COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 00A
14e chambre
ARRÊT N°
contradictoire
DU 13 NOVEMBRE 2014
R.G. N° 14/03764
AFFAIRE :
[B] [R]
C/
SAS LES LABORATOIRES SERVIER prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendue le 06 Mai 2014 par le Président du Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° RG : 14/00645
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Philippe CHATEAUNEUF
Me Fabrice HONGRE-
BOYELDIEU
Me Bertrand LISSARRAGUE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TREIZE NOVEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [B] [R]
née le [Date naissance 1] 1951 à [Localité 4] (CAMEROUN)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me Philippe CHATEAUNEUF, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 2014053
assistée de Me Charles JOSEPH-OUDIN, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
SAS LES LABORATOIRES SERVIER prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
N° SIRET : 085 480 796
[Adresse 2]
[Localité 3]
Représentée par Me Fabrice HONGRE-BOYELDIEU de l'Association AARPI AVOCALYS, avocat au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 001752
assistée de Me Quentin CHARLUTEAU, avocat au barreau de PARIS
CPAM DES HAUTS DE SEINE agissant en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représentée par Me Bertrand LISSARRAGUE de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire 625 - N° du dossier 1453496
assistée de Me Jean-Michel HOCQUARD, avocat au barreau de PARIS
INTIMEES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 01 Octobre 2014, Madame Véronique CATRY, conseiller, ayant été entendue en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Michel SOMMER, Président,
Madame Véronique CATRY, Conseiller,
Madame Maïté GRISON-PASCAIL, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Agnès MARIE
FAITS ET PROCÉDURE,
Le 3 février 2014, Mme [B] [R], estimant présenter une pathologie en lien avec le Médiator, a assigné la société LABORATOIRES SERVIER, ayant commercialisé ce médicament, en présence de la CPAM DES HAUTS-DE-SEINE, pour voir ordonner une expertise médicale et condamner LES LABORATOIRES SERVIER à lui verser une provision de 10.000 euros sur la réparation de son préjudice et une provision de même montant sur frais d'instance.
Par ordonnance du 6 mai 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance de Nanterre a ordonné une expertise médicale et désigné pour y procéder le docteur [U] [S], expert national près la Cour de cassation, condamné LES LABORATOIRES SERVIER à payer à Mme [R] la somme de 10.000 euros à titre de provision pour frais d'instance, débouté celle-ci de sa demande de provision sur dommage et condamné LES LABORATOIRES SERVIER à lui payer la somme de 2500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le juge des référés a retenu que la demanderesse justifiait avoir été traitée par administration de Médiator par cures de 1998 à 2008, qu'elle présente depuis 2003 une fuite mitrale de grade II à III et une fuite aortique de grade I, que l'avis du collège d'experts désigné par l'ONIAM, donné dans le respect du contradictoire, permet de considérer, avant que l'expertise judiciaire soit réalisée pour établir clairement le dommage résultant de la prise du Médiator, qu'il n'est pas sérieusement contestable qu'il existe un lien entre ce médicament et l'apparition de la pathologie aortique, justifiant le versement d'une provision pour frais d'instance, non soumis à une condition de ressources, qu'en revanche, eu égard aux contestations portant sur la part du dommage imputable à l'Isoméride ainsi qu'à l'existence d'un état antérieur, la demande de provision sur dommage ne peut être accueillie avant expertise.
Le 16 mai 2014, Mme [R] a interjeté appel de l'ordonnance de référé.
Le docteur [U] [S], assisté du docteur [N] [E], expert cardiologue près la cour d'appel d'Orléans et du docteur [G] [H], expert cardiologue près la cour d'appel de Versailles, ayant établi un pré-rapport le 19 juillet 2014 et son rapport définitif le 29 août 2014, les parties ont conclu au vu de ces rapports.
****
Vu les conclusions de Mme [R] du 25 septembre 2014 qui sollicite la confirmation de l'ordonnance du chef de l'expertise et de la provision allouée pour frais d'instance, l'infirmation du chef du rejet de sa demande de provision sur dommage, l'allocation d'une provision de 300.000 euros de ce chef et d'une somme de 5000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile, avec rejet des demandes formées par LES LABORATOIRES SERVIER ;
Vu les conclusions des LABORATOIRES SERVIER du 22 septembre 2014 qui sollicitent, concernant les demandes de provisions, l'infirmation de l'ordonnance du chef de l'allocation de la provision pour frais d'instance en raison de l'existence d'une contestation sérieuse et subsidiairement, une nouvelle expertise, à titre plus subsidiaire, la réduction du montant de la provision à de plus justes proportions, la production par l'appelante de documents de nature à établir sa situation financière, en tout état de cause, en cas de condamnation à une provision, la production d'une garantie bancaire d'un montant égal à celui de la provision ordonnée, enfin, le rejet de la demande formée par l'appelante sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les conclusions de la CPAM DES HAUTS-DE-SEINE du 9 septembre 2014 qui demande à la cour de constater qu'elle s'en rapporte en justice sur la demande de provision pour frais d'instance, de dire qu'elle se réserve le droit de chiffrer ultérieurement le montant de ses débours ainsi que l'indemnité forfaitaire de gestion, de condamner LES LABORATOIRES SERVIER à lui payer la somme de 1000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
MOTIFS DE L'ARRÊT,
Mme [B] [R], née en [Date naissance 1] 1951, s'est vue prescrire le médicament Isoméride pendant 24 mois, de 1992 à 1994. La pièce 14 produite par l'appelante intitulée « Etude de suivi prospectif Benfluorex » mentionne l'année 1994 comme date d'arrêt du traitement.
