COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 63B
1re chambre 1re section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 12 AOUT 2014
R.G. N° 13/01397
AFFAIRE :
COMMUNE DE [Localité 3]
C/
SA MUTUELLE DU MANS ASSURANCES IARD
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 30 Mars 2005 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS
N° Chambre : 01
N° Section : 01
N° RG : 03/1435
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES
- Me Alain CLAVIER, avocat au barreau de VERSAILLES,
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DOUZE AOUT DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation (1ère chambre civile) du 31 octobre 2012 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS le 11 janvier 2011 (Pôle 2 - chambre 1) sur appel du jugement rendu le 30 mars 2005 par le tribunal de grande instance de PARIS (1ère chambre 1ère section )
COMMUNE DE [Localité 3]
ayant son siège social Hôtel de Ville
[Adresse 3]
[Localité 3]
agissant en la personne de son maire en exercice,
Représentée par Me Franck LAFON, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618
assistée de Me SEBAN et de Maitre VASSEUR de la SCP SEBAN ET ASSOCIES, avocats plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : P0498,
****************
DEFENDERESSES DEVANT LA COUR DE RENVOI
- SA MUTUELLE DU MANS ASSURANCES IARD
inscrite au RCS LE MANS sous le numéro 775 652 126 et ayant son siège social [Adresse 1]
[Localité 1] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés audit siège
représentée par Me Alain CLAVIER, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 133170
assistée de Me Jean-Pierre CORDELIER, avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : P 399,
- SCP d'avocats HUGLO LEPAGE & ASSOCIES
Selarl immatriculée au RCS de Paris sous le numéro 380 942 508
ayant son siège social sis
[Adresse 2]
[Localité 2]
agissant poursuites et diligences ses représentants légaux, domiciliés audit siège
représentée par Me Alain CLAVIER, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 240 - N° du dossier 133170
assistée de Me Jean-Pierre CORDELIER, avocat plaidant au barreau de PARIS, vestiaire : P 399,
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue en audience publique le 12 Juin 2014, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président,
Madame Dominique LONNE, Conseiller,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
Vu le jugement rendu le 30 mars 2005 par le tribunal de grande instance de Paris qui a condamné la SCP HUGLO LEPAGE & Associés à payer à la ville de Vitry-sur-Seine la somme de 69.241 € avec intérêts au taux légal à compter du 30 décembre 2002 et capitalisation des intérêts, condamné la SCP HUGLO LEPAGE & Associés aux dépens et dit que la compagnie d'assurance Les Mutuelles du Mans Assurances IARD doit garantir le paiement de ces sommes ;
Vu l'arrêt rendu le 11 janvier 2011 par la cour d'appel de Paris qui, infirmant le jugement entrepris, a débouté la ville de Vitry-sur-Seine de sa demande de dommages-intérêts et de sa demande en remboursement d'honoraires dirigées contre la SCP HUGLO LEPAGE & Associés et les Mutuelles du Mans Assurances, débouté la ville de Vitry-sur-Seine de sa demande d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée à payer à la SCP HUGLO LEPAGE & Associés la somme de 15.000 € sur ce même fondement, ainsi qu'aux dépens ;
Vu l'arrêt rendu le 31 octobre 2012 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu le 11 janvier 2011 par la cour d'appel de Paris, remis la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Versailles ;
Vu la déclaration de saisine de la cour, le 15 février 2013, par la commune de Vitry-sur-Seine;
Vu les dernières conclusions signifiées le 11 avril 2014 par lesquelles la commune de Vitry-sur-Seine, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il l'a déboutée de sa demande en paiement de la somme de 3.966.779 € outre les intérêts au titre de la perte de chance, demande à la cour de : - condamner, sur le fondement de l'article 1147 du code civil, la SCP HUGLO LEPAGE & Associés à lui payer la somme de 3.966.779 € augmentée des intérêts légaux à compter du 5 février 2002,
-ordonner la capitalisation des intérêts, - prendre acte de ce que Maître [L], liquidateur de la société ROUGET de L'ISLE, a versé les sommes de 490.000 € et de 19.723,14 € à valoir sur sa créance et dire que ces sommes viendront en déduction des montants auxquels la SCP HUGLO LEPAGE & Associés sera condamnée, - dire que la compagnie d'assurance Les Mutuelles du Mans MMA IARD devra garantir le paiement des sommes dues par la SCP HUGLO LEPAGE & Associés, - confirmer partiellement le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SCP HUGLO LEPAGE & Associés à lui verser la somme de 69.241 € outre les intérêts et dit que la MMA IARD doit garantir le paiement de cette somme, - condamner la SCP HUGLO LEPAGE & Associés à lui payer la somme de 40.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 13 mai 2014 aux termes desquelles la SCP HUGLO LEPAGE & Associés et la MMA IARD, après une série de «constater et dire» qui ne constituent pas des prétentions au sens de l'article 4 du code de procédure civile, concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a écarté la responsabilité de la société d'avocats et débouté la ville de Vitry-sur-Seine de ses prétentions, à son infirmation en ce qu'il a condamné le cabinet d'avocats à rembourser les honoraires avec la garantie de son assureur, a rejeté la demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et prient la cour de :
