COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
SM
Code nac : 39H
12e chambre section 2
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 JUIN 2018
N° RG 17/03072
AFFAIRE :
SARL SPACEKEY EUROPE
C/
SAS 3D PLUS
Décision déférée à la cour: Jugement rendu(e) le 10 Mars 2017 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° Chambre : 4
N° Section :
N° RG : 2016F00383
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Bertrand X...
Me Valérie Y...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT ET UN JUIN DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:
SARL SPACEKEY EUROPE
N° SIRET : 491 213 153
2 promenade du Barrage
[...]
Représentant : Me Bertrand X... I... H...-G... Z... AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20170424
Représentant : Me Nicolas MORVILLIERS, Plaidant, avocat au barreau de TOULOUSE - substitué par Me A...
APPELANTE
****************
SAS 3D PLUS
N° SIRET : 402 523 088
[...]
Représentant : Me Valérie Y... de la SCP GAZAGNE & Y..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C511 - N° du dossier 179106
Représentant : Me Alexandre JACQUET de la SELARL CABINET BENECH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0324
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Avril 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Sylvie B..., Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Sylvie B..., Président,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Monsieur Denis ARDISSON, Conseiller,
Greffier F.F., lors des débats : Monsieur James C...,
Vu l'appel déclaré le 18 avril 2017 par la société à responsabilité limitée Spacekey Europe (société Spacekey.), contre le jugement prononcé le 10 mars 2017 par le tribunal de commerce de Versailles dans l'affaire qui l'oppose à la société par actions simplifiée 3D Plus (société 3D Plus) ;
Vu le jugement entrepris ;
Vu, enregistrées par ordre chronologique, les ultimes écritures notifiées par le réseau privé virtuel des avocats et présentées le :
- 13 juillet 2017 par la société Spacekey, appelante,
- 8 septembre 2017 par la société 3D Plus, intimée ;
Vu l'ensemble des actes de procédure ainsi que les éléments et pièces transmises par chacune des parties.
SUR CE,
La Cour se réfère au jugement entrepris pour un plus ample exposé des faits, de la procédure et des prétentions initiales de chaque partie. Il suffit, en synthèse, de rappeler les éléments constants suivants tirés des écritures d'appel.
1. données analytiques, factuelles et procédurales, du litige
La société Spacekey est spécialisée dans la représentation commerciale et la distribution de composants et de matériels électroniques ainsi que dans la fourniture de conseil et d'ingénierie tandis que la société 3D Plus, créée en 1995 dite 'pin-off' de la société Thomson-CSF renommée Thales, a pour secteur d'activité, la fabrication et la commercialisation de composants électroniques destinés à l'industrie, à l'informatique et aux télécommunications et plus particulièrement à l'aérospatiale. Elle conçoit et fabrique elle-même ou par l'intermédiaire d'une société taïwanaise, des circuits intégrés en trois dimensions notoirement connus pour leurs qualités exceptionnelles et a depuis dix ans, consacré ses efforts sur les technologies d'empilage de circuits intégrés en 3D présentant des avantages considérables compte tenu d'une miniaturisation extrême, d'une très haute densité, d'une excellente performance et intégré (très haut débit/signaux), d'une fiabilité et d'une robustesse certaines en présence d'environnements très sévères dont ceux soumis aux radiations spatiales avec qualification pour l'espace, et d'une très grande expérience de vol. Détenant un portefeuille important de brevets dans le monde, elle est soucieuse de protéger son savoir-faire et ses secrets de fabrique.
S'estimant victime de contrefaçon de ses brevets par la diffusion de produits très ressemblants aux siens fabriqués par l'un de ses anciens distributeurs, la société chinoise Orbita, proposés par une société singapourienne D3CI créée en 2008 avec l'appui de la société Spacekey dont M. Benoît D... est gérant et M. Rémy E..., l'un des principaux actionnaires et s'interrogeant sur l'apparition chez la société Orbita de certains éléments de son savoir-faire secret nécessairement obtenus de manière déloyale via une divulgation non autorisée par le biais des personnes susnommés qui sont d'anciens salariés, la société 3D Plus a sur autorisation judiciaire, fait procéder à des constats et à des saisies-contrefaçon et a ensuite fait assigner devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Paris la société Spacekey et son dirigeant, M. Benoit D... ainsi que M. Remy E... en désignation d'expert avec pour mission, de trier les éléments saisis utiles à la preuve des agissements incriminés.
