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19/05/2017 | FRANCE | N°15/05380

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 19 mai 2017, 15/05380


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



1ère chambre

1ère section





ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 19 MAI 2017



R.G. N° 15/05380



AFFAIRE :



[Z] [V]



C/



SELAS ERNST & YOUNG







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Juin 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

POLE CIVIL

N° Chambre : 01

N° RG : 13/06628



Expéditions e

xécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES



SELARL MINAULT PATRICIA







REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS



LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans ...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1ère chambre

1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 19 MAI 2017

R.G. N° 15/05380

AFFAIRE :

[Z] [V]

C/

SELAS ERNST & YOUNG

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Juin 2015 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE

POLE CIVIL

N° Chambre : 01

N° RG : 13/06628

Expéditions exécutoires

Expéditions

délivrées le :

à :

SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES

SELARL MINAULT PATRICIA

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE DIX NEUF MAI DEUX MILLE DIX SEPT,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Monsieur [Z] [V]

né le [Date naissance 1] 1949 à [Localité 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Représentant : Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1554875 - Représentant : Me GODY de la SCP FOIN-BULICH, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

APPELANT

****************

SELAS ERNST & YOUNG, société d'avocats

N° SIRET : 448 68 3 7 899

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20150371 - Représentant : Me Daphné BES DE BERC de la SELEURL DAPHNE BES DE BERC, Plaidant, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 20 Mars 2017 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, président chargé du rapport, et Madame Anne LELIEVRE, conseiller.

Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Monsieur Alain PALAU, président,

Madame Anne LELIEVRE, conseiller,

Madame Nathalie LAUER, conseiller

Greffier, lors des débats : Monsieur Alexandre GAVACHE,

M. [Z] [V] et Mme [K] [O], détenteurs chacun de 1.997 actions de la société anonyme Compagnie générale de restauration (Cogerest), ont négocié avec la société Restalliance au début de l'année 2007 la cession de leurs actions.

Un protocole a été signé le 28 mars 2007 entre Mme [O] et la société Restalliance aux termes duquel Mme [O] et tous les minoritaires ont cédé immédiatement leur participation dans la société Cogerest, soit 2.003 actions représentant 50,75 % du capital social, à la société Restalliance.

M. [V] et la société Restalliance ont signé concomitamment à ce protocole :

- une promesse de cession des actions Cogerest, selon laquelle M. [V] s'est engagé à vendre à la société Restalliance la totalité des actions lui appartenant à compter du 1er mai 2008 jusqu'au 31 mai 2008,

- une promesse d'achat des actions Cogerest aux termes de laquelle la société Restalliance s'est engagée à acheter la totalité des actions appartenant à M. [V] à compter du 1er mai 2008 jusqu'au 31 mai 2008.

Le 6 mai 2008, la société Restalliance a levé la promesse qui lui avait été consentie et l'ordre de mouvement des titres correspondant aux 1.997 actions Cogerest dont M. [V] était propriétaire a été signé le 3 juin 2008, moyennant le prix de 4.688.700 euros.

Le 1er avril 2009, dans le délai de 12 mois de la cession de sa participation, M. [V] a fait valoir ses droits à la retraite.

M. [V] a reçu le 31 mai 2010 une proposition de rectification de l'administration fiscale au titre de ses revenus de l'année 2008 et plus particulièrement au titre des plus-values et gains, pour un montant total de 959.321 euros.

En effet, l'administration fiscale a constaté que lors de la cession de la participation de M. [V] au capital de Cogerest en 2008, les conditions requises par l'article 150-0 D ter du code général des impôts pour bénéficier de l'abattement n'étaient pas pleinement remplies.

Elle a relevé qu'à la clôture de l'exercice fiscal précédant la cession de M. [V], soit le 31 décembre 2007, la société Restalliance était déjà actionnaire à plus de 25 % de la société Cogerest, détenant les actions cédées le 28 mars 2007, et qu'elle employait plus de 250 salariés et avait un chiffre d'affaires supérieur à 50.000.000 euros.

