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18/05/2016 | FRANCE | N°14/04855

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 18 mai 2016, 14/04855


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80C



15e chambre



ARRET N°



contradictoire



DU 18 MAI 2016



R.G. N° 14/04855



AFFAIRE :



[Y] [W]





C/

SAS STE D'EDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 30 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT



N° RG : 13/00668

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Copies exécutoires délivrées à :



la SELARL BOURGEOIS REZAC MIGNON

Me Sophie BAILLY





Copies certifiées conformes délivrées à :



[Y] [W]



SAS STE D'EDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE F...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80C

15e chambre

ARRET N°

contradictoire

DU 18 MAI 2016

R.G. N° 14/04855

AFFAIRE :

[Y] [W]

C/

SAS STE D'EDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 30 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° RG : 13/00668

Copies exécutoires délivrées à :

la SELARL BOURGEOIS REZAC MIGNON

Me Sophie BAILLY

Copies certifiées conformes délivrées à :

[Y] [W]

SAS STE D'EDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE DIX HUIT MAI DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [Y] [W]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

comparante en personne, assistée de Me Karine MIGNON-LOUVET de la SELARL BOURGEOIS REZAC MIGNON, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0111 substituée par Me Justine BRAULT, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : L0111

APPELANTE

****************

SAS STE D'EDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Sophie BAILLY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0346

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 06 Avril 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :

Madame Michèle COLIN, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL,

Suivant contrat à durée indéterminée du 17 août 1987, avec effet au 1er septembre 1996, Madame [Y] [W] a été engagée par la Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES (S.E.S.C) en qualité de claviste.

A compter du 01septembre 1996, Madame [W] a exercé les fonctions de correctrice au sein du service PAO.

A partir du 1er décembre 2008, Madame [W] a occupé l'emploi de Rédacteur-Réviseur.

Le statut de journaliste professionnel lui a été attribué à compter de l'année 2009, date à laquelle elle obtenait sa carte professionnelle.

En dernier lieu, le salaire moyen mensuel brut des trois derniers mois de Madame [W] était de 3.812,55 euros.

Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale des journalistes.

En octobre 2012, la société S.E.S.C annonçait la mise en place d'un projet de réorganisation de l'entreprise prévoyant 21 licenciements économiques et la mise en place d'un plan de sauvegarde de l'emploi au terme duquel le poste occupé par Madame [W] était supprimé.

Le comité d'entreprise rendait deux avis, défavorables, les 12 et 21 décembre 2012.

Sept salariés se portaient volontaires au départ et la société SESC engageait une procédure de licenciement pour motif économique à l'encontre de quatorze salariés dont Madame [W].

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 15 janvier 2013, la société S.E.S.C proposait à Madame [W], à titre de reclassement, le poste de Responsable de Production à temps partiel, statut Cadre, contre une rémunération annuelle de 37.760,00 euros. Madame [W] refusait ce poste et,

le 14 février 2013, la société S.E.S.C lui remettait un contrat de sécurisation professionnelle (CSP) qu'elle acceptait le jour même.

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception du 19 février 2013, Madame [W] a éte licenciée pour motif économique.

La Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES employait habituellement près de 100 salariés au moment du licenciement.

Contestant son licenciement, Madame [W] a saisi le Conseil des Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT le 11 avril 2013 afin d'obtenir l'indemnisation de son préjudice lié à la rupture abusive de son contrat de travail ainsi que le paiement de rappels de salaire et accessoires liés à son statut de journaliste, jamais pris en compte par son employeur.

Par jugement du 30 octobre 2014, le Conseil a débouté Madame [W] de l'ensemble de ses demandes.

