COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 00A
1re chambre 1re section
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 02 OCTOBRE 2014
R.G. No 14/01687
14/01723
AFFAIRE :
SA VEOLIA PROPRETE
C/
Société TME SPA TERMOMECCANICA ECOLOGIA SPA
Décision déférée à la cour : décision rendue le 10 Février 2014 par le greffier en chef au Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No RG : 14/1771
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Emmanuel JULLIEN del'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES -
Me Virginie
DESPORT-AUVRAY, avocat au barreau de VERSAILLES
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DEUX OCTOBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
SA VEOLIA PROPRETE
inscrite au RCS de Nanterre sous le numéro B 572 221 034
ayant son siège 163-169 avenue Georges Clémenceau
92000 NANTERRE
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
Autre(s) qualité(s) : Appelant dans 14/01723 (Fond)
Représentant : Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - No du dossier 20140169 -
Plaidant Me Joël ALQUEZAR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A0305
APPELANTE
****************
Société TME SPA TERMOMECCANICA ECOLOGIA SPA
Société de droit italien
dont le siège est sis Via Lodovico Mancini
20129 5-20129 MILAN (ITALIE)
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège et élisant domicile au cabinet de Maitre Virginie DESPORT AUVRAY, avocat au barreau de Versailles.
Autre(s) qualité(s) : Intimé dans 14/01723 (Fond)
Représentant : Me Virginie DESPORT-AUVRAY, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 361 -
Représentant : Me Bertrand DERAINS, Plaidant, (Derains- Gharavi AARPI) avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0387
INTIMEE
En présence du Ministère public représenté par Monsieur CHOLET, avocat général, à qui la cause a été communiquée et visée,
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Septembre 2014, Monsieur Dominique PONSOT, conseiller, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Odile BLUM, Président,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT
Vu la décision du greffier en chef du tribunal de grande instance de NANTERRE du 10 février 2014 ayant, en application du Règlement CE No 44/2001, constaté la force exécutoire d'un jugement rendu par le tribunal civil de MILAN (Italie) le 9 octobre 2012 condamnant la société VEOLIA PROPRETÉ à verser certaines sommes à la société TERMOMECCANICA ÉCOLOGIA S.p.A ;
Vu le recours formé le 4 mars 2014 par la société VEOLIA PROPRETÉ à l'encontre de cette décision ;
Vu le dernières conclusions signifiées le 10 septembre 2014, aux termes desquelles la société VEOLIA PROPRETÉ demande à la cour de :
A titre principal,
- dire et juger que l'exécution en France de l'arrêté d'injonction du 9 octobre 2012 par le tribunal civil de Milan se heurte aux dispositions des articles 34, §1, et 34, §2, du règlement européen no44/2001,
En conséquence,
- révoquer la déclaration du greffier en chef du Tribunal de Grande Instance de Nanterre du 10 février 2014 ayant constaté le caractère exécutoire sur le territoire français de l'arrêté d'injonction du 9 octobre 2012 du Tribunal civil de Milan,
A titre subsidiaire,
- constater que la société VEOLIA PROPRETE SA a assigné la société T.M.E. S.p.a. le 19 janvier 2013 en opposition de l'arrêté d'injonction du 9 octobre 2012 du Tribunal civil de Milan,
En conséquence,
- surseoir à statuer dans l'attente de la décision qui sera rendue par le Tribunal civil de Milan sur opposition de la société VEOLIA PROPRETE SA, ce avec toutes les conséquences de droit, dont le caractère non exécutoire sur le territoire français de l'arrêté d'injonction du 9 octobre 2012 du Tribunal civil de Milan,
En tout état de cause,
- condamner la société T.M.E. S.p.a. à lui verser une somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 2 septembre 2014, aux termes desquelles la société TERMOMECCANICA ECOLOGIA S.p.A demande à la cour de :
- confirmer la décision entreprise,
- ordonner l'exécution en France de l'arrêté d'injonction du 9 octobre 2012,
- rejeter l'ensemble des demandes de la société VEOLIA PROPRETÉ,
