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11/05/2016 | FRANCE | N°14/04752

France | France, Cour d'appel de Versailles, 15e chambre, 11 mai 2016, 14/04752


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80A



15e chambre



ARRET N°



contradictoire



DU 11 MAI 2016



R.G. N° 14/04752



AFFAIRE :



[T] [Y]





C/

Société PIERRE ETOILE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 08 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT



N° RG : 12/00886





Copies exÃ

©cutoires délivrées à :



Me Jean-christophe GUY

Me Jean-michel TROUVIN





Copies certifiées conformes délivrées à :



[T] [Y]



Société PIERRE ETOILE







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE ONZE MAI DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appe...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

15e chambre

ARRET N°

contradictoire

DU 11 MAI 2016

R.G. N° 14/04752

AFFAIRE :

[T] [Y]

C/

Société PIERRE ETOILE

Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 08 Octobre 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT

N° RG : 12/00886

Copies exécutoires délivrées à :

Me Jean-christophe GUY

Me Jean-michel TROUVIN

Copies certifiées conformes délivrées à :

[T] [Y]

Société PIERRE ETOILE

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE ONZE MAI DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

Madame [T] [Y]

[Adresse 1]

[Localité 1]

comparante en personne, assistée de Me Jean-christophe GUY, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R169

APPELANTE

****************

Société PIERRE ETOILE

[Adresse 2]

[Localité 2]

représentée par Me Jean-michel TROUVIN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0354

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 Mars 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Michèle COLIN, Président chargé(e) d'instruire l'affaire.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :

Madame Michèle COLIN, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,

Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL,

Vu le jugement rendu le 8 octobre 2014 par le Conseil de prud'hommes de Boulogne-Billancourt ayant dit que le départ en retraite de madame [Y] était sans équivoque, l'ayant déboutée de toutes ses demandes et ayant mis les dépens à sa charge.

Vu la déclaration d'appel de madame [Y] reçue au greffe de la Cour le 3 novembre 2014.

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 30 mars 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de madame [T] [Y] qui demande à la Cour de :

- infirmer le jugement et condamner la société PIERRE ETOILE à lui payer les sommes de :

- 7 500 euros à titre d'indemnité pour privation de son droit à congés payés,

- 5 922,45 euros à titre de rappel de salaire sur commissions pour le programme de [Localité 1] outre 280 euros pour les congés payés afférents,

- 11 667,40 euros à titre de rappel de salaires sur commissions sur le programme Terra Natura outre 1 116,67 euros pour les congés payés afférents, ou, subsidiairement, 10 267,31 euros à titre d'indemnité en réparation du préjudice résultant pour elle de la réduction unilatérale de son portefeuille de biens sur le programme Terra Natura,

- 1 933,80 euros à titre d'indemnité pour privation du droit à récupération des jours fériés travaillés,

- 293 euros à titre de rappel de salaires pour majoration de salaire le 1er mai outre 29,30 euros pour les congés payés afférents,

- 3 304,80 euros à titre de rappel de salaire sur heures supplémentaires, outre 330,48 euros pour les congés payés afférents,

- 43 951,92 euros à titre d'indemnité pour travail dissimulé,

- 1 343,80 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 134,38 euros pour les congés payés afférents,

- 3 946,95 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 43 951,92 euros à titre d'indemnité pour harcèlement moral,

- 40 271,45 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

le tout assorti des intérêts au taux légal avec capitalisation.

Vu les écritures régulièrement communiquées et oralement soutenues à l'audience du 30 mars 2016 auxquelles il est renvoyé pour l'exposé des moyens de la société PIERRE ETOILE qui demande à la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et condamner madame [Y] à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

En application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE LA COUR :

Madame [Y] a été engagée en contrat à durée indéterminée le 21 avril 2008 par la société PIERRE ETOILE en qualité de négociatrice commerciale, niveau 2 échelon 3 coefficient 163 de la convention collective de l'Immobilier pour un salaire composé d'un fixe de 1 300 euros sur 12 mois et d'une rémunération variable correspondant à 0,50 % du chiffre d'affaires qu'elle réalisait.

La rémunération brute des douze derniers mois s'élevait à 7 325,32 euros.

