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05/12/2017 | FRANCE | N°17/04667

France | France, Cour d'appel de Versailles, 13e chambre, 05 décembre 2017, 17/04667


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 4ID



13e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 05 DECEMBRE 2017



N° RG 17/04667



AFFAIRE :



[I] [J]



C/



Me [B] [G] (ès qualités de liquidateur

à la liquidation judiciaire de la Sté EDIPRO GROUPE et de la Sté EDIPRO PRINT)







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juin 2017 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

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N° Section :

N° RG : 2016L01923







Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 05.12.17



à :



Me Stéphanie

BRAUD-PIEL,



Me Patricia MINAULT



Ministère Public



TC NANTERRE



Parquet civil, Pôle EC...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 4ID

13e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 05 DECEMBRE 2017

N° RG 17/04667

AFFAIRE :

[I] [J]

C/

Me [B] [G] (ès qualités de liquidateur

à la liquidation judiciaire de la Sté EDIPRO GROUPE et de la Sté EDIPRO PRINT)

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 07 Juin 2017 par le Tribunal de Commerce de NANTERRE

N° chambre :

N° Section :

N° RG : 2016L01923

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le : 05.12.17

à :

Me Stéphanie

BRAUD-PIEL,

Me Patricia MINAULT

Ministère Public

TC NANTERRE

Parquet civil, Pôle ECOFI

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE CINQ DECEMBRE DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [I] [J]

né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représenté(e) par Me Stéphanie BRAUD-PIEL, avocat Postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 12 et par Me François FAUVET, avocat plaidant au barreau de PARIS

APPELANT

****************

Maître [B] [G] pris en sa qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire de la Sté EDIPRO GROUPE et de la Sté EDIPRO PRINT

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représenté(e) par Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat Postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20170400 et par Me Isilde QUENAULT, avocat plaidant au barreau de PARIS

INTIME

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 23 Octobre 2017, Madame Hélène GUILLOU, conseiller ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente,

Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,

Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER

En présence du Ministère Public, représenté par Monsieur Fabien BONAN, Avocat Général dont l'avis a été transmis le 7 septembre 2017 au greffe par voie électronique

FAITS ET PROCEDURE,

La société Edipro groupe a été créée en 2006 pour acquérir les actions de la société Edipro France, holding de gestion de neuf sociétés exerçant des activités d'impression et d'éditions, dont la société Edipro print, spécialisée dans l'activité d'impression qui portait toute la clientèle liée à cette activité d'impressions, et en sous-traitait la production aux autres sociétés du groupe lui fournissant et facturant les moyens de production. Cette acquisition a été financée en partie à hauteur de 2,9 millions d'euros grâce à un emprunt souscrit par la société Edipro groupe, remboursable par annuités de 414 000 euros grâce aux dividendes versés à celle-ci par la société Edipro France.

M. [I] [J] était le président directeur général des sociétés Edipro groupe et Edipro print.

Sur déclaration de cessation des paiements du 28 juin 2013 et par jugements du 4 juillet 2013 le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de redressement judiciaire à l'égard des sociétés Edipro group et Edipro print, la date de cessation des paiements étant fixée au 28 juin 2013 et maître [G] étant désigné mandataire judiciaire.

Par jugement du 23 juillet 2013 ces sociétés ont été mises en liquidation judiciaire.

Par jugement du 25 juillet 2013 le tribunal de commerce a ordonné la confusion des patrimoines des sociétés Edito groupe et Edito pro. La cession du groupe a été ordonnée par jugement du 16 août 2013.

Constatant une insuffisance d'actif de plus de 8 millions d'euros et estimant que M. [J] avait commis des fautes de gestion, maître [G] l'a assigné sur le fondement des articles L. 651-2 et L 653-3 du code de commerce devant le tribunal de commerce de Nanterre qui, par jugement du 7 juin 2017 a, sous le bénéfice de l'exécution provisoire :

- prononcé à l'égard de M. [J] une interdiction de gérer pour une durée de 7 ans,

- condamné M. [J] à payer la somme de 2 000 000 euros entre les mains de maître [G] ès qualités avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement et capitalisation des intérêts,

- condamné M. [J] à payer à maître [G] ès qualités la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

