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26/05/2016 | FRANCE | N°14/02903

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1re chambre 1re section, 26 mai 2016, 14/02903


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



1re chambre 1re section



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 26 MAI 2016



R.G. N° 14/02903



AFFAIRE :



SCP [I]-[U]





C/





[Z] [O] [T]









Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2014 par le Tribunal de Grande Instance de Versailles

N° Chambre : 01

N° Section :

N° RG : 11/07218



Expédi

tions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :





Me Alain CLAVIER, avocat au barreau de VERSAILLES





Me Irène FAUGERAS-CARON de la SELARL DES DEUX PALAIS, avocat au barreau de VERSAILLES





RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1re chambre 1re section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 26 MAI 2016

R.G. N° 14/02903

AFFAIRE :

SCP [I]-[U]

C/

[Z] [O] [T]

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 11 Mars 2014 par le Tribunal de Grande Instance de Versailles

N° Chambre : 01

N° Section :

N° RG : 11/07218

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Alain CLAVIER, avocat au barreau de VERSAILLES

Me Irène FAUGERAS-CARON de la SELARL DES DEUX PALAIS, avocat au barreau de VERSAILLES

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE VINGT SIX MAI DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

SCP [I]-[U] & associés

société d'avocats

RCS de Paris, immatriculée sous le numéro [K]5

[Adresse 1]

[Adresse 4]

représentée par son gérant,

Représentant : Me Alain CLAVIER, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 143287

Plaidant par Me Jean-Pierre CORDELIER membre de la SCP CORDELIER & associés, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P 399 -

APPELANTE

****************

Monsieur [G] [T]

né le [Date naissance 1] 1950 à [Localité 2] (Algérie)

[Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentant : Me Irène FAUGERAS-CARON de la SELARL DES DEUX PALAIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 068 - N° du dossier 117260

et plaidant par Maitre BERTHAULT membre de la SELARL BERTHAULT ASSOCIES, avocat au barreau de Paris ( C 0234)

Madame [A] [C] épouse [T]

née le [Date naissance 2] 1949 à [Localité 1]

[Adresse 2]

[Adresse 3]

Représentant : Me Irène FAUGERAS-CARON de la SELARL DES DEUX PALAIS, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 068 - N° du dossier 117260

et plaidant par Maitre BERTHAULT membre de la SELARL BERTHAULT ASSOCIES, avocat au barreau de Paris ( C 0234)

INTIMES

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 21 Mars 2016 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Anne LELIEVRE, conseiller, chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Odile BLUM, Président,

Madame Anne LELIEVRE, Conseiller,

Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Versailles du 11 mars 2014 ayant, notamment :

- déclaré l'action recevable,

- sursis à statuer sur la demande de M. et Mme [T] tendant à voir condamner la SCP [I], [U] & Associés à les garantir de toute mesure d'exécution du jugement du tribunal de commerce de Saragosse (Espagne) du 25 février 2008 jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue dans l'affaire opposant le ministère public et les époux [T] à M. [R], affaire référencée sous le numéro 12/0882,

- condamné la SCP [I], [U] & Associés à payer à M. [T] la somme de 50.172,70 euros à titre de dommages et intérêts,

- condamné la SCP [I], [U] & Associés à payer à M. [T] la somme de 10.000 euros et à Mme [T] la somme de 8.000 euros en réparation de leur préjudice moral,

- débouté M. et Mme [T] de leurs autres demandes,

- sursis à statuer sur la demande de M. et Mme [T] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que sur les dépens,

- rejeté toute demande plus ample ou contraire des parties,

- ordonné l'exécution provisoire,

- dit que l'affaire sera retirée du rôle jusqu'à intervention d'une décision définitive dans l'instance opposant le ministère public et les époux [T] à M. [R],

- dit qu'elle pourra être rétablie au rôle à l'initiative de la partie la plus diligente sur production de la décision susvisée.