De 1998 à 2008, le médicament Médiator lui a été prescrit.
Présentant une double valvulopathie aortique et mitrale, elle a saisi l'ONIAM en septembre 2011 d'une demande dirigée contre l'AFSSPS et LES LABORATOIRES SERVIER.
Dans son rapport du 5 janvier 2013, l'ONIAM a estimé que le dommage subi était en lien direct et certain avec la prise de benfluorex (molécule du Médiator).
Le 25 juillet 2013, LES LABORATOIRES SERVIER ont offert à Mme [R] une indemnisation de 5000 euros que celle-ci a jugé insuffisante, ce qui l'a amenée à saisir le juge des référés de Nanterre.
Dans ses conclusions, en point 7, l'expert indique que Mme [R] présente de façon directe et certaine une double valvulopathie mitro-aortique imputable au blenfluorex. Il précise que Mme [R], du point de vue de son état antérieur, souffrait d'une cardiopathie hypertensive qui l'avait amenée à consulter de nombreuses fois jusqu'à stabilisation de cette pathologie, que c'est en 1999 qu'une insuffisance mitrale sera retrouvée pour la première fois, que sur ce terrain de cardiopathie hypertensive stabilisée, après traitement de son hypertension artérielle, elle va développer une pathologie mitro-aortique, dont les caractéristiques (fuite centrale bilatérale avec épaississement des valves) sont définies grâce à l'échocardiographie réalisée par le docteur [E] le 11 juillet 2014.
L'expert indique que l'insuffisance aortique de grade I au repos passe au grade II à l'effort avec une intolérance constatée pour un effort minime. Il évalue les postes de préjudice qu'il retient.
Dans leur dire du 22 août 2014, LES LABORATOIRES SERVIER avaient rappelé que l'insuffisance mitrale préexistait à la prise de Benfluorex, comme le montrait l'échocardiographie réalisée le 12 octobre 1995, citée par l'expert en page 6 de son pré-rapport, que cet état antérieur avait été relevé par le collège d'experts de l'ONIAM dans son rapport d'expertise définitif du 28 mars 2013, que ce diagnostic précédait de 3 ans la prise du Médiator.
Ils avaient ajouté que d'une part, Mme [R] présentait antérieurement ou concomitamment à ses troubles valvulaires de nombreux facteurs de risque cardiovasculaire puisqu'elle avait présenté à partir de 1994 une hypertension artérielle d'origine familiale, une cardiomyopathie dès cette date, outre un diabète de type II, une dyslipidémie, un surpoids et des extrasystoles auriculaires, d'autre part, elle s'était vue prescrire de l'Isoméride et du Tenuate Dospan en 1992, qui faisaient partie des autres produits potentiellement valvulotoxiques retirés du marché.
Ils en déduisaient que la prise de ces produits empêchait de retenir le rôle certain et exclusif du Médiator dans la survenance de l'insuffisance mitrale diagnostiquée en 1995 et également de l'insuffisance aortique diagnostiquée en 2003, en l'absence d'échocardiographie détaillée entre ces deux dates.
L'expert a répondu à ce dire en point 9 de son rapport, comme suit :
* Concernant la valvulopathie aortique, il indique que la description faite par le sapiteur montre une fuite centrale sur des valves épaissies ce qui est caractéristique d'une valvulopathie toxique,
* Concernant la valvulopathie mitrale, il répond que ses conclusions prennent en compte l'influence de l'état antérieur d'une cardiomyopathie hypertensive préexistante, qu'il propose en effet une ventilation de l'imputabilité de l'état antérieur et de la valvulopathie toxique à hauteur de 20 % pour la première et de 80 % pour la seconde.
* Il précise qu'aucun des antécédents y compris l'âge et les facteurs de risque n'est susceptible d'expliquer les lésions échographiques ni leur retentissement fonctionnel, que par ailleurs, la toxicité valvulaire de l'Isoméride et du Tenuate Dospan se produit après 2 à 3 mois de traitement et ne se manifeste plus deux ans après la dernière prise thérapeutique, or la valvulopathie aortique n'est apparue qu'en 2003 tandis qu'on assistait parallèlement à une majoration de la valvulopathie mitrale, de sorte que la prise des deux médicaments (Isoméride et Tenuate Dospan) consommés en 1992 et 1994 ne peuvent être responsables de la double valvulopathie mitro-aortique de Mme [R].