Madame [W] a régulièrement interjeté appel de cette décision par déclaration au greffe en date du 10 novembre 2014. Elle demande à la Cour d'infirmer le jugement déféré et de condamner la Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLESLLES à lui payer les sommes suivantes :

- 74.000,00 euros de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, à titre principal parce que le motif économique n'est pas sérieux, à titre subsidiaire en raison de l'absence de recherche sérieuse de reclassement et à titre encore plus subsidiaire, en raison du non respect des critères d'ordre des licenciements et des catégories professionnelles,

- 28.220,53 euros au titre du rappel de prime

d'ancienneté,

- 12.665,65 euros au titre du reliquat d'indemnité de licenciement,

- 15.000,00 euros de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en terme de points de retraite et de base de calcul des cotisations retraite,

-15.000,00 euros en réparation du préjudice subi du fait d'une discrimination,

- 5.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES demande à la Cour de confirmer le jugement entrepris.

Conformément aux dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la Cour renvoie, pour un plus ample exposé des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.

MOTIFS DE LA COUR :

- Sur le licenciement économique :

Madame [W] soutient que lorsqu'elle a accepté le CSP, le motif économique de son licenciement n'avait pas été précisément énoncé. Elle releve que le courrier du 14 février 2013 ne précise pas à combien s'élève la baisse du chiffre d'affaires, ni le montant du «résultat négatif» ni encore en quoi la compétitivité de l'entreprise est affectée. Par la suite, sa lettre de licenciement ne mentionne pas plus la nature des difficultés économiques, leur ampleur et leurs conséquences sur son emploi.

* Sur l'énonciation des motifs économiques :

Il résulte de l'article L.1233-16 du code du travail que la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur. Les motifs énoncés doivent être précis, objectifs et matériellement vérifiables, et la lettre de licenciement doit mentionner également leur incidence sur l'emploi ou le contrat de travail du salarié.

Lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié de la convention de reclassement personnalisé, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur la CSP remis à l'intéressé, soit dans la lettre qu'il est tenu de lui adresser lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement. Lorsqu'il n'est pas possible pour l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié de la proposition de convention, il suffit que le motif économique soit énoncé dans tout document ternis ou adressé à celui-ci au plus tard au moment de son acceptation.

A défaut, le licenciement n'est pas motivé et il est dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'espèce, la société SESC justifie avoir adressé à Madame [W], le 15 janvier 2013, un courrier dans lequel elle l'informait qu'elle était contrainte d'envisager un projet de réorganisation dans le cadre de la sauvegarde de la compétitivité du groupe auquel elle appartenait. Elle lui présentait également une offre de reclassement.

Par courrier remis en main propre le 14 février 2013, la société SESC informait Madame [W], qu'après consultation du comité d'entreprise, elle allait mettre en place un projet de réorganisation avec pour conséquence la suppression de 21 postes, dont celui qu'elle occupait. La société SESC lui remettait en même temps un contrat de sécurisation professionnelle qu'elle acceptait le jour même.

Le courrier était ainsi rédigé : 'Le 8 octobre dernier étaient remis au Comité d'entreprise de SESC un projet de réorganisation de l'entreprise et un projet de plan de sauvegarde de l'emploi. (...) Après que l'expert mandaté par le comité d'entreprise ait présenté son rapport et que plusieurs réunions se soient tenues avec la Direction, le Comité d'entreprise a rendu son avis sur ce projet de réorganisation (Livre II) le 12 décembre 2012 et sur le projet de Plan de sauvegarde de l'emploi (livre I) le 21 décembre 2012. En effet, la situation de la société SESC, mais également celle du Groupe Profession Santé dont cette dernière fait partie, est particulièrement préoccupante avec un chiffre d'affaires en baisse et un résultat négatif. C'est donc dans un soucis de sauvegarde de compétitivité que nous avons informé et consulté le comité d'entreprise sur le projet de réorganisation qui consiste, d'une part, à réduire la périodicité du journal 'Le Quotidien du Médecin » à deux parutions papier par semaine au lieu de quatre et, d'autre part, à réorganiser les autres activités de l'entreprise avec pour conséquence au global, la suppression de 21 postes.

