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15/06/2018 | FRANCE | N°16/03557

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 15 juin 2018, 16/03557


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



1ère chambre

1ère section





ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 15 JUIN 2018



N° RG 16/03557



AFFAIRE :



SCI BFF

C/

André X...

Y...



Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 12 Janvier 2016 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° RG : 13/07209



Expéditions exécutoires

Expéditions

délivr

ées le :

à :

SCP PIRIOU METZ Z...



SCP COURTAIGNE AVOCATS













REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE QUINZE JUIN DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant après prorogation les 06 avril et 1...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1ère chambre

1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 15 JUIN 2018

N° RG 16/03557

AFFAIRE :

SCI BFF

C/

André X...

Y...

Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 12 Janvier 2016 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES

N° Chambre : 1

N° RG : 13/07209

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

SCP PIRIOU METZ Z...

SCP COURTAIGNE AVOCATS

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE QUINZE JUIN DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant après prorogation les 06 avril et 1er juin 2018 les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre:

SCI BFF

N° SIRET : 339 359 291

[...]

Représentant : Me Guillaume Z... de la SCP PIRIOU METZ Z..., Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 255 - N° du dossier 130256 - Représentant : Me Serge PEREZ de la SCP PEREZ SITBON, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANTE

****************

Monsieur André X..., notaire retraité

de nationalité Française

Immeuble Le Triton - BP 1 5 Place du Général de Gaulle 78990 ELANCOURT

Représentant : Me Isabelle H... de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant/Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 017182

Y..., titulaire d'un office notarial

N° SIRET : 350 34 4 0 40

Immeuble Le Triton - BP 1 5 Place du Général de Gaulle 78990 ELANCOURT

Représentant : Me Isabelle H... de la SCP COURTAIGNE AVOCATS, Postulant/Plaidant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 52 - N° du dossier 017182

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 29 Janvier 2018 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne LELIEVRE, conseiller, et Madame Nathalie LAUER, conseiller, chargée du rapport.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,

Vu le jugement rendu le 12 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Versailles qui a :

- débouté la SCI BFF de toutes ses demandes,

- condamné la SCI BFF à payer à Maître X... et la A... d'une part et à la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Réunion d'autre part la somme de 2 000 euros à chacun au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté les autres demandes,

- condamné la SCI BFF aux dépens et dit qu'il pourra être procédé à leur recouvrement directement par la SCP Courtaine Flichy Daste et associés dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Vu l'appel relevé le 11 mai 2016 par la SCI BFF qui, dans ses dernières conclusions notifiées le 3 octobre 2017, demande à la cour de :

- infirmer le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 12 janvier 2016 en toutes ses dispositions,

- déclarer la SCI BFF recevable et bien fondée en son appel,

- condamner in solidum Maître André X... et la A... à payer à la SCI BFF, la somme de 969 882,25 euros (550 000 + 279063,37 + 140818,88) à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice financier avec intérêts de droit à compter de l'assignation,

- condamner en outre in solidum Maître André X... et la A... à payer à la SCI BFF, la somme de 40 000 euros en réparation de son préjudice moral,

- condamner in solidum les sus nommés aux entiers dépens, ainsi qu'au paiement de la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Vu les dernières conclusions notifiées le 26 octobre 2017 par la SCP Eric Decoene, Christelle B... et Frédéric C... et M. X..., par lesquelles ils demandent à la cour de :

- dire et juger la SCI BFF mal fondée en son appel principal, l'en débouter,

- constater que la demande de la SCI BFF à l'encontre de Maître X... et de la A... est mal fondée,

- dire et juger que Maître X... et la A... n'ont commis aucune faute et qu'aucun préjudice ni lien de causalité n'ont été démontrés,

- débouter la SCI BFF de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- recevoir Maître X... et la A... en leur appel incident, y faire droit,

- en conséquence, condamner la SCI BFF à leur régler la somme de 2 000 euros au titre de l'article 1382 du code de procédure civile pour procédure abusive,

- condamner la SCI BFF à régler à Maître X... et à la SCP notariale la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- la condamner aux entiers dépens dont distraction au profit du Cabinet Courtaigne selon les dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

FAITS ET PROCEDURE

La SCI BFF, à la recherche d'un placement financier et immobilier, s'est vu proposer d'investir dans une opération immobilière montée par la société Financière Barbatre et commercialisée par la société Vestalis.