Le juge saisi a selon ordonnance de référé du 10 octobre 2014 fait droit à cette demande. La cour d'appel de Paris a par arrêt du 20 novembre 2015, partiellement confirmé cette décision et complété la mission de l'expert judiciaire désigné. Un pourvoi en cassation a été formé par la société Spacekey ainsi que par MM. Benoît D... et Rémi E.... L'instance est actuellement pendante devant la Cour de cassation et les opérations d'expertise, également toujours en cours.
A la suite de ces mesures probatoires, une action en contrefaçon et en concurrence déloyale a été introduite le 25 avril 2014 par la société 3DPlus devant le tribunal de grande instance de Paris contre M. Benoît D... et la société Spacekey.
Estimant avoir début 2016, découvert qu'une société irlandaise dénommée OCE Technology (société OCE.) distribuait en Europe les produits de la société Orbita, la société 3DPlus lui a le 29 février 2016, adressé une mise en garde en l'informant de ses griefs contre les produits de cette société.
La société Spacekey a alors le 12 mai 2016, fait assigner la société3D Plus devantle tribunal de commerce de Versailles en lui reprochant, un dénigrement constitutif de concurrence déloyale et en sollicitant, l'indemnisation de son préjudice corrélatif.
Dans le dernier état de ses écritures oralement soutenues à l'audience, la société Spacekey a demandé aux premiers juges de :
- vu l'article 1382 du code civil [dans sa rédaction en vigueur antérieurement au 1er octobre 2010],
- juger que les faits fondant le présent litige, à savoir la publicité donnée par la société 3D Plus à un procès n'ayant donné lieu à aucune décision définitive constituent un dénigrement constitutif de concurrence déloyale ;
- dire que la société Spacekey Europe en a nécessairement subi un préjudice ;
- interdire à la société 3D Plus tout acte de dénigrement au préjudice de la société Spacekey Europe y compris de faire état de la procédure judiciaire en cours devant le TGI de Paris sous astreinte de 3 000 € par jour de retard suivant le prononcé du jugement à intervenir ;
- condamner la société 3D Plus à payer à la société Spacekey Europe 200 000€ à titre de dommages et intérêts pour dénigrement augmentés des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;
- ordonner la publication aux frais exclusifs de la société 3D Plus et sous astreinte de la somme de 3 000 € par jour de retard passé un délai de 8 jours suivant le prononcé du jugement à intervenir du dispositif ou d'un extrait précis de la décision à intervenir dans 3 journaux ou revues, édition papier ou numérique au choix de la société Spacekey Europe et dans la limite de 5 000€ par insertion ;
- condamner la société 3D Plus au paiement de la somme de 8 000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société 3D plus aux entiers dépens de l'instance ;
- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, nonobstant appel et sans caution.
La juridiction consulaire saisie a selon jugement contradictoire du 10 mars 2017, tranché ce litige par l'énoncé du dispositif suivant :
- déboute la SARL Spacekey Europe de l'ensemble de ses demandes.
- condamné la SARL Spacekey Europe à payer à la SA 3DPlus la somme de 4 000€ et en application de l'article 700 du code de procédure civile,
- ordonne l'exécution provisoire,
- condamne la SARL Spacekey Europe aux dépens dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 187, 04€.
