COUR D'APPEL DE
VERSAILLES
Code nac : 27F
2e chambre 2e section
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 06 MAI 2014
R. G. No 13/ 03514
AFFAIRE :
Borna X... divorcée Y...
C/
Luka Y...
Décision déférée à la cour : Ordonnance de référé rendue le 19 Avril 2013 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE No Chambre : 1 JAF
No Cabinet : 4
No RG : 13/ 03935
Expéditions exécutoires
Expéditions délivrées le :
à :
Me Claire RICARD SCP LISSARRAGUE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE SIX MAI DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame Borna X... divorcée Y... née le 07 Septembre 1970 à ZAGREB (CROATIE)
de nationalité Croate
...
Représentant : Me Claire RICARD, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES-No du dossier 2013232
Représentant : Me Dominique PIWNICA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0728
APPELANTE
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Monsieur Luka Y... né le 04 Avril 1964 à KONJIC (BOSNIE-HERZEGOVINE)
de nationalité Croate
...
Représentant : SCP LISSARRAGUE DUPUIS & ASSOCIES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625- No du dossier 1352194 Représentant : Me Maguy BIZOT, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0941
INTIME
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Mars 2014 en chambre du conseil, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Florence CASSIGNARD, Conseiller chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Dominique SERAN, Présidente, Madame Agnès TAPIN, Conseiller,
Madame Florence CASSIGNARD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Claudette DAULTIER,
Le délibéré initialement prévu au 27 Mai 2014 a été avancé au 06 Mai 2014.
FAITS ET PROCEDURE,
Monsieur Luka Y... et Madame Borna X... se sont mariés le 25 mai 1996 à Dubrovnik (Croatie) ; trois enfants sont nés de cette union :
Borna, né le 31 octobre 1996, à Zagreb (Croatie)
Luka, né le 12 août 1998, à Zagreb (Croatie) Fran, né le 29 mars 2000, à Zagreb (Croatie)
La famille s'est installée à Genève en 2004.
Par jugement du 3 mars 2006, rectifié le 20 mars 2006, le tribunal de première instance de Zagreb (Croatie) a :
- dit que les enfants communs continueront de vivre avec leur mère,- dit que le père exercera un droit de visite et d'hébergement deux fins de semaine par mois, une semaine pendant les vacances d'hiver et deux semaines pendant les vacances d'été,
- mis à la charge du père une contribution de 10 000 francs suisses par enfant.
Mme X... et les enfants se sont ensuite installés en France à compter de 2006, M. Y... vivant toujours à Genève.
L'enfant ainé Borna vit chez son père depuis janvier 2013, sur demande de l'enfant à laquelle la mère a accédé.
Autorisé par ordonnance du 4 avril 2013, M. Y... a fait assigner le 5 avril 2013 Mme X... en référé d'heure à heure.
Par ordonnance de référé du 19 avril 2013, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Nanterre a :
- ordonné le transfert sans délai de la résidence de Fran au domicile du père à Genève,
- ordonné l'inscription de Fran au collège du Leman à Genève dès que possible, et autorisé en tant que de besoin M. Y... à procéder seul à cette inscription,- dit que sauf meilleur accord, le droit de visite et d'hébergement de la mère sera suspendu du 19 avril 2013 au 31 mai 2013 inclus,
- dit que sauf meilleur accord, à compter du 1er juin 2013 la mère bénéficiera sur Fran d'un droit de visite et d'hébergement tous les week-ends impairs de chaque mois, du vendredi 20h au dimanche 18h, ainsi que durant la moitié de toutes les vacances scolaires (la 1ère moitié des vacances les années impaires et 2ème moitié des vacances les années paires), avec prise en charge des frais de transport de l'enfant par le père,
- précisé que le père, ou une personne digne de confiance désignée par lui, devra assumer le transport de Fran à l'occasion de l'exercice du droit de visite et d'hébergement de la mère,- ordonné la remise sans délai par la mère au père du passeport de Fran et dit qu'à défaut le père est autorisé à faire quitter le territoire national à l'enfant à destination uniquement de la Confédération Helvétique,
- ordonné une expertise médico-psychologique, confiée au Docteur Pierre Z... à l'Assoedy-dit que l'expert déposera son rapport avant le 30 juin 2013,
- dit que le père devra consigner1. 600 ¿ à valoir sur la rémunération de l'expert,
- invité les parties à saisir la juridiction compétente au fond, en ouverture du rapport d'expertise,- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- ordonné la transmission de la présente décision, à toutes fins utiles, au procureur de la République de Nanterre,
- dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens.