M. [I] [J] a fait appel du jugement le 19 juin 2017 et, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées le 27 juillet 2017, il demande à la cour de :

- dire l'appel recevable, réformer le jugement entrepris et statuant à nouveau,

- constater que l'expert [Q] a travaillé sur des pièces volées, que ces pièces ne sont pas communiquées ni visées au rapport,

- constater que ne figurent pas au débat les pièces sur lesquelles l'expert a travaillé,

- constater que l'expert procède par affirmations, sans non plus que l'on trouve en annexe à son rapport les éléments de compréhension de ses affirmations,

- dire que le rapport [Q], ne peut en conséquence être débattu contradictoirement,

- écarter des débats le rapport [Q],

- constater que maître [G] ne verse d'autres pièces que de greffe et ses propres rapports, qui ne sauraient suffire à justifier ses demandes et établir la réalité des griefs qu'il formule contre lui,

- en conséquence, débouter maître [G] de ses demandes,

Subsidiairement,

- constater que les sociétés Edipro groupe et Edipro print étaient deux maillons du groupe Edipro, ensemble de plusieurs sociétés agissant de concert sous une direction commune, pour atteindre un objectif commun,

- constater l'existence des conventions de trésorerie en vigueur au sein du groupe,

- dire que le paiement de la dernière échéance du LBO échue avant jugement déclaratif ne procédait pas d'une volonté de priver Edipro print de sa trésorerie et n'a pas eu cet effet,

- dire que la détention transitoire de la société SER par la société JLO finances n'a pas porté préjudice aux sociétés Edito print et Edito groupe,

- dire que l'absence de refacturation de sous-loyers par Edito print à d'autres sociétés du groupe Edipro n'était pas contraire aux intérêts en présence, et qu'elle n'a en tous cas pas porté préjudice aux sociétés Edito print ni Edito groupe,

- dire que l'existence de créances entre sociétés du groupe Edipro ne s'analyse pas en une faute en l'espèce,

- constater que l'insuffisance d'actifs alléguée, une fois mise en relation avec la taille du groupe Edipro, ne permet pas en soi d'établir l'existence d'un préjudice né d'éventuelles fautes de gestion,

- en conséquence, dire qu'il n'y a pas lieu à appliquer contre M. [I] [J] les dispositions prévues aux articles L651-2 et L653-1 et suivants du code de commerce,

En toute hypothèse,

- condamner Maître [G] en tous les dépens d'instance et d'appel, et au paiement d'une somme de 12 000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile,

Par dernières conclusions signifiées le 4 août 2017, Maître [G] ès qualités demande à la cour de :

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions à l'exception du quantum de la condamnation,

- infirmer le quantum de la condamnation et de condamner à payer la somme de 8 831 989,97 euros, avec intérêts au taux légal conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil, et capitalisation,

- débouter M. [J] de l'ensemble de ses demandes,

- condamner M. [J] au paiement de la somme de 6 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.

Le ministère public a conclu à la confirmation du jugement, en relevant que la société Edipro print a réalisé fin juin 2013 une avance de trésorerie au profit de la société Edipro groupe pour un montant de 529 000 euros, que lors de la cession des titres de la Société européenne de revue à la société Edipro print la créance détenue par cette dernière qui s'élevait à 808 000 euros n'a jamais été remboursée, et que cette société a bénéficié d'autres avances de trésorerie pour 719 000 euros alors même que les deux sociétés n'avaient plus de liens capitalistiques, que la société Edipro print a supporté seule les loyers des locaux occupés par toutes les sociétés du groupe et a effectué des mouvements de trésorerie sans qu'aucune convention de trésorerie n'ait été préalablement établie, que l'ensemble de ces fautes justifie les sanctions prononcées.

Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.

SUR CE,

Sur l'insuffisance d'actif :

L'article L.651-2 du code de commerce dispose que, lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté en tout ou en partie par les dirigeants ou par certains d'entre eux ayant contribué à cette faute de gestion.

Le tribunal a retenu une insuffisance d'actif s'établissant à la somme de 8 831 989,97 euros, le passif définitivement admis s'élevant à 495 331,34 euros en ce qui concerne la société Edipro groupe et à 9 565 793,47 euros en ce qui concerne la société Edipro print, soit un total de 10 061 124,81 euros. Les actifs réalisés ont rapporté la somme de 1 229 134,84 euros.

