COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80C
15e chambre
ARRET N°
contradictoire
DU 03 DECEMBRE 2014
R.G. N° 13/03150
AFFAIRE :
[J] [R]
C/
SNC L'EQUIPE
Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 20 Juin 2013 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de BOULOGNE BILLANCOURT
N° RG : 12/00202
Copies exécutoires délivrées à :
Me Gilles MOUSSAFIR
la SCP SUTRA CORRE ET ASSOCIES
Copies certifiées conformes délivrées à :
[J] [R]
SNC L'EQUIPE
le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS DECEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [J] [R]
[Adresse 1]
[Localité 2]
comparant en personne, assisté de Me Gilles MOUSSAFIR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0562
APPELANT
****************
SAS L'EQUIPE
[Adresse 2]
[Adresse 3]
[Localité 1]
représentée par Me Romain SUTRA de la SCP SUTRA CORRE ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0171
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 Octobre 2014, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :
Madame Michèle COLIN, Président,
Madame Marie-Hélène MASSERON, Conseiller,
Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL,
EXPOSE DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Monsieur [J] [R] a été embauché par la société SEPS, aux droits de laquelle se trouve la SAS l'EQUIPE, par contrat à durée indéterminée à effet au 1er novembre 1982 en qualité de rédacteur. Il avait précédemment collaboré avec l'entreprise en fournissant des piges.
Monsieur [R] a occupé plusieurs postes et en dernier lieu, celui de Directeur de la Rédaction du journal France Football depuis le 1er janvier 2008.
La rémunération mensuelle de M. [J] [R] s'élevait en dernier lieu à 11.471,64 euros bruts.
La relation contractuelle était soumise à la convention collective nationale des journalistes.
La société compte plus de dix salariés.
Le 25 novembre 2011, M. [J] [R] était convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement pour faute grave. La convocation était assortie d'une mise à pied à titre conservatoire.
Par lettre datée du 12 décembre 2011, M. [J] [R] se voyait notifier son licenciement pour cause réelle et sérieuse avec dispense d'effectuer son préavis.
M. [J] [R] saisissait le Conseil de Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT le 7 février 2012.
Par jugement du 20 juin 2013, le conseil de prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT a :
-Dit que le licenciement de M. [J] [R] reposait sur une cause réelle et sérieuse;
-Débouté M. [J] [R] de l'ensemble de ses demandes ;
-Débouté la SNC L'EQUIPE de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
-Laissé les dépens à la charge de M. [J] [R].
Monsieur [R] a régulièrement relevé appel de la décision.
Dans ses dernières conclusions, il demande à la cour d'infirmer le jugement rendu par le conseil des prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT le 20 juin 2013 et de :
-Dire et juger son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
-Dire et juger vexatoires les conditions dudit licenciement ;
-Condamner la société L'EQUIPE à lui verser les sommes suivantes :
*550.638,72 euros au titre de l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse;
*13.013,28 euros au titre des journées de RTT non récupérées ;
*21.294,47 euros au titre des 18 jours de récupération.
-Condamner la société L'EQUIPE à la publication par voie de presse du jugement à intervenir, sous astreinte de 500 € par jour à compter de sa notification, dans trois grands quotidiens nationaux dont Le Monde, ainsi que dans le journal FRANCE FOOTBALL ;
-Condamner la société L'EQUIPE à lui verser la somme de 20.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et au remboursement de la somme de 310 € correspondant aux frais de saisine de la Commission Arbitrale des Journalistes, ainsi qu'aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions, la SAS L'EQUIPE demande à la cour de :
-Confirmer le jugement du Conseil de Prud'hommes de BOULOGNE-BILLANCOURT en date du 20 juin 2013 en ce qu'il a débouté M. [J] [R] de l'ensemble de ses demandes ;
-Condamner M. [J] [R] au paiement de la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur le licenciement pour cause réelle et sérielle
Aux termes de la lettre de licenciement qui fixe les limites du litige, la société l'EQUIPE reproche à Monsieur [R] 4 griefs :
- alors qu'il était le directeur de la rédaction de FRANCE FOOTBALL depuis le 1er janvier 2008, de ne pas avoir réussi à redresser la situation, le chiffre d'affaires n'ayant cessé de diminuer depuis 2008 avec les pertes qui en découlent ;
- son management de l'équipe de rédaction de France Football ;
- deux incidents concernant l'insertion d'un encart publi-rédactionnel entraînant une confusion entre la publicité et le rédactionnel ;
- l'envoi de mails déplacés à son employeur et la large publicité donnée à l'engagement de la procédure de licenciement.