- débouter la ville de [Localité 3] de ses demandes, - la condamner à leur payer chacune la somme de 20.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu l'ordonnance de clôture du 5 juin 2014 ;
SUR QUOI, LA COUR
Sur la recevabilité des écritures signifiées le 5 juin 2014
Considérant que la commune de Vitry-sur-Seine a signifié des conclusions par RPVA le 5 juin 2014, dont la SCP HUGLO LEPAGE & Associés a sollicité le rejet, dans des écritures signifiées le 11 juin 2014 ;
Que les écritures signifiées par la commune de Vitry-sur-Seine, le 5 juin 2014, après le prononcé de l'ordonnance de clôture, sont irrecevables, par application de l'article 783 alinéa 1er du code de procédure civile ;
Sur la responsabilité civile professionnelle de la SCP HUGLO LEPAGE & Associés
Considérant que par acte notarié du 30 novembre 1992, la commune de Vitry-sur-Seine, exerçant son droit de préemption, a acquis un bien immobilier appartenant à la société ROUGET DE L'ISLE ;
Que par jugement du 12 février 1993, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions de préemption par lesquelles le maire de Vitry-sur-Seine a exercé ce droit ;
Que dans les jours suivants, en vertu d'un arrêté municipal du 15 février 1993, la commune a consigné le prix de vente (26.020.365F soit 3.966.779 €) auprès de la caisse des dépôts et consignations CDC ;
Que le 30 juillet 1993, le maire de la commune a pris un arrêté de déconsignation de cette somme ; que la Caisse des dépôts et consignations a informé le maire, par lettre du 30 août 1993, qu'il ne lui sera possible de débloquer la somme que sur production d'une décision de justice ;
Que la commune de Vitry-sur-Seine, souhaitant être informée de l'incidence de l'annulation des arrêtés de préemption sur la validité de la vente passée entre la ville et la société ROUGET DE L'ISLE, a consulté, le 13 juillet 1993, la SCP HUGLO LEPAGE & Associés qui a rédigé une consultation écrite le 27 juillet 1993 ;
Que la société ROUGET DE L'ISLE a, quant à elle, engagé diverses procédures aux fins d'obtenir le versement des fonds consignés, dans lesquelles la commune de Vitry-sur-Seine était représentée par la SCP HUGLO LEPAGE ; qu'ainsi, par ordonnance du 7 octobre 1993, le juge des référés du tribunal de grande instance de Créteil s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande de la société ROUGET DE L'ISLE, qui invoquait une voie de fait constituée par l'arrêté de déconsignation pris par le maire ; que par jugement du 27 mai 1994, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil, à la demande de la ville, a déclaré caduque la saisie-attribution pratiquée par la société ROUGET DE L'ISLE, le 4 novembre 1993, sur les fonds détenus par la CDC; que le 15 juin 1994, la société ROUGET DE L'ISLE a fait pratiquer une nouvelle saisie-attribution à la Trésorerie générale ; que par jugement du 14 février 1995, le juge de l'exécution du tribunal de grande instance de Créteil a déclaré irrecevable la contestation par la ville de la saisie-attribution, faute par celle-ci d'avoir saisi le juge de l'exécution dans le délai d'un mois de la dénonciation de cette saisie ; que par ordonnance de référé du 14 juin 1995, le délégataire du premier président de la cour d'appel de Paris a rejeté la demande de sursis à exécution présentée par la ville de Vitry-sur-Seine ; que par arrêt du 12 décembre 1996, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement du JEX du 14 février 1995 ;
Que sur l'action engagée par la Ville de Vitry-sur-Seine, ayant toujours pour conseil la SCP HUGLO LEPAGE, le tribunal de grande instance de Créteil a, par deux jugements du 10 juillet 1995 :
- prononcé la nullité de la vente conclue entre la commune et la société ROUGET DE L'ISLE le 30 novembre 1992, - dit la demande en répétition de l'indu formée par la commune à l'encontre de la société ROUGET DE L'ISLE sans objet ;
Que par arrêt du 6 novembre 1997, la cour d'appel de Paris a confirmé le jugement annulant la vente et, y ajoutant, ordonné la restitution par la société ROUGET DE L'ISLE du prix qui lui a été versé avec intérêts au taux légal à compter du transfert effectif des fonds entre ses mains ;
Que cet arrêt a fait l'objet d'une cassation partielle, par arrêt du 15 décembre 1999, et sur saisine de la cour de Versailles désignée comme cour de renvoi, un arrêt du 12 juin 2002 a confirmé le jugement rendu le 10 juillet 1995 par le tribunal de grande instance de Créteil et y ajoutant, a fixé la créance de la commune de Vitry-sur-Seine à la liquidation judiciaire de la société ROUGET DE L'ISLE à la somme de 4.186.533,30 € outre les intérêts au taux légal à compter du 30 janvier 1997 ;