Ce montant n'est pas contesté par M. [J] qui invite cependant à le mettre en perspective avec le chiffre d'affaires de 33 000 000 d'euros réalisé pendant la dernière année d'exploitation du groupe. Ses moyens sur ce point seront envisagés lors de l'examen de la sanction. L'insuffisance d'actif est en revanche certaine et du montant retenu par le tribunal.

Sur le rapport [Q] :

Par ordonnances du 19 juin 2014 le juge-commissaire a désigné le cabinet [Q] avec pour mission d'analyser les flux financiers entre la société Edipro print et les sociétés du groupe Entagos avant et après la cession d'entreprise intervenue, les flux financiers entre M. [I] [J] et les sociétés Edipro print et Edipro groupe ainsi que les flux financiers entre M. [I] [J] et la société Européenne de revues.

En application de cette décision, le cabinet [Q] a établi une 'analyse de flux financiers entre le groupe Edipro M. [I] [J] et groupe Entagos' en 30 pages et des annexes.

Une copie de ce rapport est versé aux débats, sans les annexes.

Maître [G] verse en outre aux débats l'état du passif des deux sociétés, les déclarations de créances, l'état financier de la société Edipro print et de la société Edipro groupe au 20 juin 2012, des extraits des grands livres de ces deux sociétés.

M. [J] conteste le rapport établi par le cabinet [Q]. Il précise que sa contestation ne porte pas sur le fait que le rapport ait été établi de façon non contradictoire en amont mais sur le fait qu'il ne soit pas soumis à une véritable contradiction en cours de procédure puisque l'expert procède par affirmations fondées sur des chiffres et des documents à qui il reproche :

- de n'être pas visés dans le rapport,

- de n'être pas versées en annexe ni aux débats devant la cour,

- d'être le fruit d'un vol.

Il expose que l'expert n'a pas voulu le rencontrer mais a rencontré d'anciens salariés licenciés pour faute lourde en raison d'erreurs telles que le commissaire aux comptes en avait averti le dirigeant, que ceux-ci lui ont remis 'l'ensemble des données informatiques demeurées en leur possession', lesquelles, outre leur origine douteuse, étaient nécessairement partielles et partiales, qu'il était donc indispensable d'entendre aussi M. [J]. Il ajoute que dans les annexes du rapport ne figurent aucune des données chiffrées de sorte que la contradiction est impossible, que ce rapport est donc inutilisable et ne peut être discuté faute de savoir comment ces chiffres ont été retenus. Il demande donc que le rapport [Q] soit écarté et, constatant qu'il ne reste pour étayer les demandes que les rapports du liquidateur judiciaire, le débouté de toutes les demandes.

Maître [G] réplique qu'il est de jurisprudence bien établie que la mission du technicien désigné par le juge-commissaire sur le fondement de l'article L.621-9 du code de commerce n'est pas une mesure d'instruction au sens des articles 155 et suivants du code de procédure civile et n'a pas à être établie contradictoirement, qu'elle vaut à titre de simple renseignement et peut être débattue contradictoirement dans le cadre de la procédure en cours, que Maître [G] n'a aucunement pris le parti des salariés entendus dans le cadre de ce rapport [Q] puisqu'il s'est opposé à ce que l'un d'eux soit nommé contrôleur et que le rapport [Q] soit communiqué dans le cadre de la procédure prud'homale. Il ajoute que M. [J] fait état de pièces volées mais n'a déposé aucune plainte pour vol, que le rapport se fonde également sur la comptabilité établie sous la responsabilité de M.[J] et communiquée par le liquidateur judiciaire, que la comptabilité ne peut être communiquée dans son entier particulièrement dans cette affaire où le seul grand livre de la société Edipro print représente plus de 3 000 pages pour la seule année 2013, qu'il s'agit au surplus de la comptabilité établie par M. [J] et qu'il a lui-même remise au liquidateur judiciaire.

Les parties conviennent que le rapport [Q] établi à la demande du juge-commissaire avec une mission bien précise ci-dessus rappelée n'est pas un rapport d'expertise établi selon les contraintes des articles 263 et suivants du code de procédure civile. Il s'agit d'un élément de preuve parmi les autres dont la portée peut être discutée, ce qui est notamment l'objet de la présente procédure.

