COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 82D
14e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 MAI 2018
N° RG 17/07233
AFFAIRE :
[D] [S] agissant en sa qualité de président du comité d'établissement de IT Ile de France
...
C/
COMITÉ D'ÉTABLISSEMENT ALTRAN CIS IT ILE DE FRANCE DE LA SOCIETE ALTRAN TECHNOLOGIES représenté par Messieurs [P] [M] et [J] [I], expressément mandatés domiciliés en cette qualité audit siège ...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 27 Septembre 2017 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° RG : 17/01795
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Oriane DONTOT
Me Patricia MINAULT
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS MAI DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [D] [S] agissant en sa qualité de président du comité d'établissement de IT Ile de France
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représenté par Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20171026
assisté de Me Brigitte PELLETIER de la SELARL SEGUR AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0104 -
SA ALTRAN TECHNOLOGIES agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 702 012 956
[Adresse 3]
[Adresse 4]
Représentée par Me Oriane DONTOT de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 633 - N° du dossier 20171026
assistée de Me Brigitte PELLETIER de la SELARL SEGUR AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0104 -
APPELANTS
****************
COMITÉ D'ETABLISSEMENT ALTRAN CIS IT ILE DE FRANCE DE LA SOCIÉTÉ ALTRAN TECHNOLOGIES représenté par Messieurs [P] [M] et [J] [I], expressément mandatés domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 1]
[Adresse 2]
Représenté par Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170508
assisté de Me Mélanie GSTALDER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0219
SYNDICAT CGT ALTRAN LA DÉFENSE représenté par M. [F] [X], son secrétaire, expressément mandaté
[Adresse 5]
[Adresse 6]
Représenté par Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170508
assisté de Me Mélanie GSTALDER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0219
FNPSECP - CGT - FÉDÉRATION NATIONALE DES PERSONNELS CGT DES SOCIÉTÉS D'ETUDES ET CONSEIL ET DE PRÉVENTION représentée par son secrétaire général M. [C] [G]
[Adresse 5]
[Adresse 6]
Représenté par Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170508
assisté de Me Mélanie GSTALDER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0219
INTIMÉES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 14 mars 2018, Madame Florence SOULMAGNON, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Odette-Luce BOUVIER, président,
Madame Maïté GRISON-PASCAIL, conseiller,
Madame Florence SOULMAGNON, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE
EXPOSE DU LITIGE
La SA Altran Technologies est une société de conseil en innovation et ingénierie avancée, fournissant des prestations de conseil et d'ingénierie auprès de clients intervenants dans les secteurs de l'automobile, de l'aérospatial, des télécommunications, de l'énergie et de la santé.
Société mère de l'ensemble des filiales en France et à l'étranger au sein du groupe Altran , la société Altran Technologies est divisée en quatre pôles répondant à 'une logique opérationnelle tant métiers que géographiques'.
Le pôle d'Altran IT et Nord, dont le directeur exécutif est M.[S], regroupe les salariés des sites de Puteaux, Wasquehald, Valenciennes et Dunkerque et comprend dans son périmètre l'établissement Altran IT Ile de France et l'établissement Altran IT Paris.
La société Altran Technologies dispose d'un comité central d'entreprise et de sept comités d'établissement répartis géographiquement sur toute la France, dont celui d'Altran IT Ile de France et d'Altran IT Paris.
L'établissement d'Altran IT Ile de France, dont le directeur est M.[S], compte 1800 salariés soit 20% de l'effectif total de la société. Il a été reconnu comme établissement distinct par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi (Direccte) le 30 décembre 2015.
Le 20 avril 2017, le comité d'établissement d'Altran IT Ile de France a adopté deux délibérations distinctes en désignant le cabinet d'expertise Apex aux fins de l'assister en vue d'une part de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise prévue à l'article L.2323-12 du code du travail et d'autre part de la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi, définie à l'article L.2323-15 du code du travail.
Le cabinet Apex a envoyé sa lettre de mission le 3 mai 2017.
