COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 63B
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 16 FEVRIER 2018
N° RG 16/01558
AFFAIRE :
[R] [O]
SELARL [O]
C/
[M] [G]
[B] [C]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Janvier 2016 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
POLE CIVIL
N° Chambre : 1
N° RG : 14/05879
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
Me Ronan SAIGET
Me Christophe DEBRAY
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE FEVRIER DEUX MILLE DIX HUIT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant après prorogation le 26 janvier 2018 les parties en ayant été avisées, dans l'affaire entre :
Maître [R] [O], avocat au barreau de PARIS
né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 1]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Ronan SAIGET, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0253 - Représentant : Me Maud PHILIPPERON substituée par Me Sylvain PAPELOUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
SELARL [O]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Ronan SAIGET, Postulant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0253 - Représentant : Me Maud PHILIPPERON substituée par Me Sylvain PAPELOUX, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
APPELANTS
****************
Monsieur [M] [G]
né le [Date naissance 1] 1955 à [Localité 3]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 16116 - Représentant : Me Jean-Pierre FABRE substitué par Me Timothée DE HEAULME de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
Monsieur [B] [C]
né le [Date naissance 2] 1944 à [Localité 5]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 4]
Représentant : Me Christophe DEBRAY, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 627 - N° du dossier 16116 - Représentant : Me Jean-Pierre FABRE substitué par Me Timothée DE HEAULME de l'ASSOCIATION FABRE GUEUGNOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 novembre 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne LELIEVRE, conseiller, chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Alain PALAU, président,
Madame Anne LELIEVRE, conseiller,
Madame Nathalie LAUER, conseiller
Greffier, lors des débats : Madame Sabine MARÉVILLE,
****************
Vu le jugement rendu le 14 janvier 2016 par le tribunal de grande instance de Nanterre qui a :
- déclaré M. [R] [O] recevable en son intervention volontaire en qualité de demandeur à l'action,
- dit M. [R] [O] recevable en ses demandes,
- constaté que la SEL [O], demanderesse initiale, ne formule plus aucune demande en son nom,
- débouté M. [R] [O] de l'intégralité de ses demandes,
- débouté Maître [G] et Maître [C] de leurs demandes reconventionnelles en dommages et intérêts,
- condamné in solidum la SEL [O] et M. [R] [O] à verser à Maître [G] et à Maître [C], chacun, la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu l'appel relevé le 1er mars 2016 par la SEL [O] et M. [O] qui, dans leurs dernières conclusions notifiées le 28 septembre 2016, demandent à la cour de :
- déclarer recevable et bien fondé l'appel interjeté par M. [R] [O] et la Sel [O],
- débouter Me [M] [G] et Me [B] [C] de leur appel incident et de toute demande et prétention formulée et dirigée à l'encontre de Me [R] [O] et de la SEL [O],
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé que la prescription n'avait commencé à courir qu'à compter de la lettre du 12 juillet 2013 de Maître [Q] informant Me [O] de l'impossibilité de recouvrer sa créance,
Pour le surplus,
- réformer le jugement rendu par le tribunal de grande instance de Nanterre du 14 janvier 2016 en ce qu'il a rejeté la demande de condamnation de Me [M] [G] et Me [B] [C],
Et statuant à nouveau,
- condamner in solidum Me [M] [G] et de Me [B] [C] à verser à M. [R] [O] la somme de 72 450 euros HT, soit 86 650,20 euros TTC, avec intérêts conventionnels, jusqu'à son paiement intégral,
- condamner in solidum Me [M] [G] et Me [B] [C] à verser à M. [R] [O] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner aux entiers dépens dont distraction au profit de Maître Ronan Saiget, dans les termes de l'article 699 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions notifiées le 29 juillet 2016 par lesquelles M. [G] et M. [C] demandent à la cour de :
- confirmer le jugement déféré sauf en ce qu'il a déclaré recevables les demandes de Maître [O] et rejeté leur demande reconventionnelle,
- l'infirmant de ces chefs et statuant à nouveau,
- déclarer les demandes de Maître [O] irrecevables comme prescrites,
- condamner in solidum la SEL [O] et Maître [R] [O] à payer à Maître [G] et à Maître [C] la somme de 10 000 euros chacun à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- confirmer le jugement déféré pour le surplus,
- débouter Maître [O] et la SEL [O] de l'ensemble de leurs demandes,
Y ajoutant,
- condamner in solidum la SEL [O] et Maître [R] [O] à payer à Maître [G] et à Maître [C] la somme de 10 000 euros chacun au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner in solidum la SEL [O] et Maître [R] [O] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés par Maître Christophe Debray conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR
La société D & P Services, dont l'activité était la fourniture de services dans le domaine des télécommunications et de l'internet a rencontré des difficultés de trésorerie à compter de l'année 2004 et a fait l'objet d'une procédure de redressement judiciaire selon jugement du tribunal de commerce de Melun du 25 juillet 2005, Maître [M] [G] étant désigné en qualité d'administrateur judiciaire avec mission d'assistance et Maître [B] [C] en qualité de représentant des créanciers. Après prolongation à plusieurs reprises de la période d'observation, la liquidation judiciaire de cette société a été prononcée par jugement du 9 mai 2006 avec autorisation de poursuite exceptionnelle de l'activité jusqu'au 31 mai 2006, date à laquelle la mission de Maître [G] a pris fin. Maître [C] a été désigné en qualité de liquidateur jusqu'au 27 mars 2008 puis a été remplacé par la SCP [Q] [R].