- la condamner à lui verser la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant qu'il résulte des pièces de la procédure et des éléments contradictoirement débattus que par acte du 8 juillet 2011, la société TERMOMECCANICA ECOLOGIA S.p.A (la société TME) a cédé divers droits à une filiale italienne de la société VEOLIA PROPRETÉ, VEOLIA SERVIZI AMBIANTALI S.p.A. (ci-après, la société VSA), pour la somme de 11 millions d'euros payable comptant à concurrence de 6 millions d'euros et à échéance du 8 juillet 2012 pour le surplus ; que le paiement de la seconde échéance, d'un montant de 5 millions d'euros était garanti par une garantie autonome consentie par la société VEOLIA en cas de défaut de sa filiale ;
Que la société VEOLIA n'ayant pas réglé le solde à l'échéance, la société TME a sollicité et obtenu le 9 octobre 2012 du tribunal civil de MILAN un arrêté d'injonction (decreto ingiuntivo), par application de l'article 633 du Code de procédure civile, lui intimant de payer notamment la somme de 5 millions d'euros et des intérêts de retard ; que cette décision porte la mention arrêté immédiatement exécutif (exécutoire), ainsi que la précision selon laquelle « la partie mise en demeure a le droit de faire opposition au présent arrêté devant ce Tribunal dans le délai péremptoire de cinquante jours à compter de la date de notification et qu'à défaut l'arrêté deviendra définitif et qu'il sera possible de procéder à l'exécution forcée » ;
Que cette décision a été notifiée à la société VEOLIA par acte d'huissier le 19 décembre 2012 ; que cette dernière a, par acte du 19 janvier 2013, fait assigner la société TME devant le tribunal civil de MILAN, en opposition audit arrêté, ce recours étant toujours pendant ;
Que nonobstant ce recours, la société TME a saisi, le 22 janvier 2014, le greffier du tribunal de grande instance de NANTERRE d'une requête sur le fondement des articles 38 et suivants du règlement du Conseil No 44/2001 du 22 décembre 2000 et 509-2 du code de procédure civile, aux fin de voir constater la force exécutoire de cet arrêté d'injonction ;
Que cette requête a été accueillie par la décision déférée ;
Considérant qu'au soutien de son recours, la société VEOLIA expose que cet arrêté a été rendu sur le fondement de l'article 633 du code de procédure civile italien qui institue une procédure non contradictoire comparable à celle de l'injonction de payer en droit français ;
Que selon cet article, l'arrêté d'injonction ne devient définitif qu'après un délai de 50 jours (pour un débiteur situé à l'étranger) et à condition que ce débiteur n'ait pas formé opposition dans ce délai ; qu'en l'espèce, cet arrêté présente toutefois une particularité en ce qu'il vise également l'article 642 du code de procédure civile italien qui permet au juge de rendre immédiatement exécutoire l'injonction de paiement sans attendre l'expiration du délai de 50 jours et nonobstant l'opposition formée par le débiteur ;
Que la société VEOLIA considère que la reconnaissance de force exécutoire de cet arrêté d'injonction se heurte doublement à l'article 34 du Règlement CE No 44/2001 en ce qu'il est tout d'abord contraire aux principes processuels fondamentaux du respect du contradictoire et des droits de la défense et méconnaît ainsi, au sens de l'article 34, §1 du Règlement, l'ordre public international de l'Etat requis, en l'occurrence de la France ;
Qu'elle souligne que les juridictions françaises jugent de façon constante que la reconnaissance d'une injonction de payer qui a été rendue exécutoire sans que le débiteur ait pu faire valoir ses moyens de défense et sans qu'il ait été en mesure d'exercer un recours est manifestement contraire à l'ordre public français ;
Qu'elle estime, d'autre part, que cet arrêté serait également contraire à l'article 34 § 2 susvisé en ce qu'aucun acte introductif d'instance n'a jamais été signifié ou notifié à la société VEOLIA ; qu'elle note que si, en principe, les injonctions de payer constituent en elles-mêmes un acte introductif d'instance, il en est différemment si, comme en l'espèce, elles sont exécutoires dès leur prononcé avant d'avoir été signifiées au défendeur et avant l'expiration du délai de recours ;