Exposant que le principe d'une telle expertise votée par le comité d'établissement était contestable dans la mesure où celle-ci relevait exclusivement de la compétence du comité central d'entreprise, la société Altran Technologies et M.[D] [S], agissant en sa qualité de président du comité d'établissement IT Ile de France, ont fait assigner le 19 juin 2017, devant le président du tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en la forme des référés, le comité d'établissement d'Altran IT Ile de France aux fins principalement d'annulation des deux délibérations du comité d'établissement IT Ile de France du 20 avril 2017 qui ont désigné le cabinet Apex pour l'assister dans le cadre de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise, et celui de la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi.
Devant le premier juge, la société Altran Technologies a sollicité en outre le débouté des demandes des défendeurs tendant à lui ordonner de convoquer le comité d'établissement Altran Ile de France dans le cadre des articles L.2323-12 et L.2323-15 du code du travail a demandé à ne pas remettre au cabinet Apex l'ensemble des informations et documents contenues dans sa lettre de mission et à ne pas verser la provision sur honoraires de 12.825 euros HT sollicitée par le cabinet Apex.
La Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et le syndicat CGT Altran la Défense
sont intervenus volontairement à l'instance.
Par ordonnance contradictoire rendue le 27 septembre 2017, le juge du tribunal de grande instance de Nanterre, statuant en la forme des référés, retenant notamment :
- que l'exercice d'une prérogative par le comité central d'entreprise n'exclut pas l'exercice de la même prérogative par un comité d'établissement, dans la mesure des pouvoirs du chef d'établissement et des incidences de telle ou telle mesure sur l'établissement concerné,
- que l'établissement distinct pour la mise en place d'un comité d'établissement nécessite une implantation géographique, une stabilité et une certaine autonomie,
- que l'autonomie s'apprécie par rapport à la latitude dont dispose le chef d'établissement à la fois dans la gestion du personnel et dans son activité,
- que l'existence même du comité d'établissement établit en soi que le chef d'établissement a nécessairement l'autonomie nécessaire en matière de gestion du personnel et de conduite de l'activité ;
- que le comité d'établissement peut demander à procéder à l'examen des comptes relatifs à cette activité économique ;
- qu'il faut déduire de l'alinéa 2 de l'article L.2327-2 relatif au comité central que la consultation du comité central n'exclut pas celle du comité d'établissement portant sur la situation économique et financière de l'entreprise ;
- que le législateur n'a pas entendu restreindre la compétence du comité d'établissement dans sa faculté de solliciter une mesure d'expertise tant sur la consultation annuelle sur la situation économique et financière que sur la politique sociale , a :
- dit qu'il n' y a pas lieu d'annuler des délibérations prises le 20 avril 2017,
- dit n'y avoir lieu à annuler les deux délibérations prises le 20 mai par le comité d'établissement Altran CIS IT Ile de France,
- ordonné à la société Altran Technologie de convoquer le comité d'établissement Altran CIS IT Ile-de-France et d'inscrire à l'ordre du jour les points suivants :
*information - consultation sur la situation économique et financière de l'établissement (article L.2323-12 du code du travail) ;
*information - consultation sur la politique sociale de l'établissement, les conditions de travail et d'emploi (article L.2323-15 du code du travail),
* et ce sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard pendant trois mois à compter de la signification de la présente décision, le juge des référés se réservant le pouvoir de liquider l'astreinte,
- ordonné à la société Altran Technologies de remettre au cabinet d'expertise Apex l'ensemble des informations et documents visés dans la lettre de mission du 3 mai 2017,
- fixé le point de départ du délai pour rendre l'avis du comité d'établissement à compter de la communication au cabinet Apex des informations et documents sollicités et visés dans la lettre du 3 mai 2017,
- débouté les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires,
- ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir,
- condamné à la société Altran Technologies à verser au comité d'établissement Altran CIS IT ile de France de la SA Altran Technologies, à la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et au syndicat CGT Altran la Défense la somme de 1.500 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Altran Technologies aux dépens.