Pour statuer ainsi, les premiers juges ont retenu que : - la société OCEest distributrice des produits de la société de droit chinois Orbita, concurrents de ceux de la société 3DPlus ; - la société Spacekey qui se présente comme étant une 'société spécialisée dans le négoce de composants et de sous ensembles électroniques de tout type', propose notamment à ses clients des produits de la société Orbita par l'intermédiaire de la société D3CI animée par d'anciens salariés de la société 3D Plus ; - aucune situation de concurrence au sein de la société OCE n'est avérée entre les sociétés 3D Plus et Spacekey ; - cette dernière fonde son action sur une lettre communiquée par porteur le 29 février 2016 à la société OCE dont la traduction en français par les soins de la société Spacekey n'est pas contestée par les parties ; - selon cette lettre '3DPlus considère que les produits 3D d'Orbita sont le résultat d'informations volées par des anciens salariés de 3DPlus ; un procès est actuellement en cours contre ces anciens salariés et la société qu'ils ont constituée à savoir Spacekey Europe' ; - les affirmations de la société 3D Plus sont factuelles ou formulées avec toutes les précautions qui s'imposent, n'affirmant pas mais faisant simplement valoir un point de vue ; - si la société 3D Plus affirme que dans le cadre de cette procédure, trois saisies ont été pratiquées, cette affirmation est factuelle ; - elle précise également :'ces investigations, qui sont en cours, devraient révéler dans les mois prochains les documents que ces anciens salariés ont volé à notre cliente' ; - aucun caractère affirmatif et dénigrant n'est relevé par le tribunal concernant ces supputations, dont le caractère hypothétique est souligné par l'emploi du conditionnel ; - selon ce même courrier : 'aucune décision n'a pour l'instant confirmé les suspicions de 3DPlus mais nous anticipons, une telle décision sera bientôt rendue' ; - ces termes sont extrêmement mesurés et laissent au lecteur le choix de se former son opinion, aucun caractère affirmatif n'est donné à ces propos ; - le caractère dénigrant n'est donc pas avéré et la société Spacekey sera déboutée de sa demande.
La société Spacekey a déclaré appel de cette décision. La clôture de l'instruction a été ordonnée le 6 mars 2018 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 10 avril suivant tenue en formation de juge rapporteur pour y être plaidée. A cette date, les débats ont été ouverts et l'affaire a été mise en délibéré.
2. dispositifs des conclusions des parties
Vu les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
La société Spacekey prie la Cour de :
- vu l'article 1382 du code civil (devenu l'article 1240 du code civil.),
- réformant le jugement du Tribunal de commerce de Versailles du 10 mars 2017,
- et rejetant toutes conclusions adverses comme injustes et mal fondées,
- juger que les faits fondant le présent litige, à savoir la publicité donnée par la société 3D Plus à un procès n'ayant donné lieu à aucune décision définitive constituent un dénigrement constitutif de concurrence déloyale ;
- dire que la société Spacekey Europe en a nécessairement subi un préjudice ;
- interdire à la société 3D Plus tout acte de dénigrement au préjudice de la société Spacekey Europe, y compris de faire état de la procédure judiciaire en cours devant le tribunal de grande instance de Paris, sous astreinte de 3 000€ par jour de retard suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir ;
- condamner la société 3D Plus à payer à la société Spacekey Europe 200 000€ à titre de dommages et intérêts pour dénigrement augmentés des intérêts au taux légal à compter du prononcé de la décision ;
- ordonner la publication aux frais exclusifs de la société 3D Plus et sous astreinte de 3 000€ par jour de retard passé un délai de 8 jours suivant le prononcé de l'arrêt à intervenir, du dispositif ou d'un extrait précis de la décision à intervenir, dans 3 journaux ou revues, édition papier ou numérique, au choix de la société Spacekey Europe et dans la limite de 5 000€ par insertion;
- condamner la société 3DPlus au paiement de la somme de 8 000€ sur le fondement de
l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société 3DPlus aux entiers dépens lesquels seront recouvrés par Me Bertrand F... de l'AARPI Z... Avocats conformément à l'article 699 du code d eprocédure civile.
La société 3D Plus demande qu'il plaise à la Cour de :
- vu l'article 1382 du code civil,
- vu les pièces,
- confirmer le jugement entrepris du 10 mars 2017 en toutes ses dispositions ;
- débouter la société Spacekey Europe de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions;
- condamner la société Spacekey Europe à verser à la société 3DPlus 8 000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
La Cour renvoie à chacune de ces écritures pour une synthèse argumentative de la position de chaque partie, dont l'essentiel sera développé dans le cadre des motifs de cet arrêt.