Qu'elle considère que la société TME a délibérément choisi la procédure prévue par l'article 642 du code de procédure civile italien, qui permet au juge d'accorder l'exécution provisoire au stade de l'examen de la demande d'injonction de payer, c'est à dire sans débat contradictoire, plutôt que de la solliciter, comme le permet l'article 648 du même code, à l'occasion de l'opposition formée ;
Que ce choix procédural a affaibli ses possibilités de défense, dans la mesure où la suspension de l'exécution provisoire ordonnée sur la base de l'article 642 précité suppose la démonstration de motifs graves s'opposant à l'exécution, lesquels, au regard de la jurisprudence italienne, doivent uniquement s'apprécier au regard de la menace que ferait peser sur le débiteur l'exécution forcée de l'arrêté d'injonction ; que compte tenu de sa solidité financière, la société VEOLIA n'aurait jamais pu démontrer que l'exécution provisoire de la créance concernée ferait peser sur elle une telle menace, ce dont la société TME était parfaitement consciente ;
Qu'en réponse, la société TME fait valoir que la société VEOLIA a fait opposition le 19 janvier 2013, sans contester la réalité de son propre engagement vis-à-vis de la société TME, mais invoquant une prétendue violation par TME de ses obligations contractuelles vis-à-vis de la société VSA, soutenant que cette dernière allait former une demande en intervention pour faire constater sa propre créance et en demander la compensation avec sa dette de paiement du prix, ce qui entraînerait, selon la société VEOLIA, l'extinction de la garantie autonome ;
Qu'elle relève que cette dernière n'a toutefois pas cru utile de demander la suspension du caractère exécutoire de la décision, prétendant n'avoir aucun intérêt à le faire mais se réservant « expressément le droit de former un recours (cf. art. 649 du Code de procédure civile) à tout moment du présent jugement, y compris lors de la première audience de conciliation, afin que le juge annule le caractère exécutoire provisoire de l'ordonnance d'injonction objet d'une opposition » ;
Que lors de cette audience, qui s'est tenue devant le tribunal civil de MILAN le 24 octobre 2013, la société VEOLIA a expressément réitéré devant le juge italien qu'elle n'entendait pas demander pour l'instant la suspension de l'exécution provisoire mais se réservait de le faire dans le futur, ce dont le juge lui a donné acte et, observant que la suspension de l'exécution n'avait pas été demandée à l'audience, a également donné acte de ce que le décret était désormais exécutoire par provision ;
Que la société TME souligne que ce n'est qu'à la suite de cette audience qu'elle a entrepris de faire reconnaître le caractère exécutoire de la décision en France et, invoquant le procès-verbal de l'audience du 24 octobre 2013, a sollicité le 4 décembre 2013 du juge italien qu'il délivre le certificat de l'article 54 du Règlement No 44/2001 ;
Qu'elle en déduit que l'arrêté d'injonction litigieux, déclaré exécutoire en France par la décision déférée à la cour, n'est en rien contraire à l'ordre public international français ;
Que, certes, l'arrêté d'injonction litigieux a été déclaré exécutoire en Italie ex parte, mais que son caractère exécutoire a, par la suite, été confirmé et son exécution n'a été poursuivie en France qu'après que VEOLIA a eu la possibilité d'en débattre, ce qu'elle a refusé de faire ;
Que la contrariété à l'ordre public international de fond ou de procédure d'une décision étrangère doit, selon la jurisprudence interne et européenne, s'apprécier in concreto, c'est à dire à condition de démontrer que les intérêts d'une partie ont été objectivement compromis par une violation des principes fondamentaux de la procédure ;
Qu'au regard d'une telle exigence, il importe de s'attacher au fait, non pas que la décision a effectivement fait l'objet d'un débat contradictoire, mais que le débiteur a eu la possibilité de contester contradictoirement l'exécution provisoire ; que tel est le sens du paragraphe 2 de l'article 34 du Règlement CE no44/2001 ;
*
Considérant, selon l'article 34 du Règlement CE No 44/2001 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale, qu'une décision n'est pas reconnue si :
(...)
