COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 59B
1re chambre 1re section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 20 OCTOBRE 2016
R.G. N° 15/06671
15/07678
AFFAIRE :
[Z] [O] [L]
C/
SA GAZPROMBANK
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 25 Août 2015 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 01
N° Section :
N° RG : 13/02613
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Olivier FONTIBUS, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Aude GONTHIER, avocat au barreau de VERSAILLES,
Me Camille LIENARD-LEANDRI de la SELARL VERPONT AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT OCTOBRE DEUX MILLE SEIZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [Z] [O] [L]
né le [Date naissance 1] 1961 à [Localité 1]N (RUSSIE)
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Olivier FONTIBUS, avocat postulant et plaidant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 108 - N° du dossier 13.00028
APPELANT et INTIME
****************
SA GAZPROMBANK
Société anonyme de droit russe immatriculée au Registre d'Etat unique des personnes morales de la Fédération de Russie sous le n° 1027700167110, prise en la personne de son représentant légal domicilié es qualités audit siège sis
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Aude GONTHIER, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 395 - N° du dossier 2012/413
et pour avocats plaidant Maîtres Ranjeva et Urzhumov du Cabinet FOLEY HOAG AARPI , avocats au barreau de Paris, Palais B 1190
INTIMEE
CERIM TRADING LIMITED
Société de droit chypriote inscrite sous le n° HE 108926
sise [Adresse 3]
[Adresse 3]
prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
Représentant : Me Camille LIENARD-LEANDRI de la SELARL VERPONT AVOCATS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 142 - N° du dossier 2015/166
et pour avocat plaidant Maitre Mehdi TENOURI, avocat au barreau de Seine St Denis toque 286
INTIMEE ET APPELANTE
****************
La présente cause a été visée par le Ministère public le 8 juin 2016
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 12 Septembre 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Monsieur Alain PALAU, président, chargé du rapport et de Mme Nathalie LAUER, conseiller,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur Alain PALAU, Président,
Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,
Madame Nathalie LAUER, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
*
Aux termes d'un jugement rendu par le tribunal d'arrondissement de Tcheremouchki de Moscou en date du 10 avril 2012, Monsieur [L] a été condamné à payer à la SA Gazprombank les sommes de 21.994.276,69 euros, 1.905.000,61 dollars US et la taxe d'Etat d'un montant de 60.000 roubles (soit 1.475,76 euros).
Ce jugement a été confirmé par un arrêt de la cour d'appel de Moscou en date du 20 juillet 2012.
Par acte délivré le 1l mars 2013, la SA Gazprombank a fait assigner Monsieur [L] devant le Tribunal de Grande Instance de Versailles afin, en principal, que celui-ci prononce l'exequatur de cette décision.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 20 octobre 2014 et les débats ont été fixés au 1er avril 2015.
Par conclusions du 3 mars 2014, la société Cerim Trading Limited est intervenue volontairement et a sollicité la révocation de l'ordonnance de clôture.
Par jugement du 25 août 2015, le tribunal de grande instance de Versailles a':
- rejeté la demande de révocation de l'ordonnance de clôture présentée par la société Cerim Trading Limited
- déclaré irrecevables les conclusions en intervention volontaire de ladite société signifiées postérieurement à sa date le 03 mars 2015,
- déclaré exécutoire en France le jugement russe rendu par le tribunal d'arrondissement de Tcheremouchki de Moscou en date du 10 avril 2012 confirmé par une décision d'appel de la cour de Moscou en date du 20 juillet 2012,
- condamné Monsieur [L] au règlement de la somme de 1.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté la SA Gazprombank de sa demande d'exécution provisoire.
Par déclaration du 23 septembre 2015, Monsieur [L] a interjeté appel. (Procédure 15/6671).
Par déclaration du 5 novembre 2015, la société Cerim Trading Limited a interjeté appel. (Procédure 15/7678).