Il s'agissait d'acquérir un appartement au sein du château de la Grange Le Roy, classé monument historique, à réhabiliter pour en faire une résidence hôtelière haut de gamme et de le mettre en location par le biais d'un contrat de bail commercial consenti à une société chargée de l'exploitation de la résidence hôtelière.

C'est dans ce contexte que la SCI BFF, par acte notarié passé le 16 décembre 2003 devant Maître X... notaire, membre de la D..., a acquis de la société Financière Barbatre le lot n°28 consistant en un local comprenant trois pièces principales, au sein de l'ensemble immobilier dénommé la Grange le Roy sur la commune de Grisy Suisnes (Seine et Marne), au prix de 88 033 euros. Il était précisé à l'acte que les locaux constitueront des logements distincts après réalisation de travaux d'aménagement et que l'acquéreur s'engageait à prendre à sa charge les travaux correspondants.

Cette acquisition a été financée au moyen d'un prêt in fine de 97 000 euros au taux de 4,10 % l'an consenti par la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Réunion. Un autre prêt in fine a été consenti par la CRCAM de la Réunion à la SCI BFF d'un montant de 358 000 euros d'une durée de 180 mois au taux de 4,10 % l'an.

Puis, suivant contrat en date du 31 décembre 2004, la SCI BFF a consenti à la société Résidence les Ducs de Chevreuse un bail commercial portant sur les locaux qu'elle avait acquis pour un loyer annuel de 212 euros HT au m².

Le tribunal de commerce de Versailles a, par jugement du 16 octobre 2007, prononcé le redressement judiciaire des sociétés Sogecif, Financière Barbatre et Residence les Ducs de Chevreuse. Ces procédures ont été converties en liquidation judiciaire par jugement du 1er avril 2008.

Prétendant ne pas avoir pu bénéficier du rendement locatif escompté et d'un patrimoine immobilier de la valeur que l'opération était censée lui assurer, la SCI BFF, par acte d'huissier en date du 18 juin 2013, a assigné Maître X... et la D... (actuellement dénommée A...) ainsi que la Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel de la Réunion en responsabilité.

Par le jugement dont appel, elle a été déboutée de ses demandes.

SUR CE, LA COUR

Sur la faute

Considérant qu'au soutien de son appel, la SCI BFF fait valoir que l'étude notariale a coordonné et mis en 'uvre tous les actes relatifs à cette opération immobilière ; que la SCI a donné procuration sous-seing-privé à un clerc de Me X... ; qu'elle n'a donc jamais su ce qui était signé en son nom et n'a jamais été destinataire de la moindre recommandation, mise en garde ou explication du notaire; qu'or la nature très particulière de l'opération nécessitait que les acquéreurs soient alertés sur les risques encourus, ce que la Cour de cassation a d'ores et déjà jugé à plusieurs reprises dans le cadre des opérations de la Financière Barbatre ; que nul n'a pris le minimum de précautions nécessaires afin de s'assurer de la faisabilité et de la bonne exécution de l'opération ; que nul n'a envisagé les moyens à mettre en 'uvre pour assurer la protection des intérêts des acquéreurs bien que le bien immobilier vendu nécessitait, outre un permis de construire d'autant plus difficile à obtenir qu'il s'agissait d'un monument historique, l'engagement de frais considérables de reconstruction ; qu'il n'est nullement précisé dans l'acte de vente, nonobstant la nécessité de lourds travaux de réhabilitation, l'existence d'un permis de construire ; que, sachant que le montage mis en place par les professionnels qui ont présenté cet investissement reposait sur la perception de loyers commerciaux censés être payés à hauteur de 100 % dès la livraison des lots réhabilités, soit le 24 décembre 2004 en l'espèce, le notaire en charge de l'élaboration des actes, n'a pas vérifié si les éléments juridiques nécessaires à l'achèvement de la reconstruction du château étaient au moins présents ; que le notaire qui a procédé à la vente d'un lot, dont il savait qu'il ne constituait pas un logement distinct et qu'il fallait réaliser de nombreux aménagements, n'a pas alerté les copropriétaires sur les dangers d'une opération qui consistait en une totale reconstruction du château incluant la reprise du gros 'uvre, notamment la toiture, la division en appartements et les équipements les plus élémentaires comme l'eau et l'électricité ; qu'il n'a pas mis en place le moindre mécanisme de protection pour sécuriser l'opération à laquelle il participait et s'assurer que les sommes affectées aux travaux seraient bien utilisées à cette fin ; qu'il n'a effectué aucune vérification sur le promoteur ni mis en garde l'acquéreur sur les risques liés à une éventuelle déconfiture de celui-ci ; que l'aberration du système était également révélée par la situation du locataire supposé s'acquitter des loyers à partir du 1er juillet 2004, soit 12 mois après l'acquisition de ses lots par la SCI BFF ; qu'il aurait donc fallu s'interroger sur les ressources de ce locataire en attendant que les locaux soient exploitables ; qu'il n'a pas plus adressé aux acquéreurs son projet d'acte de sorte qu'ils ignoraient à quoi ils s'engageaient ; qu'au demeurant, l'opération proposée aux investisseurs comportait de nombreuses anomalies ; qu'elle reproche par ailleurs au tribunal d'avoir retenu que Me X... ne connaissait pas la totalité de l'opération mise en 'uvre par M. E... et sa nature réelle alors que les éléments du dossier, ci-dessus rappelés, démontrent le contraire ; qu'en réplique elle affirme qu'il n'existe aucune promesse d'achat irrévocable entre elle et la Financière Barbatre; qu'en effet, tous les actes produits par ce groupe étaient établis sur le même modèle, quelque soit le bien immobilier concerné ; que les promesses de ventes qui ont été établies dans ces dossiers ne comportent aucune promesse d'achat ou engagement ferme d'acquérir ; qu'ainsi, elle n'avait aucune obligation et le notaire avait en conséquence l'obligation de l'informer, comme tous les autres investisseurs, sur les risques de l'opération envisagée ;