La société Altran Technologies et M.[S] ont interjeté appel de toutes les dispositions de l'ordonnance déférée dans leur déclaration d'appel du 10 octobre 2017.
Par dernières conclusions reçues au greffe le 22 décembre 2017 , auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens, la société Altran Technologies et M.[S], appelants, demandent à la cour de :
A titre principal :
-infirmer l'ordonnance rendue en la forme des référés le 27 septembre 2017 par le tribunal de grande instance de Nanterre,
Statuant à nouveau :
- annuler les deux délibérations du comité d'établissement IT Ile de France du 20 avril 2017 désignant le cabinet Apex pour l'assister dans le cadre des dispositions de l'article L. 2325-35 du Code du travail : en vue de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise, prévue à l'article L. 2323-12 du code du travail et en vue de la consultation annuelle sur la politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi, définie à l'article L 2323-15 du code du travail,
- dire que la société Altran Technologies n'est pas tenue de convoquer le comité d'établissement Altran IT Ile-de-France et d'inscrire à l'ordre du jour les points suivants : Information - consultation sur la situation économique et financière de l'établissement (article
L. 2323-12 du code du travail) ; Information - consultation sur la politique sociale de
l'établissement, les conditions de travail et d'emploi (article L. 2323-15 du code du travail),
- dire que la société Altran Technologies n'est pas tenue de remettre au cabinet d'expertise Apex l'ensemble des informations et documents visés dans la lettre de mission du 3 mai 2017 ni de verser la provision sur honoraires de 12 825 euros HT sollicitée par le cabinet Apex,
- constater qu'aucune entrave n'est apportée au fonctionnement du comité d'établissement IT Ile de France et débouter le comité d'établissement IT Ile de France, la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et le syndicat CGT Altran la Défense de leurs demandes de dommages et intérêts formées à ce titre,
- confirmer l'ordonnance rendue le 27 septembre 2017 en ce qu'elle a débouté le comité d'établissement IT Ile de France, à la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et au syndicat CGT Altran la Défense de leur demande tendant à la voir condamner à leur verser des dommages et intérêts en réparation d'une entrave faite aux attributions du comité ;
En tout état de cause :
- condamner conjointement et solidairement le comité d'établissement IT Ile de France à la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et au syndicat CGT Altran la Défense à lui verser une somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens ;
La société Altran Technologies et M.[S] soutiennent essentiellement :
- que l'esprit de la loi 2015-994 du 17 août 2015 dite loi Rebsamen a été de rationaliser le fonctionnement des instances représentatives du personnel, en regroupant les 17 informations / consultations en 3 grandes consultations annuelles et en incluant la volonté de dialogue et de négociations au niveau de l'entreprise et non au niveau local ; que l'ordonnance n° 2015-1386 du 22 septembre 2017 va dans le même sens en instituant le comité social et économique (CSE) pour ces trois consultations uniquement au niveau de l'entreprise, sauf en présence de mesures spécifiques par établissement,
- que la jurisprudence invoquée confiant des prérogatives similaires aux comités d'établissement à celles des comités d'entreprise est antérieure à la loi de 2015 et ne peut trouver à s'appliquer car elle ne concerne que l'examen annuel des comptes et non les trois consultations élargies et ne s'inscrit pas dans le cadre d'une procédure d'information/ consultation aux termes de laquelle le comité d'entreprise doit donner son avis,
- que l'article L. 2323-13 du code du travail prévoit, en vue de la consultation sur la situation