Par ordonnance du 26 novembre 2015, les procédures ont été jointes.
Dans ses dernières conclusions en date du 7 juin 2016, Monsieur [L] sollicite l'infirmation du jugement et le rejet des demandes de la société Gazprombank.
Il réclame sa condamnation à lui payer la somme de 3.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Il expose que, du 10 juin 2002 au 12 mars 2013, il a été le président du directoire de la Sarl Taganrogsky Avtomobilniy Zavod (Tag AZ) et qu'il est, depuis le 1er juin 2012, consultant export salarié de la société Tag AZ international.
Il déclare qu'afin de financer les activités de la société, celle-ci a contracté un prêt auprès de la société Gazprombank, établissement de crédit de la fédération de Russie.
Il indique qu'il a signé un contrat de garantie le 29 avril 2011 aux termes duquel il s'est engagé à assumer sur son patrimoine personnel les engagements pris par la société auprès de la banque.
Il précise que certaines échéances du prêt n'ont pas été honorées et que la société Gazprombank l'a poursuivi ce qui a donné lieu aux deux décisions précitées.
Il ajoute que la société a inscrit une hypothèque judiciaire provisoire sur un bien immobilier situé à [Localité 2] appartenant à lui-même et à son épouse et pratiqué une saisie conservatoire sur le compte commun des époux et que les époux ont sollicité la levée de ces mesures.
Il soutient que la demande d'exequatur est contraire à l'ordre public international de fond en ce qu'elle valide un cautionnement manifestement disproportionné.
Il invoque l'article L 341-4 du code de la consommation et fait état de ses ressources et du patrimoine immobilier commun avec son épouse, insuffisants à faire face à cet emprunt.
Il demande la déchéance de son cautionnement pour défaut de proportionnalité.
Il ajoute que, par jugement du 3 mars 2016, le tribunal arbitral de Rostov sur Don a ouvert une procédure de faillite personnelle à son égard et désigné un administrateur judiciaire chargé de la gestion de ses finances.
Dans ses dernières conclusions en date du 26 mai 2016, la société Cerim Trading Limited conclut à l'infirmation du jugement.
Elle demande qu'il soit jugé que le bien situé à [Localité 2] est sa propriété et réclame le paiement par la société gazprombank de la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle estime fondée sa demande de révocation de l'ordonnance de clôture rejetée par le tribunal au motif qu'elle est propriétaire du bien situé à Louveciennes depuis 2012 ainsi qu'il résulte de la sentence arbitrale de la cour d'arbitrage russe intervenue le 29 décembre 2014 après l'ordonnance de clôture.
Elle fait valoir que la demande d'exequatur a pour objectif de la déposséder du bien situé à [Localité 2] dont elle est propriétaire.
Elle se prévaut de la sentence arbitrale de la cour d'arbitrage russe en date du 29 décembre 2014 d'où il résulte qu'elle est devenue propriétaire de ce bien en 2012 à la suite de l'impossibilité pour les époux [L] de rembourser une créance qui lui avait été cédée.
Elle considère avoir donc intérêt à agir et justifier d'un lien suffisant avec la prétention originaire, l'exequatur ayant pour conséquence de permettre à la société Gazprombank de saisir le bien situé à [Localité 2].
Sur le fond, elle reproche au tribunal de n'avoir pas contrôlé l'absence de fraude à la loi définie par une fraude à la compétence judiciaire, aux droits de la défense ou au jugement.
En réponse à la banque, elle rappelle que l'exigence de la procédure d'exequatur est posée pour permettre l'exécution du jugement étranger en France. Elle fait valoir que l'exécution en France se heurte à ses moyens sur sa propriété du bien.
Dans ses dernières écritures en date du 22 juin 2016, la société Gazprombank conclut à la confirmation du jugement et au rejet des demandes.
