COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 88E
1re chambre 1re section
ARRET N°
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 18 SEPTEMBRE 2014
R.G. N° 12/03249
AFFAIRE :
[M] [Q]
C/
SA COVEA RISKS
et autres....
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 13 Mars 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 01
N° Section :
N° RG : 10/06230
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Aurélie BERNARD-PIOCHOT, avocat au barreau de VERSAILLES
Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES -
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX HUIT SEPTEMBRE DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [M] [Q]
né le [Date naissance 1] 1946 à [Localité 1]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentant : Me Aurélie BERNARD-PIOCHOT, avocat postulant et plaidant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 578
APPELANT
****************
SA COVEA RISKS
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège sis [Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentant : Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20120596
- Représentant : Me Jean-Pierre FABRE, (association FABRE GEUGNOT) avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : R044
INTIMEE
ARRCO (INSTITUTION DE RETRAITE COMPLEMENTAIRE DES SALARIES)
ayant sons siège [Adresse 4]
[Adresse 4]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE DEFAILLANTE ( acte remis à personne habilitée)
CAISSE NATIONALE D'ASSURANCE VIEILLESSE
sise [Adresse 3]
[Adresse 3]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
INTIMEE DEFAILLANTE ( acte remis à personne habilitée)
CGRCR Institut de retraite complémentaire ARGIRC
sis chez [Adresse 5]
[Adresse 5]
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,
INTIMEE DEFAILLANTE ( acte remis à personne habilitée)
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Juin 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Dominique LONNE, conseiller, chargé du rapport et Monsieur Dominique PONSOT, conseiller,
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, président,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
Monsieur Dominique PONSOT, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
Il convient de rappeler les faits constants suivants :
- M. [Q] a été engagé par la Société GMH le 1er mai 1991 en qualité de directeur régional Ile de France et a été licencié le 20 mai 1992 à une date où cette société avait été mise en redressement judiciaire par jugement du tribunal de commerce de Marseille du 13 février 1991, Maître [E] [G] étant désigné en qualité d'administrateur avec mission de surveiller les actes de gestion.
- Par jugement du 22 juin 1992, le tribunal de commerce de Marseille a arrêté un plan de continuation de la société GMH et a désigné Maître [G] comme commissaire à l'exécution du plan.
- Par jugement du 1er juin 1994, le dit tribunal a ouvert une nouvelle procédure de redressement judiciaire sur résolution du plan et a, à nouveau, désigné Maître [G] en qualité d'administrateur avec mission de surveiller les opérations de gestion.
- Par jugement du 14 octobre 1994, le dit tribunal a arrêté le plan de cession de l'entreprise et a désigné Maître [G] en qualité de commissaire à l'exécution du plan.
- Un jugement du 30 mars 2006 du tribunal de commerce de Marseille a prononcé la clôture de la procédure après cession totale de l'entreprise.
- M.[Q] ayant contesté son licenciement, par arrêt du 27 septembre 1996, la cour d'appel de Versailles, confirmant partiellement un jugement du conseil de prud'hommes de Versailles du 18 janvier 1995 sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement de M. [Q], a condamné Maître [G], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cession de la société GMH, à payer à M.[Q] les sommes de
-10.000 francs à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause et sérieuse,
-136.000 francs au titre de l'indemnité conventionnelle de licenciement,
-12.890,48 francs à titre de rappel sur indemnité compensatrice de préavis, et 1.289 francs au titre des congés payés y afférents.
Pour le surplus, la cour confirmait les autres dispositions non contraires du jugement et notamment celle ordonnant la régularisation des cotisations précomptées par la société GMH et non reversées à la Caisse retraite des cadres pour la période du 1er janvier 1992 jusqu'au 31 mai 1993.
M. [Q] expose qu'il a décidé de prendre sa retraite à compter du 1er janvier 2007; qu'il s'est aperçu, selon les indications données par la caisse nationale d'assurance vieillesse, qu'il manquait deux années dans son cursus de carrière pour la période allant du 1er janvier 1992 au 31 mai 1993.
Par ordonnance de référé du 04 mai 2007, le conseil de prud'hommes de Versailles a ordonné à Maître [T] [C], désigné par le tribunal de commerce de Marseille comme mandataire judiciaire ad hoc de la société GMH, de remettre à M. [Q] un bulletin de paie correspondant aux salaires du 1er janvier 1992 au 31 mai 1993 pour un montant global de 100.393,14 euros, et ce sous astreinte.
Mais malgré la transmission d'un bulletin de salaire aux différentes caisses de retraite, M. [Q] n'a pas pu obtenir la régularisation de sa situation.
Estimant que M. [G], décédé, n'avait pas respecté les règles relatives aux organismes sociaux alors qu'il avait pour mission de gérer l'entreprise et qu'il n'avait pas exécuté l'arrêt de la cour d'appel du 27 septembre 1996, par exploit du 23 juin 2010, M. [M] [Q] a assigné devant le tribunal de grande instance de Versailles la société COVEA RISKS, en sa qualité d'assureur responsabilité civile de M. [G], aux fins de la voir condamner au paiement d'une somme de 15.000 euros à titre de dommages- intérêts, en réparation des fautes commises par son assuré.
