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14/12/2017 | FRANCE | N°16/00026

France | France, Cour d'appel de Versailles, 21e chambre, 14 décembre 2017, 16/00026


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 14 DÉCEMBRE 2017



R.G. N° 16/00026



AFFAIRE :



SARL AT HOME





C/

[E] [R]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Décembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

Section : Industrie

N° RG : 15/00164





Copies exécutoires délivrées à :



Me

Mohamed CHERIF

Me Manfred ESSOMBE





Copies certifiées conformes délivrées à :



SARL AT HOME



[E] [R]







le : 15 décembre 2017

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





LE QUATORZE DÉCEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de VER...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

21e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 14 DÉCEMBRE 2017

R.G. N° 16/00026

AFFAIRE :

SARL AT HOME

C/

[E] [R]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 18 Décembre 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL

Section : Industrie

N° RG : 15/00164

Copies exécutoires délivrées à :

Me Mohamed CHERIF

Me Manfred ESSOMBE

Copies certifiées conformes délivrées à :

SARL AT HOME

[E] [R]

le : 15 décembre 2017

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE QUATORZE DÉCEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SARL AT HOME

[Adresse 1]

[Localité 1]

représentée par Me Mohamed CHERIF, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : K0020

APPELANTE

****************

Monsieur [E] [R]

[Adresse 1]

Chez Mme [V] [K]

[Localité 2]

représenté par Me Manfred ESSOMBE, avocat au barreau de PARIS,

vestiaire : A0482

INTIME

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Octobre 2017, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Florence MICHON, Conseiller chargé d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Marie-Christine PLANTIN, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC,

M. [R] a été engagé par la société At Home (la société) selon contrat de travail à durée indéterminée à compter du 22 octobre 2007, en qualité de maçon.

Le salaire mensuel brut de M. [R] s'élève à 2 078 euros.

La convention collective applicable à la relation de travail est celle du bâtiment région parisienne.

La société emploie plus de 10 salariés.

En suite d'un accident du travail survenu le 11 juin 2008, M. [R] a été en arrêt de travail ; sa date de reprise a été fixée au 8 décembre 2008.

Par courrier du 17 décembre 2008 (daté du 17 janvier 2008 en suite d'une erreur matérielle), la société a convoqué M. [R] à un entretien préalable au licenciement fixé au 29 décembre 2008 à 15h00.

Cet entretien n'a en définitive pas eu lieu, et le licenciement n'est pas intervenu.

Le 6 février 2014, M. [R] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil afin de solliciter la résolution judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur.

Après une radiation ordonnée le 28 mai 2014, faute de diligences des parties, l'affaire a été réinscrite au rôle, sur demande de M. [R] reçue le 9 avril 2015.

M. [R] a demandé au conseil :

- d'ordonner la résiliation judiciaire du contrat de travail, aux torts de son employeur,

- de condamner la société At Home au paiement des sommes suivantes :

-124 680 euros au titre de rappel de salaires,

- 12 468 euros au titre des congés payés y afférents,

- 4 156 euros au titre du préavis,

- 416 euros au titre des congés payés y afférents,

- 3 324 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

-12 468 euros au titre des dommages et intérêts pour résiliation judiciaire du contrat aux torts de l'employeur,

- de condamner la société à lui remettre les fiches de paie conformes, l'attestation Pôle Emploi, le certificat de travail, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter de la notification de la décision à intervenir,

- de condamner la société At Home au paiement de la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- d'ordonner l'exécution provisoire,

- de condamner la société At Home au paiement de la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour absence de visite médicale.

La société At Home a demandé au conseil :

- de dire et juger qu'elle n'avait commis aucun manquement à l'encontre de M. [R],

- de constater qu'il n'y avait donc pas lieu à résiliation judiciaire du contrat,

- en conséquence, de débouter M. [R] de l'ensemble de ses demandes,

- en tout état de cause, de condamner M. [R] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,

- à titre subsidiaire, si le conseil devait entrer en voie de condamnation, de réduire les demandes de dommages et intérêts à de plus justes proportions et de débouter M. [R] pour le surplus.