M. [V] a formulé ses observations auprès de l'administration fiscale qui a maintenu sa proposition de rectification et qui a adressé un nouvel avis d'imposition et une mise en demeure de payer le 27 août 2012 pour la somme de 1.055.253 euros, majorations incluses.

Elle a refusé le 20 novembre 2012 la remise totale de la majoration de 10 % et a accordé à M. [V] un délai expirant le 30 novembre 2012 pour prendre position sur sa proposition de transaction du 12 octobre 2012.

Le 30 novembre 2012, M. [V] a accepté la transaction proposée pour un montant de 875.464 euros.

Par acte du 7 mai 2013, M. [V] a fait assigner la société d'avocats Ernst & Young devant le tribunal de grande instance de Nanterre afin, dans ses dernières écritures, que celle-ci soit condamnée à lui payer la somme principale de 923.007 euros.

M. [V] a fait valoir que lors de la négociation de la cession de ses actions Cogerest, Maître [E], alors avocat salarié du cabinet Ernst & Young, était intervenu en qualité de conseil.

Par jugement du 25 juin 2015, le tribunal l'a débouté de ses demandes et a rejeté les demandes formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration du 20 juillet 2015, M. [V] a interjeté appel.

Dans ses dernières conclusions portant le numéro 3 en date du 28 décembre 2016, M. [V] sollicite l'infirmation du jugement.

Il demande que le cabinet Ernst & Young société d'avocats soit condamné à lui payer la somme de 923.007 euros, à tout le moins à réparer la perte de chance subie à hauteur de 90 %.

Il conclut au rejet des demandes de celui-ci.

Il réclame le paiement d'une somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

M. [V] expose que, lors de la négociation de la cession des actions, Maître [E], alors avocat salarié au sein du cabinet intimé, est intervenu en qualité de conseil à la demande de M. [T], commissaire aux comptes au sein de la société Ernst & Young Audit, elle-même commissaire aux comptes de la société Cogerest.

Il expose également que Maître [E] a échangé de nombreux courriels avec lui et avec le conseil du cessionnaire, le cabinet Lamy Lexel, M. [T] étant en copie.

Il expose enfin que la société d'avocat avait pour objectif de le faire bénéficier de l'exonération de la taxation de la plus value de cession des actions au titre de son départ à la retraite et que le montage juridique et fiscal de l'opération a été conseillé par elle.

Il relate les échanges avec l'administration, précise qu'il a été alors assisté par le cabinet Alerion - qui l'avait défendu avec succès dans un autre litige fiscal - et indique qu'il a vainement demandé son avis au cabinet d'avocats Ernst & Young sur l'ultime proposition de l'administration, celui-ci lui répondant qu'il n'était pas en mesure de répondre dans le délai imparti et s'étonnant de l'absence de démarches préalables de M. [V] auprès de lui depuis 2010.

Il déclare qu'il a réglé la somme totale de 923.007 euros.

Il rappelle que le tribunal a reconnu que l'intimé avait commis une faute et manqué à son devoir de conseil mais considéré que le cabinet n'était pas intervenu comme rédacteur conjoint des actes signés et qu'il n'existait pas de lien de causalité avec le préjudice allégué.

M. [V] rappelle la définition du rédacteur d'acte donnée par le règlement intérieur national de la profession d'avocat et par les auteurs et des arrêts.

Il fait valoir que la responsabilité de celui qui «'acquiesce à la plume'» est équivalente à celle de celui qui la tient.

Il invoque la qualité de rédacteur d'actes du cabinet Ernst & Young conjointement avec le cabinet Lamy Lexel lors des deux cessions d'actions.

Il affirme qu'il est intervenu à tout le moins en qualité de conseil et cite des courriels des 20, 22, 26 et 27 mars 2007, les trois derniers étant adressés par l'avocat du cabinet Lamy Lexel à Maître [E]. Il ajoute que celui-ci était présent le 3 juin 2008 lors de la signature et la remise des documents relatifs à la cession.

