrêté du 10 juillet 2006 précité et du décret n° 2001-410 du 10 mai 2001 modifié, et une demande complète de raccordement au réseau public, comportant les éléments précisés dans la documentation technique de référence du gestionnaire de réseau en vue d'obtenir une proposition technique et financière de raccordement, ont été déposées avant le 11 janvier 2010".
En l'absence de retard de la société Enedis dans l'envoi de la PTF, la société Ombrière aurait disposé d'un délai de trois mois à compter du 1er juillet 2009 pour renvoyer la PTF complétée de l'acompte, soit jusqu'au 1er octobre 2009 minuit. Aucun élément ne permet de considérer qu'elle n'aurait pas été en mesure de le faire. Elle aurait ainsi échappé au nouveau tarif et n'aurait pas subi le préjudice allégué.
Il n'est pas contesté que la société Ombrière n'a pas formé de demande de contrat d'achat d'électricité auprès de la société EDF avant le 1er novembre 2009, demande qui si elle avait été formée concomitamment à la demande de PTF lui aurait permis d'échapper au tarif 'S10".Cependant aucune disposition législative ou réglementaire n'imposait alors au producteur d'énergie de demander un contrat d'achat d'électricité à la société EDF avant d'avoir obtenu la PTF ou simultanément à la demande de PTF.
Au surplus, si en producteurs diligents et avisés les sociétés Ombrière et JMB Energie ne pouvaient pas ignorer que des modifications tarifaires pouvaient survenir, alors qu'un projet d'arrêté modifiant les tarifs avait été rendu public courant septembre 2009, il ne peut pas leur être fait grief de ne pas avoir anticipé la rétroactivité instaurée par l'arrêté du 16 mars 2010 venu compléter l'arrêté du 12 janvier 2010 en ce qu'il suffisait que le producteur ait donné son accord à la PTF et versé le premier acompte avant le 11 janvier 2010 pour bénéficier du tarif résultant de l'arrêté du 16 mars2010.
Le lien de causalité entre la faute de la société Enedis et le préjudice invoqué par la société Ombrière est donc établi.
3- Sur le préjudice
La société Enedis rappelle que, pour ouvrir droit à réparation, le préjudice invoqué devrait être direct, actuel et certain, ce qui exclut la réparation d'un préjudice éventuel ou hypothétique. Elle prétend que le préjudice sollicité n'est pas réparable dès lors que sa licéité n'est pas établie au motif qu'il repose sur le bénéfice d'un tarif d'obligation d'achat quiaurait été versé au producteur par la société EDF en application d'un arrêté en date du 10juillet 2006, constitutif d'une aide d'Etat illégale car non notifiée à la Commission européenne. Subsidiairement, si la cour refusait d'écarter le préjudice allégué du fait de son illicéité, la société Enedis demande à ce qu'il ne soit pas fait application del'arrêté du 10 juillet 2006 en raison de son illégalité tirée de sa méconnaissance des règles relatives aux aides d'Etat puisque, comme l'arrêté du 12 janvier 2010 qu'il a précédé de quatre années, il n'a pas été notifié à la Commission européenne alors qu'il constitue une aide d'Etat.
La société Enedis fait valoir en outre d'une part que le préjudice est incertain et hypothétique en raison du caractère évolutif et précaire de l'encadrement tarifaire de l'achat d'électricité, qu'il n'y a pas de droit acquis au maintien des réglementations comme le démontrent les changements tarifaires intervenus depuis l'origine, les décisions du Conseil d'Etat annulant des arrêtés tarifaires et celle du Conseil constitutionnel déclarant inconstitutionnel le régime de l'obligation d'achat pour certaines installations, que les producteurs ne peuvent se prévaloir d'un tarif d'achat certain tant que le contrat d'achat n'est pas signé, que de nombreux aléas affectent la production électrique, d'autre part que la société Ombrière ne démontre pas la réalité de son préjudice en ce qu'il n'est pas acquis qu'elle aurait nécessairement bénéficié des tarifs de 2006 pendant vingt ans si elle avait reçu la PTF dans le délai de trois mois, et car le chiffrage de son préjudice n'est pas réaliste et vérifiable, et de troisième part que la perte de chance de bénéficier de tarifs plus favorables ne peut être retenue comme préjudice indemnisable dès lors que durant la phase précontractuelle la perte d'une chance certaine ne peut donner lieu à la réparation du manque à gagner espéré de l'exécution du contrat.