économique et financière de l'entreprise, la mise à disposition du comité d'entreprise des documents obligatoirement transmis annuellement à l'assemblée générale des actionnaires ainsi que les communications et les copies transmises aux actionnaires dans les conditions prévues, pour les sociétés anonymes ; que l'article R. 2323-11 du même code prévoit également la mise à disposition du comité d'entreprise d'informations établies au seul niveau de l'entreprise ; qu'ainsi l'absence d'obligation d'établir de tels documents au niveau de l'établissement doit conduire à exclure de facto la compétence du comité d'établissement ;
- que la circulaire DGT n°2014/1 du 18 mars 2014 considère que les documents comptables et financiers, lorsqu'il existe une comptabilité propre à l'établissement, doivent être transmis au comité d'établissement via la base de données économiques et sociales (BDES) 'dans le cadre des procédures d'information' et non au titre des 'informations données à l'occasion des consultations récurrentes'; que cette circulaire ne prévoit la consultation potentielle des comités d'établissement qu'au stade des éventuelles conséquences de la stratégie adoptée au niveau local,
- que l'article L.2323-20 du même code prévoit que dans les entreprises comportant des établissements distincts, les comités d'établissement sont uniquement consultés sur le bilan social particulier à leur établissement dont l'effectif est au moins de 300 salariés ; qu'en ce sens, la loi du 17 août 2015 a clairement entendu réserver au seul comité central d'entreprise la procédure d'information consultation sur la politique sociale de l'entreprise; que l'ensemble des cas de recours à l'expertise comptable tels que listés à l'article L. 2325-35 ( politique économique et financière et politique sociale) relève exclusivement du niveau central donc du comité central d'entreprise,
- que le parallèle doit être fait tant avec la consultation sur les orientations stratégiques,, qu'avec le droit d'alerte économique, qui relèvent tous deux du pouvoir exclusif du comité central d'entreprise,
- qu'il ne s'agit pas de l'utilité de l'expertise mais de l'effet utile de la consultation du comité d'établissement ; que la loi de 2015 n'a pas eu pour objet de distinguer les consultations ponctuelles des consultations récurrentes mais de clarifier les compétences du comité central d'entreprise et du comité d'établissement, que la compétence des comités d'établissement s'exerce dans la limite des pouvoirs confiés aux chefs d'établissement, ce qui implique nécessairement d'apprécier ses pouvoirs in concreto,
- qu'en l'occurrence les établissements de la société Altran Technologies ne disposent d'aucune autonomie dans la mise en oeuvre de la politique économique, financière et sociale de l'entreprise,
- que les comptes sociaux de la société sont exclusivement établis au seul niveau de l'entreprise ; les établissements, quant à eux, n'ont pas de comptabilité fiscale ne disposant ni de bilan ou de comptes de résultats ; que le comité central d'entreprise est donc annuellement informé et consulté que ce soit au titre des orientations stratégiques ou au titre de la situation économique et financière telle que définie aux dispositions de l'article L. 2323-12; qu'il bénéficie donc de l'assistance d'un expert-comptable désigné en application des dispositions de l'article L 2325-35, que d'ailleurs en 2016, en l'espèce, il a été assisté du Cabinet Syndex,
- que M. [S], chef de l'établissement IT Ile de France, dispose d'une délégation de pouvoirs limitée que ce soit en matière sociale ou financière ; qu'il est, comme ses délégataires, dépourvu de pouvoirs de décision dans les domaines visés par les dispositions relatives à la politique sociale , ayant seulement des pouvoirs de gestion sociale quotidienne individuelle mais dans le strict respect et par la pure application de la politique centrale de la société Altran Technologies ;
- que le simple exercice d'une voie de droit par l'employeur ne saurait être regardé comme constitutif d'une entrave au bon fonctionnement d'un comité d'établissement ; que la direction n'a pas entendu empêcher la désignation de l'expert, mais seulement contester cette mesure conformément au droit qui est le sien en application de l'article L. 2325-38.