Il en conclut qu'il a participé activement à l'élaboration des actes et qu'il en est le rédacteur conjoint.

Il fait valoir, concernant leurs liens contractuels, que Maître [E] est intervenu à la demande de M. [T] qui ne pouvait, en qualité de commissaire aux comptes, prendre contact avec l'acquéreur et que le cabinet Lamy Lexel lui a écrit directement en qualité de conseil.

Il estime que Maître [E] ne pouvait, car il intervenait à la demande de M. [T], lui faire signer une lettre de mission qui aurait matérialisé une infraction aux articles 16.7 du règlement précité et 822-11 du code de commerce.

Il en conclut que l'absence de lettre de mission et de rémunération s'explique ainsi et ne préjudicie pas à l'existence d'un lien contractuel entre lui et le cabinet d'avocats qui l'a assisté en pleine connaissance de cause.

Il soutient que le cabinet a manqué à son obligation de conseil.

Il rappelle l'étendue de celle-ci.

Il affirme qu'il résulte de leurs échanges que le cabinet avait notamment pour but de le faire bénéficier de l'exonération de la taxation de la plus value de cession des actions au titre de son départ à la retraite, mécanisme destiné à favoriser la cession des entreprises.

Il cite des courriels et affirme que Maître [E] a proposé, à cet effet, des actes distincts.

Il soutient que le cabinet, spécialiste de la fiscalité, aurait dû vérifier que l'ensemble des conditions de l'article 150-O- D Ter du CGI étaient réunies.

Il lui reproche d'avoir omis de s'assurer que, lors de la cession par lui des actions, ces conditions seraient toujours remplies malgré les cessions antérieures.

Il lui fait grief, à tout le moins, de ne pas avoir appelé son attention sur ce point. Il ajoute que Mme [O] était prête à différer la cession de ses actions et souligne qu'elle est restée dans la société jusqu'au 31 décembre 2007soit 5 mois avant la cession par lui de ses actions.

M. [V] soutient que son préjudice est certain et direct à hauteur du redressement fiscal.

Il déclare qu'il ignorait qu'il ne pouvait bénéficier de l'exonération et précise qu'il a respecté l'échéancier accordé par l'administration fiscale.

Il affirme qu'informé, il aurait soit renoncé à l'opération soit réalisé celle-ci dans des conditions permettant l'exonération.

Il souligne que le préjudice résultant du manquement au devoir de conseil correspond à l'intégralité du dommage effectivement subi s'il est certain que, correctement informée, la victime l'aurait évité.

Subsidiairement, il invoque une perte de chance d'avoir pu envisager une alternative au montage mis en place pour éviter le redressement fiscal.

Il rappelle que la perte certaine d'une chance, même faible, est indemnisable.

Il affirme qu'il existait d'autres solutions pour parvenir au résultat escompté et estime à 90 % la perte de chance subie.

Il fait valoir que si elles avaient su qu'une des conditions faisait défaut, les parties auraient procédé différemment et excipe d'attestations de Mme [O] et de M. [N], président de la société Restalliance, aux termes desquels ceux-ci indiquent que les cessions auraient pu être signées concomitamment le 3 juin 2008.

Il affirme que, correctement informé, il aurait pu renoncer à la cession de ses actions au risque de rechercher un autre acquéreur et souligne que le chiffre d'affaires et les résultats de la société Cogerest étaient en progression.

Il affirme également qu'il aurait pu reporter la cession en juin 2008 et mettre en place un montage différent avec des promesses croisées d'acquisition et de cession entre toutes les parties à effet en juin 2008.

Il affirme enfin qu'il aurait pu envisager un montage différent par l'intermédiaire d'une société de capital-risque ou autre, les participations de ces sociétés ou d'autres n'étant pas prises en compte pour la détermination du seuil de 25 %.