Vu la déclaration du 14 avril 2014 par laquelle la SCP [I]-[U] & Associés a formé à l'encontre de cette décision un appel de portée générale ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 27 octobre 2014, aux termes desquelles la SCP [I]-[U] & Associés demande à la cour de :

- la dire recevable et bien fondée en son appel,

- y faisant droit,

- réformer le jugement en toutes ses dispositions,

- et, statuant à nouveau,

- constater qu'en l'absence d'acceptation du mandataire, le contrat dont se prévalent les époux [T] n'est pas formé,

- constater que le mandat confié par les époux [T] à l'avocat n'a pas reçu exécution ainsi que confirmé par l'absence de diligences et de toutes prestations de l'avocat en lien avec les procédures diligentées en Espagne contre M. [T],

- dire qu'en l'absence de mandat accepté, l'avocat n'était tenu à aucune obligation à l'égard des époux [T] que ce soit d'information ou de conseil,

- en tout cas,

- constater que l'auteur du préjudice dont les époux [T] demandent réparation est M. [R], condamné pour escroquerie par le jugement rendu par le tribunal correctionnel d'Angers le 20 janvier 2012, confirmé du chef de cette condamnation, par l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 15 janvier 2013,

- constater que l'arrêt rendu par la cour d'appel d'Angers le 15 janvier 2013 est devenu irrévocable après le rejet du pourvoi formé à son encontre par la Cour de cassation le 19 mars 2014,

- dire qu'il n'y a plus lieu de surseoir à statuer,

- constater qu'il a été définitivement statué sur les demandes de réparation des époux [T] par le juge pénal, que ce soit au titre de leur préjudice matériel, financier et moral,

- dire que les époux [T] ne peuvent être indemnisés une seconde fois,

- les débouter de toutes leurs prétentions,

- par voie de conséquence,

- dire les époux [T] irrecevables et mal fondés en leur appel,

- les en débouter,

- dire que les époux [T] seront tenus solidairement de rembourser les sommes qu'ils ont reçues en exécution du jugement,

- les condamner solidairement, en tant que de besoin, au paiement desdites sommes,

- condamner solidairement les époux [T] solidairement à lui payer la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens de première instance et d'appel dont distraction ;

Vu les dernières conclusions notifiées le 9 septembre 2014, aux termes desquelles les époux [T] demandent à la cour de :

- prendre acte du sursis à statuer sur la demande de garantie de l'exécution du jugement du tribunal de commerce de Saragosse du 25 février 2008,

- confirmer le jugement en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a limité la perte de chance à 80 %, les a déboutés de certaines de leurs demandes et en conséquence limité les condamnations de la SCP [I]-[U] aux sommes de :

-50 172,70 euros,

-10 000 euros,

- 8 000 euros,

- en conséquence, statuant à nouveau,

- condamner la SCP [I]-[U] à payer à M. [T] la somme de 100.000 euros en réparation de son préjudice moral et physique,

- condamner la SCP [I]-[U] à payer à M. [T] la somme de 60.336,95 euros au titre des frais engagés pour lutter contre l'exécution du jugement de Saragosse,

- la condamner à lui payer la somme de 19.500 euros au titre de l'incapacité de financement et de facilités bancaires,

- condamner la SCP [I]-[U] à payer à M. [T] la somme de 1.614,60 euros, correspondant aux honoraires qu'elle a perçus,

- condamner la SCP [I]-[U] à payer à M. [T] la somme de 764,31 euros au titre des sommes saisies par l'huissier instrumentaire en exécution du jugement de Saragosse,

- condamner la SCP [I]-[U] à payer à M. [T] la somme de 2.000 euros au titre de l'indemnisation de la saisie du certificat d'immatriculation de son véhicule,

- condamner la SCP [I]-[U] à payer à Mme [T] la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts toutes causes confondues,

- condamner la SCP [I]-[U] au paiement de la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction ;

SUR CE, LA COUR,

Considérant que la société anonyme Charrues [R], créée par M. [B] [R] et dont son fils, M. [E] [R], est devenu président directeur général en février 1991, disposait de deux filiales, l'une en Angleterre, l'autre en Espagne, la société [R] Iberica, dont M. [E] [R] était le gérant ;

Qu'une autre société, la société GEMAP constituée en 1975 dont l'activité était la commercialisation de charrues en France et dans les pays francophones, était dirigée par son frère, M. [L] [R], président directeur général ;

Qu'en novembre 1999, M. [G] [T] a été nommé aux lieu et place de M. [L] [R], démissionnaire, à la tête de la société GEMAP, et, en février 2000, de M. [E] [R], révoqué par les actionnaires, à la tête de la SA Charrues [R] ;

