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19/10/2016 | FRANCE | N°15/01523

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 19 octobre 2016, 15/01523


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



contradictoire



DU 19 OCTOBRE 2016



R.G. N° 15/01523



AFFAIRE :



[S] [W]





C/

SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE, représentée par

Madame [Z] [Q] responsable du service du personnel









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 19 Octobre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de

MONTMORENCY



N° RG : 09/01133





Copies exécutoires délivrées à :



Me Nathalie MICAULT

Me Antoine PASQUET





Copies certifiées conformes délivrées à :



[S] [W]



SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE,



POLE EMPLOI





le :

RÉPUBLIQU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

contradictoire

DU 19 OCTOBRE 2016

R.G. N° 15/01523

AFFAIRE :

[S] [W]

C/

SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE, représentée par

Madame [Z] [Q] responsable du service du personnel

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 19 Octobre 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY

N° RG : 09/01133

Copies exécutoires délivrées à :

Me Nathalie MICAULT

Me Antoine PASQUET

Copies certifiées conformes délivrées à :

[S] [W]

SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE,

POLE EMPLOI

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX NEUF OCTOBRE DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [S] [W]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Nathalie MICAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1235

APPELANTE

****************

SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE,

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Antoine PASQUET, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K 117

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue le 12 Septembre 2016, en audience publique, devant la cour composé(e) de :

Madame Madeleine MATHIEU, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL

EXPOSE DU LITIGE :

Madame [S] [W] a été engagée à compter du 4 août 1999, en qualité d'ingénieur d'affaires, par la société COMPUTACENTER dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée. La moyenne de son salaire mensuel brut sur les 12 derniers mois s'élevait à la somme de 12.411,79 €. 

Le 19 juin 2009, la société COMPUTACENTER a convoqué Madame [W] à un entretien préalable fixé au 1er juillet 2009 ; elle lui a notifié son licenciement le 16 juillet 2009, pour cause d'inaptitude et d'impossibilité de reclassement.

La société COMPUTACENTER commercialise des infrastructures informatiques et emploie plus de onze salariés. La convention collective applicable est la convention Syntec.

Contestant le bien fondé de son licenciement et l'estimant nul, Madame [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Montmorency par requête en date du 19 novembre 2009.

La société COMPUTACENTER a conclu au débouté de Mme [W] et a sollicité sa condamnation à la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 19 octobre 2011, le conseil de prud'hommes a :

-dit que le licenciement de Madame [W] est fondé sur un motif réel et sérieux

-débouté Madame [W] de l'intégralité de ses demandes

-débouté la société COMPUTACENTER de sa demande reconventionnelle

-laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens éventuels.

Madame [W] a régulièrement interjeté appel du jugement susvisé par déclaration en date du 18 novembre 2011

Par arrêt contradictoire en date du 15 avril 2013, l'affaire a été radiée du rôle. Elle a été réinscrite le 30 mars 2015 à la demande de Mme [W].

Dans ses écrits déposés et soutenus oralement à l'audience, Madame [W] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de prononcer la nullité de son licenciement et en conséquence de condamner la société COMPUTACENTER ILE DE FRANCE à lui payer les sommes suivantes:

37.790,22 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

3.799,02 € au titre des congés payés y afférents

8.274,89 € à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement

453.482,64 € à titre de dommages et intérêts pour nullité du licenciement

A titre subsidiaire elle demande à la cour de dire et juger le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et en conséquence de condamner la Société COMPUTACENTER ILE DE FRANCE à lui payer les sommes de :

- 37.790,22 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis

- 3.799,02 € au titre des congés payés y afférents

- 8.274,89 € à titre de rappel d'indemnité conventionnelle de licenciement

- 453.482,64 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et de dire que ces sommes porteront intérêts aux taux légal avec anatocisme à compter de la saisine du conseil de prud'hommes ;

En tout état de cause

-constater le manquement de la société COMPUTACENTER ILE DE FRANCE à ses obligations au titre des articles 1134 et 1147 du code civil et des articles L. 1222-1 et L.4121-1 du code du travail et en conséquence la condamner à lui payer la somme de 302.321,76 € à titre de dommages et intérêts pour exécution fautive du contrat de travail dû au non respect de l'obligation de sécurité

visée à l'article L.4121-1 du Code du travail avec intérêts aux taux légal et anatocisme à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, outre la somme de 4.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Dans ses écrits déposés et soutenus oralement à l'audience, la société COMPUTACENTER demande à la cour de débouter Mme [W] de toutes ses demandes et de la condamner à lui verser la somme de 3.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Sur la nullité du licenciement :

Mme [W] soutient que son licenciement serait nul, son inaptitude ayant pour origine un harcèlement moral.

Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une

dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité,

d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ; l'article L. 1154-1 du même code énonce qu'en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 1152-1, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ;

En l'espèce Mme [W] soutient qu'elle a subi une pression continuelle de la part de sa supérieure hiérarchique, Mme [E] [I] [A], cette dernière allant jusqu'à l'ignorer ; elle souligne le caractère insidieux des agissements dont elle se dit victime et qui sont à l'origine, selon elle, de son état dépressif.

Au soutien de ses allégations, elle produit une attestation de M. [H] [N], ingénieur d'affaires dans une société concurrente, qui déclare avoir constaté le manque de soutien de son supérieur hiérarchique Mme [I] [A], cette dernière ne l'accompagnant jamais lors des rencontres avec un client commun important tandis que lui même était accompagné de son directeur commercial. Ce témoin déclare en outre avoir reçu les confidences de Mme [W], qui souffrait beaucoup du manque de communication entre elles et qui ne parvenait pas à obtenir un élargissement de son périmètre commercial malgré ses très bons résultats.

Pour illustrer l'absence de définition claire de son périmètre commercial, traduisant selon elle la volonté de sa supérieure d'entretenir un flou sur ce point entre les commerciaux, Mme [W] produit un mail en date du 14 février 2006, émanant de Mme [I] [A] et lui demandant ainsi qu'à d'autres salariés de compléter leurs plans de compte sur les différents clients qui leur sont attribués, et fait valoir qu'elle même et [T] [V] se partagent le compte 'DPS'

Elle présente également une attestation de Mme [A] [F], salariée de la société COMPUTACENTER à l'époque des faits qui décrit une absence de communication entre Mme [W] et Mme [I] [A] ; ce témoin, qui travaillait à proximité immédiate de Mme [W] dans un open space, évoque également le mépris affiché par Mme [I] [A] à l'égard de l'appelante : 'ses agacements, ses soupirs ou ses sourcils levés, le tout en présence des autres collègues sur le plateau dont je faisais partie...' ainsi que la mise à l'écart de Mme [W], qui n'était pas informée des éléments stratégiques qui auraient pu lui être favorables, dont les rendez-vous avec sa hiérarchie étaient systématiquement reportés ou annulés, Mme [I] [A] ne communiquant avec sa collègue que par mails ou par téléphone après avoir quitté son bureau alors qu'elles avaient passé la journée ensemble. Mme [F] a constaté la souffrance de Mme [W], dont la réussite professionnelle n'était pas reconnue.

Mme [W] soumet également à la cour l'attestation de Mme [M] [K], toujours en poste au sein de la société COMPUTACENTER et qui travaillait directement avec Mme [W] en qualité d'attachée commerciale, sous l'autorité de Mme [I] [A]. Celle-ci confirme les propos de Mme [F] en des termes identiques. En effet, elle évoque une apparence de normalité des relations de Mme [W] avec sa supérieure hiérarchique et souligne avoir constaté à plusieurs reprises que Mme [I] [A] ne partageait ni ses contacts ni ses informations avec sa subordonnée. Les membres de phrase : ' Mme [I] a toujours entretenu avec Mme [W] une collaboration floue, pleine de demandes contradictoires et avec de nombreux questionnements restés sans réponse à plusieurs reprises' et 'leurs relations étaient justement que l'illusion d'une communication et ce même si Mme [I] n'a jamais été agressive envers Mme [W] directement, elles n'ont pas eu de conflits, ce qui peut sembler paradoxal' ou encore 'j'ai pu constater personnellement et ce à plusieurs reprises qu'en tant que supérieure hiérarchique et plus encore en tant que directrice de compte EDF et GAZ DE FRANCE, elle ne partageait ni ses informations ni ses contacts avec Mme [W]' se retrouvent mot pour mot dans ces deux attestations.

Mme [K] ayant accès, de par sa fonction, aux échanges de mails de nombreux salariés, dit avoir constaté que ceux de Mme [W] restaient le plus souvent sans réponse, contrairement aux autres interlocuteurs de Mme [I] [A]. Elle témoigne également de l'agacement manifesté fréquemment par cette dernière à l'égard de Mme [W], qui lui avait confié se savoir espionnée par l'une de ses collègues, et souffrir de cette situation. Le témoin conclut en indiquant avoir demandé et obtenu un changement d'affectation en juillet 2011, en raison du manque de soutien professionnel de la part de Mme [I] [A] à son égard.