Le cabinett [Q] indique avoir travaillé essentiellement sur les pièces et documents communiqués par Maître [G] et sur les pièces justificatives comptables archivées par la société SPGA. Il n'apparaît à aucun moment à la lecture de ce rapport que les chiffres cités par le cabinet [Q] soient extraits de pièces produites par des tiers, à l'exception des décomptes communiqués par GE factor et les relevés bancaires de la banque Thémis. Le cabinet cite encore la déclaration de cessation des paiements, réalisée par M. [J] lui-même, les comptes, les justificatifs comptables, le logiciel de gestion des stocks, l'inventaire du commissaire priseur, les bilans et compte de résultats, les fiches de trésorie établies par la société pour l'administrateur judiciaire. M. [J] ne désigne pas de pièces comme provenant d'un vol.

Les autres pièces versées aux débats consistent dans les rapports établis par l'administrateur (maître [V] qui précise avoir interrogé M. [J] sur certains points et notamment les créances intragroupe et fait état des réponses apportées par son conseil) et le liquidateur judiciaire, des extraits du grand livre Edito group et Edito print, les déclarations de créances et les états financiers. Il n'y a pas lieu d'ordonner la production de toutes les pièces de comptabilité sur lesquelles est fondé ce rapport, le cabinet [Q] indiquant que toutes les pièces figurant dans les annexes de son rapport ont été stockées sur une clé USB jointe au rapport, dont les parties ont disposé et qui peuvent être discutées.

Aucune pièce d'origine illégale n'est donc versée aux débats, et c'est dans le cadre de l'appréciation de la force probante de ces pièces qu'il sera tenu compte des moyens développés par M. [J].

Sur les fautes de gestion :

Les fautes reprochées à M. [J] devant la cour d'appel consistent dans les faits suivants :

- d'avoir fait financer par la société Edipro print sa propre acquisition, ce qui a asséché la trésorerie de cette société et entraîné la cessation des paiements,

- d'avoir utilisé des fonds de la société Edipro print dans l'intérêt d'une autre société du groupe, la Société européenne de revues (la société SER), ce qui a également altéré la trésorerie de la société Edipro print,

- d'avoir fait supporter par la seule société Edipro print la charge des loyers pour l'hébergement du groupe, sans refacturation,

- d'avoir consenti des avances de trésorerie aux autres sociétés du groupe et notamment à la société SER, empêchant la société Edipro print de faire face à ses propres obligations et notamment au paiement des loyers,

Pour l'ensemble de ces griefs, M. [J] fait valoir qu'au sein d'un groupe aucune structure n'a d'autonomie parfaite, que toutes concourent au même objectif en l'espèce la chaîne graphique, les prestations des différentes sociétés étant complémentaires, qu'au sein de cette chaîne, seule la société Edipro print traitait avec la clientèle, que sous cet angle chaque société a en effet son autonomie mais qu'aucune n'est conçue pour avoir une autonomie commerciale ou financière, que la société Edipro print était donc la seule chez qui était réalisé le chiffre d'affaires du groupe, le chiffre d'affaires des autres structures ne résultant que de refacturations internes, que toutes les critiques faites par le liquidateur judiciaire doivent être appréciées au vu de cette organisation dont la légalité n'a jamais été remise en cause. Il ajoute que la société Edipro print refacturait ses coûts aux autres sociétés du groupe, que le liquidateur judiciaire semble lui reprocher de ne pas surfacturer les autres sociétés du groupe, alors que les besoins des sociétés soeurs étaient déjà couverts par la marge qu'elles prenaient sur leurs prestations, que l'absence de facturation de 'sous loyers' est totalement neutre, qu'en effet il est inutile que la société Edipro print facture un loyer pour ensuite donner à la société à qui elle facture ce loyer le moyen de s'en acquitter, que le but commun poursuivi par l'ensemble de ces sociétés permet que l'intérêt social de l'une des sociétés du groupe cède le pas à l'intérêt commun du groupe si elle-même trouve une contrepartie dans son appartenance à ce groupe, ce qui est le cas en l'espèce.