C'est dans ce cadre que la suppression de votre poste de Rédacteur Réviseur a été envisagée.

Le PSE prévoyait une période d'ouverture aux départs volontaires qui s'est achevée le 11 janvier dernier. A l'issue de cette période, nous vous avons proposé par écrit une proposition de reclassement que vous avez refusée par courrier recommandé daté du 27 janvier 2013.C'est dans ce cadre que nous vous remettons avec le présent courrier la documentation relative au contrat de sécurisation Professionnelle dont vous pouvez bénéficier et dont les dispositions vous ont déjà été présentées lors de l'intervention le 27novembre 2012 dans nos locaux par Monsieur [B], Responsable de l'équipe CRP/CSP du Pôle Emploi'.

Par courrier, en date du 19 février 2013, la société S.E.S.C notifiait à Madame [W] son licenciement économique en reprenant les explications précédentes et indiquant notamment que 'la situation de la société S.E.S.C, mais également celle du Groupe Profession Santé dont cette société fait partie, est particulièrement préoccupante avec un chiffre d'affaires en baisse et un résultat négatif.' Elle précisait que, 'dans un souci de sauvegarde de compétitivité (...)le projet consistait, (...), à réorganiser les autres activités de l'entreprise avec pour conséquence, au global, la suppression de 21 postes.' L'employeur rappelait à Madame [W] qu'elle avait refusé la proposition de reclassement qui lui avait été faite et qu'en conséquence il n'avait pas d'autre solution que d'envisager son licenciement pour motif économique. Il lui rappelait enfin que le délai dont elle disposait pour accepter ou refuser le CSP expirait le 7 mars 2013 au soir et que si elle y adhérait, le contrat de travail serait rompu d'un commun accord le 6 mars 2013. A défaut, il l'informait que la présente lettre constituerait la notification du licenciement pour motif économique.

Il peut être constaté que, tant les lettres du 15 janvier et du 14 février 2013, c'est-à-dire celles reçues avant l'acceptation du CSP, que celle du 19 février, qui constitue la lettre de rupture de la relation contractuelle, mentionnent les difficultés économiques rencontrées par la société, illustrées non seulement par la baisse de son chiffre d'affaires et de celui du groupe mais également par un résultat comptable déficitaire. Elles mentionnent la nécessité d'une réorganisation de l'entreprise aux fins de sauvegarder sa compétitivité, ce qui est un motif légitime de licenciement. Elles mentionnent enfin que la suppression du poste de Madame [W] est consécutive à cette réorganisation. Il ne peut donc qu'être constaté que les documents remis à la salariée satisfont à l'exigence de motivation des difficultés économiques et qu'elle en a eu connaissance avant d'accepter le CSP.

Le jugement entrepris doit être confirmé sur ce point.

* Sur la réalité des motifs économiques :

Aux termes de l'article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel de son contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques ou à des mutations technologiques.

Le juge prud'homal est tenu de contrôler le caractère réel et sérieux du motif économique du licenciement, de vérifier l'adéquation entre la situation économique de l'entreprise et les mesures affectant l'emploi ou le contrat de travail envisagées par l'employeur, mais il ne peut se substituer à ce dernier quant aux choix qu'il effectue dans la mise en 'uvre de la réorganisation.

Le motif économique doit s'apprécier à la date du licenciement mais il peut être tenu compte d'éléments postérieurs à cette date permettant au juge de vérifier si la réorganisation était nécessaire ou non à la sauvegarde de la compétitivité.

Une réorganisation de l'entreprise, lorsqu'elle n'est pas liée à des difficultés économiques ou des mutations technologiques, peut constituer une cause économique de licenciement à condition qu'elle soit effectuée pour sauvegarder la compétitivité de l'entreprise ou pour prévenir des difficultés économiques liées à des évolutions technologiques et leurs conséquences sur l'emploi.