CELA ETANT EXPOSE,
1.Il y a lieu de statuer sur le bien-fondé d'une action en concurrence déloyale par dénigrement formée par une société commercialisant et distribuant des composants et des sous-ensembles électroniques de tous types (société Spacekey.), par ailleurs poursuivie pour concurrence déloyale et contrefaçon par copie servile dans le cadre d'une instance distincte introduite devant le tribunal de grande instance de Paris par la société 3D Plus, conceptrice et fabricante de toutes espèces de matériel électronique et notamment, de circuits intégrés en trois dimensions notoirement connus dans le monde, à qui elle reproche précisément, dans le cadre de la présente instance, de l'avoir en tant que société concurrente, prématurément discréditée auprès de sa clientèle et notamment auprès d'une société irlandaise (société OCE.) distribuant en Europe des produits prétendument contrefaisants fabriqués par une société chinoise (société Orbita.) qui se trouve être un ancien distributeur de la société 3D Plus et au réseau commercial de laquelle elle appartient par l'intermédiaire d'une société singapourienne D3CI.
Sur la réalité d'un dénigrement de la société Spacekey
2.La société Spacekey soutient à l'appui de sa demande de réformation du jugement entrepris, que la lettre adressée le 29 février 2016 par son adversaire par la voie de son conseil habituel à l'un de ses partenaires potentiels, fait état de manière non autorisée d'une procédure judiciaire en cours en la dénigrant ouvertement, énonçant sans la moindre réserve ou mesure, que d'anciens salariés de la société 3DPlus ayant constitué la société Spacekey auraient détournés des informations permettant de fabriquer des produits concurrents contrefaisants.
Elle précise que : - la société irlandaise destinataire de ces propos (société OCE.) étant non seulement l'une de ses concurrentes mais également, une concurrente directe de la société 3D Plus, les premiers juges ont commis une grave erreur d'appréciation des faits en retenant le contraire ; - tout porte en réalité à croire, que la lettre envoyée à la société OCE fait partie d'un ensemble de lettres circulaires adressées à l'ensemble des acteurs du marché des composants 3D dans le but évident de lui causer, ainsi qu'à la société Orbita, un tort irréparable ; - la société 3D Plus a d'ailleurs déjà agi de la même manière en décembre 2013, par l'intermédiaire d'un salarié occupant le poste de 'VP Sales ant Marketing' en son sein, ce salarié ayant en effet adressé des courriels constitutifs d'un dénigrement caractérisé indiquant 'nous menons actuellement une action juridique en contrefaçon et copie servile contre ce contrefacteur et ces représentants en France'; - la société 3D Plus a précisé par ailleurs attaquer toute tentative d'infiltration du marché par la société Spacekey ou sa partenaire D3CI ainsi que tout partenariat commercial avec des sociétés tierces pouvant les aider à y parvenir, par le dénigrement systématique de leurs produits.
Elle ajoute que : - le dénigrement vise naturellement un concurrent identifié ou identifiable et suppose, une communication externe ; - en matière de contrefaçon, sont ainsi dénigrants, le fait d'informer des tiers sur le risque de contrefaçon de produits concurrents, le fait de faire connaître par courrier électronique et de publier sur un site internet l'accusation de contrefaçon portée contre une société alors qu'aucune décision de justice n'a reconnu ces faits et encore, toute information portant sur une action en contrefaçon, engagée ou non ; - la jurisprudence établie condamne au titre du dénigrement toute information sur une instance en cours, en considérant que l'on peut craindre qu'elle préjuge de la décision à venir et crée un tort considérable et irréversible au concurrent désigné ; - une mise en garde n'est ainsi permise et licite que si elle est mesurée ; - toute dérive est systématiquement sanctionnée ; - la jurisprudence considère que le préjudice s'infère nécessairement de l'acte déloyal ; - la lettre adressée par la société 3D Plus, traduit de toute évidence une communication excessive donnée à une instance en cours en livrant, sous couvert d'une lettre d'avocat, des informations partielles présentées de manière biaisée à un concurrent direct des parties dans le but évident de ruiner son image et de tenter de l'éliminer du marché ; - un tel comportement caractérise une volonté de nuire sur le plan commercial ; - le discrédit est en effet porté sur l'entreprise elle-même puisque les anciens salariés de la société 3D Plus concernés, ont créé ou rejoint la société Spacekey ; - contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, les propos de la société 3D Plus sont loin d'être mesurés.