Qu'à la suite de plusieurs audits et d'un contrôle fiscal, M. [G] [T] a refusé les comptes et a déposé le bilan des deux sociétés, lesquelles ont été mises en redressement judiciaire en novembre 2000 ;

Qu'un jugement du 7 novembre 2001 a adopté un plan de redressement par apurement des passifs avec fusion-absorption des sociétés GEMAP et Charrues [R] dans le cadre d'une SARL détenue par M. [G] [T] à hauteur de 67 % et par la famille [R] à hauteur de 33 %, plan résolu par jugement du 31 mars 2004 ;

Que par un jugement définitif du tribunal correctionnel d'Angers du 25 juin 2004, M. [E] [R] a été déclaré coupable de faux et usage de faux pour avoir notamment fait établir par la succursale espagnole de la SA Charrues [R] des fausses factures de prestation de services entre le 1er août 1997 et le 31 août 1999 et en avoir fait usage ;

Que la Société [R] Iberica a décidé en février 2004 de sa dissolution et de sa liquidation, décision annulée par le tribunal de commerce de Saragosse (Espagne) le 14 juillet 2007 à l'initiative de M. [E] [R] qui a exercé parallèlement à l'encontre de M. [G] [T], gérant de la société, une action sociale aux fins de recouvrer une perte de plus de 737.000 euros ; que le 25 février 2008, M. [G] [T] a été condamné par le tribunal de commerce de Saragosse à payer à la société [R] Iberica la somme de 1.079.708,49 euros, correspondant au montant du principal augmenté des intérêts, dont M. [E] [R], agissant pour le compte de la société, a poursuivi l'exécution en France ;

Que par décision du tribunal correctionnel d'Angers du 21 mars 2012, M. [E] [R] a été déclaré coupable de faits d'escroquerie au jugement commis le 15 janvier 2007 à Saragosse, condamné à un an d'emprisonnement dont six mois avec sursis et mise à l'épreuve pendant une durée de deux ans avec obligation de réparer les dommages causés par l'infraction en payant à M. [G] [T] et son épouse, parties civiles, les sommes de 1.079.708,49 euros et 7.000 euros en réparation de leurs préjudices matériels et moraux ; que par arrêt du 15 janvier 2013, la cour d'appel d'ANGERS a confirmé le jugement sur la culpabilité, mais l'a réformé sur le quantum de la peine, prononçant une amende de 6 000 euros, ainsi que sur les intérêts civils, n'allouant aux époux [T] qu'une somme totale de 4.500 euros, au titre du seul préjudice moral ; que cet arrêt a été frappé d'un pourvoi, rejeté par arrêt de la Cour de cassation du 19 mars 2014 ;

Qu'estimant que la SCP [I]-[U] & Associés, cabinet d'avocat habituel des sociétés du groupe [R], avait commis des fautes dans l'exécution du mandat qui lui avait été confié dans la gestion des procédures menées devant le tribunal de Saragosse, M. [G] [T] et son épouse ont, par acte d'huissier en date du 11 juillet 2011, fait assigner celle-ci sur le fondement des articles 1147,1382 et 1191 du code civil, 412 du code de procédure civile, de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, du décret n°91-1197 du 27 novembre 1991, aux fins de voir mettre en cause sa responsabilité civile professionnelle ;

Que le tribunal de grande instance de Versailles a partiellement fait droit à leurs demandes, condamnant la SCP [I] à verser aux époux [T] les sommes de 50.172,70 euros au titre du préjudice financier, ainsi que 10.000 euros pour M. [T] et 8.000 euros pour Mme [T] au titre de leur préjudice moral ; que le tribunal a toutefois sursis à statuer sur l'action formée par les époux [T] à l'encontre de la SCP [I] visant à les garantir à raison de toute mesure d'exécution du jugement du tribunal de commerce de Saragosse du 25 février 2008, ainsi que sur les frais irrépétibles et les dépens, dans l'attente de l'arrêt à intervenir de la Cour de cassation sur le pourvoi formé à l'encontre de l'arrêt précité de la cour d'appel d'Angers du 15 janvier 2013 ;

Sur l'existence d'un mandat

Considérant que la SCP [I], appelante, soutient que les époux [T] ne rapportent pas la preuve leur incombant de l'existence d'un mandat général accepté par l'avocat qui lui aurait fait obligation de représenter M. [T] devant les juridictions espagnoles ; qu'il soutient que les quelques lettres invoquées à titre de preuve par les époux [T] démontrent en réalité qu'il n'était en charge que de prestations ponctuelles et que le montant de ses honoraires de 1.614,60 euros TTC démontrent qu'il n'avait en charge qu'une prestation d'assistance devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Nantes ;