La société PIERRE ETOILE, qui a pour activité la prestation de services de promotion, construction, conseil, commercialisation et toute activité dans le domaine de l'immobilier, emploie habituellement plus de 10 salariés.

Le 1er janvier 2011, madame [Y] faisait valoir ses droits à la retraite.

C'est dans ces conditions qu'estimant ne pas avoir été remplie de ses droits, elle saisissait le Conseil de prud'hommes qui rendait la décision dont appel.

Sur l'exécution du contrat de travail :

Sur la privation des droits à congés :

Madame [Y] soutient que depuis son embauche en 2008 et jusqu'au mois de février 2010, elle n'a pas bénéficié de congés payés à l'exception d'une semaine au mois de novembre 2009, l'employeur la contraignant à travailler sans relâche.

L'employeur rétorque qu'elle a bénéficié de 6 jours en novembre 2009, et que pour les congés d'été 2009, c'est elle qui a demandé un aménagement spécifique de son temps de travail que la société a accepté.

La Cour constate en premier lieu que monsieur [D], président de la société, s'est inquiété aux termes de son mail du 23 mars 2010, de n'avoir aucune demande de congés de madame [Y] depuis le 1er juin 2009.

En tout état de cause, les pièces produites mettent en évidence que madame [Y] a bénéficié de congés payés à raison de 6 jours au mois de novembre 2009 et 14 jours au mois d'août 2010. Au surplus, aux termes de son mail du 29 juin 2009, c'est elle-même qui a indiqué qu'elle 'souhaitait rester disponible cet été (juillet et août) aux fins de vendre le plus vite possible les 7 lots qui lui restaient en bénéficiant d'aménagements', demande à laquelle l'employeur a fait droit.

Enfin, aucune demande de congés refusée n'est produite aux débats.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments qu'il n'est pas établi que madame [Y] ait été privée de son droit à congés du fait de l'employeur.

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande de ce chef.

Sur les rappel de commissions :

Les commissions dues au titre du programme de [Localité 1] :

Madame [Y] soutient qu'elle a été privée de commissions pour deux transactions dont l'une au profit d'une collègue, madame [W], et l'autre à son profit, alors que son contrat prévoyait une commission de 0,5 % du chiffre d'affaires sans restriction, que la ristourne dont elle a bénéficié n'était pas exceptionnelle, et que les frais de notaire étaient offerts à la majorité des clients.

La société PIERRE ETOILE rétorque que les commissions ne sont dues qu'en contrepartie de l'exécution complète par le salarié des missions qui lui sont imparties.

Madame [Y] ne saurait dès lors réclamer des commissions pour des ventes n'ayant nécessité aucun travail, en l'occurrence une vente à un collaborateur de PIERRE ETOILE et une autre à elle-même, sachant au surplus qu'elle a bénéficié d'une ristourne commerciale de 15,11 % et de la gratuité des frais de notaire qui lui ont été offerts.

La Cour constate que madame [Y], qui décrit elle-même aux termes de ses écritures, les tâches nombreuses qu'il lui appartenait d'effectuer avant de concrétiser une vente

(démarchage téléphonique, élaboration des contrats de réservation, relance par courriel et par téléphone, obtention des crédits immobiliers, échange avec les notaires, rendez-vous de signature, etc), ne peut soutenir qu'en l'absence de travail similaire, s'agissant de la vente à une collègue et à elle-même, elle pouvait prétendre au paiement de la commission, sachant au surplus que les conditions de vente qui lui ont été consenties se sont avérées particulièrement avantageuses, conditions dont elle ne démontre pas, ainsi qu'elle le soutient, qu'elles bénéficiaient à tout un chacun.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de cette demande.

Les commissions dues au titre du programme du BOURGET :

Madame [Y] soutient qu'elle s'est vu confier par avenant la commercialisation des 86 logements du programme Terra Natura du Bourget dont l'employeur a retiré unilatéralement 14 appartements du portefeuille. Il s'agissait d'une modification d'un élément essentiel de son contrat de travail qui lui était d'autant plus préjudiciable que ce retrait portait sur les biens les plus faciles à vendre, à savoir les studios et deux pièces sur jardin.

