COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 4IE
13e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 06 JUILLET 2017
R.G. N° 16/00451
AFFAIRE :
[I] [R]
C/
[W] [V]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 17 Décembre 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° chambre : 01
N° Section :
N° RG : 13/13339
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le : 06.07.2017
à :
Me Bertrand ROL
Me Elisa GUEILHERS
TGI NANTERRE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE SIX JUILLET DEUX MILLE DIX SEPT,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [I] [R]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté par Me Bertrand ROL de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat Postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20160035 et par Me Xavier MEDEAU, avocat au barreau des CHARLEVILLE-MEZIERES
APPELANT
****************
Maître [W] [V], administrateur judiciaire,
né le [Date naissance 1] 1973 à [Localité 1] - de nationalité Française
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représenté par Me Elisa GUEILHERS de la SCP GUEILHERS & ASSOCIES, avocat Postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 129 - N° du dossier 29/16 et par Me J.-P. FABRE, avocat plaidant au barreau de PARIS, substitué par Me P. HERVE, collaborateur, avocat au barreau de PARIS
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 22 Mai 2017, Madame Florence DUBOIS-STEVANT, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Aude RACHOU, Présidente,
Madame Hélène GUILLOU, Conseiller,
Madame Florence DUBOIS-STEVANT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Valérie BOST, adjoint administratif assermenté faisant fonction de greffier
FAITS ET PROCEDURE,
Par jugement rendu le 27 septembre 2007, le tribunal de commerce de Nanterre a ouvert une procédure de liquidation judiciaire de la société APM Vouziers, dont M. [I] [R] était salarié, Me [X] étant désigné en qualité de liquidateur judiciaire et Me [W] [V] en qualité d'administrateur judiciaire. Le même jour, le tribunal a fait de même pour quatre autres sociétés du groupe APM.
Par jugement rendu le 22 novembre 2007, le tribunal a arrêté le plan de cession de la société APM Vouziers et autorisé Me [V] ès qualités à procéder au licenciement économique des salariés non repris parmi lesquels M. [R].
Le 6 décembre 2007, Me [V] ès qualités a notifié à M. [R] son licenciement pour motif économique qu'il a contesté.
Par arrêt du 28 mars 2012, la cour d'appel de Reims a retenu le licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse, fixé la créance de M. [R] de dommages-intérêts au passif de la société à 95.000 € et dit l'AGS et le CGEA Ile-de-France Ouest tenus de garantir le paiement des sommes entre les mains du mandataire liquidateur de la société et dans la seule limite des textes légaux et plafonds réglementaires applicables.
Par courrier du 20 juin 2012, Me [X] ès qualités a informé M. [R] du rejet d'une partie de sa créance pour un montant de 86.389,62 euros, atteignant la limite du plafond 6 de la garantie AGS.
M. [R] a assigné en responsabilité Me [V] devant le tribunal de grande instance de Nanterre lequel, par jugement du 17 décembre 2015, a débouté M. [R] de toutes ses demandes, rejeté les demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamné M. [R] aux dépens avec droit de recouvrement direct. Le tribunal a retenu une faute de Me [V] mais considéré que le préjudice invoqué n'était pas en lien avec cette faute.
M. [R] a fait appel du jugement et, par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 19 avril 2016, il demande à la cour de le déclarer recevable en son appel, d'infirmer le jugement et, statuant à nouveau, de déclarer Me [V] personnellement responsable du préjudice subi, de la condamner à titre personnel à lui verser la somme de 86.389,62 € à titre de dommages-intérêts et celle de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
Il expose que la cour d'appel de Reims a retenu d'une part le non respect de l'obligation individuelle de reclassement, le simple envoi d'une lettre type adressée aux sociétés du groupe sans précision sur les caractéristiques des emplois occupés par les salariés licenciés étant manifestement insuffisant pour satisfaire à l'obligation de reclassement, et d'autre part le non respect de l'obligation conventionnelle de reclassement, découlant de l'article 28 de l'annexe de l'accord de la métallurgie du 12 juin 1987 prévoyant la saisine préalable de la commission territoriale de l'emploi, la cour constatant également que certaines entreprises importantes de la région n'avaient pas été contactées.