Il déclare que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal, aucun document contemporain à l'opération ne démontre que la société Restalliance aurait refusé de reporter l'opération ou envisager une solution alternative et rappelle qu'il aurait pu refuser de vendre. Il infère de l'échange de promesses croisées que la société et lui-même avaient convenu de concilier leurs objectifs.

Il affirme également que Mme [O] - qui est restée dans la société - aurait accepté le report de l'opération étant observé qu'elle ne pouvait vendre ses titres à une société exigeant d'acquérir la totalité du capital sans que lui-même les vende ou s'y oblige.

Il se prévaut de la consultation d'un avocat fiscaliste aux termes de laquelle un professionnel avisé aurait recommandé la mise en place d'une promesse de vente pour l'ensemble des titres de la société.

Il fait enfin valoir que le cabinet n'a même pas envisagé de solution alternative.

Dans ses dernières écritures portant le numéro 3 en date du 18 janvier 2017, la société Ernst & Young société d'avocats conclut à la confirmation du jugement et réclame le paiement d'une somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

La société conteste toute faute.

Elle soutient, visant des arrêts, que le demandeur à l'action en responsabilité doit démontrer que l'avocat avait été précisément et spécifiquement investi par lui de la mission particulière à laquelle il lui reproche d'avoir manqué.

Elle estime opportuniste la mise en jeu de sa responsabilité. Elle indique que M. [V] s'est adressé, pour l'assister dans le cadre du redressement fiscal, à Maître [E] qui avait rejoint le cabinet Alerion et lui reproche de ne pas l'avoir informée du redressement.

Elle fait valoir que la société Restalliance ne souhaitait pas retarder l'acquisition de ses titres au-delà du 28 mars 2007 ainsi qu'il résulte d'un courriel et réfute les attestations contraires établies avant la délivrance de l'assignation et après les faits.

Elle rappelle le montage réalisé qui permet de retarder artificiellement le transfert de la propriété des actions de M. [V] tout en s'assurant que ce transfert aurait lieu mais souligne que l'une des conditions posées par l'article 150-O D Ter du CGI ne pouvait être réalisée, la société Cogerest étant, lors de la cession de ses titres par M. [V] détenue à plus de 25 % par une société employant plus de 250 salariés et réalisant un chiffre d'affaires annuel supérieur à 50.000.000 euros.

Elle affirme que cette donnée était parfaitement connue des parties qui n'avaient pas d'autre choix que d'opérer ainsi sauf à procéder à la vente simultanée de 100 % des actions en la retardant d'un an ce que la société Restalliance refusait ou en y procédant immédiatement ce qui empêchait M. [V] de se prévaloir du régime exonératoire ce qu'il refusait. Elle admet que ce montage comportait un risque que le bénéfice de ce régime soit remis en cause mais estime que prendre ce risque était plus avantageux pour M. [V] que de renoncer d'emblée à son bénéfice.

Elle conteste que les parties aient été d'accord pour retarder l'opération d'un an et fait valoir que, dans ce cas, la cession en deux temps aurait été inutile.

Elle soutient que ce montage a été défini en dehors de son intervention.

Elle considère que M. [V], dans son courrier du 22 novembre 2012 mettant en cause sa responsabilité professionnelle, a admis que ce mécanisme avait été arrêté avant son intervention car il écrit que Maître [E] «'avait nécessairement intégré dans les conseils qu'il m'a donnés que Mme [O] cèderait ses actions avant moi en l'occurrence le 28 mars 2007'».

Elle affirme qu'elle n'a été contactée que le 19 mars 2007, soit 8 jours avant la date de signature, et que les projets d'acte rédigés par le conseil de la société Restalliance lui ont alors été transmis en lui demandant simplement de «'faire part de ses remarques'» et en lui précisant que le rendez-vous de signature fixé au 28 mars ne pouvait être reporté.