Que fin 1995, les fonds consignés à la CDC ont été finalement débloqués au profit de la société ROUGET DE L'ISLE ;
Que c'est dans ces circonstances que la commune de Vitry-sur-Seine n'ayant pu obtenir la restitution du prix a engagé une action en responsabilité civile professionnelle contre son avocat, la SCP HUGLO LEPAGE & Associés, lui reprochant de lui avoir, par ses manquements professionnels, fait perdre une chance de récupérer les fonds consignés, et la MMA IARD, son assureur, devant le tribunal de grande instance de Paris ;
Que par jugement du 30 mars 2005, le tribunal n'a fait que partiellement droit à sa demande en limitant son préjudice aux dépenses de conseil engagées en pure perte en procédures devant les juridictions de l'ordre judiciaire ;
Que par arrêt du 23 janvier 2007, la cour d'appel de Paris, saisie par la ville de Vitry-sur-Seine, a dit que la SCP HUGLO LEPAGE & Associés a manqué à ses obligations de renseignement et de conseil à l'égard de sa cliente et sursis à statuer sur l'évaluation du préjudice résultant pour la ville des fautes de la SCP, constitué par la perte d'une chance sérieuse de récupération des fonds consignés, jusqu'à la justification par la ville de la clôture des opérations de liquidation judiciaire de la SARL ROUGET DE L'ISLE ;
Que par arrêt du 30 octobre 2008, la Cour de cassation, sur le pourvoi formé par la SCP HUGLO LEPAGE & Associés et la MMA IARD, a cassé et annulé dans toutes ses dispositions l'arrêt rendu par la cour d'appel de Paris le 23 janvier 2007 et renvoyé la cause et les parties devant la même cour autrement composée ;
Que sur la saisine de la Ville de Vitry-sur-Seine, la Cour d'appel de Paris a, par arrêt du 11 janvier 2011, débouté la commune de Vitry-sur-Seine tant de sa demande de dommages-intérêts que de remboursement d'honoraires ;
Que sur le pourvoi formé par la commune de Vitry-sur-Seine, par arrêt du 31 octobre 2012, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé l'arrêt rendu le 11 janvier 2011;
Qu'après avoir relevé que pour écarter la responsabilité de l'avocat auquel il était notamment reproché d'avoir envisagé une action en annulation sans saisie conservatoire des fonds consignés, l'arrêt se borne, de ce chef, à énoncer que cette mesure se serait heurtée au caractère exécutoire de l'acte authentifiant la vente, comme aux dispositions de l'article R.13-65 du code de l'expropriation en vertu desquelles consignation vaut paiement,
elle retient qu'en statuant ainsi sans répondre aux conclusions de la commune qui faisaient valoir que, du fait de l'annulation des arrêtés de préemption, la vente, privée de fondement juridique, était elle-même entachée de nullité, de sorte qu'en présence d'une créance de restitution du prix paraissant fondée en son principe, une saisie conservatoire aurait dû être envisagée, mesure qui, pratiquée à temps, aurait fait obstacle à la procédure de saisie-attribution engagée par la partie adverse, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences de l'article 455 du code de procédure civile;
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Considérant qu'au soutien de son recours, la commune de Vitry-sur-Seine reproche à la SCP HUGLO LEPAGE & Associés d'avoir multiplié les procédures sans avoir su protéger les fonds consignés et les récupérer et particulièrement, au vu de la première saisie-attribution infructueuse, d'avoir : - tardé à agir en nullité de la vente, - négligé de faire pratiquer une saisie conservatoire sur les fonds détenus par la CDC, - négligé, en omettant de faire appel de la décision du juge de l'expropriation refusant d'exécuter l'arrêté de déconsignation de la ville, d'exploiter toutes les chances de récupérer les fonds, - privé la ville de la voie de recours qui lui était ouverte pour conserver les fonds en commettant une grave erreur de procédure devant le juge de l'exécution aboutissant au rejet de son recours à l'encontre de la seconde saisie-attribution pratiquée par la société ROUGET DE L'ISLE sur les fonds consignés,
- manqué de diligence pour récupérer les fonds remis à la société ROUGET DE L'ISLE et prendre les garanties de nature à assurer leur récupération : retard dans la publication de l'arrêt confirmant l'annulation de la vente, dans la prise d'hypothèque ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE réplique qu'aucun de ces griefs n'est fondé ;
Sur le retard à agir en nullité de la vente