Maître [G] réplique que la notion de groupe qui permet en effet de conclure des conventions de trésorerie au sein du groupe trouve sa limite dans le dépassement de la capacité de la société qui finance et ne peut le faire au détriment de sa propre existence, que la conception qu'a M. [J] du fonctionnement d'un groupe revient à nier l'autonomie propre de chaque société du groupe, que pour fonctionner comme il l'a fait, il aurait fallu ne créer qu'une seule société.

Sur le financement de la reprise de la société Edipro print :

Il a été rappelé que la société Edipro groupe a été créée en 2006 pour acquérir les actions de la société Edipro France, holding de gestion de plusieurs sociétés exerçant des activités d'impression et d'éditions, dont la société Edipro print, cette opération étant financée par un LBO.

Maître [G] soutient que le prix de cession a été partiellement financé au moyen de deux prêts consentis à la société Edito group qui devait les payer à l'aide des remontées de dividendes de la société Edipro France qui elle-même recevait des distributions de la société Edipro print pour un montant annuel de 500 000 euros ; que si ces dividendes ont bien été votés en 2011, la société Edipro print n'a versé que 112 000 euros à la société Edipro France, qui elle-même n'a rien versé à la société Edipro groupe ; que l'annuité de 414 000 euros due par la société Edipro groupe a été réglée grâce au financement de la société Edipro print. De même l'annuité de 2013 a été financée intégralement grâce aux avances de trésorerie faites par la société Edipro print et non par les dividendes de la société Edipro France comme le soutient M. [J] et ce, en contravention avec les dispositions de l'article L 225-216 du code de commerce.

Maître [G] en conclut que la trésorerie de la société Edipro print s'en est trouvée asséchée, ce qui l'a conduite à la cessation des paiements, qu'à peine plus d'un mois après le dépôt de la déclaration de cessation des paiements plus tard il a constaté que la trésorerie ne permettait pas de financer la période d'observation et que la cession des sociétés du groupe a donc dû se faire très rapidement, en période estivale, défavorable aux intérêts des sociétés débitrices.

M. [J] réplique d'une part qu'un tel raisonnement consiste en fait à contester le bien fondé d'un LBO et la faculté pour une société holding d'utiliser ses profits pour rembourser un emprunt, qu'en l'espèce sur un prix de 8,5M d'euros, et non 11 M d'euros comme le soutient le liquidateur judiciaire, seule la somme de 2,9M a été empruntée, le reste, soit 5,6M d'euros ayant été apporté par les actionnaires, que la charge de l'emprunt ne représentait que 410 000 euros par an, ce que le groupe pouvait supporter sans difficultés. Il soutient que l'emprunt n'a pas été financé par des avances de trésorerie, que les dividendes servis par la société Edipro print à la société Edito France suffisaient à le financer, que les dividendes, votés par les actionnaires, sont des dettes qui doivent être payées, que la société Edipro print était saine et ne s'est écroulée qu'au deuxième trimestre de l'année 2013, qu'en 2012 elle disposait de 3,246 millions d'euros de capitaux propres et faisait un bénéfice de 327 000 euros, qu'elle n'a pas été mise en péril par ces dividendes mais par les impayés d'un montant de 2,4 millions d'euros qu'elle a subis en quelques semaines et de l'assèchement exponentiel du carnet de commande, que l'utilisation de la trésorerie au bénéfice de la société holding était conforme aux conventions de trésorerie signées entre les sociétés du groupe.

Aux termes de l'article L225-216 du code de commerce, dans sa version applicable en 2006, 'une société ne peut avancer des fonds, accorder des prêts ou consentir une sûreté en vue de la souscription ou de l'achat de ses propres actions par un tiers'.

Cette disposition n'interdit pas la remontée des dividendes de la société cible à la holding en vue de rembourser le prêt. Cependant, en l'espèce, il ressort des documents et notamment des états financiers au 30 juin 2012 et au 30 juin 2013 versés aux débats que si le financement des moyens de rembourser le prêt contracté par la société Edipro groupe a été dans un premier temps le fait de la société Edito France, filiale de la société la société Edipro groupe, par le biais des dividendes normalement votés et payés, en revanche au 30 juin 2012 les dividendes mis à la charge de la société Edipro France n'avaient toujours pas été payés si bien que l'anuité du prêt a été en partie payée à l'aide de l'avance de trésorerie faite par la société Edipro print à la société Edipro groupe ; qu'en 2013 la société Edipro France n'a versé aucun dividende à la société Edipro groupe, de sorte que le financement a été réalisé en totalité par les avances faites par la société Edipro print à la société Edipro France à hauteur de 529 000 euros, ce qui revient à une contribution à sa propre acquisition.