Elle conclut qu'elle n'est pas intervenue en qualité de conseil lors de la négociation de la cession, conteste être intervenue à la demande de la société Ernst & Young Audit qui n'en avait pas le droit et affirme qu'elle n'a pas conseillé le schéma retenu.

Elle rappelle la définition de l'avocat rédacteur et réfute avoir rédigé les actes, ne les ayant pas «'élaborés'» et ayant simplement été appelée à émettre des remarques sur eux. Elle conteste que Maître [E] ait accompagné M. [V] lors de la signature des actes litigieux, la pièce produite ne visant pas celle-ci mais la signature des mouvements de cession en date du 3 juin 2008 soit 14 mois après la conclusion des actes. Elle souligne que c'est le recueil de la signature des parties sur l'acte qui qualifie le rédacteur de celui-ci.

Elle soutient qu'elle n'a eu qu'à vérifier que la rédaction des actes était cohérente et conforme aux décisions prises.

Elle affirme qu'il ne lui a été demandé d'émettre un avis ni sur l'opération elle-même ni sur ses modalités de réalisation mais uniquement de dire si la rédaction des projets qui lui étaient soumis lui paraissait cohérente au regard, en particulier, de la nécessité légale pour M. [V], s'il voulait être habilité à se prévaloir de l'avantage fiscal, de cesser toute fonction dans la société et de faire valoir ses droits à la retraite dans l'année suivant la cession.

Elle se prévaut des courriels de Maître [E].

Elle rappelle que l'administration fiscale n'a pas contesté que cette condition était remplie et en conclut à l'absence de faute.

Elle réfute d'autant plus l'existence d'une faute que les parties savaient que l'une des conditions ne pouvait être remplie compte tenu de leurs impératifs.

Elle ajoute la faiblesse des échanges impliquant la société Ernst &Young limités à la période du 21 au 27 mars.

Elle invoque enfin les modalités de son intervention et rappelle qu'elle n'a été sollicitée que très tardivement alors que les projets avaient été rédigés.

Elle relève qu'elle n'a pas été rémunérée.

L'intimée soutient que le préjudice invoqué n'est que la conséquence de la faute de l'appelant qui a pris le risque en toute connaissance de cause de se prévaloir d'un régime d'exonération fiscale auquel il n'avait pas droit.

Elle estime qu'il a délibérément pris ce risque et fait valoir, citant des arrêts, que le comportement discutable du client peut constituer une cause d'exonération de responsabilité.

Elle réfute tout lien de causalité avec le préjudice invoqué.

Elle réitère qu'il ne pouvait bénéficier du régime dérogatoire et, donc, qu'il est à l'origine de son préjudice en ayant pris la décision de réclamer le bénéfice d'une exonération en conscience du risque qu'il prenait de sa remise en cause possible.

Elle estime qu'il importe donc peu qu'elle l'ait ou non spécifiquement avisée du risque.

Elle prétend que Mme [O] souhaitait quitter la société dès la réalisation de la vente et que la société Restalliance ne voulait pas retarder la cession et voulait prendre le contrôle de la société à hauteur de 100 %.

Elle considère donc que si les deux actionnaires avaient vendu leurs titres concomitamment, la vente serait intervenue en mars 2007 soit deux ans avant la retraite de M. [V].

Elle excipe du jugement sur l'absence de lien de causalité.

Elle conteste le préjudice, M. [V] ne pouvant remplir les conditions de l'exonération compte tenu du refus de la société Restalliance de retarder l'opération et ayant donc payé l'impôt qui était dû et auquel il avait tenté de ses soustraire.

Elle en infère à l'absence de préjudice réparable.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 février 2017.