Qu'elle considère que le défaut de réaction de Me [I] n'était pas fautif mais démontre au contraire qu'il n'y a pas eu exécution d'un mandat valant acceptation ;

Qu'elle soutient par ailleurs que M. [T], gérant professionnel, savait, notamment à la lecture de l'assignation, que M. [I] ne pouvait le représenter devant les juridictions espagnoles ; qu'au mieux, il aurait pu lui conseiller de faire appel à un avocat local sans que M. [T] puisse rapporter la preuve, qui lui incombe, que cet avocat lui aurait permis d'obtenir des décisions plus favorables ;

Qu'en réponse, les époux [T] font valoir qu'en tant que conseil habituel de M. [T], M. [I] avait une obligation de conseil et d'information envers celui-ci, qu'il ait ou non accepté de prendre ce contentieux en charge ; qu'ils soutiennent que M. [I] n'a pas informé M. [T] des risques encourus ni ne lui a conseillé de prendre attache avec un avocat local, ceci notamment parce qu'il aurait accepté le mandat qui lui aurait été confié pour cette prestation ; qu'ils déduisent notamment le fait que M. [I] aurait accepté de le représenter dans cette affaire, de l'ouverture d'un dossier comportant des références spécifiques, mentionnées sur un courrier adressé par cet avocat à son client le 22 juin 2007, attestant ainsi du commencement de l'exécution de sa mission ;

*

Considérant que c'est par des motifs pertinents et que la cour adopte que les premiers juges, après avoir relevé, ce que Me [I] rappelle lui-même dans un courrier adressé à son client le 15 juin 2009, que celui-ci était le conseil habituel de M. [T] et des sociétés du groupe [R] depuis de nombreuses années, qu'il est intervenu en amont des procédures ayant opposé M. [T] à M. [E] [R] et qu'il est démontré par les courriers, fax et courriels produits aux débats, que la SCP [I] reconnaît avoir reçus au moins en partie, que Me [I] a été parfaitement et régulièrement informé par M. [T] des procédures l'opposant à la société [R] Iberica, et a été instamment prié d'intervenir au soutien de ses intérêts ;

Que c'est à bon droit qu'ils relèvent qu'il appartenait en conséquence à Me [I], s'il ne souhaitait pas donner suite aux requêtes de M. [T], de mettre un terme de manière claire et non équivoque au mandat tacite et permanent dont il bénéficiait de la part des sociétés du groupe [R] et de son dirigeant, compte tenu de leurs longues années de collaboration, afin de ne pas entretenir M. [T] dans l'illusion qu'il conservait la défense de ses intérêts ;

Que c'est également à juste titre qu'ils retiennent que non seulement Me [I] n'a pas mis fin au mandat qui le liait à son client, mais a, au contraire, indiqué dans un courrier du 22 juin 2007 avoir pris contact avec un huissier de justice dans l'intérêt de celui-ci, manifestant ainsi sa volonté de poursuivre le mandat qui lui avait été confié ;

Que la cour constate que M. [T] a adressé le 14 juin 2007 à Me [I] qui en a accusé réception le 16 juin, l'assignation à comparaître devant le tribunal de commerce de Saragosse, ainsi qu'un mandat de retirer des documents auprès de l'huissier instrumentaire ; que par le courrier précité du 22 juin 2007, mentionnant les références 'Aff. [T] / [R] Iberica N/Réf : 07/2914', Me [I] indique avoir fait le nécessaire auprès de l'huissier ; que huit courriers ultérieurs, adressés entre le 4 juin 2008 et le 17 février 2010 et comportant les mêmes références, démontrent que Me [I] s'estimait lui-même en charge de la défense des intérêts de M. [T] dans l'affaire qui lui avait initialement été confiée ;