Considérant que la commune soutient que la SCP HUGLO LEPAGE aurait du lui conseiller d'engager une action en nullité de la vente dès l'annulation, le12 février 1993, des arrêtés de préemption d'autant que les fonds avaient été consignés, ce qui n'a pas été le cas selon les termes de sa consultation, que le fait de lui avoir conseillé de se rapprocher du notaire aux fins d'obtenir que la société ROUGET DE L'ISLE reprenne possession du bien ne dissimule pas la faute, mais la soumettait au bon vouloir de celle-ci ; qu'elle ajoute que si l'assignation en nullité de la vente avait été délivrée, le juge de l'exécution n'aurait pu valider les saisies-attributions ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE invoquant la volonté politique exprimée par la ville d'exercice systématique de son droit de préemption, pour permettre aux occupants de l'immeuble de se maintenir dans les lieux, répond que le jugement du tribunal administratif du 12 février 1993 étant devenu définitif, et dans l'ignorance que le prix avait été consigné, le conseil donné de faire préparer par le notaire un acte portant rétrocession du bien à la société ROUGET DE L'ISLE n'était pas contraire aux intérêts de la ville et évitait l'aléa d'une procédure ; qu'elle relève que, dans sa consultation du 27 juillet 1993, elle suggère à la ville d'exercer son droit de rétrocession ouvert au propriétaire du bien préempté en cas de non paiement du prix et propose comme autre solution, une action en nullité de la vente ; qu'elle ajoute que dans sa réponse faite par lettre du 29 juillet 1993, la ville n'envisage pas de mettre en 'uvre l'action en nullité de la vente et qu'elle ne donne instruction à son avocat de le faire que le 17 février 1995, ce qu'il fera en obtenant le bénéfice de la procédure à jour fixe ; qu'elle en déduit que la ville avait reçu les informations et conseils appropriés à la situation à laquelle elle était confrontée et qu'elle a chargé délibérément le notaire de préparer et présenter à la société ROUGET DE L'ISLE un acte de rétrocession qui ne sera finalement pas signé ;
Considérant que dans la consultation qu'elle a adressée le 27 juillet 1993 au maire de la ville de Vitry-sur-Seine, la SCP HUGLO LEPAGE & Associés rappelle, à la page 5, que le transfert de propriété s'est opéré dès la signature de l'acte de vente, que l'article L.213-14 du code de l'expropriation prévoit qu'en matière de préemption, le paiement doit intervenir dans les six mois à compter du transfert de propriété, que l'accord sur le prix soit intervenu de manière amiable ou judiciairement et que la sanction du non paiement du bien préempté ou de la non consignation du prix dans le délai est la rétrocession du bien ; qu'elle indique à son client que la première solution offerte à la ville, si elle ne veut pas payer est de laisser la société ROUGET DE L'ISLE obtenir la rétrocession du bien ; qu'elle poursuit, à la page 6, qu'une action en nullité de la vente pourrait éventuellement être engagée par la commune en relevant que la décision de préemption étant nulle, le maire peut être regardé comme n'ayant jamais été autorisé par le conseil municipal à passer la vente et qu'en conséquence, le contrat de vente est devenu nul le maire étant incompétent pour pour le signer, faute d'habilitation préalable du conseil municipal ; qu'elle ajoute qu'une autre solution consiste à laisser la situation telle qu'elle est et attendre que les vendeurs assignent éventuellement en paiement ;
Que s'il ressort des termes de cette consultation que la SCP HUGLO LEPAGE & Associés n'était pas informée de la consignation du prix entre les mains de la CDC, puisqu'elle évoque la sanction attachée à la non consignation, il apparaît que le maire de la commune lui a répondu, dès le29 juillet 1993, à la réception de cet écrit, qu'il faisait retirer l'arrêté de consignation et que ce faisant, la requête en annulation de l'arrêté de consignation que vient de déposer la SARL Rouget de Lisle et que je joins à ce courrier, n'aura plus d'objet ; qu'il lui demandait, en conclusion, de bien vouloir défendre les intérêts de la commune devant le tribunal administratif ; que dès le 29 juillet 1993, la SCP HUGLO LEPAGE avait donc connaissance de la consignation du prix de vente et, partant, de la possibilité pour la société ROUGET DE L'ISLE, acquéreur, muni d'un titre exécutoire constitué par l'acte notarié, d'appréhender les fonds consignés ;
Considérant que le 4 novembre 1993, la société ROUGET DE L'ISLE a fait pratiquer une saisie-attribution sur les fonds détenus par la CDC, saisie qui a été déclarée caduque par jugement du 27 mai 1994, de sorte qu'à cette date, les fonds détenus par la CDC étaient de nouveau disponibles ;
Qu'à supposer qu'au regard des délais habituels de procédure, l'action en nullité de la vente introduite dès le mois de novembre 1993, voire au mois de mai 1994, dès le prononcé de la caducité de la première saisie-attribution, n'ait été dénouée par le prononcé d'un arrêt que courant mai 1996, cette procédure qui remettait en cause la validité du titre exécutoire détenu par la société ROUGET DE L'ISLE pouvait être opposée, par la ville, pour contester la deuxième saisie-attribution pratiquée le 15 juin 1994 ;
Qu'il s'ensuit que la SCP HUGLO LEPAGE n'a pas rempli son obligation de conseil en ne proposant pas à son client d'exercer cette voie de droit, au plus tard en mai 1994, après le prononcé de la caducité de la première saisie-attribution, afin d'éviter une nouvelle saisie des fonds par la société ROUGET DE L'ISLE ;
Sur l'absence de saisie conservatoire des fonds détenus par la CDC concomitamment à la procédure de nullité de la vente