En réponse, la société Ombrière rappelle à titre liminaire que la Cour de justice de l'Union européenne n'a répondu que sur l'un des quatre critères permettant de qualifier une aide d'Etat et ne s'est pas prononcé sur l'illégalité des arrêtés qui mettaient en oeuvre cette aide d'Etat. Elle soutient que même si la cour considérait que l'arrêté du 10 juillet 2006 est une aide d'Etat qui aurait dû faire l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne cela n'aurait pas pour conséquence de faire perdre au préjudice invoqué son caractère réparable en raison du principe communautaire de confiance légitime qui vise à garantir la sécurité des situations juridiques. Elle rappelle que l'arrêté du 10 juillet 2006 n'a fait l'objet d'aucun recours, que tant la Cour de justice de l'Union européenne en 2001 que le Conseil d'Etat en 2003 avaient jugé que le dispositif de soutien aux énergies renouvelables n'avait pas pour effet d'instituer une aide d'Etat, qu'il n'appartient qu'à la Commission européenne d'apprécier la compatibilité d'une mesure d'aide d'Etat avec les règles de l'Union et que celle-ci a au demeurant déclaré compatible l'arrêté du 4 mars 2011 qui lui a été notifié le 22 décembre 2014.
Elle fait également observer que l'absence de notification préalable du mécanisme de l'obligation d'achat dans le domaine éolien n'a ni remis en cause les contrats d'achat d'électricité conclus entre EDF OA et les producteurs ni conduit ces derniers à rembourser les sommes perçues en exécution. Elle en déduit que l'absence de notification préalable de l'arrêté du 10 juillet 2006 ne peut avoir pour conséquence de lui dénier le droit à être indemnisée de la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un contrat d'achat basé sur l'arrêté du 10 juillet 2006 en application des règles de la responsabilité civile qui imposent qu'elle soit remise dans la situation où elle se serait trouvée en l'absence de faute et rétablie dans ses droits de manière identique à ceux dont bénéficient les autres producteurs, étant précisé qu'en l'espèce il n'y a pas d'aléa justifiant de réduire sa perte de chance de conclure le contrat d'achat puisqu'elle a construit et mis en service la centrale.
Elle soutient encore que son préjudice qui correspond, pendant toute la durée du contrat d'obligation d'achat, au manque à gagner total résultant du différentiel entre les tarifs 2006 et 2010 est direct et certain même si sa réalisation est en partie future et qu'elle doit donc être indemnisée sur cette base. Elle justifie enfin les modalités de calcul de celui-ci basées sur les productions effectives des premières années.
A titre subsidiaire, elle sollicite qu'une expertise judiciaire soit ordonnée et que les frais en soient supportés par les sociétés Enedis et/ou Axa.
La société Axa soutient d'une part que le préjudice invoqué par la société Ombrière au titre de la prétendue perte de marge n'est pas réparable en ce qu'il est calculé sur la base d'un arrêté tarifaire illégal faute d'avoir fait l'objet d'une notification préalable à la Commission européenne qui ne l'a jamais déclaré compatible et que le principe de confiance légitime n'est pas applicable en l'espèce, d'autre part que le préjudice est injustifié dès lors que le calcul opéré ne prend pas en compte l'ensemble des coûts liés à l'exploitation de la centrale et le taux d'actualisation du projet sur la durée prétendue d'exploitation de la centrale.
Le préjudice dont la réparation est demandée est estimé par rapport à la différence entre le tarif d'achat de l'électricité fixé par l'arrêté tarifaire du 10juillet 2006 et le prix effectivement payé par la société Enedis pour chaque kWh vendu.