3.La société 3D Plus répond que : - la lettre privée adressée à la seule société OCE, ne peut caractériser juridiquement un acte de dénigrement ; - la société Spacekey ne démontre pas qu'elle a eu un comportement déloyal caractérisant une faute, cause d'un préjudice démontré ; - la société destinataire de cette lettre n'était en effet pas cliente de la société Spacekey mais le distributeur irlandais de la société chinoise Orbita commercialisant en Europe, au même titre que la société Spacekey et de manière parallèle, les produits de cette société chinoise dont il est suspecté qu'ils mettent en oeuvre des secrets de fabrique obtenus de manière déloyale par une divulgation non autorisée par deux de ses anciens salariés ayant constitué la société Spacekey ; - la lettre incriminée était donc une simple lettre de mise en garde, ne poursuivant aucun autre objectif et était au demeurant nécessaire dès lors qu'en droit irlandais, toute éventuelle réclamation judiciaire doit être précédée d'une lettre informative préalable ; - cette mise en garde, rédigée en termes mesurés, prend soin de rappeler à plusieurs reprises qu'aucune décision de justice n'est encore intervenue; - la société Spacekey n'y est au demeurant citée que de manière marginale soit une seule et unique fois, comme étant la société fondée par les anciens salariés de la société 3D Plus ; - cette lettre de mise en garde ne comporte en réalité aucune critique sur les prestations de la société Spacekey et/ou ses méthodes commerciales ; - quoi qu'il en soit, la société OCE n'est pas un consommateur mais un professionnel aguerri, distributeur sur l'ensemble du territoire européen de produits provenant d'Asie ; - il est enfin inexact de prétendre, que la société 3DPlus aurait par le passé, commis des actes de dénigrement envers la société Spacekey.
4.Vu l'article 1240 du code civil dans sa rédaction en vigueur depuis le 1er octobre 2016 ;
5.Le dénigrement s'entend comme étant le fait, de jeter publiquement le discrédit sur les produits, l'entreprise ou la personnalité d'un concurrent pour en tirer profit;
6.Il est établi par les éléments portés aux débats ainsi que par la discussion des parties d'une part, que la société Spacekey dont le gérant (M. Benoît D....) et le principal actionnaire (M. Rémy E....) sont d'anciens salariés de la société 3D Plus spécialisée dans la fabrication de matériel électronique et dans les prestations de service d'assemblage et d'encapsulation de composants électroniques, commercialise et distribue des composants et matériels électroniques et est également l'un des membres du réseau commercial de la société D3CI qui, basée à Singapour, diffuse les produits fabriqués par la société chinoise Orbita prétendument très proches de ceux commercialisés et distribués par la société 3D Plus et que d'autre part, la société irlandaise OCE tend également à diffuser en Europe les produits fabriqués par la société Orbita.
7.La lettre incriminée du 29 février 2016, présentée par la société Spacekey comme étant dénigrante émane du conseil de cette société spécialisé en propriété intellectuelle et est précisément énoncée en ces termes :
' Nous vous écrivons au nom de la société française 3D Plus qui a son siège social sis [...]. Celle-ci s'est aperçue que :
- OCE Technology (ci-après mentionnée comme 'OCE'), vend des produits 3D (cubes ou modules comprenant des composants empilés en 3 dimensions), notamment à travers son site internet (http://ocetechnology.com/), et/ou sur différents salons (tels que Spacetech, ESA, DASIA) ;
- ces produits 3D sont fabriqués par une société chinoise dénommée Orbita Software Engineering Inc. (Ci-après mentionnée comme 'Orbita'), à laquelle OCE est de toute évidence liée économiquement.