Par jugement rendu le 18 décembre 2015, notifié le 22 décembre 2015 à la société At Home et le 24 décembre 2015 à M. [R], le conseil (section industrie) a :

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R] aux torts exclusifs de la société At Home à la date du 18 décembre 2015,

- fixé le salaire mensuel brut de M. [R] à la somme de 2.078 suros,

- condamné la société At Home à payer à M. [R] les sommes suivantes :

- 12 468 euros nets au titre des dommages et intérêts pour la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- 92 463 euros bruts au titre du paiement des salaires du 9 avril 2012 au 18 décembre 2015,

- 9 246,30 euros bruts au titre des congés payés afférents au paiement des salaires du 9 avril 2012 au 18 décembre 2015,

- 4 156 euros bruts au titre de l'indemnité de préavis,

- 416 euros bruts au titre des congés afférents à l'indemnité de préavis,

- 3 324 euros nets au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 1 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonné à la société At Home de remettre à M. [R], bulletins de paie, une attestation pôle emploi et certificat de travail, le tout conforme à la décision,

- ordonné l'exécution provisoire en application de l'article 515 du code de procédure civile,

- débouté M. [R] du surplus de ses demandes,

- débouté la société At Home de ses demandes reconventionnelles,

- mis les éventuels dépens à la charge de la société At Home ainsi que les frais d'huissier de justice en cas d'exécution forcée de la décision.

La société At Home a relevé appel de cette décision le 4 janvier 2016.

Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, la société At Home demande à la cour d'infirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil dans toutes ses dispositions, et statuant à nouveau, de débouter M. [R] de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions, et plus précisément :

- de constater que l'action prud'homale de M. [R] est prescrite,

- de constater que la demande en paiement des salaires est prescrite pour la période antérieure au mois d'avril 2012,

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il l'a condamnée à payer la somme de 92 463 euros au titre du rappel de salaires et de congés payés afférents, et rejeter les demandes de M. [R] à ce titre,

- à titre subsidiaire, de limiter le rappel de salaires à la période postérieure à avril 2012, soit à la somme de 74 808 euros au titre du rappel des salaires et à la somme de 7 480,80 euros au titre des congés payés afférents,

- à titre infiniment subsidiaire, de retrancher de salaires réclamés la somme de 10 394,70 euros correspondant aux salaires de février à juin 2008 d'ores et déjà versés,

- de dire et juger qu'elle n'a commis aucun manquement à l'encontre de M. [R],

- d'infirmer le jugement déféré en ce qu'il a prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [R], et de débouter M. [R] de ses demandes indemnitaires à ce titre,

- à titre subsidiaire, réduire les dommages et intérêts à de plus justes proportions et débouter M. [R] pour le surplus,

- condamner M. [R] à lui régler la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

Elle expose que le licenciement de M. [R] a été envisagé après que celui-ci a tenté d'émettre pour son propre compte, pour un montant de 80 000 euros, un chèque qu'elle lui avait remis à son retour d'arrêt de travail pour qu'il puisse effectuer son contrôle technique, comme il était d'usage dans l'entreprise. Elle soutient que M. [R] ne s'est pas présenté à l'entretien du 29 décembre 2008, et explique qu'elle n'a pas par la suite repris la procédure de licenciement, parce que le salarié avait entre temps envoyé un arrêt de travail et qu'elle croyait, de bonne foi, que l'arrêt maladie suspendait la procédure. Elle ajoute qu'après avoir reçu un avis mentionnant une reprise du travail au 27 avril 2009, elle a adressé à son salarié une convocation pour une visite de reprise auprès de la médecine du travail, auquel il ne s'est pas présenté, et qu'il a cessé ensuite de justifier ses absences et ne lui a plus donné aucun signe de vie.

Au visa de l'article 122 du code de procédure civile, elle fait valoir, 'in limine litis', que l'action prud'homale de M. [R], soumise au délai de droit commun de cinq ans prévu par l'article 2224 du code civil, est prescrite depuis le mois de décembre 2013.