***********************

Considérant que l'article 150-O D Ter du CGI alors en vigueur subordonnait, en l'espèce, le bénéfice de l'exonération de l'impôt sur les plus values aux conditions, outre du départ à la retraite de M. [V] dans un délai de 12 mois après la cession, que le capital de la société dont les titres ont été cédés ne soit pas détenu à plus de 25 %, au cours du dernier exercice clos, par une société employant 250 salariés ou plus ou réalisant un chiffre d'affaires supérieur ou égal à 50.000.000 euros';

Considérant que le départ à la retraite de M. [V] a eu lieu dans l'année de la cession'; que cette condition était remplie';

Mais considérant que, compte tenu de la cession des titres de Mme [O] en 2007, le capital de la société Cogerest était détenu à plus de 25 % par la société Restalliance qui a, en 2007, employé plus de 250 personnes et réalisé un chiffre d'affaires supérieur à 50.000.000 euros';

Considérant que M. [V] n'a donc pu bénéficier de l'exonération';

Sur les fautes reprochées au cabinet Ernst &Young

Considérant que des courriels ont été échangés entre M. [V] et Maître [E], membre de la société Ernst &Young société d'avocats, du 20 mars au 27 mars 2007';

Considérant que, dans son courriel du 20 mars, Maître [E] a écrit à M. [V] que, compte tenu du statut de commissaire aux comptes de la société Cogerest, il ne pouvait prendre contact directement avec les conseils du cessionnaire et négocier en son nom'; qu'il a déclaré avoir revu les projets et préparé un projet de courriel à adresser à son confrère'; qu'il a évoqué le délai d'un an pour faire valoir les droits à la retraite'; qu'il a conclu le courriel sur l'opportunité d'une rencontre avant d'adresser son courriel au motif qu'il a pris quelques options devant être validées';

Considérant qu'il a observé que, de manière générale, il transparaissait de la lecture de l'acte qu'il y avait d'ores et déjà accord sur la chose et sur le prix en ce qui concerne les actions détenues par M. [V] et que le transfert de propriété serait opéré dès la réalisation des conditions suspensives'; qu'il a estimé qu'il existait un risque élevé que l'administration fiscale soutienne que le transfert de propriété avait été opéré dès la réalisation des conditions suspensives pour refuser à M. [V] le bénéfice de l'exonération des plus-values dans le cadre du départ à la retraite et jugé préférable que les cessions de Mme [O] et de M. [V] figurent dans des actes distincts';

Considérant que ces propositions consistent donc, notamment, en la rédaction d'actes distincts, l'un concernant Mme [O] et les autres consistant en deux promesses unilatérales de vente et d'achat des actions de M. [V]'; qu'elles portent également sur diverses clauses relatives à la garantie d'actif et de passif';

Considérant que ces propositions ont été adressées par M. [V] au conseil du cessionnaire';

Considérant que, par courriel du 22 mars, celui-ci a adressé à Maître [E] ses remarques et confirmé le rendez-vous de signature fixé au 28 mars 2007'; qu'il déclare notamment comprendre le souci de M. [V] de bénéficier de l'exonération fiscale mais précise que, pour son client, «'seule une prise de contrôle à hauteur de 100 % du capital présente de l'intérêt'» et indique que «'séparer la cession des titres de Mme [O] de celle de M. [V] pose donc naturellement des difficultés'»'; qu'il ne s'oppose toutefois pas à cette séparation sous réserve du versement de l'intégralité des dividendes';

Considérant que, par courriel du 23 mars, Maître [E] a déclaré à M. [V] s'être entretenu avec son confrère et attendre les nouveaux projets préparés par lui';

Considérant que ceux-ci lui ont été adressés le 26 mars'; que le conseil du cessionnaire, faisant référence à une communication téléphonique avec Maître [E], a indiqué que les modifications apportées prenaient en compte les demandes de M. [V]'; qu'il lui a demandé de lui faire part de ses remarques et de compléter les projets des informations manquantes';

Considérant, enfin, que par courriel du 27 mars, M. [E] a adressé à son confrère les observations de M. [V], l'une d'elles précisant que si, en cas de refus du cessionnaire de le maintenir à un poste de mandataire social, M. [V] ne peut bénéficier de l'exonération fiscale, le prix sera majoré du coût de l'impôt';