Par déclaration du 2 mai 2013, Mme X... a interjeté appel de cette décision.
Fin avril 2013, M. Y... a par ailleurs saisi la juridiction suisse (tribunal de première instance de Genève) de plusieurs requêtes concernant Borna et Fran, qui ont notamment donné lieu, s'agissant du seul mineur Fran, à :- une décision de la chambre civile de la cour de justice de Genève du 14 mars 2014 qui a, réformant un jugement du 29 juillet 2013 du tribunal de première instance de Genève, accueilli l'exception de litispendance de Mme X... quant aux mesures provisionnelles demandées par le père, et déclaré les conclusions de ce dernier en la matière irrecevables ; M. Y... aurait fait un recours devant le tribunal fédéral suisse contre cette décision de la cour de justice de Genève.- une ordonnance sur mesures provisionnelles du tribunal de première instance de Genève du 24 février 2014, qui a maintenu l'autorité parentale conjointe, attribué au père la garde de Borna et de Fran, supprimé la contribution due par lui pour les deux enfants, a accordé à la mère un droit de visite à l'égard de ses fils, et instauré une curatelle de surveillance et d'organisation des relations entre Fran et sa mère. Mme X... a fait appel de cette décision devant la chambre civile de la cour de justice de Genève.- une ordonnance du 3 mars 2014 du tribunal de première instance de Genève, qui a décidé la suspension de la procédure au fond jusqu'à droit jugé sur les exceptions d'incompétence et de litis pendance soulevées.
Le rapport du Docteur Z... a été déposé le 31 octobre 2013 Le 13 septembre 2013, Mme X... a saisi le juge aux affaires familiales de Nanterre au fond pour qu'il soit statué sur la résidence de Fran. Dans ses dernières conclusions d'appel du 24 mars 2014, Mme X... demande à la cour d'infirmer l'ordonnance de référé entreprise et de :
à titre liminaire dire la demande d'incompétence de M. Y... irrecevable, sur le fondement de l'article 74 du code de procédure civile,- subsidiairement, dire cette demande mal fondée, l'en débouter, et dire la cour d'appel de Versailles compétente pour connaître de ce litige,
- dire la demande de sursis à statuer de M. Y... mal fondée,- dire et juger que l'autorité parentale sur l'enfant Fran sera exercée à titre exclusif par la mère,
- fixer la résidence de Fran chez sa mère,
- accorder au père un droit de visite et d'hébergement usuel, les trajets de l'enfant étant à sa charge En toute hypothèse :
- ordonner une contre-expertise sur le fondement des articles 373-2-11 et 373-2-12 du code civil qui devra être diligentée dans les plus brefs délais,
- condamner M. Y... à 5. 000 ¿ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens.