* Dans le cadre de sa réponse au dire concernant le déficit fonctionnel permanent, il indique que la valvulopathie toxique s'est greffée sur une cardiopathie hypertensive et que c'est la raison pour laquelle l'insuffisance mitrale mentionnée en 1995 (souligné par la cour) liée à l'hypertension artérielle ne s'accompagne pas d'épaississement des valvules mitrales qui ne sera identifiée qu'en 2011, après l'exposition au Médiator.
L'expert, ayant ainsi répondu au dire des LABORATOIRES SERVIER, pouvait clôturer son rapport, de sorte que le grief pris de l'absence de réponse à un nouveau dire postérieur au dépôt du rapport est inopérant.
Dans cette réponse au dire, l'expert a pris en compte l'insuffisance mitrale diagnostiquée en 1995, et non en 1999 comme indiqué en point 7 du rapport (la pièce médicale mentionnant cette insuffisance mitrale est effectivement du 12 octobre 1995 - pièce 5 de Mme [R]).
Par ailleurs, l'importance de l'essoufflement à l'effort a été mesurée le 20 mai 2014 par le docteur [V] qui note clairement qu'à 50 watts, il existe une franche majoration de l'insuffisance mitrale et l'apparition d'une dyspnée lesquelles obligent à limiter à quelques secondes le test ensuite porté à 75 watts.
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Il est constant que le Médiator, ayant pour indication initiale le traitement des hypertriglycéridémie et diabète de type II, mais étant de fait également prescrit dans des proportions non négligeables dans un but d'amaigrissement, a été commercialisé par LES LABORATOIRES SERVIER en France à partir de 1974, que ce médicament a fait l'objet d'une décision de suspension d'autorisation de mise sur le marché en novembre 2009 puis de retrait en juin 2010, en raison de sa toxicité cardio-vasculaire, caractérisée par un risque d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathies.
Les éléments produits aux débats permettent de considérer le Médiator comme un produit défectueux au sens de l'article 1386-4 du code civil en ce qu'il n'offre pas la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre, en raison du déséquilibre défavorable avantage/risque démontré par les études réalisées et sanctionné par le retrait du marché, mais également de l'absence totale d'information figurant sur les notices accompagnant le produit tel que distribué au patient et même au Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) disponible au dictionnaire Vidal pour 2009, année de son retrait, sur le risque, même présenté comme exceptionnel, d'apparition d'une HTAP ou d'une valvulopathie.
La responsabilité sur le fondement des articles 1386-1 et suivants du code civil est une responsabilité de plein droit.
Comme vu plus haut, l'appelante établit sans contestation sérieuse l'existence d'un lien de causalité entre l'existence de sa pathologie et la prise du Médiator pendant 10 années, à hauteur du pourcentage proposé par l'expert.
LES LABORATOIRES SERVIER, auxquels incombe la charge de cette preuve, n'opposent pas d'élément sérieux permettant de considérer qu'en l'état des connaissances scientifiques au cours des 10 années de 1998 à 2008 où le médicament a été prescrit à Mme [R], le défaut n'avait pas été décelé.
Il n'appartient pas à la cour, statuant en matière de référés, d'ordonner une nouvelle expertise.
L'obligation des LABORATOIRES SERVIER n'est pas sérieusement contestable, les demandes de provision sont fondées en leur principe.
Il convient, pour les justes motifs du premier juge que la cour adopte expressément, de confirmer la fixation à 10.000 euros de la provision pour frais d'instance allouée par l'ordonnance à la demanderesse.
La provision à valoir sur la réparation des dommages sera fixée à 50.000 euros.
La demande de garantie bancaire, non justifiée, sera rejetée.
Il n'y a pas lieu de donner à la CPAM DES HAUTS-DE-SEINE les actes qu'elle requiert.
Il sera alloué en équité la somme de 3000 euros à l'appelante en application de l'article 700 du code de procédure civile et de 500 euros sur le même fondement à la CPAM.
PAR CES MOTIFS ;
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Confirme l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions sauf en celle rejetant la demande de provision sur dommages formée par Mme [R] ;
Statuant à nouveau de ce chef,
Condamne la société LES LABORATOIRES SERVIER à payer à Mme [R] la somme de 50.000 euros (cinquante mille euros) à titre de provision à valoir sur la réparation de ses préjudices et celle de 3 000 euros (trois mille euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne la société LES LABORATOIRES SERVIER à payer à la CPAM DES HAUTS-DE-SEINE la somme de 500 euros (cinq cents euros) en application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Rejette toutes autres demandes ;
Dit que les dépens d'appel seront supportés par la société LES LABORATOIRES SERVIER et qu'ils pourront être recouvrés dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile par les avocats qui en ont fait la demande.
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Jean-Michel SOMMER, Président et par Madame Agnès MARIE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,