La SEL [O] société d'avocats rattachée au barreau de Paris, indiquant avoir été chargée par les dirigeants de la société D & P Services pour les assister dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire, du plan de restructuration de l'entreprise, de la gestion de 22 sous-dossiers particuliers hors traitement du dossier "plan social" et dans la gestion d'un contentieux avec l 'entreprise TELE2 et n'avoir pu obtenir paiement de ses cinq dernières factures émises, pour trois d'entre elles le 18 mai 2006, puis une quatrième le 26 mai et la dernière le 31 mai 2006, pour un total de 86 650,20 euros ttc, malgré de multiples demandes, notifications et mises en demeure adressées à Maître [G] puis à Maître [C], a fait assigner ces derniers, par actes des 14 et 16 avril 2014, aux fins de voir dire qu'ils ont engagé leur responsabilité civile délictuelle, et les voir, en conséquence, condamnés in solidum au paiement de dommages et intérêts, au visa des articles 1382 et 2224 du code civil, L.237-12, L.225-254 et L.621-32 anciens du code de commerce.
M. [O] est intervenu volontairement à la procédure, aux côtés de la SEL [O] , en faisant valoir que les cinq factures impayées ont été émises par lui à titre personnel alors qu'il exerçait en qualité de travailleur indépendant au sein d'une société civile de moyens et a repris en son nom les demandes d'indemnisation présentées par la SEL [O].
Sur le défaut d'intérêt et de qualité à agir de la SEL [O]
Considérant que M. [G] et M. [C] font valoir qu'il résulte de la décision du Bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris du 27 février 2014 statuant sur la créance d'honoraires dus par la société D & P Services que ceux-ci sont dus exclusivement à Me [O] ;
Qu'ils invoquent dans ces conditions à juste titre le défaut d'intérêt à agir de la SEL [O] ; que celle-ci ne présente cependant aucune demande ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a constaté l'absence de demande de cette dernière ;
Sur la prescription
Considérant que M. [G] et M. [C] invoquent la prescription de l'action en responsabilité dirigée contre eux sur le fondement de l'article 1382 du code civil ; qu'ils font valoir à cet effet que la prescription applicable est en l'espèce celle de l'article 2270-1 ancien du code civil, dont l'application doit se combiner avec celle de l'article 2224 du code civil ayant réduit à cinq ans la prescription initiale de 10 ans, et avec l'article 2222 du même code qui prévoit que le nouveau délai de prescription en cas de réduction de celui-ci, court à compter de l'entrée en vigueur de la nouvelle loi, sans que la durée totale du délai puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; qu'ils considèrent que la prescription était acquise au 20 juin 2013, soit cinq ans et un jour après la date d'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ; qu'ils précisent que le dommage résultant du non paiement d'une facture, s'agissant de factures relatives à des créances postérieures à l'ouverture de la procédure collective, existe dès l'absence de paiement à l'échéance desdites factures, soit en l'espèce à la date de leur émission, peu important que Me [O] ait été informé postérieurement par lettre de Me [Q] en date du 12 juillet 2013 que sa créance était irrecouvrable, cette information n'ayant pas eu pour effet de différer le point de départ de la prescription ;
Que les appelants répliquent que le point de départ de la prescription de l'action en responsabilité extracontractuelle est la manifestation du dommage ou son aggravation ; que Me [O] fait valoir que sa créance était prioritaire au sens des dispositions de l'article L 621-32 ancien du code de commerce ; que ni Me [G], ni Me [C] n'ont fait état d'un problème de trésorerie et que sa croyance d'un paiement prochain de ses factures était confortée par l'absence de mention dans l'état du passif vérifié, tel que déposé le 17 octobre 2006 ; qu'il en avait déduit que sa créance était fondée, exigible et prioritaire sur le passif de la société D&P services et qu'il ne pouvait avoir connaissance du fait qu'il ne serait pas payé et donc d'un quelconque fait dommageable avant la lettre recommandée en date du 12 juillet 2013 adressée par Me [Q] lui indiquant que le très faible actif existant entre ses mains ne lui permettrait pas de le payer ; qu'il soutient que le point de départ de la prescription est constitué par cette lettre qui lui révèle qu'il ne sera pas payé et que donc son action n'est pas prescrite ;