Que c'est en vain que la SCP [I] se prévaut de la modicité des honoraires réclamés qui, selon elle, démontrerait que Me [I] n'avait accepté de représenter les intérêts de M. [T] que dans le cadre d'une instance devant le juge de l'exécution du tribunal de grande instance d'Angers ; que, du reste, le courrier du 22 janvier 2009 par lequel Me [I] a communiqué sa note d'honoraires ne mentionne nullement que l'avocat estime être parvenu au terme de sa mission ; que postérieurement à cet envoi, des réunions de travail ont eu lieu les 3 et 15 juin 2009 au cabinet de Me [I] ; qu'il résulte d'un courrier adressé le 15 juin 2009 par Me [I] que celui-ci s'estimait toujours en charge de définir la stratégie à mettre en place afin de contrarier les velléités de M. [E] [R], puisque cette question avait été abordée au cours de la réunion du 3 juin, et qu'une opinion juridique, reposant sur une analyse au demeurant erronée de la position occupée par M. [T] au sein de la société [R] Iberica, était livrée concernant la possibilité d'agir devant les juridictions espagnoles ;

Qu'en toute hypothèse, la SCP [I] ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, qu'elle aurait été libérée de l'obligation souscrite envers son client ou aurait dégagé sa responsabilité au moment où il était encore temps d'agir utilement devant les juridictions espagnoles ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur la faute

Considérant que la SCP [I] soutient qu'aucune faute n'a été commise par Me [I] dans la défense des intérêts de M. [T] ;

Considérant que c'est par des motifs que la cour adopte que les premiers juges constatent que la SCP [I] ne justifie d'aucune diligence de la part du cabinet entre le 30 mars 2005, date de la transmission de l'assignation en annulation de l'assemblée générale de [R] Ibérica et le 22 juin 2007, soit postérieurement au prononcé, le 14 juillet 2005, du premier jugement rendu par le tribunal de commerce de Saragosse, et qu'elle ne justifie pas non plus que M. [T] aurait été informé par son avocat de la possibilité de prendre conseil auprès d'un confrère ayant un correspondant inscrit dans un barreau espagnol ;

Que s'agissant de la seconde procédure, à savoir l'action sociale exercée par M. [E] [R] à l'encontre de M. [T], c'est à juste titre que les premiers juges relèvent que Me [I], ainsi qu'il résulte du courrier précité du 15 juin 2009, a considéré de façon erronée que M. [T] n'était concerné par cette nouvelle instance qu'en tant que représentant légal de la société mère française, la SARL [R], alors qu'il l'était au titre des fonctions de gérant de la société [R] Iberica qu'il avait exercées, la responsabilité ainsi encourue étant, en outre, plus élevée au regard du droit espagnol qu'elle ne l'est au regard du droit français ;

Que c'est également à bon droit qu'ils retiennent que Me [I] n'ayant, de son propre aveu, pas les compétences requises pour conseiller utilement son client s'agissant du droit espagnol, il lui appartenait dès lors, dans l'exercice de son devoir d'information, de conseil et de prudence, de l'orienter vers un confrère disposant de cette compétence ou ayant un correspondant en Espagne, ce que Me [I] ne fera que tardivement, à l'issue de la réunion du 3 juin 2009 ; que c'est encore à bon droit qu'ils retiennent qu'après que le jugement du 25 février 2008 emportant condamnation personnelle de M. [T] en tant que gérant de la société a été rendu et porté à la connaissance de Me [I], celui-ci a manqué à ses obligations en ne lui conseillant pas de relever appel de ce jugement, ce qui aurait préservé ses droits ;

Que le jugement sera confirmé de ce chef ;

Sur le préjudice et le lien de causalité

Considérant qu'il n'est pas sérieusement contesté que la condamnation mise à la charge de M. [T] par le tribunal de commerce de Saragosse de verser une somme de 1.079.708,49 euros à la société [R] Iberica ne sera jamais exécutée, l'assemblée générale extraordinaire des associés de cette société, représentés majoritairement par le mandataire liquidateur de la société ayant, le 18 mai 2010, ordonné à M. [R] de cesser toute mesures d'exécution de ce jugement, celui-ci ayant été rendu sur la foi de documents falsifiés fournis à l'expert-comptable par M. [E] [R], ce pourquoi ce dernier a été définitivement condamné au plan pénal ; que la cour observe que les développements (III B) annoncés par M. [T] dans ses conclusions sur la question du recouvrement de ces sommes n'y figurent pas ;