Considérant que la commune de Vitry-sur-Seine soutient, en deuxième lieu, que la SCP HUGLO LEPAGE a manqué à son devoir de conseil en ne lui suggérant pas de faire pratiquer une saisie conservatoire des sommes détenues par la CDC ; qu'elle expose qu'elle aurait été en mesure d'apporter la preuve de l'existence d'une créance paraissant fondée en son principe dès lors que l'annulation des arrêtés de préemption privait de base légale la vente intervenue en 1992 et qu'elle pouvait s'estimer créancière du prix de cette vente ; qu'elle ajoute qu'une saisie conservatoire rendait indisponible les fonds bloqués et interdisait à la société ROUGET DE L'ISLE de procéder à une saisie-attribution ultérieure en précisant que la saisie conservatoire aurait pu être pratiquée soit à l'automne 1993, soit après que la première saisie-attribution ait été jugée caduque, en mai 1994 ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE répond que le principe d'une créance ne pouvait être soutenu devant le juge de l'exécution que sur présentation de l'assignation en nullité de la vente qui a été délivrée le 17 mars 1995, alors que la saisie-attribution pratiquée par la société ROUGET DE L'ISLE était validée depuis le 15 juin 1994 ; qu'à la date du 15 juin 1994, la ville avait pris l'option de choisir la voie amiable et de se désengager par un acte de rétrocession dont elle avait chargée son notaire d'élaborer le projet ; qu'elle observe qu'une simple assignation en nullité de vente était impuissante pour priver d'effet le titre exécutoire constitué par l'acte authentique du 30 novembre 1992, qui avait au surplus reçu exécution sous la forme d'une consignation du prix ; qu'elle ajoute que le prix a été consigné de la propre volonté de la ville en exécution de l'arrêté pris par son maire, vainement contredit par l'arrêté de déconsignation ;
Considérant que selon l'article 67 de la loi du 9 juillet 1881 et l'article 210 du décret du 31 juillet 1992 pris pour son application, avant leur codification dans le code des procédures civiles d'exécution, toute personne dont la créance paraît fondée en son principe, peut solliciter du juge de l'exécution, par requête, l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire sur les biens de son débiteur si elle justifie de circonstances susceptibles d'en menacer le recouvrement ;
Que si ces dispositions n'imposent pas au créancier de justifier d'un principe certain de créance mais seulement d'une créance paraissant fondée en son principe, il doit rapporter la preuve que les deux conditions exigées par ces textes sont réunies ;
Que la saisie emporte de plein droit consignation des sommes indisponibles à concurrence du montant autorisé par le juge, le concours avec les saisies postérieures étant écarté pour la portion consignée jusqu'à l'obtention du titre exécutoire ; qu'elle s'impose au tiers saisi ;
Considérant, en l'espèce, que la vente de l'immeuble était privée de fondement juridique du fait de l'annulation des arrêtés de préemption, comme le relève la SCP HUGLO LEPAGE à la page 6 de la consultation du 27 juillet 1993 ; qu'il se déduit de cette constatation que la ville de [Localité 3] pouvait légitimement se prévaloir d'une créance de restitution du prix de vente paraissant fondée en son principe de nature à justifier une mesure conservatoire ; que la délivrance préalable d'une assignation en nullité de la vente n'était pas nécessaire pour saisir le juge de l'exécution, contrairement aux assertions de la SCP HUGLO LEPAGE, alors que l'annulation des arrêtés de préemption affectait la validité de la vente et par la même l'effet attaché à l'acte notarié ;
Que cette saisie pouvait produire effet qu'elle soit pratiquée, avant le 4 novembre 1993, date de la première saisie-attribution, ou après que cette mesure ait été déclarée caduque, le 27 mai 1994, les sommes consignées entre les mains de la CDC étant à nouveau disponibles, ce qui aurait privé d'effet la seconde saisie-attribution pratiquée par la société ROUGET DE L'ISLE, le 15 juin 1994; que le péril menaçant le recouvrement de la créance pouvait être suffisamment établi par les poursuites engagées par la société ROUGET DE L'ISLE dès le mois de juillet 1993 devant le juge des référés pour obtenir le paiement du prix de vente alors que les arrêtés de préemption étaient annulés ;
Qu'il convient de relever que la vente ayant été annulée, la ville de [Localité 3] a obtenu le titre exécutoire qui aurait conféré à la mesure conservatoire un effet attributif de la créance saisie;
Qu'en ne préconisant pas cette mesure conservatoire, utile pour préserver les droits de son client sur les fonds consignés, la SCP HUGLO LEPAGE a donc manqué à son devoir de conseil ;
* Sur l'omission d'interjeter appel de la décision du juge de l'expropriation du 20 octobre 1994