2) l'acte introductif d'instance ou un acte équivalent n'a pas été signifié ou notifié au défendeur défaillant en temps utile et de telle manière qu'il puisse se défendre, à moins qu'il n'ait pas exercé de recours à l'encontre de la décision alors qu'il était en mesure de le faire ;
Considérant qu'au regard de ce texte, le recours devant être offert au débiteur doit s'entendre d'un recours effectif, intervenant avant que la décision qui en est l'objet soit rendue exécutoire ;
Considérant qu'il est constant que l'arrêté d'injonction du 9 octobre 2012 a été rendu exécutoire par provision dès son prononcé par le tribunal civil de MILAN, en application de l'article 642 du code de procédure civile italien, et qu'il a fait l'objet d'un recours en opposition le 19 janvier 2013 à l'initiative de la société VEOLIA ;
Que certes, la société VEOLIA n'a pas fait usage, à l'occasion de ce recours, de la possibilité que lui offre l'article 649 du code de procédure civile italien, de demander au juge italien saisi de l'opposition ainsi formée l'arrêt de l'exécution provisoire ;
Que toutefois, il ne peut lui être fait grief, au regard de l'article 34, § 2, susvisé, de ne pas avoir exercé une telle possibilité, dès lors que, d'une part, l'exercice de cette possibilité n'était pas en lui-même suspensif d'exécution et que, d'autre part, son succès était subordonné à la démonstration d'une faute grave, condition que la société VEOLIA ne remplissait manifestement pas ;
Que c'est, en effet, à juste titre que cette dernière fait valoir que toute tentative de démontrer que l'exécution de l'arrêté d'injonction mettait en péril son existence ou sa pérennité était vouée à l'échec, eu égard à sa surface financière rapportée au montant de la créance en litige ;
Que le fait que la société TME ait attendu de savoir si la société VEOLIA entendait demander l'arrêt de l'exécution provisoire avant de mettre en ¿uvre, en France, la procédure de reconnaissance prévue par le Règlement susvisé, apparaît, dès lors, indifférent ;
Qu'il résulte de ce qui précède que la reconnaissance de l'arrêté d'injonction litigieux se heurte aux dispositions de l'article 34, § 2, du Règlement CE No 44/2001 susvisé ;
Qu'il convient, en conséquence, d'accueillir le recours et de révoquer la décision entreprise ;
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Considérant que la société TME succombant dans ses prétentions doit supporter les dépens de la procédure devant la cour ;
Considérant que l'équité commande d'allouer à la société VEOLIA une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt CONTRADICTOIRE et en dernier ressort,
RÉVOQUE la décision du greffier en chef du tribunal de grande instance de NANTERRE du 10 février 2014 ayant, en application du Règlement CE No 44-2001, constaté la force exécutoire d'un jugement rendu par le tribunal civil de MILAN (Italie) du 9 octobre 2012 ;
CONDAMNE la société TERMOMECCANICA ECOLOGIA S.p.A à payer à la société VEOLIA PROPRETÉ la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
REJETTE toute autre demande des parties ;
CONDAMNE la société TERMOMECCANICA ECOLOGIA S.p.A aux dépens d'appel, qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Odile BLUM, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,