La première saisine de la juridiction prud'homale, ayant notamment pour objet la résolution du contrat de travail aux torts de l'employeur pour absence de fourniture de travail et non paiement des salaires, est en effet du 6 février 2014, et le point de départ de la prescription se situe au mois de décembre 2008, date à laquelle M. [R] a eu connaissance des faits lui permettant d'agir, lorsque l'employeur a renoncé à lui notifier son licenciement et qu'il n'a ensuite jamais repris son poste de travail, induisant une suspension de son salaire. Elle fait également valoir 'in limine litis' que la demande de paiement des arriérés de salaires est prescrite en ce qu'elle porte sur la période antérieure au mois d'avril 2012, par application de l'article L.3245-1 du code du travail résultant de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013 qui fixe à trois ans le délai pour agir. En effet, seule la seconde saisine du conseil de prud'hommes, en date du 9 avril 2015, faisait mention d'une demande de rappel de salaire, et M. [R], qui recevait ses bulletins de salaire, avait périodiquement connaissance des faits qu'il reproche désormais à l'employeur, en sorte que sa demande ne peut concerner que les trois dernières années précédant l'introduction de sa seconde instance.

Elle soutient qu'elle n'était nullement tenue de procéder au versement des salaires réclamés par M. [R], dès lors que ce dernier ne s'est pas présenté à son poste, ni à la médecine du travail, n'a pas justifié de ses absences et ne s'est en conséquence aucunement tenu à la disposition de l'entreprise. Elle rappelle que l'employeur est en droit de suspendre le versement des salaires si le salarié refuse d'exécuter la prestation de travail pour laquelle il a été engagé ou ne se tient pas à la disposition de son employeur, qu'en outre, seule la visite de reprise visée à l'article R.4624-22 du code du travail met fin à la suspension du contrat de travail de sorte que l'employeur ne peut être tenu de reprendre le paiement des salaires tant que le salarié n'a pas été soumis à ladite visite, et que par ailleurs, en l'absence de visite de reprise, l'employeur ne peut être condamné qu'à des dommages et intérêts, à l'exclusion de tout rappel de salaires, la demande de paiement des salaires n'étant accueillie que pour un salarié qui se tient à la disposition de l'employeur et qui sollicite, en vain, l'organisation d'une visite de reprise. En l'espèce, du mois de février 2008 au 11 juin 2008, M. [R] a perçu l'intégralité de son salaire, à compter du 11 juin 2008 il a été en arrêt de travail, indemnisé au titre de la prévoyance, ou alors ne s'est pas présenté à son poste de travail, de sorte qu'elle était en droit de suspendre le versement de son salaire, et par la suite, il ne s'est pas présenté à la visite médicale de reprise à laquelle il était convoqué, de sorte que le contrat de travail est resté suspendu et qu'elle n'était dans ces circonstances pas tenue de reprendre le versement de son salaire. Par la suite, il a purement et simplement cessé de justifier de ses absences et a laissé son employeur sans nouvelles, ce qui lui donnait le droit de suspendre le paiement du salaire. Elle estime surprenant que le conseil de prud'hommes n'ait même pas vérifié si M. [R] avait cherché effectivement à travailler et s'il était disponible pour le faire, et qu'il ait sanctionné l'absence de visite de reprise, à supposer qu'il s'agisse d'un manquement, par un rappel de salaire intégral au lieu de simples dommages et intérêts, alors que M. [R] ne souhaitait manifestement pas travailler. Elle ajoute enfin que le versement de la somme de 92 463 euros risquerait de mettre en péril sa santé économique et l'emploi de ses salariés.

Elle juge injustifiée la résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts, faisant valoir que la chambre sociale de la Cour de cassation considère que l'employeur qui a entamé une procédure disciplinaire peut décider d'y mettre un terme et renoncer à toute sanction sans commettre de faute, et que la Cour de cassation a durci les conditions d'admission de la résiliation judiciaire du contrat de travail ou de la prise d'acte de sa rupture, et qu'il appartient au salarié d'apporter la preuve de faits réels et suffisamment graves à l'encontre de l'employeur, à qui le doute doit profiter. En l'espèce, M. [R], outre qu'il ne communique aucune pièce démontrant qu'il s'est mis à disposition de son employeur, ne saurait lui reprocher de ne pas avoir prononcé son licenciement ou de ne pas l'avoir 'mis à pied à titre conservatoire', dès lors que l'employeur est libre d'exercer, ou non, son pouvoir disciplinaire. Par ailleurs, les faits reprochés par le salarié font suite à une tentative d'escroquerie dont il est l'auteur. Enfin, les faits invoqués à l'appui de la demande de résiliation judiciaire datent de la fin de l'année 2008, or M. [R] a sollicité pour la première fois la résiliation de son contrat de travail aux torts de son employeur le 6 février 2014, soit plus de 5 ans plus tard, sans justifier d'un quelconque manquement de l'employeur, l'affaire ayant même été radiée dans l'attente de ses écritures.