Par dernières conclusions reçues au greffe le 2 février 2018, auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé des prétentions et moyens le comité d'établissement Altran CIS IT de la société Altran Technologies, la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et le syndicat CGT Altran la Défense, intimés et appelants incidents, demandent à la cour de :
A titre principal :
- déclarer la SA Altran Technologies et M.[S] mal fondés en leur appel principal,
- dire qu'ils sont recevables et biens fondées en leur appel incident,
En conséquence,
- confirmer l'ordonnance déférée sauf en ce qu'elle a débouté le comité d'établissement Altran CIS IT de la SA Altran Technologies, la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et le syndicat CGT Altran la Défense de leur demande de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de l'entrave au fonctionnement régulier du comité d'établissement,
Statuant à nouveau :
- condamner la SA Altran Technologies à leur verser la somme de 5.000 euros à chacun à titre de dommages et intérêts en réparation de l'entrave faite aux fonctionnement du comité d'établissement,
- condamner la SA Altran Technologies à leur verser la somme de 2. 000 euros à chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
- condamner la SA Altran Technologies aux entiers dépens y compris les frais de signification et d'exécution de la décision à intervenir.
Au soutien de leurs demandes, ils font principalement valoir :
- que pour les consultations annuelles, le comité central d'entreprise a une compétence générale tandis que les comités d'établissements demeurent compétents au niveau de leur établissement ; la loi Rebsamen de 2015 n'a jamais entendu modifier l'articulation des attributions du comité d'établissement en matière de consultations annuelles, mais uniquement concernant la consultation des projets ponctuels, qui n'ont pas toujours d'impacts sur les établissements ;
- que si l'ordonnance du 22 septembre 2017 a bien pour objectif de modifier l'état du droit, cette intervention du pouvoir exécutif démontre que la loi Rebsamen n'avait rien modifié sur les pouvoirs du comité d'établissement en matière de politique économique, financière et sociale,
- que la consultation du comité d'établissement pour le bilan social prévu par l'article L.2323-20, au demeurant prévu que pour les entreprises de plus de 300 salariés, est un document supplémentaire que l'employeur doit réaliser pour l'entreprise, qui ne le prive pas le comité d'établissement de son droit à consultation sur les autres éléments de la politique sociale en application du dernier paragraphe dudit article,
- que selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, 'la faculté pour le comité d'établissement de se faire assister par un expert comptable chargé de lui fournir tous les éléments d'ordre économique social et financier nécessaires à la compréhension des documents comptables de l'établissement et à l'appréciation de sa situation, ne prive pas le comité central d'entreprise des prérogatives qu'il tient des articles L. 2325-35 et L. 2325-36 du code du travail pour l'examen annuel des comptes de l'entreprise dans son ensemble' (Soc.8 mars 2017, n° 15-22.882),
- que l'autonomie de l'établissement a été reconnue par la décision de la Direccte du 30 décembre 2015,
- que les délégations stipulent expressément que M. [S], chef d'établissement, dispose des moyens nécessaires et qu'il reconnaît que sa responsabilité pénale pourrait être engagée, qu'il gère le personnel, soit 1 800 salariés; qu'il recrute les salariés, décide de leur temps de travail, de les soumettre aux forfaits jours et détermine les salaires et augmentations ; qu'il applique le plan de formation et accepte ou non les demandes de formation des salariés ; qu'il a tout pouvoir en matière d'hygiène et de sécurité; qu'il assure donc la qualité de vie et des conditions de travail en ayant un impact sur la santé et la sécurité des salariés ; qu'il a donc une influence déterminante sur les conditions de travail des salariés et sur de nombreux aspects étudiés dans le cadre de la politique sociale de l'établissement ; que sur le plan économique, les objectifs financiers sont propres à chaque établissement et sont conduits par le chef d'établissement, que l'autonomie en matière de conduite économique est démontrée par le fait qu'il peut engager de façon autonome sans en référer à l'entreprise des sommes importantes, que la société Altran reconnaît dans le procès-verbal du 20 avril 2017 qu'une consultation sera envisagée au niveau du comité d'établissement sur la situation économique et sur la politique sociale de l'entreprise ;