Lorsqu'une entreprise fait partie d'un groupe, les difficultés économiques de l'employeur doivent s'apprécier tant au sein de la société, qu'au regard de la situation économique du groupe de sociétés exerçant dans le même secteur d'activité, sans qu'il y ait lieu de réduire le groupe aux sociétés ou entreprises situées sur le territoire national.

Madame [W] soutient que la réorganisation de la société n'a été motivée que par la volonté de réaliser des économies de gestion alors que la société et le groupe dont elle fait partie étaient financièrement sains. Elle relève que les bilans et comptes de résultats de la société, au moment du licenciement, ne font nullement la démonstration d'une situation économique et financière délabrée. Elle relève que le chiffre d'affaires était en légère progression, qu'était prévu un programme d'investissement important, que le taux d'endettement était modeste et que les effectifs étaient en hausse. Elle souligne que l'existence d'une menace pour la compétitivité de l'entreprise n'est pas démontrée, l'entreprise ayant utilisé dans sa lettre de licenciement des considérations très générales et non étayées ou encore des affirmations non prouvées. Elle affirme enfin que la société ne démontre nullement que l'absence de réorganisation envisagée aurait des conséquences sur l'emploi plus importantes que celles du plan social.

La société S.E.S.C. soutient qu'elle a rencontré des difficultés économiques liées non seulement à une diminution de l'activité de presse mais également en raison des difficultés que traverse l'industrie pharmaceutique. Elle indique que la diffusion s'est réduite, tout comme les investissements des annonceurs, et que le passage aux nouvelles technologies ne lui ont pas permis de générer un chiffre d'affaires lui permettant de maintenir ses effectifs. Elle rappelle qu'avant d'envisager un plan social, elle a limité ses frais de fonctionnement, modifié la fréquence de ses parutions, développé de nouveaux services, mais en vain. Elle soutient que la réorganisation de l'entreprise était indispensable pour prévenir les difficultés économiques à venir et leurs conséquences sur l'emploi.

En l'espèce, il n'est pas contestable, au vu des bilans des années 2009 à 2012 versés aux débats, que la société S.E.S.C a rencontré des difficultés financières. Le cabinet d'expertise comptable LEGRAND FIDUCIAIRE, nommé par le comité d'entreprise dans le cadre du projet de retructuration, relève ainsi que la situation du QUOTIDIEN DU MEDECIN présentait une situation déclinante caractérisée par un recul important des recettes publicitaires et une baisse sensible des abonnements. De ce fait la société SESC subissait des pertes d'exploitation et avait une trésorerie déficitaire ce qui était une menace pour la pérennité de l'entreprise. Le rapport soulignait également que ces difficultés n'étaient pas nouvelles sur le marché publicitaire mais qu'était venu se rajouter un repli des abonnements depuis 2011. Il précisait que l'analyse de ces tendances pour les années à venir ne permettait pas d'entrevoir une amélioration de la situation notamment parce que la société proposait une version papier « vieillissante » et qui manquait d'attractivité auprès de son lectorat d'abonnés traditionnel poussant au développement de la diffusion gratuite pour maintenir l'audience, mais également en raison d'une transition tardive vers le format Web, transition réalisée sous la contrainte de résultats dégradés. Le rapport notait en outre que les activités hors journal n'étaient pas suffisamment développées pour pallier les insufissances du chiffre d'affaires lié aux parutions.

Cette situation financière dégradée était également constatée par le comité d'entreprise, lors de sa réunion du 12 décembre 2012, qui notait que " la direction se trouve aujourd'hui face à des difficultés financières réelles, et qu'elle est confrontée au double défi qui consiste à préserver la pérennité de l'entreprise tout en réalisant des économies de façon urgente... ".