La résiliation du contrat de travail n'étant pas justifiée, elle ne produit pas les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et M. [R], dont le contrat de travail se poursuit, ne saurait prétendre au versement d'une quelconque indemnité compensatrice de préavis, ni au versement de l'indemnité conventionnelle de licenciement, ni au versement de dommages et intérêts au titre de la résiliation judiciaire de son contrat de travail, étant ajouté qu'en tout état de cause, le principe de l'indemnisation n'étant pas acquis au salarié, M. [R] doit rapporter la preuve du préjudice justifiant ses demandes indemnitaires, ce qu'il ne fait pas en l'espèce, le préjudice allégué étant évalué discrétionnairement à la somme exorbitante de 12.468 euros alors qu'il a été présent de manière effective au sein de la société durant seulement sept mois, qu'il n'est pas revenu à son poste depuis le mois de décembre 2008, qu'il a émis un chèque de 80.000 euros au moyen du chéquier de l'entreprise pour son propre compte et qu'il a perçu une allocation Pôle Emploi ce qui démontre qu'il a travaillé pour une autre entreprise.

Par conclusions écrites soutenues oralement à l'audience, M. [R] demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable son action et ordonné la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts exclusifs de l'employeur,

- ce faisant, condamner l'appelante à lui verser:

- à titre de préavis la somme de 4 156 euros,

- à titre de congés payés y afférents, la somme de 416 euros,

- à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, la somme de 3 324 euros,

- à titre de dommages et intérêts pour résiliation judiciaire, la somme de 24 936 euros,

- à titre de rappel de salaires, pour la période du 6 février 2014 au 6 février 2009, la somme de 124 680 euros, outre celle de 12 468 euros à titre de congés payés y afférents,

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 5 000 euros pour défaut de visite médicale de reprise,

- condamner l'appelante à lui remettre des fiches de paie conformes, une attestation pôle emploi et un certificat de travail, sous astreinte de 200 euros par jour de retard, à compter de la notification de la décision à intervenir,

- condamner l'appelante à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.

M. [R] soutient que contrairement aux dires de l'appelante, il s'est bien présenté à l'entretien du 29 décembre 2008, mais que l'employeur a refusé toute discussion et l'a invité à quitter la société en lui indiquant qu'il allait être licencié et qu'il recevrait les documents de rupture à son domicile par voie postale. Il conteste avoir abandonné son poste, et soutient avoir téléphoné à plusieurs reprises à son employeur pour savoir quelle suite serait donné à son contrat de travail, et que la réponse donnée a toujours été la même, à savoir qu'il allait être licencié et qu'il devait attendre à son domicile les documents de rupture.

Il soutient que son action est totalement recevable, objectant à la prescription invoquée que dès lors qu'il disposait d'un mois à compter de l'entretien préalable pour le licencier, son employeur ne pouvait renoncer au licenciement que le 29 janvier 2009, que par ailleurs, il était à cette époque en arrêt maladie, payé par la sécurité sociale, en sorte qu'il ne pouvait aucunement intenter une action en paiement de salaire, et qu'enfin son employeur lui a écrit le 22 avril 2009 pour le convoquer à une visite de reprise pour le 27 avril 2009, en sorte que son contrat de travail était suspendu 'au pire' jusqu'à cette date. Il ajoute qu'en matière salariale, le point de départ de la prescription est l'exigibilité de la créance, et que la créance salariale ne pouvait être exigible qu'à compter d'avril 2009, date de la convocation à une visite de reprise. Le délai de prescription ne commençait par conséquent à courir que le 29 avril 2009, et la prescription, effective le 29 avril 2014, a été interrompue le 6 février 2014, lorsqu'il a saisi le conseil de prud'hommes, bien que les demandes de salaires ne figurent que sur la saisine d'avril 2015, puisque les deux actions concernent le même contrat de travail. La durée de la prescription est de cinq ans, et non de trois ans comme le soutient l'employeur, dès lors que le nouveau délai de prescription court jusqu'au 16 juin 2016, et dépasse celui prévu par la loi antérieure, qui court jusqu'au 29 avril 2014. Il ajoute enfin que le délai de prescription ne s'applique pas aux demandes indemnitaires, telles les indemnités de licenciement, et qu'il court à compter de la date d'exigibilité de chacune des fractions de la somme réclamée, et non de la date du fait à la suite duquel l'employeur a cessé d'exécuter ses obligations.