Le fait que pour ce faire la société Edipro print ait dû emprunter une somme de 250 000 euros le 24 avril 2013 au crédit coopératif outre une somme équivalente à OSEO le 11 avril 2013 pour financer cette avance démontre suffisamment qu'elle n'était pas en mesure d'y faire face.

M. [J] invoque des conventions de trésorerie signées entre les sociétés du groupe.

Ces conventions n'autorisent cependant que des aides à la mesure des moyens de la société qui les apporte et ne peuvent justifier la mise en péril de la société Edipro print par des avances excédant manifestement ses capacités financières.

La société Edipro print s'est d'ailleurs trouvée dans l'impossibilité de régler ses loyers à compter du 1er janvier 2013, et a été condamné à ce titre par ordonnance de référé du 30 avril 2013 à payer au bailleur une provision de 387 668 euros.

M. [J] conteste que cet 'assèchement' de trésorerie soit la cause de la cessation des paiements et fait valoir la brutalité et l'importance des impayés des clients qui sont la véritable cause de la défaillance de la société.

La déclaration de cessation des paiements qu'il verse aux débats fait état de 2 200 000 euros d'impayés par son client Virgin.

Mais cette même déclaration de cessation des paiements fait état des problèmes de trésorerie rencontrés par la société qui, aux dires même de son dirigeant, n'est pas en mesure de financer une poursuite d'activité en procédure collective dans la mesure où l'intégralité du poste client est affacturé, 1 637 419 euros de créances clients ayant déjà été cédées à GE Factor.

Les créances intragroupe ont donc largement contribué à la cessation des paiements de la société Edipro print qui n'avait pas les moyens de les supporter.

Ce financement des autres sociétés du groupe excédant les capacités de la société Edipro print constitue donc une faute de gestion qui a contribué très largement à l'insuffisance d'actif puisque la déclaration de cessation des paiements de la société Edipro print déposée le 28 juin 2013 par M. [J] fait apparaître 3 796 555 euros de créances intragroupe à recouvrer.

Sur le grief d'utilisation des fonds de la société Edipro print dans l'intérêt d'une autre société du groupe, la Société européenne de revues (la société SER).

Le liquidateur judiciaire expose que la société européenne de revues (la société SER ou CEPE) a été constamment financé par la société Edipro print et ce depuis sa création en 2009, alors que la société Edipro print ne détenait que 33% de son capital et la société Entagos les 66,7% restant, et ce même après sa cession à la société JLO finance en février 2012, qu'alors même qu'il n'existait plus de liens capitalistiques entre cette société, que ces financements se sont poursuivis jusqu'en mai 2013, par un crédit fournisseur toujours plus important.

M. [J] réplique qu'il faut voir les choses comme un tout, que la société Edipro print bénéficiait d'une souplesse de la part de la société Entagos principal fournisseur de papier qui détenait 66% de la société SER, qu'en contrepartie la société Edipro print consentait à la société SER des délais de règlement assez longs, soit 90 jours, que la société Edipro print n'a racheté la société SER que dans l'idée de la revendre très rapidement à la société JLO finance afin que les comptes de la société SER ne perturbent pas les comptes consolidés du groupe Edipro, que ni lui-même ni sa famille n'ont eu aucun intérêt pour le métier de l'édition, qu'il s'agissait seulement de pérenniser les relations du groupe Edipro avec la société Entagos, que d'ailleurs le prix de cession que la société JLO finance a déclaré au passif de la société, soit 499 913,50 euros ne lui a pas été payé.

M. [J] ne conteste pas que lors du rachat par la société JLO finances de la société SER la créance de 808 000 euros détenue par la société Edipro print n'a pas été payée.