- que sur l'inutilité de l'expertise invoquée, la jurisprudence de la Cour de cassation (Soc., 18 novembre 2009, n° 08-16.260) et celle du Conseil constitutionnel ( DC n° 2015-500 QPC, § 8) considèrent que l'appel à un expert agréé permet la 'mise en oeuvre des exigences constitutionnelles de participation des travailleurs à la détermination des conditions de travail' ;
- que le rapport du cabinet Syndex sur la situation économique de l'entreprise produit ne fait aucune analyse de la situation financière des établissements de sorte qu'ils ne peuvent pas connaître leur 'positionnement' par rapport aux autres établissements ; que celui sur la politique sociale fait une analyse globale sans analyser les données des établissements leur permettant de connaître leur situation propre et de se comparer avec les autres établissements ; qu'il est essentiel que l'établissement puisse avoir connaissance chaque année de son positionnement par rapport au reste de l'entreprise afin de pouvoir réagir si sa situation venait à être modifiée par rapport aux autres établissements,
- que l'expertise sollicitée par le comité d'établissement pour apprécier la situation particulière de l'établissement dans le cadre des consultations annuelles ne s'étend qu'au périmètre circonscrit par les attributions du chef d'établissement,
- que l'entrave au fonctionnement régulier du comité résulte tant de l'absence de consultation formelle que de l'omission d'information écrite et préalable qui permet cette la consultation; que la société Altran Technologies, en refusant de consulter le comité d'établissement sur la politique sociale et la situation économique de l'établissement, a entravé son fonctionnement régulier.
****
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 février 2018.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur les délibérations du comité d'établissement du 20 avril 2017 aux fins d'expertise :
Le comité d'établissement Altran Ile de France a désigné le 20 avril 2017 pour l'assister le cabinet Apex aux fins d'expertise des comptes de l'entreprise relativement d'une part à la situation économique et financière de l'entreprise et d'autre part à la politique sociale, les conditions de travail et l'emploi au visa de l'article L.2323-6 du code du travail issu de la loi n°2015-994 du 17 août 2015, lequel prévoit que 'le comité d'entreprise est consulté chaque année dans les conditions définies à la présente section sur :
1° Les orientations stratégiques de l'entreprise ;
2° La situation économique et financière de l'entreprise ;
3° La politique sociale de l'entreprise, les conditions de travail et l'emploi'.
L'article L.2327-2 du code du travail issu de la loi du 17 août 2015 dispose que 'le comité central d'entreprise exerce les attributions économiques qui concernent la marche générale de l'entreprise et qui excède les limites de pouvoirs des chefs d'établissement.
Il est informé et consulté sur tous les projets économiques et financiers importants concernant l'entreprise, notamment dans les cas définis aux articles L. 2323-35 à L. 2323-43.
Il est seul consulté sur les projets décidés au niveau de l'entreprise qui ne comportent pas de mesures d'adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements. Dans ce cas, son avis accompagné des documents relatifs au projet est transmis, par tout moyen, aux comités d'établissement. Le comité central d'entreprise est également seul consulté sur les projets décidés au niveau de l'entreprise lorsque leurs éventuelles mesures de mise en 'uvre, qui feront ultérieurement l'objet d'une consultation spécifique au niveau approprié, ne sont pas encore définies'.
Aux termes de L.2327-15 du même code,' le comité d'établissement a les mêmes attributions que le comité d'entreprise, dans la limite des pouvoirs confiés au chef de cet établissement.
Le comité d'établissement est consulté sur les mesures d'adaptation des projets décidés au niveau de l'entreprise spécifiques à l'établissement et qui relèvent de la compétence du chef de cet établissement.
Lorsqu'il y a lieu de consulter à la fois le comité central d'entreprise et un ou plusieurs comités d'établissement, un accord peut définir l'ordre et les délais dans lesquels le comité central d'entreprise et le ou les comités d'établissement rendent et transmettent leurs avis.
A défaut d'accord, l'avis de chaque comité d'établissement est rendu et transmis au comité central d'entreprise et l'avis du comité central d'entreprise est rendu dans des délais fixés par décret en Conseil d'État'.