Mme [W] produit enfin l'attestation de M [W] [G], chef d'entreprise en relation professionnelle avec elle à l'époque des faits. Ce dernier a constaté la dégradation de son état de santé, sa grande fragilité au retour d'un arrêt de travail de mai à juillet 2007, et son état dépressif qu'il qualifie d'avancé, aggravé par l'annulation d'une réunion importante avec sa responsable hiérarchique le 7 septembre 2007. M. [G] ajoute avoir reçu les confidences de Mme [W] sur son sentiment d'isolement et son découragement, ne comprenant pas le refus de communication et de dialogue de sa supérieure malgré ses bons résultats et sa réussite commerciale.

Pour démontrer l'isolement dans lequel elle estime avoir été maintenue par Mme [I] [A], l'appelante produit une série de mails datant de 2005 et 2006, la plupart très laconiques, certains dépourvus de contenu à part l'objet dans lequel figurait un texte bref. À la même période, plusieurs mails établissent l'annulation ou le report de rendez vous en dernière minute ainsi que des demandes restées sans réponse à propos de réunions importantes avec des clients.

Mme [W] se prévaut du retentissement sur sa santé de ces agissements et produit un certificat du Dr [O], son médecin traitant, en date du 22 février 2008, par lequel ce praticien constate son état anxio-dépressif et évoque les dires de sa patiente au sujet 'des problèmes professionnels ayant conduit au burn out'. Elle justifie d'arrêts de travail du 31 mai au 2 août 2007, du 3 septembre 2007 au 15 mars 2009 et du 17 au 29 mars 2009. Sur ces arrêts de travail figurent notamment le descriptif suivant : anxio-dépression, dépression, agoraphobie. Un certificat médical en date du 9 février 2011, émanant du Dr [J], psychiatre, indique suivre Mme [W] depuis le 16 avril 2008 pour un état anxio dépressif associé par sa patiente à son environnement professionnel dans lequel elle déclare se sentir en difficulté depuis deux ans.

Le rapport du médecin-expert de la sécurité sociale en date du 13 octobre 2008 conclut que l'état de santé de Mme [W] ne lui permet pas de reprendre une activité professionnelle quelconque. À la suite de la demande d'avis du médecin du travail, le Dr [J] indique le 3 mars 2009 'Mme [W] est à mon avis incapable d'affronter les collègues et le travail dans l'entreprise qui l'emploie...l'état de santé de Mme [W] est incompatible avec la reprise du travail chez le même employeur et l'y obliger aggraverait son état dépressif et pourrait la mettre en danger'.

Lors de la visite de reprise du 16 mars 2009, le médecin du travail constate que son état ne lui permet pas d'être affectée à un poste dans l'entreprise et lors de la seconde visite du 30 mars 2009, il la déclare inapte au poste d'ingénieur d'affaires à COMPUTACENTER siège.

Mme [W] fait valoir que dans l'étude de poste réalisée le 26 mars 2009 par le médecin du travail, ce dernier, après avoir rappelé ses excellents résultats antérieurs, souligne que ce type de poste exige 'un travail soutenu et efficace pour obtenir de bons résultats commerciaux. Une bonne collaboration et une bonne communication avec le manager et le directeur du service commercial ainsi que leur soutien et celui de l'équipe me paraissent les éléments importants dans ce type de poste'. L'appelante en déduit qu'ainsi, ce praticien révélait les difficultés qu'elle rencontrait. Elle présente également un certificat de la psychologue clinicienne qui l'a suivie d'avril 2014 à décembre 2014 pour 'souffrance post-traumatique liée au travail', cette praticienne rapportant les pratiques de management pathogènes décrites par Mme [W], qui correspondent à celles déjà évoquées ci-dessus.

Mme [W] soumet à la cour deux courriers qu'elle a adressés à son employeur, d'abord le 8 décembre 2008, en exposant l'absence de soutien de sa hiérarchie, les attaques dont elle a été l'objet devant ses collègues malgré ses compétences, et l'exclusion du groupe qui en est résulté, générant un sentiment d'isolement, puis le 9 janvier 2009, en constatant que selon elle, l'entreprise ne lui avait procuré aucune aide.

Enfin, l'appelante produit un bulletin d'hospitalisation du 30 mars 2013 et des arrêts de travail subséquents en précisant qu'à la réception des conclusions de la partie adverse elle a tenté de se suicider, raison pour laquelle l'affaire a été radiée en avril 2013.