Il soutient que 'le mandataire liquidateur' (sic) a ainsi été défaillant dans le respect de ces obligations légales et que la cour d'appel de Reims a accordé des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi de sorte que les conditions d'une faute et d'un préjudice en découlant sont bien réunies. M [R] prétend que le préjudice dont il demande réparation à Me [V] découle nécessairement de la faute retenue et qu'il n'a pas été intégralement réparé par l'allocation de dommages-intérêts par la cour d'appel de Reims car l'application du plafonnement de la garantie des créances salariales mis en oeuvre par l'AGS a limité l'exécution du recouvrement des montants fixés au passif de la liquidation.
Par dernières conclusions déposées au greffe et notifiées par RPVA le 2 juin 2016, Me [V] demande à la cour de :
- de réformer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu une faute à son encontre ;
- statuant de nouveau, de dire et juger que M. [R] ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par elle dans l'exercice de sa mission ;
- pour le surplus, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit que le préjudice allégué sans lien causal avec une quelconque de faute de l'administrateur judiciaire ;
- en tout état de cause, de dire et juger que M. [R] ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par elle et que le préjudice allégué est sans lien causal avec une quelconque de faute de l'administrateur judiciaire ;
- en conséquence, de débouter M. [R] de ses demandes, fins et conclusions ;
- de condamner M. [R] à lui payer une somme de 2.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens avec droit de recouvrement direct.
Me [V] soutient que ni le jugement prud'homal ni l'arrêt de la cour d'appel de Reims n'ont autorité de la chose jugée vis-à-vis d'elle prise à titre personnel et que ces décisions n'impliquent pas ipso facto une faute de sa part.
Elle admet que l'administrateur d'une entreprise en liquidation judiciaire doit veiller au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise, que la loi impose à l'employeur et par suite à l'administrateur judiciaire une obligation de reclassement mais observe que l'article L. 3253-8 du code du travail impose la nécessité de la notification effective du licenciement dans le mois suivant le plan de cession sous peine de faire perdre aux salariés concernés tout droit à bénéficier de la garantie de l'AGS.
Elle rappelle que l'administrateur judiciaire est tenu d'une obligation de moyen et soutient qu'il doit être tenu compte des contingences inhérentes à toute procédure collective et des délais croisés entre les dispositions du code du travail et celles du code de commerce.
Elle fait observer que l'obligation de mettre en place en moins de quinze jours/ un mois un reclassement pour les salariés non repris résulte d'une différence de traitement et que la responsabilité de l'administrateur judiciaire à qui cette obligation est faite ne saurait être envisagée sans égard à ce délai, sauf à commettre une atteinte manifeste au principe de sécurité juridique.
Elle considère ainsi avoir fait dans le mois imparti toute diligence notamment eu égard à ses possibilités financières, qu'elle a ainsi effectué des recherches auprès de toutes les sociétés du groupe, que ces sociétés n'ont pas répondu à ses demandes, l'administrateur n'ayant pas de pouvoir de coercition, et qu'en tout état de cause aucun reclassement interne n'aurait pu être effectué au sein des sociétés APM groupe participation et SIP en raison des contraintes juridiques fixées par la législation luxembourgeoise en matière de travail des étrangers. Elle fait valoir que M. [R] ne conteste pas l'absence de solution de poste de reclassement au sein des sociétés APM Vouziers, APM Montfaucon, APM Clermont, APM Les Ponts de Ce et APM groupe, que les sociétés APM groupe participation, SIP et GMS ne pouvaient aucunement appartenir au groupe de reclassement de la société APM Vouziers car leurs activités, organisation ou lieu de travail ou exploitation ne permettaient pas la permutation de tout ou partie du personnel, et que, la preuve de l'impossibilité de reclassement étant établie, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir communiqué à M. [R] de proposition de reclassement individualisé et personnalisé.