La loi du 17 août 2015 a procédé à un regroupement des dix-sept obligations d'information et de consultation dites récurrentes en trois grands blocs de consultation annuelle visés à l'article L.2323-6 susvisé, pour lesquels le comité d'entreprise peut, en application de l'article L.2325-35 du code du travail, se faire assister d'un expert comptable.
Si cette loi a effectivement entendu rationaliser, selon les termes mêmes des travaux parlementaires, et redistribuer l'articulation entre le comité central d'entreprise et le comité d'établissement, l'alinéa 3 de l'article L.2327-2 sus visé atteste de la volonté du législateur de réserver la compétence exclusive du comité central d'entreprise uniquement aux 'projets décidés au niveau de l'entreprise qui ne comportent pas de mesures d'adaptation spécifiques à un ou plusieurs établissements' et aux 'projets décidés au niveau de l'entreprise lorsque leurs éventuelles mesures de mise en 'uvre, qui feront ultérieurement l'objet d'une consultation spécifique au niveau approprié, ne sont pas encore définies', c'est-à-dire aux consultations dites ponctuelles.
En outre, le rapport parlementaire précise que l'alinéa III de l'article 10 du projet de loi relatif aux compétences du comité d'établissement, 'modifie l'article L.2327-15 en procédant avant tout à une modification rédactionnelle de passage au singulier de l'ensemble de l'article, sans modifier la définition usuelle du rôle du comité d'établissement qui est d'exercer les mêmes attributions que le comité d'entreprise dans les limites des pouvoirs confiés aux chefs de ces mêmes établissements' ( rapport Assemblée Nationale n°2792 de M. [K], page 214).
Ainsi, il résulte tant de la lettre que de l'esprit du texte que la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l'emploi n'a pas modifié les compétences respectives du comité central d'entreprise et du comité d'établissement en matière de consultations annuelles récurrentes.
Il s'ensuit qu'en application de la loi du 17 août 2015 le comité d'établissement conserve ses prérogatives antérieures en termes d'information et de consultation telles que précisées par la jurisprudence antérieure selon laquelle le droit du comité central d'entreprise d'être assisté pour l'examen annuel des comptes de l'entreprise dans les conditions prévues par l'article L. 2323-8 du code du travail, ne prive pas le comité d'établissement du droit d'être assisté par un expert comptable chargé de lui fournir tous éléments d'ordre économique social et financier nécessaires à la compréhension des documents comptables de l'établissement et à l'appréciation de sa situation (Cass. soc. 18 novembre 2009 pourvoi 08-16-260).
La double consultation annuelle, tant au niveau de l'entreprise que de l'établissement avec appréciation des problèmes considérés selon leurs incidences respectives, doit dès lors être assurée aux termes de la législation de 2015, applicable à l'espèce.
La société Altran Technologies ne peut dès lors pas utilement arguer du fait que le comité central d'entreprise a déjà désigné le 27 février 2017 -antérieurement aux délibérations litigieuses du comité d'établissement-, le cabinet Syndex afin de l'assister dans le cadre de l'examen de la situation économique et financière et de la politique sociale de l'entreprise.
Est également inopérant le moyen de la société Altran Technologies tiré de 'l'effet utile' de la consultation lequel celle-ci n'aurait pas d'objet, en faisant notamment état de l'étude d'impact du projet de loi réalisée le 21 avril 2015, laquelle mentionne en page 94 que 'les mesures envisagées veillent à respecter le principe 'd'effet utile' des informations et des consultations reconnu par le droit communautaire, notamment la directive 2002/14/CE relative à l'information et à la consultation des travailleurs' et fait également état de cet 'effet utile' en page 102.
En effet, ce principe 'd'effet utile' des informations et des consultations n'est retenu dans l'étude d'impact susvisée en page 94 que dans le cadre de projets qui concernent un champ plus large que celui de l'établissement, c'est-à-dire pour les consultations ponctuelles, et en page 102 seulement pour le fonctionnement concret des institutions représentatives du personnel (IRP).
En tout état de cause, 'l'effet utile' de la mesure d'expertise sollicitée par le comité d'établissement ne peut avoir d'incidence sur la possibilité que le comité d'établissement tient de la loi de solliciter, dans le cadre de ses prérogatives, une expertise.