Ce soutien a continué après le rachat de la société SER par la société JLO finance puisque sur la déclaration de cessation des paiements M. [J] a lui-même inscrit une créance qu'il a qualifiée d'intragroupe sur la société SER d'un montant de 1 555 621 euros. M. [J] ne peut donc contester ce montant qui résulte de ses propres estimations. Si le prix de rachat de la société SER par la société JLO finance, fixé à 100 000 euros, n'a en effet pas été payé par le groupe Edipro, il n'en reste pas moins que la dette de la société SER envers la société Edipro print au jour du jugement d'ouverture était très élevée, témoignant d'un véritable soutien d'une société qui n'appartenait pourtant plus au groupe depuis plus d'une année.

Ce soutien est fautif en ce qu'il a largement excédé les capacités financières de la société Edipro print. Ce grief sera retenu.

Sur le règlement des loyers par la société Edipro print :

Maître [G] expose que la société Edipro print était locataire de l'immeuble sis [Adresse 3], dans lequel était logée également la quasi-totalité des sociétés du groupe, y compris la société SER, la société Edipro print supportant seule le loyer sans refacturation aux autres occupants.

M. [J] réplique que la facturation de loyers aux autres sociétés du groupe aurait été absurde puisqu'elle supposait que la société Edipro print leur donne aussi les moyens de payer ce loyer, que le bailleur ne voulait qu'un locataire, que l'occupation des surfaces était variable, que la société Edipro groupe regroupait les frais du groupe selon une règle acceptée par les commissaires aux comptes, que la facturation de sous loyers aurait dû s'accompagner d'une facturation plus élevée dans la même proportion des prestations pourtant fournies à leur seul client qui était la société Edipro print, qu'en tout état de cause aucun préjudice n'en est résulté ni pour la société Edipro print ni pour la société Edipro groupe.

L'absence de facturation de sous loyers aux sociétés du groupe Edipro, outre qu'il nie l'autonomie de chaque société, revient à faire supporter à la seule société Edipro print le coût de l'hébergement de l'activité de plusieurs sociétés, coût qui s'est d'ailleurs avéré insupportable pour elle puisque à compter de janvier 2013 les loyers n'ont plus été payés, que le bail a été résilié, que les créanciers de la société Edipro print ont supporté seuls les conséquences de ce choix de faire supporter par celle-ci les charges de sociétés tierces, que si M. [J] soutient que ce choix a été neutre pour la société Edipro print, il ne l'a pas été pour ses créanciers. La faute est caractérisée.

Sur les avances de trésoreries excessives :

Maître [G] reproche à M. [J] le financement massif par la société Edipro print des autres sociétés du groupe et fait valoir qu'au jour du jugement d'ouverture la société Edipro print était créancière des sommes suivantes :

- société européenne de revues : 1 500 000 euros,

- Edipro solidaire : 1 095 626 euros,

- Edipro Benelux 146 239 euros,

- Fun book, 286 337 : euros,

- Edipro numérique : 62 990 euros

M. [J] réplique que compte tenu des impayés importants subis juste avant la déclaration de cessation des paiements, du conflit avec le bailleur, pour d'autres causes que celles du non paiement du loyer, du temps nécessaire à la préparation du dépôt de bilan, et compte tenu de la menace de saisie de la part du bailleur, la société Edipro print a momentanément confié sa trésorerie, conformément aux conventions signées dans le groupe, et escomptait un retour de cette trésorerie dans le même cadre des conventions signées, ce à quoi l'administrateur judiciaire s'est opposé, qu'ayant toujours gagné de l'argent, la société Edipro print pouvait aider ses soeurs, une fois honorés ses besoins propres et ce pour le bien commun du groupe puisque la société Edipro print avait besoin de ces mêmes soeurs pour travailler.

Ainsi qu'il a été rappelé un peu plus haut, si les conventions de trésorerie permettent des mouvements entre les différentes sociétés du groupe, ces mouvements ne sont plus légitimes lorsque leur importance est telle qu'elle excède les capacités financières de la société qui les finance. Tel est le cas en l'espèce puisque privé de sa trésorerie, la société Edipro print a dû déclarer sa cessation des paiements. Le motif soutenu par M. [J] selon lequel il s'agissait en substance de faire échapper la trésorerie aux actions en recouvrement du bailleur, à qui plus de 600 000 euros étaient dus au jour du jugement d'ouverture, n'explique pas l'ancienneté de ces pratiques, tel que cela ressort par exemple des flux constatés entre la société Edipro print et la société SER.