Les pièces comptables versées au dossier enseignent plus précisément que pour les publications de la société S.E.S.C, la baisse était de 24% pour le QUOTIDIEN DU MEDECIN et de 59 % pour le QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. Dans le même temps, les recettes publicitaires diminuaint de 23,2 % entre septembre 2011 et septembre 2012, représentant une perte de 1 million d'euros. Cette diminution d'activité venait agraver la situation financière de l'entreprise qui, depuis 2007, avait perdu près de 55% de chiffre d'affaires lié à la publicité dans les magazines généralistes et près de 35% dans les magazines spécialisés. Il n'est pas contesté par ailleurs qu'en 2013, les perspectives d'une évolution positive de l'activité publicitaire restaient très limitées puisque n'était pas envisagée la mise sur le marché de nouveaux produits pharmaceutiques notables.

Pour autant, si les difficultés rencontrées par la société S.E.S.C ne souffrent pas de contestation, il n'en demeure pas moins que la situation économique de la société ne peut être détachée de celle du groupe auquel elle appartient. En l'espèce, il ressort du compte rendu du Comité d'Entreprise et du cabinet d'expertise comptable que la société faisait partie du groupe UBM MEDICA (anciennement CMP MEDICA), qui comprenait plusieurs sociétés ayant pour objet la presse médicale. A la suite de la reprise de certaines sociétés du groupe, un groupe dénommé GROUPE PROFESSION SANTE a été créé en 2011, que la société UBM MEDICA intégrait, le goupe UMB MEDICA conservant, par ailleurs, une participation.

Il apparaît également que le GROUPE PROFESSION SANTE est constitué par une société HOLDING, la société JANUS, laquelle détient à 100% la société S.E.S.C, elle-même ayant pour filiales :

- la société Profession Santé Service, composée de services administratifs,

- la société EMG,

-la société INTERLIGNE, qui regroupe les marques DECISION SANTE et INTERLIGNE,

- la société HC COM, qui édite le magazine VISITE ACTUELLE,

- la société SEOM.

Enfin, il n'est pas contesté que le groupe UBM détient 30% de la société JANUS, détenant 100% de la société S.E.S.C

.

Si, comme le relève la société S.E.S.C, ce pourcentage est insuffisant pour que le groupe soit présumé dominant au regard des articles L2331-1 du Code du travail et L 233-3 du Code du commerce, il n'en demeure pas moins que cette position est établie non seulement par ce lien capitalistique mais également parce que le groupe disposait, au moment du licenciement, à l'égard de la société S.E.S.C, d'une créance de plus de 6 millions d'euros ce qui lui assurait nécessairement un pouvoir sur elle. D'ailleurs, il n'est pas sans intérêt de relever que la société S.E.S.C ne produit à l'audience aucun élément sur cette créance, mais qu'elle ne contredit pas le fait que UBM aurait effacé cette dette au cours de l'année 2013, permettant à S.E.S.C d'être de nouveau bénéficiaire.

Il peut également être relevé que si la société S.E.S.C conteste l'intégration de la société UBM au groupe dont elle fait partie, elle ne fournit aucun document permettant de s'en assurer. Ainsi, aucun des documents versés ne permet de connaître son domaine d'activité, le nom de ses filiales ainsi que ses participations au sein des sociétés du groupe PROFESSION SANTE.

Dans ces conditions, le périmètre à prendre en compte pour analyser les difficultés économiques de la société S.E.S.C ne saurait se limiter à ses filiales mais également à :

- la société JANUS, société holding,

- la société PROFESSION SANTE SERVICES, société s'ur de la société S.E.S.C,

- le groupe UBM, actionnaire de la société JANUS.

Or, la société S.E.S.C ne produit aucun élément sur la situation financière de la holding JANUS, pas plus qu'elle ne produit d'éléments concernant les résultats du groupe UBM, alors même qu'il n'est pas contesté à l'audience qu'une partie de l'activité de celui-ci est une activité liée à la presse.

Dans ces conditions, à défaut de justifier de la situation financière de l'ensemble des sociétés du groupe, la société S.E.S.C ne démontre pas la réalité du motif économique du licenciement de Madame [W]. Le licenciement de cette dernière doit dès lors être considéré comme sans cause réelle et sérieuse.