Il fait valoir que l'employeur reste tenu au paiement de ses salaires dès lors qu'il ne l'a pas licencié et qu'il ne l'a non plus jamais invité à regagner son poste de travail en lui fournissant du travail, alors qu'il est resté à sa disposition permanente sans pouvoir vaquer à ses occupations personnelles. Il conteste avoir à un quelconque moment refusé d'exécuter la prestation de travail, et soutient qu'il n'a jamais reçu de convocation pour se présenter à une quelconque visite de reprise, que l'accusé de réception que produit l'appelante ne porte pas sa signature et que c'est à l'employeur qu'il appartient de rapporter la preuve qu'il a été régulièrement convoqué. Il ajoute que la saisine de la médecine du travail par le salarié n'est qu'une simple possibilité pour ce dernier, et non une obligation, et qu'en l'espèce, la saisine de la médecine du travail 'ne servait à rien' face à un employeur qui ne voulait plus de son salarié, puisque la visite de reprise a pour but, aux termes de l'article R.4624-22 du code du travail, de favoriser le maintien dans l'emploi et que ce maintien n'était plus possible. Il ajoute que dès lors qu'il indique ne pas avoir reçu la convocation à la visite de reprise, il appartenait à l'employeur de le faire reconvoquer à une nouvelle date, ce qu'il n'a pas fait. L'employeur pouvait également le licencier pour abandon de poste, ce qu'il n'a pas fait non plus, et dans ces conditions, il reste tenu de lui payer ses salaires jusqu'à la fin du contrat.

Au soutien de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, M. [R] reproche à son employeur de ne pas l'avoir licencié dans le délai d'un mois requis par l'article L.1332 du code du travail, alors qu'il n'avait plus de relations avec son salarié qu'il accusait d'escroquerie et d'abus de confiance, et que dans le même temps il ne lui donnait pas de travail et ne le rémunérait plus. Il dénonce l'absence de loyauté de l'employeur dans l'exécution du contrat, voire même une forme de harcèlement moral déguisé, et fait valoir que du fait d'une telle situation, il ne pouvait s'engager auprès d'un autre employeur, ni s'inscrire aux ASSEDIC, tout en ne pouvant continuer à travailler. Il lui reproche en deuxième lieu de ne pas lui avoir payé ses salaires, et en troisième lieu de ne jamais l'avoir convoqué aux visites de reprises dont il aurait dû bénéficier en suite de ses arrêts maladie, puisqu'il a repris le travail après un arrêt du 11 juin 2008 jusqu'au 8 décembre 2008 sans visite de reprise, et qu'il n'a pas non plus bénéficié de visites de reprise en suite d'un arrêt du 19 au 31 décembre 2008, puis d'autres arrêts postérieurs. Les manquements de l'employeur ont empêché la continuation de la relation contractuelle. En effet, pour soutenir que l'ancienneté des faits empêche de les prendre en compte pour justifier la résiliation du contrat de travail dont ils n'ont pas empêché la poursuite, l'employeur se fonde sur des décisions rendues dans des hypothèses d'une prise d'acte de la rupture, qui n'est pas celle de l'espèce. En outre, l'absence de fourniture de travail et le refus de l'employeur de travailler avec le salarié ont de fait empêché la relation de travail de se poursuivre, bien que l'employeur ait refusé de tirer les conséquences qui s'imposaient en procédant à un licenciement. Il ajoute que contrairement à ce que prétend l'employeur, il n'a bénéficié d'aucun autre contrat d'un quelconque autre employeur, le versement d'une allocation de solidarité par Pôle Emploi étant destiné à pallier la situation de blocage résultant de l'absence de versement de salaire par un employeur qui ne le licencie pas pour autant.

A l'appui de ses demandes pécuniaires, il fait valoir qu'il avait plus de deux ans d'ancienneté, et qu'il travaillait dans une entreprise de plus de 11 salariés, en sorte qu'il est fondé à solliciter la confirmation des montants alloués au titre du préavis et des congés payés y afférents, et à formuler une demande d'indemnité de licenciement à hauteur de 12 mois de salaires, soit 24.936 euros.

Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS

Sur la prescription  :

Selon l'article 2224 du code civil, résultant de la loi du 17 juin 2008, les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.

Selon l'article L.1471-1 du code du travail résultant de la loi n°2013-504 du 14 juin 2013, toute action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, excepté dans un certain nombre de cas limitativement énumérés.

Ce texte s'applique aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi qui le crée, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure, soit cinq ans en l'espèce.

Le point de départ de la prescription de l'action de M. [R] en résiliation judiciaire de son contrat de travail se situe à la date à laquelle il a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit.

M. [R], en arrêt maladie du 15 décembre 2008 jusqu'au 27 avril 2009, et dont le contrat de travail était donc suspendu, n'a pas pu avoir connaissance avant la fin de son arrêt de ce que son employeur ne lui fournissait ni travail ni salaire, faits sur lesquels il s'appuie pour exercer son droit.

De plus, en ce qui concerne les salaires, la prescription part du jour où le salaire devient exigible, en sorte que chaque échéance de salaire impayée permettait à M. [R] d'agir en résiliation de son contrat de travail pour inexécution par l'employeur.

Son action n'était donc pas prescrite lorsqu'il a saisi le conseil de prud'hommes le 6 février 2014, moins de cinq années plus tard, et moins de trois années après l'entrée en vigueur de l'article L.1471-1 du code du travail.

En ce qui concerne l'action en paiement des salaires, qui ne sont réclamés par l'intimé que pour la période du 6 février 2009 au 6 février 2014, l'article L.3245-1 du code du travail prévoyait jusqu'au 17 juin 2013 un délai de prescription de cinq ans, et prévoit dans sa rédaction applicable à compter du 17 juin 2013 qu'elle se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, la demande pouvant porter sur les sommes dues au titre des trois dernières années à compter de ce jour ou, lorsque le contrat de travail est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat, les nouvelles dispositions s'appliquant aux prescriptions en cours à compter de la date de promulgation de la loi, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure.

Si, en principe, l'interruption de la prescription ne peut s'étendre d'une action à une autre, il en est autrement lorsque les deux actions, au cours d'une même instance, concernent l'exécution du même contrat de travail. En l'espèce, la demande en paiement de salaires de M. [R], si elle n'a pas été formulée dans l'acte de saisine du 6 février 2009 mais à titre additionnel en cours d'instance, concerne l'exécution du même contrat de travail que celui objet de la saisine initiale, en sorte que cette saisine emporte interruption de la prescription également pour l'action en paiement des salaires.

Dès lors, M. [R] est recevable à demander le paiement d'un arriéré de salaire à compter du 6 février 2009, soit cinq années avant la saisine de la juridiction, le délai de trois ans prévu par la loi du 14 juin 2013 n'étant pas écoulé à la date de la saisine.

Les fins de non recevoir tirées de la prescription seront donc écartées.

Sur la demande de rappel de salaires :

Il est constant que M. [R] n'a pas été licencié par la société At'Home, sa présentation effective à l'entretien préalable du 29 décembre 2008 étant à cet égard indifférente, et qu'aucune des parties n'a mis fin au contrat de travail avant qu'il ne soit résilié par le conseil de prud'hommes d'Argenteuil.

Il résulte des débats et des pièces produites que M. [R] a été en situation d'arrêt maladie du 15 au 18 décembre 2008, puis d'arrêt de travail pour maladie professionnelle à compter du 19 décembre 2008. De ce fait, le contrat de travail liant les parties a été suspendu.

Par la suite, aucune visite médicale de reprise, telle que prévue par l'article R.4624-21 du code du travail dans sa rédaction applicable au litige, n'est intervenue. Or, seul l'examen pratiqué par le médecin du travail dont doit bénéficier le salarié lors de la reprise du travail, en application de ce texte, met fin à la période de suspension du contrat de travail. En l'absence de visite de reprise, le contrat de travail est demeuré suspendu. Il en découle que durant cette période de suspension du contrat de travail, l'employeur n'était tenu, ni de fournir du travail ni de payer le salaire.

Le jugement qui a fait droit à la demande du salarié doit donc être infirmé, et la demande de paiement de salaires de M. [R] doit être rejetée.