Monsieur [R] conteste les 4 manquements qui lui sont reprochés. Il fait valoir en particulier qu'en 30 ans d'activité professionnelle, il n'a jamais fait l'objet de la moindre critique quant à son management et qu'au contraire de nombreux salariés attestent de ses capacités de manager ; que les seules critiques émises sont apparues postérieurement à son licenciement, dans des attestations de salariés ne faisant état que d'un ressenti et placés sous la subordination de l'employeur ce qui ôte tout caractère objectif aux témoignages ; que la décision de le licencier était prise dès le 14 novembre 2011 lors d'un entretien avec Monsieur [F] ; que la chute des ventes du journal et l'insertion de deux encarts publi-rédactionnels ne relèvent pas de sa responsabilité ; que s'agissant enfin des mails adressés à son employeur, leur contenu ne saurait justifier une mesure de licenciement.
Il soutient que le vrai motif de son licenciement est politique et lié à sa volonté de publier une interview de [W] [O] sur le foot, publication refusée par sa direction au mépris de la liberté d'expression.
La société l'EQUIPE soutient que Monsieur [R] n'a pris aucune initiative pour enrayer la baisse des ventes du journal ; qu'il a également laissé publier des publi-rédactionnels dont la confusion avec des articles rédigés par des journalistes était évidente ; que plusieurs collaborateurs ont remis en cause son mode de management et les mises à l'écart dont ils ont fait l'objet ; qu'enfin, il a adressé à son supérieur hiérarchique et directeur général de la société, Monsieur [F] des mails agressifs et déplacés.
Sur le motif politique invoqué par Monsieur [R], la société fait valoir qu'elle n'a pas jugé judicieuse la publication d'une interview de [W] [O] seul, compte tenu de la période pré électorale, ce qui relève de son pouvoir de direction, et qu'elle justifie de la publication ultérieure de l'article litigieux en respectant un équilibre politique.
En application des articles L1232-1 et L1232-6 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse et la lettre de licenciement doit comporter l'énoncé du motif invoqué par l'employeur. Celui ci doit être matériellement vérifiable. Pour fonder une mesure de licenciement, la faute reprochée par l'employeur doit être au moins sérieuse.
sur les manquements commis dans le management
La lettre de licenciement précise :
'A plusieurs reprises, des collaborateurs de l'équipe de la Rédaction nous ont saisis pour nous faire part de votre management qu 'ils considéraient comme n 'étant pas acceptable. Nous avons toujours tenté de vous soutenir et d'améliorer ce qui pouvait l'être dans les relations difficiles que vous entreteniez avec certains collaborateurs mais vous avez décidé de ne pas vous amender, bien au contraire. Depuis l'été dernier, nous avons été alertés vivement par deux collaborateurs de la rédaction qui ont mis en cause votre attitude vis-à-vis d'eux mêmes mais également vis-à-vis d'autres collaborateurs de l'équipe ; cette attitude se caractérise selon leurs termes notamment par des brimades, du mépris, une mise à l'écart. Votre attitude a amené le premier collaborateur à quitter la Rédaction en 2011 et le second collaborateur à nous écrire officiellement en novembre 2011 pour se plaindre très clairement de votre attitude qu'il qualifie de «harcèlement managérial» ayant des conséquences sur son état de santé...'