Le jugement entrepris sera infirmé en ce sens.

- Sur la discrimination :

Aux termes de l'article L.1132-1 du code du travail, aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement ou de l'accès à un stage ou à une période de formation, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie par l'article 1er de la loi n 2008496 du 27 mai 2008, notamment en matière de rémunération, au sens de l'article L.3221-3, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son origine, de son sexe, de ses m'urs, de son orientation sexuelle, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille ou en raison de son état de santé ou de son handicap.

Selon l'article 1er de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses mesures d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations :

- constitue une discrimination directe la situation dans laquelle, sur le fondement de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie ou une race, sa religion, ses convictions, son âge, son handicap, son orientation sexuelle ou de son sexe, une personne est traitée de manière moins favorable qu'une autre ne l'est, ne l'a été ou ne l'aura été dans une situation comparable,

- constitue une discrimination indirecte une disposition, un critère ou une pratique neutre en apparence, mais susceptible d'entraîner, pour l'un des motifs précités, un désavantage particulier pour des personnes par rapport à d'autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un but légitime et que les moyens pour réaliser ce but ne soient nécessaires et appropriés,

L'article L.1134-1 du code du travail prévoit qu'en cas de litige relatif à l'application de ce texte, le salarié concerné présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par l'article 1er de la loi n 2008-496 du 27 mai 2008, au vu desquels il incombe à l'employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination, et le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

En l'espèce,

Madame [W] considère que son licenciement a été décidé en raison de son état de santé aux motifs que dès le 18 mars 2013, elle faisait l'objet de reproches de la part de Madame [O] [J] et Monsieur [Y], son supérieur hiérarchique direct.

Pour étayer ses affirmations, elle ne produit qu'un courriel qu'elle a elle-même écrit le 18 avril 2012, faisant état d'un incident avec son supérieur hiérachique sans aucun autre élément confirmant la réalité de ce fait.

En l'état des explications et des pièces fournies, la matérialité d'éléments de fait précis et concordants laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte au sens des textes ci-dessus n'est pas démontrée.

Les demandes relatives à la discrimination et au licenciement doivent par conséquent être rejetées.

Le jugement entrepris doit être confirmé de ce chef.

- Sur les rappels de salaires, reliquats d'indemnité de licenciement et dommages

et intérêts pour préjudice en terme de point retraite :

Il résulte de l'article 23 de la Convention Collective applicable aux journalistes que ces derniers bénéficient d'une prime d'ancienneté à compter du moment où ils présentent 5 ans d'ancienneté en tant que journaliste et/ou 5 ans de présence au sein de la même entreprise.

Madame [W] soutient qu'elle aurait dû bénéficier, à compter du 1er septembre 1996, du statut de journaliste, car sa fonction de correctrice aurait dûe être considérée comme 'Rédacteur-réviseur'. Elle estime qu'elle aurait donc dû bénéficier de cette prime à compter de 2001 et, pour tenir compte de la prescription quinquenale, elle sollicite le paiement de la somme totale de 28.220,53 euros brut.

L'article L. 7111-4 du Code du travail énonce que sont assimilés aux journalistes professionnels ' les collaborateurs directs de la rédaction, rédacteurs-traducteurs, sténographes-rédacteurs, rédacteurs-réviseurs, reporters-dessinateurs, reporters-photographes, à l'exclusion des agents de publicité et de tous ceux qui n'apportent, à un titre quelconque, qu'une collaboration occasionnelle' .

La convention collective des journalistes précise que l'emploi du rédacteur-réviseur est «un journaliste qui, sous l'autorité du secrétariat de rédaction, effectue une lecture critique des copies, et contrôle, notamment, la syntaxe, les noms propres, les dates et les citations, et fait les rectifications nécessaires. Il révise la copie rédactionnelle avant et après sa composition.»