Considérant que, en troisième lieu, la commune de Vitry-sur-Seine fait grief à la SCP HUGLO LEPAGE d'avoir omis de l'informer sur la possibilité et l'opportunité de relever appel de la décision du juge de l'expropriation du 20 octobre 1994 qui a considéré qu'il n'y avait lieu de faire injonction à la société ROUGET DE L'ISLE de lui restituer la somme consignée tant que ne sera intervenu soit l'annulation de la vente, soit un acte notarié de rétrocession ; qu'elle prétend que cette omission lui a fait perdre une chance de voir exécuter l'arrêté de déconsignation ; qu'elle souligne que l'acte de vente ne prévoit pas à quelle date le prix devait être payé, qu'il pouvait donc être soutenu avec succès que la CDC se devait d'accepter d'exécuter l'arrêté de déconsignation et qu'en tout état de cause, le fait d'interjeter appel aurait contribué à éviter que la CDC ne soit confortée dans sa position et ne finisse par débloquer les fonds au profit de la société ROUGET DE L'ISLE ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE rappelle que la décision du juge de l'expropriation est exécutoire de droit et qu'entre les mois de juillet 1993 et octobre 1994, la ville traitera le dossier avec son notaire aux fins de négocier la rétrocession du bien immobilier avec la société ROUGET DE L'ISLE ;
Mais considérant que la ville ne saurait, sans se contredire, tout en critiquant la tardiveté de son conseil à agir en nullité de la vente et le choix qu'il lui a conseillé de proposer au vendeur d'exercer son droit de rétrocession, lui reprocher concomitamment de ne pas avoir poursuivi la procédure devant le juge de l'expropriation en relevant appel ;
Que, par ailleurs, comme le relève à juste titre la SCP HUGLO LEPAGE, la décision du juge de l'expropriation est exécutoire de droit ;
Qu'en outre, les chances de succès de l'appel de ce jugement étaient infimes ; qu'en effet, à défaut par le vendeur d'exercer son droit de rétrocession, la ville disposait d'une alternative, soit conserver la propriété du bien, soit engager une action en nullité de la vente ; qu'ainsi en l'absence d'un acte de rétrocession ou d'une décision prononçant la nullité de la vente, la CDC ne pouvait déconsigner les fonds ;
Que ce grief sera donc rejeté, aucun manquement par la SCP HUGLO LEPAGE à ses obligations professionnelles ne peut être retenu de ce chef ;
Sur l'erreur de procédure rendant irrecevable le recours formé devant le juge de l'exécution
Considérant que la commune de Vitry-sur-Seine soutient, en quatrième lieu, qu'alors que des moyens sérieux étaient soutenus, la SCP HUGLO LEPAGE a commis une faute en ne saisissant pas le juge de l'exécution dans le délai d'un mois de la dénonciation de la saisie-attribution ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE répond qu'à la date de la décision du juge de l'exécution, il n'y avait pas de repères juridiques alertant les praticiens sur l'obligation de procéder au placement de l'assignation délivrée dans le délai d'un mois de la dénonciation de la saisie-attribution ; qu'elle ajoute que la contestation de la ville, eût-elle été recevable, elle n'avait aucune chance de s'opposer à la saisie-attribution fondée sur un titre exécutoire, qu'en outre, les fonds saisis n'étaient plus des fonds publics mais le prix de vente du bien volontairement consigné, qu'en application de l'article L.213-4 du code de l'urbanisme, consignation vaut paiement et la somme consignée pouvait être appréhender par la partie bénéficiaire des fonds en exécution de l'acte notarié ; que la contestation élevée devant le juge de l'exécution n'était qu'un acte de défense à la revendication de la société ROUGET DE L'ISLE ;
Considérant que, pour déclarer irrecevable la contestation par la ville de Vitry-sur-Seine de la saisie-attribution pratiquée par la société ROUGET DE L'ISLE le 15 juin 1994, le juge de l'exécution, dans une décision confirmée par arrêt de la cour d'appel du 12 décembre 1996, retient que l'assignation n'a pas été placée au greffe dans le délai d'un mois à compter de la dénonciation de la saisie ;
Considérant que les éventuels manquements de l'avocat à ses obligations professionnelles doivent s'apprécier au regard du droit positif à l'époque de son intervention, sans que l'on puisse lui imputer à faute de n'avoir pas prévu une évolution postérieure résultant d'un revirement de jurisprudence ; que toutefois, il ne peut être exonéré de sa responsabilité pour manquement au devoir de conseil qu'en cas de revirement imprévisible ;
Considérant qu'il convient de relever que cette saisie-attribution aurait été vouée à l'échec si une mesure conservatoire avait été pratiquée ;
Considérant que selon l'article 15 du décret du 31 juillet 1992, le juge de l'exécution est saisi par la délivrance de l'assignation ; que l'article 66 du même décret prévoit que la contestation de la saisie-attribution est formée dans le délai d'un mois à compter de la dénonciation de la saisie au débiteur ;
Que la ville de [Localité 3] relève, à juste titre, que la jurisprudence des tribunaux et cours, approuvée par des arrêts de la 3ème chambre civile de la Cour de cassation du 6 mai 1987 et du 23 juin 1993, retenait que c'est la remise de l'assignation qui saisit le juge ; qu'il n'existait donc pas de réelle incertitude sur le contenu du droit positif ;