Par courrier du 18 novembre 2011, Monsieur [M] écrivait à la directrice des ressources humaines de la société l'Equipe pour lui rappeler les difficultés rencontrées avec Monsieur [R] et qui perduraient en octobre 2011 entraînant un arrêt de travail.
Il précisait notamment que 'mes fonctions, missions et responsabilités de rédacteur en chef adjoint ont été progressivement vidées de leur substance, Monsieur [R] m'a mis professionnellement à l'écart... ; comment admettre qu'après 12 ans d'activité professionnelle en qualité de rédacteur en chef adjoint, on m'affecte au suivi d'un match de ligue 1 ; comment fonctionner avec une personne qui de manière ouverte refuse de me saluer depuis plus de trois ans alors qu'il salue individuellement les personnes autour de moi ; je suis aujourd'hui totalement marginalisé..., je dois subir un harcèlement managérial... avec une forte dégradation de mes conditions de travail'.
L'employeur produit des attestations d'autres journalistes ayant travaillé avec Monsieur [R] et qui mentionnent notamment :
- 'jusqu'au départ de [J] [R], je ne me suis jamais senti totalement bien dans la rédaction sur laquelle il faisait peser une chape de plomb qui ne favorisait ni les relations humaines ni le travail..., j'ai longtemps travaillé avec une boule dans le ventre' (Monsieur [V]),
- 'il m'est apparu durant nos treize années de collaboration, qu'il fonctionnait souvent en mode binaire avec d'un côté ceux qui étaient d'accord avec lui et de l'autre... tous les autres, une vision manichéenne qui supportait de fait forcément très peu la contradiction et limitait trop souvent les échanges... ; un management cassant qui pouvait aller parfois jusqu'au dénigrement de ses propres collaborateurs les plus proches' (Monsieur [L]),
- 'son management est catastrophique, avec lui pas de place pour le mérite, tout est basé sur le copinage. Celui qui n'est pas d'accord avec lui est écarté ou ignoré. Le débat est possible mais il vaut mieux lui donner raison à la fin. Dans le cas contraire, vous n'obtenez que du mépris de sa part' (Monsieur [Z]),
- 'depuis le début, nous avons été l'objet d'ostracisme de la part de Monsieur [R] et un climat pesant a toujours régné dans la rédaction car nous n'avons pas été les seuls dans ce cas..., depuis le changement de direction, nous avons tous eu la possibilité de nous exprimer individuellement et en toute sérénité' (Monsieur [T]),
- 'les raisons qui m'ont amené à demander à quitter France Football... correspondent aussi en partie au constat que j'ai opéré début 2011 que je ne souhaitais plus travailler...dans le cadre du management exercé par Monsieur [R].... Je considérais ne plus pouvoir accréditer un fonctionnement que j'estimais basé sur une pratique le plus souvent solitaire et autoritaire du pouvoir de Monsieur [R]' (Monsieur [C]).
Les témoignages, contenus dans ces attestations fournies par l'employeur au soutien de ses griefs, ne peuvent être considérés comme étant faits par complaisance au seul motif qu'ils émanent de personnes ayant des liens avec l'employeur, sans éléments objectifs de nature à pouvoir suspecter leur sincérité.
Si Monsieur [R] produit, pour sa part, les attestations de plusieurs salariés de l'EQUIPE mentionnant notamment son professionnalisme et ses capacités de diriger une équipe, elles ne sauraient remettre en cause la description concordante de son attitude inadaptée et autoritaire vis à vis de certains membres de la rédaction qui a eu des répercussion sur leurs conditions de travail pouvant aller jusqu'à un arrêt de travail dans le cas de Monsieur [M].
Ainsi, ce premier grief est avéré.
Le salarié n'établit pas, comme il le soutient, que son licenciement serait en réalité fondé sur un autre motif non visé dans la lettre de licenciement.
Sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres manquements visés dans la lettre de licenciement, l'employeur établit ainsi une faute au moins sérieuse de Monsieur [R] dans son management de ses collaborateurs justifiant la mesure prise à son encontre.
Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a jugé le licenciement de Monsieur [R] fondé sur une cause réelle et sérieuse.