***
Considérant que les factures émises par Me [O] les 18, 26 et 31 mai 2006 ont pour cause ses honoraires et frais au titre de l'activité déployée pendant la période de poursuite d'activité de la débitrice qui s'est déroulée jusqu'au 31 mai 2006 ; que selon l'article L 621-32 du code de commerce dans sa rédaction applicable à l'espèce, compte tenu de la date d'ouverture de la procédure collective, les créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture sont payées à leur échéance lorsque l'activité est poursuivie ; qu'il n'est d' ailleurs pas contesté que les factures litigieuses portaient la mention "note de frais et honoraires payables à réception" ce qui traduit la marque de leur exigibilité immédiate dans l'esprit de Me [O] ;
Que le fait dommageable réside dans leur non paiement à échéance , qui s'est manifesté à réception ; que les pièces produites par Me [O] et notamment sa pièce n°11 démontrent qu'il était en désaccord avec Me [G], administrateur judiciaire, qui s'opposait au règlement de certaines factures émises par des prestataires de services pendant la période de poursuite d'activité et que Me [O] ne manquait pas de lui rappeler l'exigibilité immédiate de celles-ci, au nombre desquelles se trouvent les siennes ;
Que par conséquent, le fait dommageable réside dans le non paiement des factures à leur échéance et non dans l'information donnée le 12 juillet 2013 par Me [Q], en charge de la succession de Me [C], liquidateur , faisant part d'un très faible actif et de ce que celui-ci était inférieur aux créances superprivilégiées de salaire ; que le point de départ de la prescription doit être fixé au 31 mai 2006 ;
Considérant que la prescription en matière de responsabilité délictuelle a été ramenée de 10 ans, prévue par l'ancien article 2270-1 du code civil à 5ans, selon l'article 2224 du code civil issu de la loi n°2008-561 du 17 juin 2008 ; que le point de départ de la prescription applicable à l'action en responsabilité dirigée contre M. [G] et M. [C] a couru à compter du 31 mai 2006 ; que le délai de 10 ans n'étant pas expiré à la date d'entrée en vigueur de la loi nouvelle, le 19 juin 2008, le délai de cinq ans s'est substitué à celui-ci ; que selon les dispositions transitoires de cette loi, codifiées à l'article 2222 du code civil , en cas de réduction de la durée du délai de prescription, le nouveau délai court à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure ; que par conséquent le nouveau délai de prescription de 5 ans, a couru à compter du 19 juin 2008 pour expirer le 19 juin 2013 à minuit, de sorte qu'à la date de l'introduction de l'instance, les 14 et 16 juin 2014, la prescription était acquise ;
Que par conséquent, Me [O] doit être déclaré irrecevable en ses demandes, pour cause de prescription ;
Sur la demande reconventionnelle en dommages et intérêts
Considérant que M. [G] et M. [C] sollicitent la condamnation de la SEL [O] et de Me [O] à leur payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
Considérant toutefois que l'exercice d'une action en justice constitue un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, d'erreur blâmable, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol ; qu'à défaut pour M. [G] et M. [C] de faire la démonstration de l'existence de l'une de ces conditions leur demande de dommages et intérêts doit être rejetée ;
Considérant que le tribunal a exactement statué sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'en conséquence le jugement entrepris sera confirmé sur ces points ;
Considérant que Me [O] et la SEL [O] , parties perdantes, seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et à payer à M. [G] et M. [C] la somme de 2 500 euros à chacun sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,
Infirme le jugement en ce qu'il a déclaré l'action recevable,
Statuant à nouveau,
Déclare Me [O] irrecevable en ses demandes, en raison de la prescription de l'action,
Confirme le jugement en ses autres dispositions, sauf en ce qu'il a statué sur la demande au fond de Me [O] ,
Condamne in solidum Me [O] et la SEL [O] à payer à M. [G] et M. [C] la somme de 2 500 euros à chacun en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires des parties,
Condamne in solidum Me [O] et la SEL [O] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,
- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,