Sur la demande de résiliation du contrat de travail :

La résiliation judiciaire du contrat de travail est prononcée à l'initiative du salarié et aux torts de1'employeur, lorsque sont établis des manquements par ce dernier à ses obligations d'une gravité suffisante pour empêcher la poursuite de la relation de travail. Dans ce cas, la résiliation du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

L'absence de versement du salaire et l'absence de fourniture de travail invoquées par le salarié ne peuvent en l'espèce constituer des manquements de l'employeur à ses obligations, dès lors que comme il l'a été indiqué ci-dessus, l'employeur n'est pas tenu à fournir du travail ni à payer le salaire du fait de la suspension du contrat de travail.

L'employeur n'étant pas tenu de licencier un salarié, quand bien même il lui reprocherait une faute, et pouvant renoncer à poursuivre une procédure disciplinaire qu'il a engagée, sans commettre de faute, le fait que la société appelante n'ait en définitive pas procédé au licenciement de M. [R] ne peut constituer un manquement de l'employeur à ses obligations.

Le moyen du salarié selon lequel refuser de fournir du travail et refuser de licencier constitue du harcèlement moral déguisé doit être écarté, dès lorsque ces faits ne sont pas matériellement établis, puisque l'employeur n'était pas tenu de fournir du travail pendant la période de suspension du contrat de travail ni de rompre le contrat de travail.

Si l'initiative de la visite médicale préalable à la reprise du travail après un arrêt maladie appartient normalement à l'employeur, cette visite peut aussi être sollicitée par le salarié, soit auprès de son employeur soit auprès du médecin du travail. Aucun manquement n'est établi en ce qui concerne la visite de reprise faisant suite à la prolongation de l'arrêt de travail dont M. [R] a bénéficié le 2 avril 2009 jusqu'au 26 avril 2009 inclus, dès lors que la société appelante justifie lui avoir adressé une convocation à une visite médicale organisée le 27 avril 2009 à 15 heures 45, et produit aux débats un avis de réception signé du nom de [R], dont elle pouvait légitimement déduire que sa convocation avait, pour le moins été remise à une personne présente au domicile du salarié lors du passage de la Poste, ou à un mandataire de celui-ci.

En toute hypothèse, M. [R] qui indique avoir été en arrêt maladie jusqu'au mois d'avril 2009, n'a formé aucune demande en ce sens, en sorte que l'absence d'organisation par l'employeur de visites de reprises ne constitue pas un manquement d'une gravité suffisante pour justifier près de cinq années plus tard une résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur.

En l'absence de manquement suffisamment grave imputable à la société appelante, la résiliation du contrat de travail aux torts de l'employeur n'est pas fondée, de même que les condamnations au paiement de dommages et intérêts au titre de cette résiliation, au paiement de l'indemnité de préavis, des congés payés y afférents et de l'indemnité conventionnelle de licenciement et à la remise des bulletins de paie, d'une attestation Pôle Emploi et d'un certificat de travail faisant suite à la rupture du contrat de travail. En conséquence, le jugement du conseil de prud'hommes doit être infirmé, et les demandes de M. [R] rejetées.

Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de visite de reprise :

M. [R] ne justifie pas de l'existence d'un préjudice résultant de l'absence de visites médicales de reprise, en sorte que la demande de dommages et intérêts doit être rejetée.

Sur les frais irrépétibles et les dépens :

M. [R], partie perdante, doit être condamné aux dépens de première instance, ainsi qu'aux dépens d'appel.

Le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil doit être infirmé en ce qu'il a condamné la société At Home au paiement d'une indemnité de procédure de 1.000 euros à M. [R].

Ni l'équité ni la situation économique des parties ne justifient de faire application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel, en sorte que les demandes à ce titre sont rejetées.

Par ces motifs,

La cour, statuant contradictoirement,

Infirme le jugement déféré dans toutes ses dispositions,

Statuant à nouveau,

Rejette la fin de non recevoir tirée de la prescription soulevée par la société At Home, et en conséquence déclare les demandes de M. [R] recevables,

Déboute M. [R] de toutes ses demandes,

Déboute les parties de leurs demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne M. [R] aux entiers dépens.

Prononcé hors la présence du public par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame LECLERC, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 21e chambre
Numéro d'arrêt : 16/00026
Date de la décision : 14/12/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 21, arrêt n°16/00026 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-14;16.00026 ?
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