Me [V] prétend qu'il n'est pas caractérisé en quoi la non information de la commission territoriale de l'emploi ait préjudicié à M. [R], que la saisine de la commission aurait eu pour effet au mieux d'aider dans le cadre des recherches de reclassement externe qui ont été effectuées mais n'aurait pas pu lui permettre de conserver son emploi, et que ne pourrait dès lors être alléguée qu'une perte de chance qui n'est pas rapportée compte tenu de la 'sinistralité' en termes d'emploi de la région des Ardennes.
Elle soutient enfin qu'il ne peut lui être fait le reproche, sans méconnaître les contingences liées aux licenciements de 190 personnes, de ne pas avoir envoyés aux entreprises du bassin d'emploi des lettres suffisamment individualisées correspondant aux 190 salariés.
Sur le préjudice et le lien de causalité, Me [V] fait valoir que le défaut de perception par M. [R] de l'intégralité des sommes allouées par la cour d'appel de Reims ne résulte pas d'une éventuelle faute de sa part mais de l'existence du plafond légal de la garantie de l'AGS. Elle considère que par le biais d'une action en responsabilité le salarié tente d'obtenir une indemnisation qu'il ne peut obtenir du fait du dépassement du plafond de l'AGS. Subsidiairement, elle soutient que M. [R] ne pourrait qu'alléguer une perte de chance indemnisable qui n'est pas établie dès lors que si le licenciement n'avait pas été sans cause réelle et sérieuse M. [R] n'aurait pu prétendre à des indemnités complémentaires et qu'il n'est pas prouvé que si elle avait été respectée, l'obligation de reclassement conventionnelle lui aurait permis de retrouver un emploi eu égard au marché du travail dans les Ardennes et au niveau national.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux dernières conclusions signifiées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
SUR CE,
Considérant que M. [R] demande à la cour de le déclarer recevable en son appel ; qu'aucun moyen d'irrecevabilité n'étant soulevé par Me [V] ni susceptible d'être relevé d'office, il convient de déclarer l'appel de M. [R] recevable ;
Considérant que c'est par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu une faute à l'encontre de Me [V] ; qu'en effet ces motifs ne résultent pas de l'autorité de la chose jugée attachée à l'arrêt de la cour d'appel de Reims inopposable au litige opposant M. [R] à Me [V] mais reprennent les circonstances de fait qui ont conduit la juridiction sociale à juger que les obligations légale et conventionnelle de reclassement n'avaient pas été respectées et que le licenciement de M. [R] était sans cause réelle et sérieuse ; que l'administrateur judiciaire est tenu des mêmes obligations légales et conventionnelles que tout employeur sans qu'il puisse opposer les contraintes légales attachées aux procédures collectives ; que tel est le cas des obligations de reclassement issues de la loi ou d'un accord professionnel ;
Considérant que le défaut de respect des obligations légale et conventionnelle de reclassement par Me [V] a causé un préjudice à M. [R] ; que la cour d'appel de Reims a fixé les dommages-intérêts réparant ce préjudice à la somme de 95.000 € ; que M. [R] a droit à la réparation intégrale de son préjudice ; que la garantie de l'AGS ne peut ni faire obstacle à la réparation intégrale de son préjudice ni lui en assurer une double indemnisation, même partielle ; que c'est donc à juste titre que M. [R] sollicite la condamnation de Me [V] au paiement de la somme de 86.389,62 € correspondant à la différence entre les dommages-intérêts alloués en réparation de son préjudice et la part de ces dommages-intérêts prise en charge par l'AGS ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,
Déclare recevable l'appel de M. [I] [R] ;
Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Condamne Me [W] [V] à titre personnel à payer à M. [I] [R] la somme de 86.389,62 € avec intérêts au taux légal à compter du présent arrêt ;
Dit n'y avoir lieu d'appliquer les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Me [W] [V] à titre personnel aux dépens et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Aude RACHOU, Présidente et par Madame Karine MOONEESAWMY, adjoint administratif assermenté faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,La présidente,