Elle établit ainsi l'existence de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

La société COMPUTACENTER fait valoir qu'elle a d'abord été informée le 30 novembre 2007 par l'avocat de Mme [W] des faits de pressions et de harcèlement dont elle se prétendait victime de la part de sa supérieure hiérarchique et de l'état dépressif qui en résultait. Elle a répondu par courrier recommandé du 4 janvier 2008 en exprimant sa surprise, compte tenu de l'entière satisfaction donnée par Mme [W] dans ses activités professionnelles et en se déclarant prête à échanger avec cette salariée, notamment pour revoir ses attributions ou envisager son affectation sur un autre secteur. Ce courrier est resté sans réponse, un contact prévu avec le mari de Mme [W] en mai 2008 n'ayant pas eu lieu. La société COMPUTACENTER a alors adressé un nouveau courrier à Mme [W] le 20 mai 2008 réitérant la proposition de rencontre. Ce n'est que 7 mois plus tard, en décembre 2008, qu'elle a reçu une lettre de Mme [W] détaillant ses griefs. Se disant 'estomaquée' par des affirmations gratuites et subites dont la salariée n'avait jamais fait part auparavant, elle n'y a pas donné suite. C'est dans ces conditions que la CPAM a indiqué le 2 mars 2009 à Mme [W] que son arrêt de travail ne lui paraissait plus médicalement justifié et que les 16 et 30 mars, les avis d'inaptitude au poste d'ingénieur d'affaires à COMPUTACENTER siège ont été délivrés, le reclassement étant impossible au siège.

La société COMPUTACENTER estime que le harcèlement moral prétendu n'est pas établi ; elle produit :

- une série de mails échangés de 2005 à décembre 2008 entre l'appelante et Mme [E] [I] [A], qui sont le plus souvent très brefs de la part de cette dernière, voire sans aucun contenu lorsqu'il s'agit de mails retransmis à plusieurs salariés, notamment ceux relatifs aux félicitations adressées aux meilleurs commerciaux par des niveaux hiérarchiques supérieurs ( M. [R] [T] notamment). Certains mails provenant de Mme [E] [I] [A] à destination de Mme [W] sont plus explicites : félicitations adressées le 27 avril 2006 au sujet d'un succès 'Wanadoo' ; encouragements par mail du 11 juillet 2006 ('tout n'est pas perdu, bravo') ; réponse du 26 mars 2007 ('super à demain') ; réponse à l'annonce d'un arrêt maladie par Mme [W] du 1er au 19 juin 2007 et demande de nouvelles du 27 juin 2007.

Par ailleurs plusieurs échanges (mails du 5 septembre2005, du 18 janvier 2006 au sujet d'un contact à Gaz de France, du 9 mai 2006 au sujet d'un appel d'offres, du 27 juillet 2006 au sujet

d'une liste de clients et du 22 mars 2007concernant un client [P]) concernent des transmissions d'informations commerciales de Mme [I] [A] à Mme [W].

- 18 attestations émanant de salariés occupant diverses fonctions dans le domaine commercial qui affirment n'avoir jamais constaté de comportement inadapté ou susceptible d'être assimilé à du harcèlement moral de la part de Mme [I] [A], que ce soit à l'égard de Mme [W] ou d'un autre collègue. Ils soulignent tous le comportement respectueux et humain de cette responsable.

Mme [F] [D], ingénieur commercial, déclare avoir travaillé dans l'équipe de Mme [I] [A] depuis octobre 2000 et affirme que le soutien de cette dernière ne lui a jamais fait défaut depuis lors. Elle précise dans une seconde attestation avoir travaillé étroitement ( son bureau se trouvant en face de celui de l'appelante) en tant que chargée de clientèle avec Mesdames [I] [A] et [W] courant 2005/2006. Elle indique que ces dernières étaient allées ensemble à un rendez vous professionnel, Mme [W] lui ayant dit au retour avoir apprécié les moments d'échange avec sa supérieure.

[T] [V] , qui travaillait dans la même équipe, affirme que Mme [I] [A] valorisait le travail de ses collaborateurs, qu'il s'agisse de Mme [W] ou d'autres personnes. Il fournit une seconde attestation aux termes de laquelle le périmètre commercial de Mme [W] aurait été élargi à son détriment, le seul compte partagé entre eux existant par le fait qu'il n'avait pas accepté de le lui laisser en entier, leur supérieure hiérarchique décidant de ne pas trancher en faveur de l'un ou de l'autre afin de rester neutre.