De plus, la qualité d'établissement distinct a été reconnue pour l'établissement de l'IT lle de France le 30 décembre 2015 par la Direccte, sans que cela ne soit contesté par la société Altran Technologies, une telle décision impliquant nécessairement que le chef de l'établissement dispose de pouvoirs de gestion financière et sociale et d'un degré d'autonomie suffisant.
La Direccte mentionne d'ailleurs dans sa décision du 30 décembre 2015 que si la direction de la société Altran Technologies tend à vouloir démontrer une centralisation récente de la direction et la gestion de l'entreprise, elle a formé cependant quatre établissements distincts sur la base de quatre pôles opérationnels, ' dont il est indiqué ', relève la Dirrecte,'qu'ils possèdent chacun une certaine autonomie dans la mise en oeuvre des directives économiques et sociales', qu'une certaine autonomie existe en matières de ressources humaines, même si elle est exercée dans le cadre d'orientations déterminées au niveau central, que chaque établissement a un directeur et un responsable des ressources humaines, que l'autonomie de l'établissement d'Altran Nord n'est pas suffisamment démontrée et qu'il doit en conséquence être rattaché à l'établissement IT Ile de France.
C'est cette autonomie de l'établissement qui justifie l'existence du comité d'établissement et, partant, l'exercice des mêmes droits que le comité d'entreprise, dans la limite de la délégation de pouvoirs dont bénéficie le chef d'établissement.
Les intimés soulignent à juste titre, que cette autonomie de l'établissement IT Ile de France est confortée par la délégation de pouvoirs donnée au chef d'établissement en matière de gestion du personnel, de leurs conditions de travail et de conduite de l'activité économique et par la mise en place d'un comité d'établissement.
Par conséquent, il appartient à la société Altran Technologies de donner au comité d'établissement IT Ile de France les moyens d'exercer ses fonctions en ayant recours, s'il l'estime utile, à l'expertise prévue à l'article L.2325-35 du code du travail aux fins de disposer d'une situation de la politique économique et financière et de la politique sociale de l'entreprise nécessaires à la compréhension des documents comptables afférents à l'établissement et à l'appréciation de sa situation au sein de l'entreprise.
Au vu de ces éléments, il convient de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle a débouté la société Altran Technologies de sa demande d'annulation des deux délibérations du comité d'établissement IT Ile de France du 20 avril 2017 et en ce qu'elle a ordonné à la société de convoquer le comité d'établissement dans les termes et modalités indiquées dans l'ordonnance, et de remettre au cabinet Apex les informations et documents visés dans sa lettre de mission du 3 mai 2017, points qui ne sont pas contestés en tant que tels.
Sur le délit d'entrave :
Au regard de l'intervention d'un texte législatif nouveau et des divergences d'interprétation qui ont opposé les parties à la présente instance, le délit d'entrave au fonctionnement régulier du comité d'établissement reproché par les intimés à la société Altran Technologies n'est pas suffisamment caractérisé : la demande de dommages et intérêts des intimés à ce titre sera rejetée.
Sur les autres demandes :
Le premier juge a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application.
Il sera fait application en cause d'appel des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de chacun des intimés.
Partie perdante pour l'essentiel, la société Altran Technologies supportera les entiers dépens d'appel.
PAR CES MOTIFS LA COUR
Statuant par arrêt contradictoire rendu en la forme des référés et en dernier ressort
CONFIRME en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée,
Y AJOUTANT,
CONDAMNE la société Altran Technologies à payer au comité d'établissement Altran CIS IT de la société Altran Technologies, à la Fédération CGT des personnels des sociétés d'études et au syndicat CGT Altran la Défense à chacun la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
REJETTE les autres demandes des parties,
CONDAMNE la société Altran Technologies aux dépens d'appel, et dit qu'ils pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Odette-Luce BOUVIER, président et par Madame Agnès MARIE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,