Sur les conditions du licenciement
Monsieur [R] soutient que les circonstances entourant son licenciement ont été particulièrement vexatoires puisqu'il a fait l'objet d'une mise à pied, ses affaires personnelles lui ayant été adressées à son domicile ; qu'il a également fait l'objet d'une campagne de dénigrement manifestée notamment par les déclarations de son employeur au journal Le Monde le 22 décembre 2011.
La société fait valoir qu'elle avait envisagé une sanction pouvant aller jusqu'à un licenciement pour faute grave mais qu'elle a tenu compte de l'ancienneté de Monsieur [R] pour retenir une cause réelle et sérieuse ; qu'aucun abus n'a été commis dans la mise en oeuvre de la procédure ; que ses affaires personnelles lui ont été restituées.
Eu égard à la nature du grief reproché à Monsieur [R] dans la direction de son équipe, la mesure de mise à pied à titre conservatoire n'était pas disproportionnée, même si finalement l'employeur a choisi de retenir une cause réelle et sérieuse. De même, les déclarations de Monsieur [F] dans la presse ne mentionnent pas de termes excessifs et interviennent alors que d'autres articles étaient parus quand au différend ayant opposé Monsieur [R] à son employeur. Enfin, les affaires personnelles de Monsieur [R] lui ont été restituées et il ne justifie donc pas de circonstances vexatoires à l'appui de sa demande de publication de l'arrêt.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il l'a débouté de sa demande de ce chef.
Sur le paiement des jours de RTT et de récupération
Monsieur [R] soutient qu'au moment de son licenciement, il lui était dû 11 journées de RTT ainsi que de 18 jours de récupération dont il est bien fondé à demander le paiement sur la base d'un salaire brut de 1183,026 euros par jour.
La société l'EQUIPE fait valoir que Monsieur [R] disposait au regard de son niveau de responsabilité d'une autonomie dans la gestion de son emploi du temps devant l'amener à s'organiser pour prendre ses jours de récupération et de RTT et estime donc ne rien lui devoir de ces chefs.
Par mail du 17 janvier 2012, l'assistante de direction de la société l'EQUIPE informait Monsieur [R] qu'au jour de son départ le 25 novembre 2011, son solde s'élevait à '18 récup' et '11 RTT'. Du fait du licenciement, il ne peut être soutenu qu'il appartenait au salarié de s'organiser pour prendre ces jours dont le nombre n'est pas contesté et qui doivent par conséquent lui être payés.
En revanche, le calcul de l'appelant est erroné, le montant du salaire horaire brut n'étant pas de 151,67 euros, ce chiffre correspondant au nombre d'heures mensuelles de travail de référence.
Les parties se sont accordées sur un salaire mensuel brut de 11471,64 euros, soit un montant journalier de 377,23 euros. Il sera donc fait droit à la demande à hauteur de 4149,53 euros pour les RTT et de 6790,14 euros pour les jours de récupération, soit un total de 10939,67 euros.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il l'a débouté de cette demande en paiement.
Sur les demandes accessoires
Partie partiellement succombante, la société l'EQUIPE sera condamnée aux entiers dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à ce titre au salarié la somme de 2000 euros.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant par arrêt CONTRADICTOIRE,
Confirme en toutes ses dispositions le jugement du 20 juin 2013 du conseil de prud'hommes de Boulogne Billancourt sauf en ce qui concerne la demande de paiement des jours de RTT et de récupération ;
Statuant sur ce chef :
Condamne la société l'EQUIPE SAS à verser à Monsieur [R] la somme de 10939,67 euros au titre des jours de RTT et de récupération ;
Y AJOUTANT :
Condamne la société l'EQUIPE SAS à verser à Monsieur [R] la somme de 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Déboute la société l'EQUIPE SAS de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société l'EQUIPE SAS aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, conformément à l'avis donné aux parties à l'issue des débats en application de l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile, et signé par Mme COLIN, président, et Mme BEUREL, greffier.
Le GREFFIER Le PRESIDENT