Or la perte d'un avantage dont l'obtention aurait été contraire au droit ne peut être considéré comme un préjudice réparable. Rétablir, comme c'est le propre de la responsabilité civile, 'l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit' ne peut conduire à reconstituer un avantage illicite.
Tel est le cas d'un régime d'aide contraire au droit de l'Union européenne. En effet, le juge national chargé d'appliquer les dispositions du droit de l'Union a l'obligation d'en assurer le plein effet en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire et le juge judiciaire doit appliquer le droit de l'Union dans le cas où serait en cause devant lui, à titre incident, la conformité d'un acte administratif au droit de l'Union européenne.
Le principe de confiance légitime, qui fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique dont a à connaître le juge français est régie par ce droit. Or aucun texte du droit de l'Union européenne, notamment pas la directive du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité, n'a pour objet de régir les modalités de rachat de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables.
En outre, si la société Ombrière a pu penser que le dispositif de soutien aux énergies renouvelables ne constituait pas une aide d'Etat, elle ne démontre pas avoir obtenu des assurances de la part de l'administration quant à la légalité du mécanisme et ne peut pas sérieusement prétendre avoir été dans l'impossibilité de prévoir la modification de la réglementation eu égard au changement de tarif déjà intervenu le 13 mars 2002 notamment.
Il convient, par conséquent, de rechercher si l'arrêté tarifaire du 10 juillet 2006 fixant les conditions d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative du soleil constitue une aide d'Etat.
L'article 107 alinéa 1 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) dispose que sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.
En son alinéa 2, l'article 107 précise que peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur (...) c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun.
L'article 108 du même traité fonde le pouvoir de contrôle de la Commission européenne pour procéder à l'examen permanent des régimes d'aides d'Etat, proposer des évolutions, déclarer compatibles ou non avec le marché les aides d'Etat et la nécessité de lui notifier les projets d'aides préalablement à leur mise en oeuvre.
Il se déduit de ces dispositions que toute aide d'Etat qui n'a pas été soumise à la Commission européenne préalablement à sa mise à exécution est présumée illégale jusqu'à ce qu'elle ait statué.
En suite des deux questions préjudicielles qui lui ont été posées par la présente cour, et des réponses apportées, rappelées ci-dessus, la CJUE a répondu que l'obligation d'achat de l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à celui du marché et dont le financement est supporté par les consommateurs finals d'électricité est une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources de l'Etat. Il convient donc de rechercher si les trois autres conditions de l'aide d'Etat sont réunies, étant précisé qu'elle a également indiqué que le mécanisme relatif au tarif photovoltaïque instauré par la loi 2000-108 est identique à celui en cause dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 19 décembre 2013 (C-262/12, EU:C/2013:851) en matière éolienne à la suite duquel le Conseil d'Etat, dans un arrêt du 28mai2014 n°324852, a considéré que l'achat de l'électricité produite par les installations utilisation l'énergie mécanique du vent à un prix supérieur à sa valeur de marché, dans les conditions définies par les arrêtés attaqués, a le caractère d'une aide d'Etat.
La Commission de régulation de l'énergie, dans son avis consultatif préalable à l'adoption de l'arrêté du 4mars2011 qui fixait les tarifs d'achat à des niveaux moindres que ceux des arrêtés du 10 juillet 2006 et du 12 janvier 2010, a considéré que 'les tarifs proposés induisaient des rentabilités comparables ou supérieures au coût moyen pondéré du capital de référence' estimé à 5,1 % sur la base du coût du capital moyen d'un échantillon d'entreprises du secteur des énergies renouvelables.
Dans son rapport de juillet 2013 portant sur la politique de développement des énergies renouvelables, la Cour des comptes a considéré que 'la situation qu'a connue la filière solaire photovoltaïque durant la période 2010 à 2011 pouvait être qualifiée de 'bulle photovoltaïque, provoquée par une déconnexion entre les tarifs d'achat et la réalité des coûts' de production.