Considérant que, selon courriel du 27 mars, cette demande n'a pas été acceptée';

Considérant qu'aux termes de l'article 7.1 du règlement intérieur national de la profession d'avocat, a la qualité de rédacteur «'l'avocat qui élabore, seul ou en collaboration avec un autre professionnel, un acte juridique pour le compte d'une ou plusieurs parties ... et qui recueille leur signature sur cet acte'»';

Considérant, d'une part, qu'il résulte des échanges précités, que la société Ernst &Young a été appelée à faire valoir ses observations sur des projets déjà rédigés qui ont, pour l'essentiel, été prises en compte'; qu'il en résulte également qu'elle n'a été amenée à compléter ses actes que parce qu'elle disposait, seule, de certaines informations';

Considérant que la prise en compte d'observations et la demande de complément de ces actes par des éléments d'informations ponctuelles ne caractérisent nullement une «'élaboration'» en commun de ceux-ci';

Considérant, d'autre part, qu'elle n'a nullement accompagné M. [V] au rendez-vous de signature de ces actes tenu le 27 mars 2007'; qu'elle n'a donc pas recueilli la signature de M. [V], sa présence à l'acte du 3 juin 2008 étant sans incidence, celui-ci n'étant que l'exécution des promesses de cession et d'achat';

Considérant que la société n'est donc pas le rédacteur de l'acte du 27 mars'; que sa responsabilité ne peut dès lors pas être recherchée à ce titre';

Considérant toutefois qu'il ressort de ces échanges que, comme l'a retenu le tribunal, le cabinet s'est vu confier par M. [V] une mission de conseil relative à la cession de ses actions Cogerest à la société Restalliance portant sur l'analyse juridique de l'opération de cession dans son ensemble comme le démontre la discussion relative aux conditions de la garantie d'actif et de passif et aux projets d'acte rédigés par l'avocat de la société Restalliance aux fins d'en apprécier les incidences fiscales pour M. [V]';

Considérant que la mission confiée ne s'arrêtait donc pas à la seule analyse des dispositions des actes transmis au regard du risque identifié que l'administration refuse le bénéfice de ce régime exonératoire en considérant qu'il y avait accord sur la chose et sur le prix dès la levée des conditions suspensives';

Considérant que même si Mme [O] et M. [V] avaient déjà engagé le processus de négociation des cessions concomitantes de leurs actions Cogerest à la société Restalliance avant l'intervention du cabinet, l'avocat investi de la mission de conseil se devait de mettre en garde son client sur le risque fiscal lié à l'opération dont il a eu une vision d'ensemble, ayant eu communication de tous les actes y compris du protocole d'accord concernant la cession de ses actions par Mme [O]';

Considérant qu'il devait d'autant plus envisager ce risque que tous les courriels adressés par le cabinet rappellent que M. [V] souhaitait bénéficier de l'exonération des plus-values dans le cadre de son départ à la retraite au regard des textes applicables'et qu'a été retenue à cet effet la formule d'une promesse de cession et d'achat de ses titres à lever en 2008';

Considérant qu'il ressort de ces courriels que seule la condition de la date du départ à la retraite de M. [V] au regard de celle de la cession de ses actions a été envisagée';

Considérant que le cabinet n'a jamais examiné les deux autres conditions de cette exonération qui ne pouvaient être remplies compte tenu de la réalisation dès 2007 de la cession des titres de Mme [O]';

Considérant qu'ainsi, le cabinet Ernst &Young disposait d'une vision d'ensemble de l'opération, savait que M. [V] souhaitait bénéficier de la loi permettant l'exonération de la plus-value réalisée et n'a veillé qu'à la réalisation d'une des conditions de cette exonération';

Considérant qu'il ne peut utilement invoquer sa saisine quelques jours avant la signature des actes ou son absence de rémunération'dès lors qu'il a accepté sa mission en pleine connaissance de cause';