M. [Y] [M], directeur de secteur et manager de Mme [I] [A], atteste n'avoir jamais reçu de remontées négatives, formelles ou informelles, d'aucun des collaborateurs de cette dernière, notamment de Mme [W].

M. [C] [L], directeur de compte et employé au service commercial depuis plus de dix ans, déclare avoir travaillé sur les mêmes plateaux de bureau que les deux protagonistes et n'avoir jamais assisté à aucun débordement ni à aucune 'saute d'humeur inappropriée ou altercation de Mme [I] à l'encontre d'un membre de son équipe ou de tout autre collaborateur de l'entreprise' .

Monsieur [Q] [X] directeur du secteur public chez COMPUTACENTER déclare que Mme [E] [I] [A] n'a jamais fait part, en public ou en privé d'un quelconque mécontentement à l'égard de l'un de ses collaborateurs et souligne que la plupart d'entre eux travaille avec elle depuis de nombreuses années, ce qui atteste de la qualité de son management.

- L'intimée produit également un compte rendu d'entretien d'évaluation de Mme [W] établi en mars 2006 par Mme [I] [A]. Les observations de la supérieure hiérarchique insistent sur les excellents résultats pour 2005, la communication avec l'équipe devant être améliorée. Mme [W] dans ses observations souhaite 'souligner que j'ai apprécié la confiance qui m'a été témoignée...cette décision a déjà un effet positif sur ma volonté d'améliorer la communication au sein de l'équipe'.

Les nombreuses attestations produites par l'intimée viennent contredire celles versées aux débats par Mme [W]. Face à l'ensemble de ces déclarations concordantes, émanant de personnes exerçant depuis longtemps dans l'équipe de Mme [I] [A], l'une d'elles étant d'ailleurs retraitée, il convient de souligner que les témoignages émanant de Mme [F] et de Mme [K], au soutien de Mme [W], sont formulés de manière parfaitement similaire sur plusieurs points importants.

Les mails produits par la société COMPUTACENTER éclairent les courriels soumis à la cour par l'appelante sous un jour différent, certains envois laconiques, souvent groupés, n'excluant pas une communication de qualité ni le partage d'informations professionnelles entre Mme [W] et sa supérieure hiérarchique.

L'employeur justifie ainsi que les faits soumis à la cour par Mme [W] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En conséquence , le licenciement ne saurait être déclaré nul.

Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement :

Mme [W] considère que son inaptitude résulte de la faute de son employeur qui n'a pas donné suite à ses courriers d'alerte de décembre 2008 et janvier 2009, soit 4 mois avant l'avis d'inaptitude. Elle invoque également l'irrespect de l'obligation de reclassement qui pèse sur l'employeur.

Sur l'obligation de reclassement :

L'avis du médecin du travail concluant à l'inaptitude du salarié à tout emploi dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur qui a licencié ce dernier d'établir qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de le reclasser, conformément aux prescriptions de l'article L. 1226-

10 du code du travail, au besoin par la mise en oeuvre de mesures telles que mutation, transformation de poste ou aménagement du temps de travail.

La société COMPUTACENTER établit avoir fait plusieurs propositions de reclassement détaillées (à [Localité 3], [Localité 4] et [Localité 5]) et conformes aux qualifications de Mme [W], après consultation de la médecine du travail, ce en conformité avec l'avis d'inaptitude à tout poste au siège de l'entreprise. Ces propositions ont toutes été refusées par Mme [W], qui ne souhaitait pas quitter la région parisienne pour raison familiale, étant précisé qu'un poste de service manager, basé au sein de la direction des services Ile de France avait été soumis par l'employeur à la médecine du travail mais déclaré incompatible avec l'état de santé de Mme [W] dès lors qu'il était 'situé et rattaché à COMPUTACENTER Siège' . Ainsi, l'intimée a respecté son obligation de bonne foi.

Sur l'exécution fautive du contrat de travail par l'employeur dûe à l'irrespect de l'obligation de sécurité de résultat :

Aux termes de l'article L4121-1, l'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent notamment des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

Il résulte des éléments du dossier que Mme [W] a obtenu d'excellents résultats professionnels, bénéficiant de commissions bien supérieures à celles de ses collègues, de l'aveu même de son employeur. Il est également constant qu'elle a été en arrêt de travail du 31 mai au 2 août 2007, du 3 septembre 2007 au 15 mars 2009 et du 17 mars 2009 au 29 mars 2009.