La société PIERRE ETOILE rétorque que 12 appartements de la cage C n'ont jamais été confiés à la vente puisqu'ils ont toujours été réservés à des partenaires de PIERRE ETOILE, ce qui était parfaitement connu de madame [Y] qui n'a formulé en son temps aucune contestation.

La Cour constate cependant que par avenant du 23 mars 2008, l'employeur a confié à madame [Y] la commercialisation du programme immobilier Terra Natura comprenant 86 logements, le dit avenant prévoyant que toute extension, diminution ou modification de la mission devait se faire également par avenant.

Or, aucun avenant en ce sens n'est produit aux débats.

Par ailleurs, l'employeur ne saurait soutenir que madame [Y] n'a formulé aucune contestation, sachant qu'aux termes de son mail du 31 juillet 2010, elle a déploré 'le stock réduit pour majorité à des 3 et 4 pièces qu'on lui donnait à vendre'.

Il s'ensuit qu'il s'agit d'une modification unilatérale de son portefeuille de biens et donc une perte de chance d'accroître sa rémunération variable et qu'il y a lieu de lui allouer en réparation une indemnité de 5 000 euros.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur la privation du droit à la récupération des jours fériés travaillés et sur la majoration de salaire due pour le 1er mai :

Madame [Y] soutient qu'elle a été systématiquement obligée de travailler les jours fériés, y compris le 1er mai, sans contrepartie de la part de l'employeur.

Elle indique avoir travaillé les 1er, 8 13,24 mai 2010, le 1er et le 11 novembre 2011 et qu'elle n'a bénéficié d'aucun jour de récupération pour ces jours travaillés et pas davantage de la majoration de salaire de 100 % pour chaque 1er mai travaillé.

Elle sollicite en conséquence la somme de 1 933,80 euros à titre d'indemnité pour privation du droit à récupération de ces jours travaillés, outre la somme de 293 euros correspondant à la majoration de 100 % pour le 1er mai.

L'employeur rétorque que le travail les jours fériés sur les bureaux de vente est un usage dans le domaine de la promotion immobilière et que madame [Y], directement intéressée par la commercialisation des programmes, a fait le choix de travailler les jours fériés sans que ne soit apportée la preuve d'une quelconque pression de l'employeur.

Il résulte de la convention collective de la promotion immobilière que les heures de travail effectuées un jour férié donnent lieu à une récupération d'une durée identique à prendre selon les modalités à définir entre l'entreprise et le salarié concerné.

Par ailleurs, il résulte de l'article L.3133-6 du code du travail que dans les établissements et services qui, en raison de la nature de leur activité, ne peuvent interrompre le travail, les salariés occupés le 1er mai ont droit, en plus du salaire correspondant au travail accompli, à une indemnité égale au montant de ce salaire à la charge de l'employeur.

La Cour constate que l'employeur ne conteste pas que madame [Y] a travaillé sur l'ensemble des jours fériés qu'elle a listés.

Il ne rapporte pas la preuve, ce qui ne saurait en tout état de cause l'exonérer de son obligation de proposer des compensations , que la décision de travailler les jours dits relèverait du seul bon vouloir de madame [Y], le courriel de monsieur [E] du 27 avril 2010 rappelant que ' les 1er et 8 mai sont des jours d'activité pour le bureau de vente' tendant à établir le contraire.

Il s'ensuit qu'il y a lieu de faire droit à la demande de madame [Y] en lui allouant la somme de 1 933,80 euros en compensation des jours fériés travaillés et celle de 293 euros au titre de la majoration de salaire due pour le 1er mai, outre 29,30 euros pour les congés payés afférents.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur les heures supplémentaires :

Aux termes de l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail effectuées, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié ; le juge forme sa conviction au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.

Si la preuve des horaires de travail effectués n'incombe ainsi spécialement à aucune des parties et si l'employeur doit être en mesure de fournir des éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié, il appartient cependant à ce dernier de fournir préalablement au juge des éléments de nature à étayer sa demande.

En l'espèce, madame [Y] expose qu'aux termes de son contrat, elle était soumise à une durée hebdomadaire de travail de 35 heures qui, compte tenu de sa charge de travail, était systématiquement dépassée. Elle soutient qu'elle a travaillé 270 heures supplémentaires de 2008 à 2010, ses fonctions l'exposant à des dépassements d'horaires dus notamment aux signatures tardives chez le notaire, des réunions au siège etc.