Considérant que Me X... et la A... nient toute faute de la part du notaire ; qu'ils invoquent en particulier les motifs du jugement selon lesquels l'opération immobilière conçue par la société Financière Barbatre avait été présentée à la SCI BFF sans que le notaire n'ait participé à la présentation et à la négociation de l'opération ; qu'ils ajoutent que la SCI BFF a signé une promesse de vente dont elle n'a jamais justifié mais qui était largement antérieure à la saisine du notaire et dont les conditions suspensives étaient réalisées ; qu'en effet, le concours de la banque a été sollicité dès le mois de novembre 2003, et donc antérieurement à la signature de l'acte de vente du 16 décembre 2003 ; que sans cette promesse, elle n'aurait pu obtenir la constitution d'un dossier bancaire ; qu'en conséquence l'office du notaire n'a donc été sollicité que pour la rédaction de l'acte de vente en date du 16 décembre 2003 ; que dès lors, contrairement à ce qu'elle soutient devant la cour, la SCI BFF était contractuellement liée avant l'intervention même de la A... ; quant au défaut de précaution et de conseil reproché au notaire, les intimés insistent sur le fait que seul l'établissement de l'acte authentique de vente lui a été confié ; qu'en conséquence, il ne connaissait ni les tenants, ni les aboutissants de l'opération ; qu'ils soulignent que l'acte ne fait état ni de la société à laquelle le bien devait être donné en gestion, ni de la société qui devait être chargée des travaux de rénovation ; que, de même, le bail commercial n'a jamais été remis au notaire ; que la location du lot n'apparaissait donc pas à la lecture de l'acte comme une condition essentielle de la vente ; que, s'agissant du montage financier et, de façon générale, de l'opération financière et fiscale, la responsabilité du notaire ne pourrait là encore être engagée que si effectivement les parties lui avaient confié une telle mission ; qu'il se serait agi là d'une mission détachable de la mission classique d'authentification et d'efficacité de l'acte ; qu'or, concernant ces deux points, la SCI BFF n'a aucun grief à faire valoir à l'encontre du notaire ; que, du reste, une telle mission ne lui a pas été confiée ; que les parties ont mis au point l'opération immobilière et le financement avant même l'intervention du notaire et donc hors sa vue et ne lui confiant même pas le soin de rédiger l'avant-contrat ; qu'en aucun cas, la mission du notaire, volontairement limitée par les parties par rapport à l'ampleur de l'opération, ne peut être comparée à celle de l'intermédiaire spécialisé, qui oriente les choix de l'investisseur, et doit l'informer des risques liés à l'opération ; que, par ailleurs, l'appelante ne démontre pas que les notaires, cités dans les jurisprudences qu'elle communique, avaient la même mission qu'au cas présent; que, par ailleurs selon un arrêt du 6 juillet 2004 de la Cour de cassation, le devoir de conseil ne s'étend pas davantage à l'opération réalisée postérieurement au concours du notaire en l'absence de mission particulière qui lui aurait été donnée ; qu'en l'espèce, le notaire n'a en aucun cas été missionné pour s'occuper du bail, ni du marché de travaux de rénovation, ni d'un quelconque acte à l'exception de la réitération d'une vente contenant les prix négociés hors sa vue ; que si la SCI BFF fait valoir que le notaire connaissait l'état du bien vendu, il ne rentre pourtant jamais dans la mission du notaire de surveiller l'exécution de travaux postérieurement à la signature de l'acte authentique, seule la SCI BFF pouvant s'assurer de l'avancement desdits travaux ; qu'il y a d'ailleurs lieu de s'interroger sur les raisons du second déblocage des fonds fin 2004, si les travaux pour lesquels un acompte avait été réglé en 2003 n'avaient pas été réalisés ; que le notaire n'est pas là pour suppléer la carence des parties, surveiller la bonne réalisation des travaux ou encore pour garantir l'acquéreur en cas d'insolvabilité des différents intervenants ; qu'il ne rentre nullement dans ses attributions de constater personnellement l'état du bien objet de la vente, ni d'apprécier l'ampleur de l'avancement des travaux à réaliser ni enfin la faisabilité du projet ; que le notaire ne peut donc être débiteur d'un devoir de mise en garde, n'étant par ailleurs en aucun cas un conseiller fiscal et économique et n'ayant pas à s'exprimer sur la pérennité par nature aléatoire d'un investissement tel que celui effectué par la SCI BFF ;