Le conseil de Mme [W] a alerté son employeur par lettre du 30 novembre 2007, faisant part dès cette date de ce qu'elle estimait subir des pressions et un harcèlement de la part de sa hiérarchie, à l'origine de son arrêt de travail pour dépression.

La société COMPUTACENTER s'est contentée de proposer une rencontre qui n'a pu avoir lieu en raison de l'état de santé de la salariée, sans procéder à aucune investigation afin de rechercher si Mme [W] avait ou non été exposée à un stress permanent et prolongé à raison de l'existence d'une situation de surcharge de travail, ni faire aucune proposition concrète pour remédier à cet état de fait.

Elle n'a pas non plus donné suite au courrier de décembre 2008 par lequel Mme [W] détaillait ses griefs, faisant à nouveau mention de la forte pression de résultats à laquelle elle avait été soumise.

Elle ne justifie pas davantage avoir pris des mesures de nature à identifier et à prévenir la survenance d'un état de stress au travail.

Ces carences, qui ont aggravé le sentiment d'isolement et d'abandon de la salariée, sont partiellement à l'origine de l'inaptitude Mme [W] et le licenciement doit dès lors être considéré comme étant sans cause réelle et sérieuse.

Elles caractérisent également le manquement de la société COMPUTACENTER à son obligation de sécurité de résultat et le préjudice causé à Mme [W] de ce chef sera justement évalué à la somme de 5000 euros.

Sur les conséquences du licenciement :

En application de l'article L. 1235-3 du code du travail, Mme [W], qui a plus de deux ans d'ancienneté et travaillait dans une entreprise ayant au moins 10 salariés, peut prétendreà une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse qui ne peut être inférieure au montant des salaires bruts qu'elle a perçus pendant les six derniers mois précédant son licenciement.

La société COMPUTACENTER produit un extrait de profil de Mme [W] sur Linkedin dont il résulte qu'au premier juillet 2016 cette dernière y déclare exercer en tant qu'ingénieur d'affaires dans une autre entreprise depuis janvier 2013. Il résulte cependant d'un certificat de travail établi par ce dernier employeur que Mme [W] a quitté ses effectifs en mars 2014.

En raison de l'âge de la salariée au moment de son licenciement, de son ancienneté dans l'entreprise, du montant de la rémunération qui lui était versée, de ses difficultés à retrouver un emploi ainsi que des justificatifs produits, il convient de lui allouer, en réparation du préjudice matériel et moral qu'elle a subi, la somme de 90 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

En l'absence de faute grave et a fortiori de cause réelle et sérieuse de licenciement, Mme [W] peut prétendre à l'indemnité de préavis et à l'indemnité conventionnelle de licenciement dont les montants ne sont pas critiqués par l'intimée, soit respectivement

37 790,22 € et les congés payés y afférents et 8 274,89 €.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il y a lieu d'ordonner le remboursement par la SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE aux organismes concernés, parties au litige par l'effet de la loi, des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [W] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois ;

La société COMPUTACENTER, partie succombante, sera condamnée au paiement d'une somme de 2000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

PAR CES MOTIFS :

La cour, statuant publiquement et contradictoirement,

INFIRME le jugement entrepris et statuant à nouveau,

DIT le licenciement de Mme [S] [W] dépourvu de cause réelle et sérieuse

CONDAMNE la SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE à lui payer :

- la somme de 90 000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

- la somme de 37 790,22 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis et celle de

3 799,02 € au titre des congés payés y afférents

- la somme de 8 274,89 € à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement

- la somme de 5 000 € à titre de dommages et intérêts

- la somme de 2 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile

DEBOUTE Mme [S] [W] du surplus de ses demandes

ORDONNE le remboursement par la SA COMPUTACENTER ILE DE FRANCE aux organismes concernés des indemnités de chômage qu'ils ont versées le cas échéant à Mme [S] [W] à compter du jour de son licenciement, et ce à concurrence de 6 mois.

RAPPELLE que les créances salariales ainsi que la somme allouée à titre d'indemnité de licenciement sont productives d'intérêts au taux légal à compter du jour de la présentation à l'employeur de la lettre le convoquant devant le bureau de conciliation ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;

CONDAMNE la société COMPUTACENTER ILE DE FRANCE aux dépens

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Madeleine MATHIEU, Président et par Madame BEUREL, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER, Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 15/01523
Date de la décision : 19/10/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°15/01523 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-10-19;15.01523 ?
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