Que si cette jurisprudence a été critiquée par la doctrine et après la réforme intervenue par l'entrée en vigueur du décret du 18 décembre 1996, a donné lieu à un avis du 15 juin 1998 aux termes duquel la Cour de cassation a considéré que le juge de l'exécution est saisi au jour de la délivrance de l'assignation, sans attendre la mise au rôle de celle-ci, à la date où la procédure a été engagée, la prudence commandait de faire procéder au placement de l'acte dans le délai d'un mois ;
Que la responsabilité professionnelle de la SCP HUGLO LEPAGE est donc engagée pour manquement à l'obligation de prudence et de conseil ;
Sur l'absence d'attention aux mentions de la déclaration d'appel de la société ROUGET DE L'ISLE et les retards pris dans la publication de l'arrêt et la prise d'hypothèque
Considérant que la commune fait grief, en cinquième lieu, à la SCP HUGLO LEPAGE de n'avoir pas porté attention à la mention erronée de la déclaration d'appel, qui a été notifiée à la ville par la société appelante sur sa forme sociale, ce qui a retardé la procédure et l'exécution de la décision d'annulation de la vente ; qu'elle lui reproche, en outre, d'avoir tardé à publier l'arrêt et relève qu'elle n'a pas donné les instructions qui s'imposaient à l'avocat qu'elle avait chargé de l'exécution qui n'y a procédé qu'en 1999 ; qu'elle soutient que la SCP HUGLO LEPAGE a manqué à son obligation de diligence et que si la requête en rectification d'erreur matérielle, la publication de l'arrêt et l'inscription hypothécaire avaient été réalisés dans des délais plus courts, elle ne se serait pas heurtée à la procédure de redressement judiciaire de la société ROUGET DE L'ISLE ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE réplique que cette erreur n'a été révélée que par l'intitulé de l'arrêt, que la signification a été suspendue à la demande de la commune et qu'en tout état de cause, la responsabilité incombe à l'avoué qui a établi la requête, l'a présentée et soutenue devant la cour ; que sur le retard dans la publication de l'arrêt, la SCP HUGLO LEPAGE rappelle qu'elle a confié l'accomplissement de ces formalités à Maître [X] avec l'accord de la ville ; qu'elle ajoute que la prise d'hypothèque ne pouvait être efficace en l'état des inscriptions apparaissant sur les biens de la débitrice ;
Considérant qu'il ne saurait être fait grief à la SCP HUGLO LEPAGE de n'avoir pas relevé que la déclaration d'appel du jugement du 10 juillet 1995 annulant la vente était formée au nom de la SCI ROUGET DE L'ISLE au lieu de la SARL ROUGET DE L'ISLE alors que cette erreur est imputable à l'avoué de la société appelante, qui a déposé la requête en rectification d'erreur matérielle, et que les écritures échangées au cours de la procédure étaient bien établies au nom d'une SARL ;
Que par ailleurs, il ressort des pièces versées aux débats que la minute de l'arrêt prononcé le 6 novembre 1997 a été communiqué par l'avoué à la SCP HUGLO LEPAGE, le 14 novembre suivant, qui l'a adressée, le 26 janvier 1998, au directeur des affaires réglementaires de la mairie de Vitry-sur-Seine ; que dans cette lettre, la SCP HUGLO LEPAGE tout en informant son client des effets attachés à cette décision, lui rappelle que «pour l'instant, ainsi que vous l'avez demandé, la signification est suspendue », ce qui est confirmé par la mairie dans une correspondance en réponse du 27 janvier suivant ; que revenant sur cette position, la commune a souhaité que l'arrêt soit signifié, ce qui a été fait le 16 février 1998 ;
Qu'aucun reproche ne peut être retenu de ce chef à l'encontre de l'avocat ;
Considérant qu'il n'est pas contesté qu'avec l'accord de la commune de [Localité 3], les modalités d'exécution de l'arrêt, dont la publication à la conservation des hypothèques, ont été confiées à Maître [F] [X], avocat, à laquelle elle a réglé directement des honoraires ;
Que si la SCP HUGLO LEPAGE, dans une lettre adressée à sa cliente le 26 janvier 1998, lui indique qu'elle invitera Maître [X] à prendre une hypothèque judiciaire sur les biens immobiliers appartenant à la société ROUGET DE L'ISLE, il ressort des lettres datées des 10 décembre 1997 et 30 janvier 1998 que le maire de Vitry-sur-Seine a entendu saisir la trésorière principale municipale qui a compétence en matière de recouvrement des créances de la ville et donc d'inscription de garantie de cette mesure de sûreté et qu'elle a chargé cette employée de lever une fiche d'immeuble auprès des hypothèques afin d'être informée des créances restant inscrites par la Banque WORMS, prêteur de la SARL ; que la SCP HUGLO LEPAGE fait valoir, à juste titre, qu'elle n'avait aucune raison de déconseiller à la ville d'opérer de cette manière ;
Qu'en tout état de cause, la prise d'hypothèque se serait révélée inefficace alors que la Banque WORMS disposait sur les biens, objet de la vente, d'une hypothèque de premier rang de prêteur de deniers à hauteur de 32.500.000 F en principal, outre des intérêts et que la somme consignée d'un montant de 26.020.365 F ne permettait pas de désintéresser ce créancier hypothécaire et d'en ordonner la mainlevée ;
Qu'aucun reproche ne peut donc être retenu de ce chef à l'encontre de la SCP HUGLO LEPAGE ;
Sur le préjudice de la commune de [Localité 3]