Mais considérant que si Me X... et la A... font valoir qu'il n'entre pas dans la mission du notaire de surveiller l'exécution de travaux postérieurement à la signature de l'acte authentique qu'il a instrumenté, qu'il n'est pas un conseiller économique et fiscal ni un intermédiaire spécialisé, la question n'est pas là ; qu'en effet au titre du devoir de conseil dont il est débiteur, le notaire doit éclairer les parties et s'assurer de la validité et de l'efficacité des actes qu'il rédige ; qu'il n'est donc que tenu d'informer et d'éclairer les parties sur la portée et les effets ainsi que sur les risques de l'acte auquel il prête son concours et le cas échéant de le leur déconseiller, devoir que la perfection alléguée de la vente avant son intervention ne le dispensait pas de remplir ; que cette obligation doit prendre en considération les mobiles des parties, extérieurs à l'acte, lorsque le notaire en a eu précisément connaissance ;

Considérant que Me X... a établi le 30 décembre 2002 l'acte de partage intervenu entre la SARL Financière Barbatre aux termes duquel celle-ci s'est vu attribuer les biens revendus à la SCI BFF ainsi qu'il résulte des termes mêmes de l'acte de vente du 16 décembre 2003 (pièce n°2 de l'appelante) ; que le même jour, Me X... avait également dressé le règlement de copropriété (pièce n°10 de l'appelante) ;

Considérant que la SCI BFF a instauré pour mandataire Madame Christine F..., clerc du notaire ;

Considérant qu'ainsi, le notaire a procédé à tous les actes permettant la réalisation par la société Financière Barbatre de l'opération et à ceux permettant à la SCI BFF d'acquérir son lot ;

Considérant qu'il a donc eu à connaître de tous les aspects de l'opération immobilière dite du Château de la Grange le Roy et de l'acquisition par la SCI BFF de son lot';

Considérant que si le notaire n'est pas tenu de procéder à des recherches particulières sur l'opportunité économique de l'opération envisagée et sur la solvabilité des parties, en l'absence d'éléments d'appréciation qu'il n'a pas à rechercher, il doit à tout le moins, informer les parties des risques dont il a connaissance ;

Considérant qu'ayant connaissance de tous les aspects de l'opération immobilière, le notaire savait qu'il s'agissait d'une opération particulière imposant, notamment aux acquéreurs, de réaliser les travaux de réhabilitation pour pouvoir profiter de la défiscalisation ; que l'acte précise d'ailleurs que les travaux d'aménagement sont à la charge de l'acquéreur ;