Pour étayer ses dires, elle produit notamment :

- trois tableaux décomptant semaine par semaine les heures supplémentaires effectuées pour 2008, 2009 et 2010,

- des remboursements de notes de frais mettant en évidence ses déplacements,

- un échange de courriels avec l'employeur du 12 avril 2010 aux termes duquel elle indique 'qu'elle n'a jamais compté ni son temps ni son énergie à défendre les intérêts de la société'.

La salariée produit ainsi des éléments préalables qui peuvent être discutés par l'employeur et qui sont de nature à étayer sa demande.

L'employeur expose que l'amplitude horaire d'ouverture des points de vente pour recevoir la clientèle n'est que de 29H par semaine et qu'il est demandé en sus aux négociateurs de se rendre une fois par semaine au siège pour faire un point sur l'avancement de la commercialisation, préparer des documents etc, à raison de 2 à 3 heures de présence, soit en tout 32 heures par semaine.

Il soutient que les tableaux produits par madame [Y] ne sont pas crédibles dans la mesure où elle ne pouvait se rendre du bureau de vente au siège le soir, le bureau de vente fermant à 19H alors que le siège fermait à 18H, et qu'elle comptabilise des heures supplémentaires pour des semaines où elle était en congés en mars et novembre.

La Cour observe que madame [Y] n'était pas en vacances en mars 2010 comme le soutient l'employeur, la mention portée en ce sens sur son bulletin de salaire correspondant à la régularisation de ses congés de novembre 2009, et qu'elle ne comptabilise aucune heure supplémentaire pour les six jours de congés qu'elle a pris en novembre 2009 et pas davantage pour les semaines qu'elle a pris en août 2010.

Au surplus, le tableau de remboursement de ses frais de déplacement, s'il met en évidence de nombreux trajets de son domicile à son lieu de travail et inversement, lesquels n'ont pas à être comptabilisés au titre des heures de travail, mentionne également de nombreux trajets siège/bureau de vente/siège mettant en évidence que ses visites au siège étaient plus nombreuses qu'une fois par semaine (6 en mai 2010, 20 en juin, 23 en juillet ), outre le temps de trajet (une heure entre le siège et le bureau de vente) qui en l'espèce devait être comptabilisé.

Il en résulte qu'au vu des éléments produits de part et d'autre et sans qu'il soit besoin d'une mesure d'instruction, la Cour a la conviction, au sens du texte précité, que madame [Y] a bien effectué des heures supplémentaires non rémunérées.

Il y a lieu, en conséquence, de faire droit à sa demande à hauteur de la somme de 3 000 euros, outre 300 euros pour les congés payés afférents.

Sur l'indemnité pour travail dissimulé :

Selon l'article L.8221-5, 2° du code du travail, est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paye un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli.

Toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ce texte n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.

Aucun élément ne permet d'établir que l'employeur ait agi de manière intentionnelle, sachant que madame [Y] travaillait essentiellement sur des points de vente de programmes immobiliers, et que l'employeur, qui travaillait au siège, a pu ne pas prendre toute la mesure des heures de travail réellement accomplies par la salariée.

Il y a lieu, en conséquence, de confirmer le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en ce sens.

Sur le harcèlement moral :

Aux termes de l'article L.1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

L'article L.1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

En l'espèce, madame [Y] invoque les faits suivants :

- des conditions matérielles de travail délétères : pour assurer la commercialisation du programme Terra Natura, elle avait dû travailler dans un préfabriqué très mal isolé (35 ° en période estivale, très froid en hiver) ne disposant pas d'un sanitaire fonctionnel ni d'un point d'eau et présentant des coupures d'électricité fréquentes. Elle avait alerté à plusieurs reprises son employeur sur ce point mais rien n'avait été fait.

Au mois de juillet 2010, elle était d'ailleurs tombée malade.