M. [Q] a également appelé en la cause la Caisse nationale d'assurance vieillesse, l'ARRCO et la CGRCR.
Par jugement rendu le 13 mars 2012, le tribunal de grande instance de Versailles a déclaré la demande de M. [Q] recevable mais l'a débouté de ses demandes, a dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné M.[Q] aux dépens.
Par déclaration du 04 mai 2012, M. [M] [Q] a interjeté appel de ce jugement.
Devant la cour, ont été assignées avec signification de la déclaration d'appel, des conclusions de M.[Q] et de la société COVEA RISKS:
-L'ARRCO (remises à personne habilitée),
-la caisse nationale d'assurance vieillesse (remises à personne habilitée),
-le CGCR institut de retraite complémentaire ARGIRC (remises à personne habilitée).
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 11 septembre 2012, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, M. [M] [Q] demande à la cour de :
* confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré ses demandes recevables,
*l'infirmer pour le surplus,
*dire que M. [G] ès-qualités, qui avait à ce titre une mission de surveillance des opérations de gestion de la société GMH a failli en versant soit des salaires soit des équivalents salaires sans déclaration ni paiement corrélatif aux organismes de retraite,
*dire fautif le non respect par M. [G] agissant ès-qualités des dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 27 septembre 1996 qui l'obligeaient à mettre son administré en règle avec les organismes de retraite au moins pour le compte de M. [Q],
*en application de l'action directe dont dispose la victime, condamner la société COVEA RISKS à lui payer la somme de 30.268 € en principal, et lui donner acte de ce qu'il se réserve la possibilité d'agir pour le complément de préjudice qu'il connaît depuis la délivrance de l'assignation,
*condamner la société COVEA RISKS à lui payer la somme de 30.000 € à titre de dommages-intérêts pour les préjudices financier et moral subis, ainsi que la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
*déclarer l'arrêt à intervenir opposable à la caisse nationale d'assurance vieillesse, à l'ARRCO et la CGRCR,
*condamner la société COVEA RISKS aux dépens avec application de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions signifiées le 06 novembre 2012, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens, la société COVEA RISKS demande à la cour de :
- dire que l'action de M [Q] est prescrite,
- en conséquence , infirmer le jugement sur ce point,
- rejeter les demandes de M. [Q] comme irrecevables,
Subsidiairement,
-dire :
'que M. [Q] ne rapporte la preuve d'aucune faute imputable à Maître [G] (décédé),
'que Monsieur [Q] ne rapporte la preuve d'aucun préjudice en lien causal avec quelque faute imputée à feu Maître [G],
- en conséquence, débouter M. [Q] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,
-confirmer le jugement entrepris,
-condamner M. [Q] à verser à la Société COVEA RISKS une somme de 4.000€ en application de l'article 700 du code de procédure civile,
-le condamner aux entiers dépens, avec application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'action de M. [Q]
La société COVEA RISKS , appelant incidente, conclut à l'irrecevabilité de la demande comme prescrite . Elle conclut :
- que l'action en responsabilité quasi-délictuelle à l'encontre des administrateurs judiciaires ou commissaires à l'exécution du plan se prescrit par 10 ans à compter de la manifestation du dommage ;
-que dès le 13 août 1993, la CAVCIC informait M. [Q] que son employeur ne réglait pas les cotisations pour les exercices 1990 à 1992 ;
- que le dommage dont la réparation est demandée s'est manifesté au plus tard par le jugement du conseil des Prud'Hommes du 18 janvier 1995, et à tout le moins par l'arrêt du 27 septembre 1996 ;
- que par lettre non confidentielle du 29 juillet 1997, le conseil de M [Q] s'était plaint auprès du conseil de Maître [G] ès-qualités de ce que l'arrêt de la cour d'appel de Versailles passé en force de chose jugée n'était toujours pas exécuté ;
- que M.[Q] s'est lui- même plaint le 30 juillet 1997 auprès du Garde des Sceaux, assignant la procédure collective en liquidation judiciaire le 11 février 1998.
M. [Q] oppose qu'il n'avait aucune raison de penser que les cotisations de retraite litigieuses n'étaient pas réglées, avant qu'il ne demande lui-même le calcul de ses droits à la retraite et que le préjudice n'est certain que lorsque le salarié est en droit de prétendre à la liquidation de ses droits.
La prescription d'une action en responsabilité ne court qu'à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime si celle-ci établit qu'elle n'en avait pas eu précédemment connaissance.
Faisant l'exacte analyse des éléments de la cause à nouveau débattus en cause d'appel, les premiers juges ont retenu :
-que tant qu'était possible la régularisation telle qu'ordonnée par l'arrêt du 27 septembre 1996 puis par l'ordonnance du 04 mai 2007, le délai de prescription ne pouvait pas courir,
- que la régularisation des cotisations devant se faire directement auprès des organismes de retraite, M. [Q] n'avait pas de raison de les contacter avant le moment où il entendait demander le calcul de ses droits à la retraite.
Les premiers juges ont justement retenu que M. [Q] n'avait été informé de la non régularisation de sa situation vis-à-vis de divers organismes sociaux que par courrier de Maître [C] en date du 18 juin 2007.