La Commission européenne a également relevé dans sa décision du 27 mars 2014 que pour 'le photovoltaïque en France, le tarif offrait des rentabilités excédant la rentabilité normale des capitaux'. Le succès du mécanisme d'achat dans le secteur photovoltaïque a été tel qu'il a de fait obligé le Gouvernement à revoir les tarifs applicables à la baisse.
Il est ainsi démontré que les arrêtés du 12 janvier 2010 et du 10 juillet 2006 permettant d'acquérir l'électricité produite par les installations utilisant l'énergie radiative solaire à un prix supérieur à sa valeur de marché accordaient un avantage aux seuls producteurs de cette électricité.
En garantissant un prix d'achat supérieur au prix du marché, ces dispositions législatives et réglementaires étaient de nature à fausser la concurrence et donc à avoir une incidence sur celle-ci.
Enfin, cet avantage était susceptible d'affecter les échanges entre Etats membres en raison de la libéralisation du secteur de l'électricité au niveau de l'Union européenne.
Il se déduit de ces éléments que le mécanisme d'obligation d'achat par la société EDF de l'électricité d'origine photovoltaïque à un prix supérieur à celui du marché et mis à exécution par l'arrêté du 10 juillet 2006 constitue une aide d'Etat.
Il est constant que cet arrêté n'a pas été notifié à la Commission européenne et comme il a été remplacé depuis aucune régularisation n'est possible.
Si les juridictions nationales sont compétentes pour apprécier le respect par les Etats membres de la procédure de notification, seule la Commission européenne est compétente pour statuer sur la compatibilité d'une aide d'État avec le marché intérieur. Dès lors, la cour ne peut se substituer à elle dans cette appréciation, même si ultérieurement, la Commission européenne a, à plusieurs reprises, décidé que les mécanismes d'aide mis en place par la France en matière de production d'électricité photovoltaïque après le moratoire étaient compatibles avec le marché intérieur, étant en outre observé que ces décisions postérieures de la Commission européenne ont porté sur des mécanismes d'aide différents, plus contraignants, et qui instauraient des tarifs bien inférieurs à ceux promulgués par les arrêtés des 10juillet2006 et 12 janvier 2010.
Le seul défaut de notification à la Commission européenne préalablement à sa mise en oeuvre rend l'arrêté du 10juillet 2006 non conforme au droit de l'Union et, par suite, illicite et non réparable le préjudice sollicité qui correspond à la perte d'un avantage résultant d'une aide illégale.
Le sort des contrats en cours, l'absence de toute action en récupération d'une aide susceptible d'être considérée comme contraire au droit de l'Union et les modalités d'une telle action en récupération, sont sans incidence sur le caractère licite de l'indemnisation sollicitée sur le fondement de l'article 1240 du code civil.
La société Ombrière doit donc être déboutée de sa demande d'indemnisation de son préjudice résultant de la perte du tarif fixé par l'arrêté du 10juillet2006 et par voie de conséquence de sa demande subsidiaire d'une expertise.
Il y a lieu par suite d'infirmer le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité non discutées en cause d'appel, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens et la demande en garantie devenue sans objet.
PAR CES MOTIFS,
La cour statuant contradictoirement,
Infirme le jugement sauf en ce qu'il a rejeté les exceptions d'incompétence et d'irrecevabilité;
Statuant à nouveau,
Dit que la SA Enedis a commis une faute à l'égard de la SAS Ombrière le Bosc ;
Dit que le lien de causalité entre cette faute et le préjudice allégué par la SAS Ombrière le Bosc est établi ;
Dit que le préjudice sollicité n'est pas réparable ;
En conséquence, déboute la SAS Ombrière le Bosc de ses demandes,
Condamne la SAS Ombrière le Bosc à payer à la SA Enedis la somme de 10 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Ombrière le Bosc à payer à la SA AXA la somme de 8 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la SAS Ombrière le Bosc aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement au profit des avocats pouvant y prétendre conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sophie K..., Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,