Notre cliente voudrait porter à votre connaissance les faits suivants :
- Orbita a été son distributeur en Chine de 2005 à 2007 ;
- 3 D Plus considère que les produits 3D d'Orbita sont le résultat d'informations volées par des anciens salariés de 3D Plus (qui sont à présent impliqués dans le réseau de distribution d'Orbita),
- un procès est actuellement en cours en France contre ces anciens salariés (et la société qu'ils ont constituée, à savoir Spacekey Europe.)
- dans le cadre de cette procédure, trois saisies ont été pratiquées par 3D Plus au siège/domicile de ces anciens salariés. Ces investigations, qui sont en cours, devraient révéler dans les mois prochains les documents que ces anciens salariés ont volé à notre cliente et qui ont été transmis à Orbita, lui permettant alors de concevoir ses propres produits 3 D./Notez qu'aucune décision n'a pour l'instant confirmé les suspicions de 3D Plus, mais nous anticipons, une telle décision sera bientôt rendue./Si votre fabriquant ne vous a pas déjà informé de ces informations, vous êtes à présent, du moins à la date de cette lettre, complètement au courant de ces revendications de 3D Plus contre les produits 3D d'Orbita./Nous restons à votre disposition. Si vous aviez quelque interrogation à ce propos, merci de nous contacter.' [sur et sous ligné par la Cour].
8.La société 3D Plus estime manifestement à tort à la simple lecture de ces énonciations, que les termes employés par le conseil de la partie adverse pour la mettre en garde contre une réalité plausible de contrefaçon ainsi que contre l'existence de poursuites judiciaires pour contrefaçon, sont mesurés et objectifs et partant, non constitutifs de dénigrement.
9. De tels propos et énonciations sont au contraire à connotation fortement péjorative puisque faisant état d'infractions pénales commises (vols) par d'anciens salariés de la société 3D Plus ayant depuis constitué la société Spacekey, ces infractions étant présentées comme établies et avérées ('ont volés') et comme, ayant permis de contrefaire des produits fabriqués par la société 3D Plus ainsi qu'une décision de justice ne pourra que prochainement le confirmer ('une telle décision sera rendue'.).
10.La forme de cette mise en garde qui au demeurant ne précise même pas les références du brevet prétendument enfreint (brevet évoqué par le terme 'revendication'), exprimée sous forme de critique dépréciante et non pas dans un but d'information objective d'une société cliente de la société Orbita ayant les mêmes intérêts que la société Spacekey n'offrait en réalité à son destinataire pas d'autre choix, que d'abandonner la diffusion des produits concernés. Le dénigrement imputé à la société 3D Plus qui admet en effet dans la lettre incriminée que la société Spacekey est impliquée dans le réseau de commercialisation de la société Orbita, est ainsi dûment caractérisé, peu important de savoir si la société 3D Plus a ou non agi de manière intentionnelle.
Sur le préjudice subi
11.La société Spacekey rappelle que : - un préjudice s'infère nécessairement de tout acte de concurrence déloyale ; - le marché des modules 3 D étant un marché assez restreint a fortiori s'agissant comme en l'espèce de produits affectés à une niche précise (le spatial), il est aisé de ruiner la réputation de l'un de ses acteurs par une lettre telle que la lettre dénigrante litigieuse ; - cette lettre qui n'a pas été isolée, tend par intimidation à la mettre à l'écart de tous les circuits économiques et il est plus que probable qu'elle a circulé entre d'autres mains ; - son image en a été gravement et irrémédiablement atteinte à telle enseigne que sa situation financière est mauvaise ; - ses moindres diligences pour s'implanter sur le marché sont systématiquement réduites à néant de manière impromptue et inopinée, en dépit des excellents contacts et réputation que ses dirigeants entretiennent ; - les échecs précédemment rencontrés lors de diverses négociations avec des tiers tiennent ainsi à des actions souterraines fomentées par la société 3D Plus qui de son côté, affiche une croissance confortable alors qu'elle dispose au demeurant, d'énormes ressources en raison de son affiliation à un très gros groupe américain ; - son préjudice est d'autant plus important que l'Agence Spatiale Européenne (ESA) mentionnée dans cette lettre est non seulement un utilisateur mais également, un organisme certificateur pour le marché spatial en Europe ; - si cette agence lui ouvre ses portes, grâce par exemple à l'entremise de la société OCE, tous les industriels du secteur seront donc nécessairement intéressés pour évaluer la qualité des produits 3D, concurrents de ceux de la société 3D Plus ; - elle est fondée à voir enjoindre à la société 3D Plus de ne pas évoquer l'existence du litige en cours et les griefs qu'elle entend formuler comme à être indemnisée de son préjudice sous forme de dommages-intérêts en proportion, de la gravité des accusations portées, de leur caractère réitéré, de l'étroitesse du marché et des facultés de paiement de la société 3D Plus.