- le comportement brutal et hostile de son supérieur, monsieur [E], lequel l'a privée d'une partie de ses tickets restaurants, a formulé à son encontre des critiques incessantes, l'a sollicitée pendant ses congés, lui a tenu des propos désobligeants, lui a refusé injustement une journée de congés, lui a donné des directives intenables pour la placer en situation d'échec et l'a finalement évincée de la cérémonie lors de laquelle le programme de Terra Natura a été lauréat du concours des 'Grands [Localité 3] du logement', alors qu'elle s'était pleinement consacrée à ce programme.

L'attitude de monsieur [E] avait eu pour effet de dégrader ses conditions de travail et sa santé psychique.

Pour étayer ses affirmations, elle produit notamment :

- des photos du préfabriqué,

- des échanges de mails nombreux avec son employeur, notamment monsieur [E], dont il ressort que le compteur électrique ne cessait de disjoncter et la climatisation de dysfonctionner, situation qui est restée en l'état en dépit des interpellations nombreuses de madame [Y] . Il en ressort également que monsieur [E] a refusé une journée de congés à madame [Y] en juillet, alors même qu'elle lui a rappelé qu'elle avait travaillé tous les jours fériés sur sa demande et qu'elle n'avait pratiquement pas pris de vacances.

L'échange de mails du 12 août 2010, met en évidence qu'en dépit du fait que madame [Y] était en congés, monsieur [E] lui reproche 'de ne pas remplir sa mission de manière satisfaisante et de ne pas appliquer scrupuleusement les directives qui lui sont données'.

Dès son retour le 25 août, il lui est demandé par mail de 'recontacter 500 personnes' pour savoir s'ils souhaitent investir et ce pour la semaine suivante.

Aux termes de son mail du 20 septembre 2010, monsieur [E] lui fait part de ce qu'il n'est 'pas satisfait du tout de son rapport sur le financement des clients' , l'interpellant en ces termes et sous cette forme : 'ALORS, C'EST FAIT MAINTENANT OU PAS '' , et le 28 octobre suivant, il l'interpelle en ces termes : 'un peu de sérieux et de concret madame'.

- une ordonnance médicale et une attestation médicale dont il ressort d'une part qu'elle a souffert d'un problème pharingique en juillet 2010 et d'autre part qu'elle a vécu sa fin de carrière de manière douloureuse compte tenu de ses difficultés avec son employeur,

- une dizaine d'attestations de collègues ou amis dont il résulte qu'elle a évoqué la dégradation de ses conditions de travail suite à l'arrivée de monsieur [E], notamment celle de madame [A] [W], qui atteste avoir pu constater les mauvais traitements dont madame [Y] étaient quotidiennement victime, à savoir des pressions, remarques désobligeantes et brimades, notamment de la part de monsieur [E],

- des attestations de clients louant ses qualités professionnelles et mettant en évidence qu'elle a été évincée du programme Terra Natura.

Madame [Y] établit ainsi l'existence matérielle de faits précis et concordants qui pris dans leur ensemble permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral à son encontre.

L'employeur fait valoir que monsieur [E] exerçe ses fonctions depuis 20 ans au sein de la société ; qu'il n'existait pas de lien hiérarchique direct entre lui et madame [Y]; que les remarques qui lui ont été faites étaient justifiées, des retards et carences dans l'exécution de ses missions ayant été constatées ; que les attestations qu'elle produit ne sont pas probantes, notamment celle de madame [A] [W] qui travaillait au siège alors que madame [Y] travaillait en bureau de vente ; que la suppression de ses tickets restaurant n'était pas une brimade mais un réajustement en fonction de ses horaires de travail ; que la demande visant à relancer 500 contacts était seulement le rappel d'une tâche pour laquelle elle s'était montrée défaillante ; que seules trois invitations avaient été délivrées à la société pour le concours 'les grands [Localité 3] du logement, ce qui n'avait pas permis d'inviter madame [Y] ; que trois salariés attestent de ce qu'ils n'ont jamais rencontré de problèmes de harcèlement ; que le bureau de vente du programme du Bourget n'était pas un préfabriqué mais un local vitré avec un WC chimique vidé une fois par semaine ; qu'il a appelé à 6 reprises un technicien pour résoudre le problème de la climatisation qui n'a constaté aucune anomalie ; qu'un salarié atteste ne pas avoir rencontré de problème dans ce local .