L'importance de la créance intragroupe au jour du jugement d'ouverture, l'absence de paiement du loyer depuis six mois, le recours à l'emprunt auquel s'est trouvée contrainte la société Edipro print, l'importance du passif et l'incapacité de l'administrateur à faire face au financement d'un mois de période d'observation caractérisent le grief retenu contre M. [J] et témoignent de son incidence sur l'insuffisance d'actif.

Les quatre griefs retenus par le tribunal de commerce sont donc caractérisés et le jugement sera confirmé sur ce point.

Sur les sanctions :

Il a été rappelé que l'insuffisance d'actif s'élevait à 8 831 989,97 euros.

M. [J] fait valoir en premier lieu qu'il convient de considérer cette insuffisance d'actif au regard du chiffre d'affaires annuel des sociétés Edipro print et Edipro groupe, le passif ne représentant que 4 mois de chiffre d'affaires, que loin d'avoir servi son intérêt personnel il a lui-même perdu l'intégralité des comptes courants qu'il détenait dans les différentes sociétés, que sa rémunération sous forme d'honoraires correspondant à un salaire de 7 200 euros par mois n'était pas excessive, que la déconfiture du groupe est avant tout due à l'importance des impayés, et au déréférencement SFAC qui s'en est suivi, à la vive concurrence et à la dégradation du secteur de l'imprimerie, que la gestion de M. [J] n'est pas la cause des difficultés de la société Edipro print.

Maître [G] réplique que le chiffres d'affaires de la société Edipro print doit être relativisé puisqu'il inclut des prestations réalisées par d'autres sociétés, qu'il convient de condamner M. [J] au paiement de la somme de 8 831 989,97 euros.

Compte tenu des difficultés économiques certaines qui ont contribué à la défaillance des sociétés du groupe Edipro en l'espèce de la société Edipro print et de la société Edipro groupe, mais également de la gestion de M. [J] qui, méconnaissant les règles d'autonomie des personnes morales et faisant supporter à la société Edipro print des charges qu'elle n'a pas été en mesure de supporter en générant un passif très important au préjudice des autres créanciers, le tribunal de commerce a justement évalué à deux millions d'euros la contribution à l'insuffisance d'actif devant être mise à la charge de M. [I] [J].

L'article L. 653-4 du code de commerce dispose que tribunal peut prononcer la faillite personnelle, ou en vertu de l'article L.653-8 du même code, une interdiction de gérer à l'encontre de tout dirigeant, de droit ou de fait, d'une personne morale, contre lequel a été relevé l'un des faits ci-après (...)

3° Avoir fait des biens ou du crédit de la personne morale un usage contraire à l'intérêt de celle-ci à des fins personnelles ou pour favoriser une autre personne morale ou entreprise dans laquelle il était intéressé directement ou indirectement ;

L'usage fait à l'initiative de M. [J] des biens de la société Edipro print au profit des autres sociétés du groupe et de sociétés tierces telle que la société SER et JLO finance, dont il était également dirigeant, justifie également la sanction personnelle que le tribunal a prononcée à son égard.

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Déboute M. [J] de sa demande tendant à voir écarter le rapport [Q],

Confirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Nanterre du 7 juin 2017 dont celle condamnant M. [I] [J], né le [Date naissance 1] 1946 à Fougères, demeurant [Adresse 1], de nationalité française, à une interdiction de diriger, gérer, administrer ou contrôler directement ou indirectement soit toute entreprise commerciale ou artisanale, toute exploitation agricole ou toute personne morale, pour une durée de sept ans,

Y ajoutant,

Condamne M. [I] [J] à payer à Maître [G] ès qualités la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Déboute M. [I] [J] de sa demande sur ce fondement,

Condamne M. [I] [J] aux dépens et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

Dit qu'en application des articles 768 et R.69-9° du code de procédure pénale, la présente décision sera transmise par le greffier de la cour d'appel au service du casier judiciaire après visa du ministère public.

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Sophie VALAY-BRIERE, Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,La présidente,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 13e chambre
Numéro d'arrêt : 17/04667
Date de la décision : 05/12/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 13, arrêt n°17/04667 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-12-05;17.04667 ?
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