Or, il ressort des pièces soumises à la Cour que Madame [W] n'a exercé la fonction de rédacteur réviseur, qui seule lui permettait de revendiquer la qualité de journaliste, qu'en décembre 2008. Il n'est nullement démontré qu'avant cette date, elle aurait eu la même fonction, alors qu'elle verse aux débats un courriel qu'elle a elle-même adressé à son employeur le 28 février 2007, dans lequel elle reconnait que son travail ne lui demandait aucune relecture critique des articles qu'elle était amenée à corriger. Or, au vu de la définition du poste de rédacteur-réviseur rappelée ci-dessus, cette relecture critique est la caractéristique essentielle qui permet de différencier ce poste de celui d'un correcteur.

Par ailleurs, Madame [W] interprète inexactement le sens des courriers que la société lui a adressés entre 1997 et 1999, pour en déduire qu'elle exerçait bien cette fonction avant 2008, les écrits qu'elle invoque ne mentionnant qu'une 'similitude' de fonctions et non une identité. Enfin, il sera remarqué que la carte de journaliste lui a été attribuée à partir de 2009, sans aucune rétroactivité.

Dès lors, Madame [W] ne peut revendiquer le bénéfice de la prime d'ancienneté, et par conséquence ni un complément d'indemnité de licenciement, ni le versement de dommages-intérêts pour compenser la perte de ses droits à la retraite.

Le jugement entrepris doit être confirmé sur ces points.

- Sur l'indemnisation :

* Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :

Aux termes de l'article L.1235-3 du code du travail, si un licenciement intervient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse et qu'il n'y a pas réintégration du salarié dans l'entreprise, il est octroyé au salarié à la charge de l'employeur une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Madame [W] bénéficiait d'une ancienneté de 25 ans au moment de son licenciement. Elle n'a, à ce jour, pas retrouvé d'emploi. Elle a bénéficié, dans le cadre de son licenciement, d'une indemnisation à hauteur de 63.704,19 euros incluant une indemnité de licenciement pour un montant de 58.497,00 euros.

Compte tenu notamment de l'effectif de l'entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à Madame [W], de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu'ils résultent des pièces et des explications fournies, il y a lieu de lui allouer, une somme de 30.000,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

- Sur les demandes annexes :

La société S.E.S.C qui succombe pour l'essentiel dans la présente instance, doit supporter les dépens et elle sera également condamnée à payer à Madame [W] une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile qu'il est équitable de fixer à la somme de 2.000,00 euros, en sus de celle qui lui a été allouée en première instance.

La société S.E.S.C doit être déboutée de la demande qu'elle a formée sur le même fondement.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant contradictoirement et par arrêt mis à disposition au greffe,

INFIRME partiellement le jugement rendu le 30 octobre 2014 par le Conseil des Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT,

Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés :

DIT le licenciement de Madame [W] sans cause réelle et sérieuse,

CONDAMNE la société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES à verser à Madame [W] la somme de 30.000,00 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

ORDONNE à la Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES de délivrer à Madame [W], une attestation Pôle Emploi rectifiée, un certificat de travail rectifié, et un bulletin de paye conforme à cette décision.

RAPPELLE que les sommes ayant un caractère de salaire bénéficient des intérêts au taux légal à compter de l'acte de saisine et les autres sommes à compter de cette décision,

CONFIRME le jugement pour le surplus,

Y AJOUTANT,

CONDAMNE la Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES à verser à Madame [W] la somme de 2.000,00 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

LA DEBOUTE de sa demande sur le même fondement,

CONDAMNE la Société D'ÉDITIONS SCIENTIFIQUES ET CULTURELLES aux dépens.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, et signé par Mme COLIN, président, et Mme BEUREL, greffier.

Le GREFFIER Le PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 14/04855
Date de la décision : 18/05/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°14/04855 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-05-18;14.04855 ?
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