Considérant qu'il savait que l'opération formait un ensemble et n'ignorait pas qu'il n'existait aucune garantie de la bonne exécution des travaux de réhabilitation, ce dont il n'a pas informé la SCI BFF alors que le succès de l'opération était économiquement subordonné à la réhabilitation complète de l'immeuble ; qu'ainsi, en ne portant pas à la connaissance de l'acquéreur cet aléa essentiel de son investissement, il a manqué à son devoir de conseil ; que le jugement sera donc infirmé en toutes ses dispositions ;

Sur le préjudice et le lien de causalité

Considérant que la SCI BFF fait valoir que l'objectif principal des époux G... était d'investir dans l'acquisition d'un bien pérenne qui produirait lui-même un revenu complémentaire pendant toute leur vie et au-delà pour leurs enfants tout en limitant la pression fiscale et qu'aucun des objectifs fixés n'a été atteint ; que non seulement la SCI BFF a perdu tout son investissement mais reste débitrice de sommes très importantes à l'égard de la banque ; que son préjudice est donc extrêmement lourd ; que sa perte financière doit donc être appréhendée dans sa globalité ; qu'en particulier, elle ne dispose pas du patrimoine immobilier que l'opération était censée lui assurer, celui-ci étant supposé atteindre après une dizaine d'années une valeur de l'ordre d'au moins 550'000 euros, étant précisé que le montant global de l'opération s'élève finalement à plus de 450'000 euros en décembre 2003 ; qu'elle n'a pas perçu les loyers attendus qui représentent jusqu'au deuxième trimestre 2013 inclus une somme de 140'818,88 euros ; qu'elle subit également un préjudice moral du fait de la confiance placée dans des professionnels, comme le notaire, et injustement trahie';

Considérant que Me X... et la A... répliquent que le préjudice n'est pas démontré ; que la SCI BFF ne justifie ni de l'état actuel du bien ni de l'évaluation qui peut en être faite ; que, par ailleurs, la restitution du prix du bien immobilier ne peut être réclamée au notaire tout comme les acomptes qui auraient été versés au titre des travaux de réhabilitation et ceux correspondant au coût des emprunts immobiliers ; qu'en effet, une telle demande ne constitue pas un préjudice indemnisable permettant une action en garantie à l'encontre du notaire ; qu'en tout état de cause, à supposer que le défaut de conseil du notaire soit retenu, celui-ci aurait eu pour seule incidence de faire perdre une chance à la SCI BFF de renoncer à cette opération financière du fait de ses aléas ; que cette perte de chance ne peut s'analyser qu'en un faible pourcentage de la perte subie dès lors que la SCI BFF ne prouve pas que, davantage informée par le notaire des aléas d'une telle opération économique, elle aurait renoncé, alors même que le promoteur l'avait déjà convaincue de la rentabilité de son investissement ; que le remboursement des prêts n'est pas un préjudice indemnisable par le notaire, étant observé que celui-ci est totalement étranger à la négociation de leur taux d'intérêt ; qu'au demeurant, il est incohérent de solliciter une indemnisation à ce titre alors que, à supposer que la SCI BFF avait projeté d'acquérir un patrimoine de l'ordre de 550'000 euros comme elle l'indique dans ses écritures, elle n'aurait pas pu s'exonérer du règlement des intérêts; qu'il n'est pas davantage envisageable que le notaire puisse être tenu du non paiement des loyers alors qu'il n'est pas intervenu dans la rédaction du bail ; que le décompte n'en est d'ailleurs pas justifié ; qu'il n'est pas plus fait référence à une défiscalisation qui aurait échoué ; que, s'agissant du préjudice moral invoqué par l'appelante, celui-ci ne rentre pas dans la catégorie des préjudices moraux dont une personne morale peut aujourd'hui se prévaloir tels qu'une atteinte à sa réputation par exemple ; que la confiance dans un notaire supposée trahie est difficile à admettre pour une société et en tout état de cause, nullement quantifiable ; qu'en tout état de cause, il n'y a pas de lien de causalité entre la faute reprochée et le préjudice ; que la jurisprudence considère en effet de manière constante que la faute du notaire doit être la cause efficiente du dommage ; qu'or en l'espèce, la SCI BFF ne justifie d'aucun préjudice imputable au notaire dans la mesure où la défaillance de ses cocontractants est intervenue après l'acquisition du bien ; qu'enfin, il doit être observé qu'à l'époque, la SCI BFF s'est adressée à d'autres professionnels qu'un officier ministériel pour mettre en place le montage de l'opération ;