La Cour constate que quand bien même monsieur [E] ne serait pas le supérieur hiérarchique de madame [Y], il est cependant fréquemment à l'origine des messages qui lui sont adressés.

Par ailleurs, à supposer que madame [Y] ait connu des retards et carences dans l'exécution de ses missions, cela ne saurait justifier le ton comminatoire et brutal employé par monsieur [E] pour la rappeler à l'ordre, notamment alors qu'elle était en congés.

La commande du lendemain de son retour de congés visant à lui faire rappeler 500 contacts pour la semaine suivante, à supposer qu'il s'agisse du 'rattrapage ' d'un travail non fait, présente manifestement toutes les caractéristiques d'une brimade, de même que le jour de congés refusé par monsieur [E], compte tenu de la disponibilité dont madame [Y] faisait habituellement preuve, le jour sollicité étant au surplus un dimanche.

La circonstance selon laquelle plusieurs salariés témoignent ne pas avoir rencontré des problèmes de harcèlement moral dans l'entreprise n'est pas de nature à établir qu'aucun salarié n'en aurait été victime, sachant qu'aucun élément ne permet de remettre en cause l'objectivité et la sincérité des attestations produites par madame [Y], notamment celle de madame [A] [W], sachant qu'il a été démontré ci-dessus que madame [Y] se rendait très fréquemment au siège où elle se trouvait en présence de monsieur [E].

Enfin, l'employeur ne démontre pas que seules trois invitations pour le concours 'Les Grands Paris du Logement ' avaient été adressées à la société et qu'il ne pouvait y associer madame [Y], sachant qu'il reconnaît que le dossier de candidature a été monté avec elle.

S'agissant des problèmes de locaux, la Cour constate qu'aux termes de son mail du 12 avril 2010, monsieur [E] n'impute pas à madame [Y] le dysfonctionnement de la climatisation mais reconnaît tout au contraire qu'il s'agit d'un problème récurrent, sachant que madame [Y] a formellement contesté ne pas savoir utiliser l'équipement.

L'employeur ne conteste pas l'existence d'un WC chimique vidé seulement une fois par semaine.

L'employeur échoue ainsi à démontrer que les faits matériellement établis par madame [Y] sont justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Le harcèlement moral est en conséquence établi.

Il y a lieu, dès lors, de faire droit à la demande d'indemnisation de ce chef de madame [Y] à hauteur de la somme de 10 000 euros.

Le jugement sera réformé en ce sens.

Sur la rupture du contrat de travail :

Le départ en retraite doit résulter d'une volonté claire et non équivoque du salarié. S'il remet en cause ce départ en raison de manquements de l'employeur, il peut en obtenir du juge la requalification en prise d'acte de la rupture produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Le salarié doit rapporter la preuve des manquements qu'il invoque à l'encontre de l'employeur, lesquels doivent être suffisamment graves pour empêcher la poursuite de la relation de travail.

Au soutien de sa demande de requalification, madame [Y] invoque les manquements de l'employeur suivants :

- privation de son droit à congés payés,

- défaut de paiement des commissions,

- défaut de compensation lié au travail des jours fériés,

- défaut de paiement des heures supplémentaires,

- harcèlement moral.

Elle fait valoir que ces manquements l'ont conduite à prendre sa retraite alors même qu'étant engagée dans un remboursement de crédit immobilier, elle a été contrainte de compléter sa pension de retraite en travaillant en qualité d'indépendant .

Elle n'avait formulé aucune réserve dans sa lettre de prise de retraite car d'une part elle avait peur d'être 'débarquée' du programme Terra Natura et privée d'une partie plus importante encore de ses commissions et d'autre part, le logement qu'elle avait acheté à l'entreprise présentant des malfaçons, elle gardait l'espoir, en ne faisant pas de 'vagues', de pouvoir bénéficier de l'aide de son employeur pour régler ces difficultés.

La société PIERRE ETOILE rétorque que madame [Y] a formalisé un départ à la retraite sans réserve, qu'elle a réellement fait valoir ses droits à la retraite et que ce n'est que 15 mois plus tard qu'elle a exprimé certains griefs qui n'avaient jamais fait l'objet de réclamations antérieures justifiant une requalification en prise d'acte.