Que la cour constate quoi qu'il en soit que les époux [T] ne demandent plus en cause d'appel que la SCP [I] soit condamnée à les garantir de toute mesure d'exécution du jugement du tribunal de commerce de Saragosse, demande sur laquelle les premiers juges avaient sursis à statuer dans l'attente de l'issue de la procédure pénale ; que la Cour de cassation ayant rejeté le pourvoi formé par M. [R], il en résulte que sa condamnation pour escroquerie au jugement est désormais irrévocable et que la mise à exécution du jugement du tribunal de Saragosse ne constitue plus une menace sérieuse, ce d'autant moins que par jugement du 4 avril 2012, le tribunal de commerce d'Angers a étendu à la société [R] Iberica la procédure de liquidation judiciaire de la SARL [R] en raison de la confusion des patrimoines résultant d'actes anormaux de gestion, en l'occurrence l'émission de fausses factures de prestation de service ;

Que la cour ne se trouve donc saisie que des demandes indemnitaires présentées par les époux [T] en réparation des préjudices financier, physique et moral que leur a occasionnés la menace de cette mise à exécution ;

Considérant que la SCP [I] ne peut raisonnablement contester que, d'une part, l'absence de réaction à la procédure initiée en 2005 par M. [E] [R], visant à annuler la décision de l'assemblée générale de la société [R] Iberica ayant décidé de sa dissolution, a permis à M. [R], associé minoritaire de la société, d'agir dans un deuxième temps en responsabilité à l'encontre de M. [T], gérant de la société ; que d'autre part, l'absence de réaction à cette seconde action engagée en 2007 à l'encontre de M. [T] a permis à M. [R] de surprendre la religion de l'expert-comptable puis du tribunal de Saragosse en communiquant des documents dont la fausseté avait déjà été constatée par un jugement du tribunal correctionnel d'Angers le 25 juin 2004, et en faisant ainsi condamner M. [T], privé de la possibilité de se défendre, à des sommes très importantes ; que pareillement, en ne réagissant pas à la communication du jugement rendu et en ne prenant aucune initiative pour préserver les droits de M. [T], Me [I] a laissé libre cours aux poursuites engagées par M. [R] ;

Qu'il résulte de ce qui précède que les fautes commises par Me [I] sont intervenues dans un rapport causal avec la perte de chance, pour M. [T], de se défendre et de ne pas être condamné par le tribunal de commerce de Saragosse ou d'obtenir la réformation de ce jugement, et, par suite de devoir faire face à toutes les conséquences résultant de cette condamnation ; que cette perte de chance apparaît réelle et sérieuse, eu égard aux moyens de défense qui étaient à la disposition de M. [T], notamment le jugement correctionnel précité, dont il y a lieu de penser que le tribunal de commerce de Saragosse, s'il en avait eu connaissance, aurait tiré toutes conséquences au plan de la responsabilité de M. [T] ; qu'ainsi que le relèvent pertinemment les premiers juges, le jugement du tribunal de Saragosse du 25 février 2008 condamnant M. [T] est motivé par référence à divers éléments de fait en aucun cas démentis par preuve contraire ; que c'est néanmoins à juste titre qu'ils retiennent que cette perte de chance n'est pas totale, dans la mesure où le tribunal s'est par ailleurs fondé sur le témoignage de M. [W] [J], dont l'examen des autres pièces du dossier révèle qu'il s'agit d'un associé minoritaire de la société ; qu'il n'y a pas lieu, en revanche, de tenir compte, comme l'ont fait les premiers juges, de l'interrogatoire du défendeur mentionné dans la traduction en français du jugement espagnol, cette mention résultant manifestement d'une erreur de traduction des mots del interrogatorio del demandado, étant rappelé que le défendeur, M. [T], n'était pas comparant ainsi que le relève expressément le jugement espagnol ;

Qu'au vu des éléments qui précèdent il y a lieu de porter à 90 % au lieu de 80 % la perte de chance ;

Qu'en ce qui concerne les différents chefs de préjudice financiers dont il est demandé réparation, c'est, tout d'abord, en vain que la SCP [I] soutient qu'ils auraient déjà été indemnisés au titre des intérêts civils par l'arrêt de la cour d'appel d'Angers du 15 janvier 2013 ; qu'en effet, il ne ressort pas des énonciations de cette décision que M. [T] aurait présenté d'autre demande que celle relative à l'indemnisation des condamnations mises à sa charge par le tribunal de commerce de Saragosse à hauteur de 1.079.708,49 euros ;