Elle sollicite la condamnation solidaire de Monsieur [L] et de la société Cerim Trading Limited à lui payer la somme de 30.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Elle expose que Monsieur [L] est le fondateur et ultime bénéficiaire du groupe industriel et financier Doninvest qui comprend plusieurs sociétés intervenant dans de nombreux domaines dont la société Tag.
Elle rappelle les conditions de l'exequatur, les estime réunies et souligne que le juge de l'exequatur ne peut réviser au fond le jugement étranger.
Elle se prévaut de la compétence indirecte des juridictions russes soit de leur compétence pour trancher le litige.
Elle invoque l'absence de fraude, la compétence du tribunal russe saisi résultant d'une clause attributive stipulée au contrat.
Elle soutient que le jugement russe est conforme à l'ordre public international français, distinct de l'ordre public interne, procédural et de fond. A cet égard, elle fait valoir que la règle édictée par l'article L 341-4 du code de la consommation ne fait pas partie des principes constitutifs de l'ordre public international français et se prévaut d'un arrêt de la cour de cassation.
Surabondamment, elle réfute cette disproportion.
En ce qui concerne la procédure de faillite, elle fait valoir que Monsieur [L] n'en tire aucune conséquence, ne justifie pas du caractère définitif de la décision et ne démontre pas les effets juridiques de celle-ci. Elle ajoute que le jugement ne produit, faute d'exequatur, aucun effet en France.
En réponse à la société Cerim, elle soutient que ses allégations sur sa prétendue propriété n'ont aucune pertinence en l'espèce, s'agissant d'une procédure d'exequatur.
Elle invoque en outre la tardiveté de son intervention au motif qu'elle se prétend propriétaire depuis janvier 2012 et, donc, l'absence de cause grave postérieure à la clôture.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 23 juin 2016.
***
Sur l'intervention de la société Cerim
Considérant que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle, depuis son prononcé, une cause grave';
Considérant que la société Cerim déclare être propriétaire du bien situé à [Localité 2]';
Considérant que la propriété du bien est dépourvue de lien avec la procédure d'exequatur dont l'objet est de conférer effet en France à la décision étrangère'; que la question de la propriété du bien ne se posera qu'en cas de poursuites sur celui-ci';
Considérant que la revendication de cette propriété ne peut donc ni justifier la révocation de l'ordonnance de clôture ni rendre recevable l'intervention de la société Cerim';
Considérant que le jugement sera confirmé de ce chef';
Sur l'exequatur
Considérant qu'en l'absence, comme tel est le cas, de convention internationale, le juge français doit s'assurer, pour accorder l'exequatur, que trois conditions sont réunies soit la compétence indirecte du juge étranger, la conformité de la décision à l'ordre public international français, de fond et de procédure, et l'absence de fraude à la loi'; qu'il ne peut procéder à une révision au fond de la décision';
Considérant que Monsieur [L] invoque une violation de l'ordre public international de fond';
Considérant que l'ordre public international français de fond est constitué de valeurs fondamentales et est distinct de l'ordre public interne';
Considérant que le juge français ne peut aborder le fond du litige déjà tranché à l'étranger';
Considérant que l'article L 341-4 du code de la consommation n'édicte pas une norme dont la méconnaissance serait contraire à la conception française de l'ordre public international';
Considérant que son moyen sera donc rejeté';
Considérant que le jugement sera dès lors confirmé en toutes ses dispositions';
Considérant que les appelants seront condamnés in solidum à lui payer la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile'; que, compte tenu du sens du présent arrêt, leurs demandes aux mêmes fins seront rejetées';
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, contradictoirement,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement,
Y ajoutant':
Condamne in solidum Monsieur [L] et la société Cerim Trading Limited à payer à la société Gazprombank la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Rejette les demandes plus amples ou contraires,
Condamne in solidum Monsieur [L] et la société Cerim Trading Limited aux dépens,
Autorise Maître Gonthier à recouvrer directement à leur encontre ceux des dépens qu'elle a exposés sans avoir reçu provision,
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Monsieur Alain PALAU, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,