Le jugement ne peut qu'être confirmé en ce qu'il a jugé l'action de M. [Q] recevable.
Sur le fond
M. [Q] reproche à M. [G] en premier lieu de ne pas s'être assuré, dans le cadre de sa mission de surveillance des opérations de gestion de la société GMH, que les cotisations de retraite précomptées par l'entreprise sur ses salaires soient reversées aux caisses de retraite et que les bulletins de paie soient établis correctement, en second lieu de n'avoir pas exécuté les décisions des 18 janvier 1995 et 27 septembre 1996. L'appelant fait valoir qu'en application de l'article L 621-22 ancien du code de commerce, dans sa mission l'administrateur est tenu au respect des obligations légales et conventionnelles incombant au chef d'entreprise
La responsabilité des administrateurs judiciaires, commissaires à l'exécution du plan ou mandataires liquidateurs pour les actes accomplis dans l'exercice de leur mission est une responsabilité quasi-délictuelle fondée sur l'article 1382 du code civil.
Il incombe dès lors au demandeur de rapporter la triple preuve cumulative d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité.
Il résulte de l'échange des courriers entre M.[Q], les différentes caisses de retraite et Me [C] :
- que par courrier du 05 mai 2008, la CNAV a indiqué à M.[Q] que le bulletin de salaire n'était pas exploitable ( pas de détail des cotisations sociales 1992 et 1993 ) ; que par courrier du 18 avril 2008, la CGRCR a indiqué qu'il n'y a pas de précomptes au titre du régime AGIRC sur le bulletin de paye reprenant la période du 1er janvier 1992 au 31 mai 1993,
- que la régularisation de la situation de M. [Q] par les caisses de retraite était subordonné au paiement préalable des cotisations sociales,
-que les cotisations litigieuses portent sur la période du 1er janvier 1992 au 31 mai 1993 donc pour partie antérieures au licenciement de M. [Q] du 20 mai 1992; qu'elles n'étaient pas garanties par le superprivilège des salaires ni prises alors en charge par les AGS.
Lorsque la société GMH a fait l'objet d'une première procédure de redressement judiciaire le 13 février 1991, M. [G] n'a été désigné en qualité d'administrateur judiciaire qu'avec une simple mission de surveillance.
Par jugement du 22 juin 1992, le tribunal de commerce a homologué un plan de continuation en sorte que la société GMH est redevenue in bonis, et ce jusqu'à la résolution du plan le 1er juin 1994 et l'ouverture d'une nouvelle procédure de redressement judiciaire, M. [G] étant à nouveau désigné en qualité d'administrateur judiciaire avec une simple mission de surveillance des opérations de gestion.
Le 14 octobre 1994, le tribunal de commerce a homologué le plan de cession et désigné M. [G] en qualité de commissaire à l'exécution du plan, procédure clôturée après cession totale le 30 mars 2006.
Il en résulte donc :
- que pendant partie de la période objet du litige, à savoir entre le 1er janvier et le 22 juin 1992, M. [G] n'était investi que d'une mission de surveillance des opérations de gestion, mission qui consiste à s'assurer qu'il n'est pas effectué d'agissements contraires à l'intérêt de l'entreprise ou de ses créanciers et qui ne s'étend pas à la vérification des bulletins de salaire ou du versement aux caisses de retraite des sommes précomptées.
- que le 22 juin 1992 la société GMH est redevenue in bonis et, en sa qualité de commissaire à l'exécution du plan de continuation, M. [G] n'avait pas à s'immiscer dans sa gestion et il ne peut donc pas lui être imputé un manquement au regard des obligations sociales.
En outre, après le jugement du 1er juin 1994 emportant résolution du plan, le tribunal de commerce a ouvert une nouvelle procédure de redressement judiciaire, en sorte que les cotisations sociales litigieuses sont devenues des créances antérieures à cette nouvelle procédure collective, l'arrêt de la cour d'appel de Versailles du 27 septembre 1996 précisant que le paiement des condamnations, s'agissant de créances nées de la poursuite de l'activité de la société GMH, ne peut en application de l'article 40 de la loi du 25 janvier 1985 être garanti par l'ASSEDIC.
Ainsi que l'a relevé le tribunal, il résulte des pièces produites aux débats que le prix de cession s'élevait à 250.000 francs et que le passif de l'article 40 concernant la société GMH s'élevait à 844.419.20 francs , que M. [G] ne disposait pas des fonds suffisants pour payer l'ensemble des créances relevant de l'article 40, de sorte que l'absence de régularisation du règlement des cotisations litigieuses aux organismes sociaux ne peut constituer une faute imputable à M. [G].
Dès lors, il y a lieu de confirmer le jugement en toutes ses dispositions.
PAR CES MOTIFS
LA COUR,
Statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement entrepris,
Y ajoutant,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne M. [M] [Q] aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés directement conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile par l'AARPI-JRF avocats représentée par Me Emmanuel Jullien, avocat.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique LONNE, conseiller ayant assisté au délibéré et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Pour le président empêché,
Le conseiller,