Que sur le fond, il y a tout d'abord lieu de retenir l'ensemble des frais engagés par M. [T] pour tenter d'échapper à l'exécution du jugement, dont il est justifié à hauteur de 60.336,95 euros, auxquels s'ajoutent 764,31 euros effectivement appréhendés par l'huissier instrumentaire agissant en exécution du jugement du tribunal de Saragosse ; que le jugement sera confirmé sur ces deux points ; qu'il le sera également en ce qu'il a considéré que la perte de chance d'obtenir une 'prime à la casse' de 2.000 euros du véhicule de M. [T] saisi par l'huissier apparaît hypothétique et sans lien direct avec les fautes commises ;

Que le jugement sera également confirmé en ce qu'il a débouté M. [T] de sa demande d'indemnisation résultant de la perte de chance de pouvoir obtenir de sa banque une facilité de caisse de 500 euros par mois en raison des mesures d'exécution engagées à son encontre le 2 décembre 2009, préjudice qu'il évalue à 500 euros par mois pendant 39 mois, soit 19.500 euros ; qu'en effet, même si l'on peut admettre, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, que le refus de la banque soit la conséquence directe de l'exécution du jugement espagnol, M. [T], s'il avait obtenu la facilité de caisse dont il prétend avoir été privé, aurait en toute hypothèse dû rembourser à sa banque les sommes prêtées ; que la cour constate à cet égard que M. [T] ne réclame pas le remboursement de frais d'intervention ou tout autre frais additionnels induits par un découvert non autorisé, mais le paiement du montant en principal des facilités de caisses auxquelles il aurait pu prétendre, ce dont il ne peut en aucun cas demander réparation ;

Que s'agissant des honoraires d'avocat facturés par la SCP [I]-[U] & Associés à hauteur de 1.614,60 euros et dont les époux [T] demandent pour la première fois en cause d'appel le remboursement, il y a lieu d'y faire droit, mais dans la mesure de la perte de chance de ne pas avoir à subir les conséquences de l'exécution de la décision espagnole ;

Considérant, en ce qui concerne le préjudice moral et physique subi par M. [T] et le préjudice par ricochet subi par Mme [T], que c'est à bon droit que la SCP [I] fait valoir que ces préjudices ont déjà été indemnisés au titre des intérêts civils par l'arrêt devenu irrévocable de la cour d'appel d'Angers du 15 janvier 2013, et qu'ils l'ont été sur le fondement des mêmes certificats médicaux que ceux produits devant la cour dans le cadre de la présente procédure ; que les époux [T] n'allèguent ni ne démontrent l'existence d'un préjudice survenu postérieurement à cette décision ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;

Considérant que le présent arrêt, infirmatif sur ce point, constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement, et que les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la notification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ;

Qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande, présentée par la SCP [I], au titre de la restitution des sommes versées au titre de l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris ;

Sur les dépens et les frais irrépétibles

Considérant que la SCP [I], succombant principalement dans ses prétentions, doit supporter les dépens de première instance et d'appel ;

Considérant que l'équité commande d'allouer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, tant pour la procédure de première instance que pour la procédure d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement, par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement rendu le 11 mars 2014 par le tribunal de grande instance de Versailles, sauf en ce qui concerne les dommages-intérêts et le sursis à statuer ;

STATUANT à nouveau de ce chef,

-CONDAMNE la SCP [I], [U] & Associés à payer à M. [T] la somme de 54.991,13 euros au titre de son préjudice financier ;

-DÉBOUTE M. [G] [T] et Mme [A] [C] épouse [T] de leurs demandes au titre de leur préjudice moral et physique ;

Y AJOUTANT

-CONDAMNE la SCP [I], [U] & Associés à payer à M. [T] la somme de 1453,14 euros au titre de la perte de chance de ne pas avoir à subir les conséquences de la tentative d'exécution du jugement espagnol ;

-CONDAMNE la SCP [I], [U] & Associés à payer à M. [T] la somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des procédures de première instance et d'appel ;

DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré à la cour ;

REJETTE toute autre demande ;

CONDAMNE la SCP [I], [U] & Associés aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Odile BLUM, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier,Le président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1re chambre 1re section
Numéro d'arrêt : 14/02903
Date de la décision : 26/05/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°14/02903 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-05-26;14.02903 ?
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