Il résulte des développements qui précèdent que quatre des manquements invoqués par madame [Y] sont établis et qu'ils sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail, s'agissant notamment d'atteintes à la rémunération de la salariée, à son droit à récupération et à ses conditions de travail.

S'agissant du caractère tardif de l'évocation des griefs et de la demande de requalification, la Cour constate que dès décembre 2011, soit juste un an après son départ de la société PIERRE ETOILE, madame [Y], par la voix de son conseil, a écrit un courrier à son employeur récapitulant l'ensemble de ses doléances à son égard dans l'éventualité d'une issue négociée.

Ce n'est qu'à défaut d'une telle issue qu'elle a saisi le Conseil de prud'hommes.

Ce délai d'un an ne saurait être considéré comme excessif, compte tenu de l'âge de madame [Y], des difficultés auxquelles elle a dû faire face en quittant son emploi, notamment la nécessité d'engager une procédure judiciaire afférente aux malfaçons du logement qu'elle avait acquis et de rechercher une source de revenus complémentaires, sa retraite n'étant pas à taux plein et s'avérant insuffisante à payer son crédit immobilier.

Il s'ensuit que sa prise de retraite doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Madame [Y] peut en conséquence prétendre au paiement des indemnités de rupture de même qu'à celle prévue à l'article L.1235-3 du code du travail.

Il y a lieu, en conséquence, de lui allouer la somme de 3 946,95 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement et celle de 1 343,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 134,38 euros pour les congés payés afférents, sommes qui ont été justement évaluées au vu des éléments de la cause et dont les montants ne sont pas contestés par l'employeur.

Il y a lieu également de condamner l'employeur à lui payer la somme de 40 271,45 euros au titre de l'indemnité prévue à l'article L.1235-3 précité, cette somme correspondant à ses six derniers mois de salaire.

Le jugement entrepris sera réformé en ce sens.

Sur les demandes accessoires :

Partie succombante, la société PIERRE ETOILE sera déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, condamnée à payer à madame [Y] la somme de 2 500 euros sur le même fondement ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel.

Les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la présentation à l'employeur de la lettre de convocation devant le bureau de conciliation du Conseil de prud'hommes et les créances indemnitaires à compter de la mise à disposition au greffe du présent arrêt.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant, par arrêt contradictoire,

INFIRME le jugement entrepris ;

STATUANT à nouveau sur les chefs infirmés,

DIT que la prise de retraite de madame [Y] doit s'analyser en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société PIERRE ETOILE à payer à madame [Y] les sommes de :

- 5 000 euros en réparation du préjudice résultant de la réduction de son portefeuille de biens sur le programme Terra Natura,

- 1 933,80 euros à titre d'indemnité pour privation du droit à récupération des jours fériés travaillés,

- 293 euros, outre 29,30 euros de congés payés afférents à titre de rappel de salaire pour la majoration du 1er mai,

- 3 000 euros au titre des heures supplémentaires effectuées et non rémunérées, outre 300 euros pour les congés payés afférents,

- 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour le préjudice résultant du harcèlement moral,

- 1 343,80 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis, outre 134,38 euros pour les congés payés afférents,

- 3 946,95 euros au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 40 271,45 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que les créances salariales produiront intérêts au taux légal à compter de la présentation à l'employeur de sa lettre de convocation devant le bureau de conciliation du Conseil de prud'hommes avec capitalisation et les créances indemnitaires à compter de la mise à disposition au greffe du présent arrêt ;

CONFIRME le jugement pour le surplus ;

Y AJOUTANT,

DEBOUTE la société PIERRE ETOILE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

LA CONDAMNE à payer à madame [Y] la somme de 2 500 euros sur le même fondement ;

LA CONDAMNE aux dépens de première instance et d'appel.

Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats, en application de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Mme COLIN, président, et Mme BEUREL, greffier.

Le GREFFIER Le PRESIDENT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 15e chambre
Numéro d'arrêt : 14/04752
Date de la décision : 11/05/2016

Références :

Cour d'appel de Versailles 15, arrêt n°14/04752 : Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2016-05-11;14.04752 ?
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