Considérant que la commune soutient que les fautes commises par la SCP HUGLO LEPAGE ont entraîné le paiement, en pure perte, d'une somme de 3.966.779 €, représentant les fonds consignés, déduction faite des montants qu'elle a vocation à recevoir du liquidateur de la société ROUGET DE L'ISLE, soit 490.000 € et 19.126,73 € ; qu'elle sollicite, en outre, le remboursement des honoraires qu'elle a exposés en pure perte, soit la somme de 69.241 € ;
Que la SCP HUGLO LEPAGE répond que, pour être indemnisable, la perte de chance doit correspondre à une chance perdue réelle et sérieuse ; qu'elle fait valoir, à cet effet, que la ville ne lui a pas donné instruction d'assigner en nullité de la vente mais l'a informée de son intention d'engager des négociations, qu'à cette date, elle n'avait aucune raison de craindre une incapacité de la société ROUGET DE L'ISLE de rembourser le prix, que l'assignation en nullité de la vente aurait-elle été régularisée, elle n'aurait pas permis de faire échec à l'appréhension des fonds par la société ROUGET DE L'ISLE qui disposait d'un titre exécutoire et que par sa politique de préemption systématique dans un but exclusivement politique, la ville est responsable du dommage dont elle se plaint ;
Que sur la demande de remboursement des honoraires, elle soutient qu'elle n'a fait que défendre les intérêts de la ville poursuivie en paiement du prix de vente, que les prestations judiciaires n'ont pas été dépourvues de résultat ;
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Considérant que le préjudice de la commune réside dans la perte d'une chance de pouvoir recouvrer, par des conseils appropriés, le prix de vente consigné auprès de la CDC ;
Considérant que se prévalant d'une créance de restitution paraissant fondée en son principe et de la délivrance d'une assignation en nullité de la vente, la ville de [Localité 3] pouvait espérer obtenir du juge de l'exécution, par une requête déposée, soit avant le 4 novembre 1993, soit dès le prononcé de la caducité de la première saisie-attribution, l'autorisation de pratiquer une mesure conservatoire, la procédure de nullité de la vente fût-elle pendante dès lors que le titre exécutoire que détenait la société ROUGET DE L'ISLE était privé de fondement en raison de l'annulation des arrêtés de préemption ;
Que toutefois, la ville, par sa politique immobilière de préemption systématique, sans projet sur les biens ainsi acquis, prenant le risque d'encourir l'annulation des arrêtés pris illégalement, a contribué à la réalisation de son préjudice ; qu'il n'est pas contesté que par 12 décisions, toutes annulées par le tribunal administratif, la ville a exercé son droit de préemption et qu'une fois, le prix fixé par le juge de l'expropriation, a, à de nombreuses reprises, renoncé à poursuivre cette opération ; que la SCP HUGLO LEPAGE n'est intervenue dans le dossier qu'une fois les arrêtés de préemption annulés ; que cette attitude a fragilisé la situation financière de la société ROUGET DE L'ISLE, propriétaire d'un ensemble immobilier important, en la privant de la disposition de son bien et du prix, ce qui a conduit à l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire ;
Qu'au vu de ces éléments, il y a lieu d'évaluer à 50 % la perte de chance pour la commune de pouvoir appréhender les fonds consignés ; que son préjudice sera donc fixé à la somme de
1. 728. 800 € ; que la SCP HUGLO LEPAGE sera condamnée au paiement de cette somme et sera garantie par son assureur, la société MMA IARD dans les limites du contrat ;
Considérant que les procédures dans lesquelles la SCP HUGLO LEPAGE a assuré la défense de la ville poursuivie en paiement du prix du bien cédé, comme les procédures engagées devant le juge de l'exécution puis devant le tribunal et la cour en nullité de la vente étaient nécessaires pour parvenir à l'obtention des fonds ; que la ville ne saurait tout à la fois réclamer l'indemnisation du préjudice résultant de la privation des sommes consignées et le remboursement des honoraires d'avocat afférents aux procédures destinées à reprendre possession des sommes consignées ;
Que cette demande sera donc rejetée ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile doivent bénéficier à la ville ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 20.000 € ;
PAR CES MOTIFS
La cour,
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Dit que la SCP HUGLO LEPAGE & Associés a engagé sa responsabilité professionnelle à l'égard de la Ville de Vitry-sur-Seine,
Condamne la SCP HUGLO LEPAGE & Associés à payer à la commune de Vitry-sur-Seine la somme de 1.728.800 € en réparation du préjudice résultant d'un manquement à ses obligations professionnelles,
Condamne la SCP HUGLO LEPAGE & Associés à payer à la commune de Vitry-sur-Seine la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Dit que la société MMA IARD devra garantir la SCP HUGLO LEPAGE & Associés dans les limites de la police d'assurance,
Rejette le surplus des demandes,
Condamne la SCP HUGLO LEPAGE & Associés aux dépens qui pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile .
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,