Considérant ceci exposé qu'il y a lieu d'observer qu'une information et des conseils adaptés sur les aléas juridiques, financiers et constructifs inhérents à l'opération aurait pu inciter la SCI BFF à y renoncer ; que le manquement retenu est donc à l'origine pour la SCI BFF d'une perte de chance de ne pas contracter'; qu'ainsi, le lien de causalité entre le préjudice subi et les fautes retenues est parfaitement établi;

Considérant que la SCI BFF sollicite les indemnisations suivantes :

- préjudice foncier : 550'000 euros,

- prêts indûment souscrits : soit 59'545,13 euros d'intérêts pour le prêt relatif à l'acquisition et 219'518,24 euros pour les intérêts du prêt relatif aux travaux,

- loyers impayés : 140'818,88 euros,

soit un total de 969'882,25 euros au titre du préjudice financier,

- préjudice moral : 40'000 euros ;

Considérant que cette somme correspond au montant total des préjudices allégués ; qu'or, il y a lieu de rappeler que la faute retenue consiste en une méconnaissance par le notaire de son devoir de conseil ; qu'il s'ensuit que, mieux informée, l'appelante aurait eu la chance de ne pas souscrire à l'opération proposée; que le préjudice est donc constitué par la perte de cette chance ; que la réparation doit donc être mesurée à la probabilité de la chance perdue de ne pas souscrire à cet investissement ; qu'elle ne peut donc être constituée par l'intégralité des préjudices consécutifs à celui-ci ; qu'au regard des éléments du dossier et des objectifs poursuivis par l'investisseur, il y a lieu de fixer cette perte de chance à 50 % ;

Considérant, sur les chefs de préjudice à prendre en compte, qu'il n'y a pas lieu de tenir compte des loyers perdus ; qu'en effet, si la SCI BFF avait renoncé à l'investissement, elle n'aurait perçu aucun loyer ;

Considérant, sous cette réserve, que la perte financière doit être appréhendée dans sa globalité ; que si la SCI BFF sollicite la somme de 550'000 euros au titre du préjudice foncier outre le remboursement des intérêts d'emprunt, il ne peut être tenu compte que des seules sommes versées au crédit agricole de la Réunion, soit 156'545,13 euros + 360'456,34 euros, soit un montant total de 517'001,47 euros (pièces n°3 et 4 de l'appelante) ; que néanmoins, à défaut d'actualisation, il convient de déduire la valeur des lots acquis le 16 décembre 2003 et qui sont toujours en possession de la SCI BFF, soit une somme de 88'033 euros';

Considérant qu'une perte de chance de 50 % étant retenue, Me X... et la A... seront condamnés à payer à la SCI BFF la somme de 214'484,23 euros en réparation de son préjudice matériel ;

Considérant en revanche que le préjudice moral de la SCI n'est pas suffisamment caractérisé'; qu'elle sera donc déboutée de sa demande de réparation à ce titre ;

Sur la demande reconventionnelle de dommages-intérêts

Considérant que, compte tenu du sens du présent arrêt, cette demande ne peut être que rejetée ;

Sur les demandes accessoires

Considérant que de ce qui précède il résulte que le jugement déféré sera infirmé y compris en ses dispositions accessoires ;

Que, dès lors, Me X... et la A... seront déboutés de leurs demandes au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ; qu'ils verseront en revanche à la SCI BFF la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en complément des entiers dépens ;

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement par arrêt mis à disposition,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 12 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Versailles,

Et, statuant à nouveau,

Dit que Me X... a manqué à son devoir de conseil vis-à-vis de la SCI BFF,

Dit que ce manquement est à l'origine d'une perte de chance pour la SCI BFF de ne pas contracter de 50 %,

En conséquence,

Condamne Me X... et la A... à payer à la SCI BFF la somme de 214'484,23 euros en réparation de son préjudice matériel,

Déboute la SCI BFF de sa demande au titre du préjudice moral,

Déboute Me X... et la A... de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Les condamne à payer à ce titre à la SCI BFF la somme de 5 000 euros,

Condamne Me X... et la A... aux entiers dépens de première instance et d'appel.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 16/03557
Date de la décision : 15/06/2018

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°16/03557 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-15;16.03557 ?
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