Considérant qu'en omettant de vérifier l'ensemble des conditions prévues par l'article 150-0 D ter du code général des impôts alors qu'il connaissait le souhait de M. [V], le cabinet Ernst &Young a manqué à ses obligations et commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle';

Considérant qu'il a également commis une faute en ne mettant pas en garde son client sur le fait que les conditions de l'exonération ne pouvaient être remplies compte tenu de la cession des titres de Mme [O]';

Considérant que M. [V] qui a eu recours à un avocat spécialiste de la fiscalité n'avait pas de motif en l'absence de toute mise en garde de celui-ci de penser que le montage réalisé ne lui permettait pas de bénéficier de l'exonération'; que l'intimé ne peut donc utilement prétendre qu'il savait qu'il ne pouvait en bénéficier et qu'il a délibérément pris le risque d'un redressement ;

Considérant qu'il appartient à M. [V] de justifier que ces manquements sont la cause de son préjudice'soit que, mieux informé, il aurait procédé différemment';

Considérant qu'il ne justifie nullement qu'un montage différent, par l'intermédiaire d'une autre société, aurait été accepté par l'acquéreur';

Considérant que Mme [O] atteste qu'elle était prête à attendre le 3 juin 2008 pour céder ses actions et permettre ainsi à M. [V] de bénéficier de l'exonération'; que M. [N], alors dirigeant de la société Restalliance, atteste qu'il «'n'aurait eu aucune difficulté'» à signer les cessions de ces actions concomitamment le 3 juin 2008 afin de permettre à M. [V] de bénéficier de l'exonération';

Mais considérant, d'une part, que la société Restalliance a fait part, en mars 2007, de son refus de reporter le rendez-vous fixé au 28 mars 2007';

Considérant, d'autre part, qu'elle a indiqué, à la même date, que seule une prise de contrôle de la société à 100 % présentait pour elle un intérêt';

Considérant que ces documents démontrent que la société ne souhaitait pas reporter la vente et souhaitait acquérir l'intégralité des titres';

Considérant que, contemporains des faits et constitués par des écrits objectifs, ils contredisent les attestations précitées qui ne seront dès lors pas prises en compte';

Considérant qu'il en résulte que l'acquéreur ne souhaitait pas différer l'opération et souhaitait prendre intégralement le contrôle de la société';

Considérant que, dès lors, les conditions de l'exonération ne pouvaient être remplies'; que la faute du cabinet n'a donc pas causé de préjudice';

Considérant que le redressement fiscal correspond à environ 20 % du prix de vente ; que M. [V] ne verse aux débats aucune pièce de nature à établir qu'il aurait renoncé à la cession s'il avait été informé qu'il ne pouvait bénéficier de l'exonération ; qu'il ne justifie pas davantage qu'il aurait pu alors céder ses actions courant 2008 au prix convenu avec la société Restalliance ;

Considérant que M. [V] ne rapporte donc pas la preuve d'un lien de causalité entre les fautes commises par l'intimé et le préjudice invoqué';

Considérant que ses demandes seront dès lors rejetées et le jugement confirmé';

Considérant qu'en équité la demande formée par la société Ernst &Young en application de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée'; que, compte tenu du sens du présent arrêt, la demande aux mêmes fins de M. [V] sera également rejetée';

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant par arrêt contradictoire et mis à disposition,

Confirme le jugement en toutes ses dispositions,

Y ajoutant':

Rejette les demandes plus amples ou contraires,

Condamne M. [V] aux dépens,

Autorise la Selarl Patricia Minault à recouvrer directement à son encontre ceux des dépens qu'elle a exposés sans avoir reçu provision.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile,

- signé par Monsieur Alain PALAU, président, et par Madame Sabine MARÉVILLE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 15/05380
Date de la décision : 19/05/2017

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°15/05380 : Confirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2017-05-19;15.05380 ?
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