12.La société 3D Plus s'oppose à ces réclamations qu'elle qualifie d'astronomiques, objectant qu'un préjudice juridiquement indemnisable doit être certain, direct et personnel et que, dans les circonstances de cette espèce, cette preuve n'est pas établie par son adversaire.
13.Contrairement aux allégations de la société 3D Plus, la société Spacekey établit par la copie d'un courriel qu'elle verse aux débats - voir cote 8 qu'à la réception de lettre incriminée, la société OCE a bien suspendu ses activités sur les composants 3D.
14.Elle établit également qu'à une autre reprise, la société 3D Plus a fait état d'une procédure pour contrefaçon par copie servile dirigée contre la société D3CI présenté comme 'contrefacteur' alors que cette procédure n'avait pas encore été engagée avec donc comme objectif évident, de provoquer un détournement de clientèle - voir cote 5A, courriel du 16 décembre 2013 'nous menons actuellement une action juridique en contrefaçon et copie servile contre ce contrefacteur et ces représentants en France'.
15.Ces circonstances caractéristiques de dénigrement avéré étant de nature à établir, non seulement l'existence du préjudice occasionné par une société bénéficiant d'une certaine notoriété à une société de taille plus modeste et plus récente (2006) cherchant à pénétrer le marché étroit de produits de haute technologie dans le domaine spatial mais également son étendue, conduisent la Cour à faire raisonnablement droit à la demande d'indemnisation, à hauteur de 50 000€.
Sur les autres demandes
16.En l'absence de démonstration d'un préjudice spécifique distinct de celui déjà réparé par l'attribution de dommages-intérêts, il ne sera en revanche pas fait droit à la demande de réparation complémentaire réclamée sous forme de publication du dispositif de cette décision dans trois journaux ou revues, édition papier ou numérique dans la limite de 5 000€ par insertion, aux frais exclusifs de la société 3D Plus.
17.Il n'y a pas davantage lieu d'interdire à la société 3 D Plus tout acte de dénigrement puisque cette interdiction résulte de la nécessaire observance de la loi elle-même.
18.Vu les articles 696 et 699 du code de procédure civile ;
19.La société 3D Plus, partie perdante au sens de ces dispositions, sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ceux d'appel, faculté de recouvrement direct en faveur de Maître Bertrand F... de l'AARPI Z... avocats.
PAR CES MOTIFS, LA COUR :
Statuant en audience publique et par arrêt contradictoire.
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
STATUANT DE NOUVEAU ET Y AJOUTANT :
CONDAMNE la société par actions simplifiée 3D Plus à verser à la société à responsabilité limitée Spacekey Europe, cinquante mille euros (50 000€.) à titre de dommages-intérêts pour réparation du préjudice découlant d'actes de dénigrement constitutifs de concurrence déloyale commis par elle, avec intérêts au taux légal à compter de cette décision.
CONDAMNE la société par actions simplifiée 3D Plus aux entiers dépens de première instance et d'appel avec, pour ceux d'appel, faculté de recouvrement direct en faveur de Maître Bertrand F... de l'AARPI Z... avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Vu l'article 700 du code de procédure civile ; CONDAMNE la société par actions simplifiée 3D Plus à verser à la société à responsabilité limitée Spacekey Europe cinq mille euros (5 000€) à titre de frais irrépétibles.
DÉBOUTE les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Sylvie B..., Président et par Monsieur C..., Faisant Fonction de Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier f.f., Le président,