Dans ses dernières conclusions du 24 mars 2014, M. Y... demande à la cour de :
- au principal, vu l'article 5 de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996, dire que les juridictions suisses sont devenues seules compétentes pour statuer sur les mesures relatives à l'autorité parentale, au droit de garde, à la fixation du lieu de résidence de Fran, et à la contribution afférente à celui-ci, et se déclarer incompétente à leur profit,
- à défaut, surseoir à statuer dans l'attente de la décision du Tribunal Fédéral Suisse statuant sur l'exception de litispendance internationale soulevée par Mme X..., l'arrêt rendu par la Cour de justice de Genève du 14 mars 2014, n'étant pas définitif à ce jour,- subsidiairement :
- dire que Fran a sa résidence habituelle chez son père, à Genève, depuis le 19 avril 2013,
- dire que le Tribunal de Genève a statué sur les mesures provisionnelles par ordonnance du 24 février 2014, notifiée aux parties,- dire que les mesures ordonnées par cette juridiction devront continuer à s'appliquer,
- dire en conséquence que Fran continuera à résider habituellement chez son père et que dans un premier temps, Mme X... exercera à propos de Fran un droit de visite une demi-journée tous les quinze jours, sur le territoire genevois et en présence d'une personne jouissant de la confiance de Fran et de sa mère, à déterminer entre les parents et le curateur désigné par le Tribunal de Genève,
- très subsidiairement, vu les articles 484 et suivants, 808 et suivants, 917 et suivants, 1073 et suivants, 1137 du Code de Procédure Civile, les articles 371-1 et suivants du Code Civil, et vu le rapport du Docteur Z... et celui du service de protection des mineurs suisse :- ordonner avant dire droit l'audition de Fran,
- dire Mme X... recevable mais mal fondée en son appel,- confirmer l'ordonnance de référé en ce qu'elle a ordonné le transfert de la résidence de Fran au domicile du père, à Genève,
- dire que Fran continuera à résider habituellement chez son père,
- dire que dans un premier temps, Mme X... exercera à propos de Fran un droit de visite une demi-journée tous les quinze jours, sur le territoire genevois et en présence d'une personne jouissant de la confiance de Fran et de sa mère, à déterminer entre les parents et le curateur désigné par le Tribunal de Genève,- en tout état de cause, débouter Mme X... de toutes ses demandes et la condamner en tous les dépens.
Pour un exposé plus détaillé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie à leurs écritures, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 25 mars 2014.
Fran a été entendu à sa demande par le conseiller de la mise en état le 5 mai 2014.
- sur la compétence
Il est indéniable que le litige présente des éléments d'extranéité, s'agissant de la résidence d'un enfant né de parents croates dont l'un réside en France et l'autre en Suisse ; dès lors, la compétence de la cour d'appel doit être examinée au regard du règlement 2201/ 2003 du conseil du 27 novembre 2003 en matière matrimoniale et en matière de responsabilité parentale, dit Bruxelles II bis, directement applicable en France ; la cour ne saurait, comme le propose l'appelante, se contenter de rejeter l'exception d'incompétence de M. Y... ; elle est tenue, en application de l'article 17 du dit règlement, de vérifier sa compétence ;
Il ressort de l'article 8 de ce règlement que les juridictions d'un Etat membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale à l'égard d'un enfant qui réside habituellement dans cet Etat au moment où la juridiction est saisie ;
Il ressort de l'article 61 de ce règlement que les dispositions de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 cèdent le pas au dit règlement lorsque l'enfant a sa résidence habituelle sur le territoire d'un Etat membre ;
Le juge doit se placer au jour de sa saisine pour déterminer si l'enfant a ou non une résidence habituelle sur son territoire ; en l'espèce, Fran a vécu en France à compter de 2006 ; il y résidait lorsque son père a introduit un référé devant le juge aux affaires familiales français, première juridiction saisie ; à ce jour, Fran se trouve en Suisse en application d'une ordonnance provisoire du juge aux affaires familiales de Nanterre n'ayant pas au principal autorité de la chose jugée ; le juge des référés a d'ailleurs expressément invité les parties à saisir le juge du fond en ouverture du rapport d'expertise ; aucune décision de fond décidant de la résidence de Fran n'est intervenue, ni en France, ni en Suisse, où la procédure au fond est d'ailleurs suspendue ; la cour d'appel de Versailles est donc compétente pour statuer ;
- sur la loi applicable :
Le règlement Bruxelles II bis ne régissant pas cette question, il y a lieu de faire application de la Convention de La Haye du 19 octobre 1996 pour déterminer la loi que le juge français doit appliquer ; en application de l'article 17, il s'agit de la loi de la résidence habituelle du mineur, inchangée à ce jour, soit la loi française ;
- sur la demande de sursis à statuer
M. Y... n'apporte aucun élément justifiant qu'il a effectivement engagé un recours contre la décision de la chambre civile de la cour de justice de Genève du 14 mars 2014 devant le Tribunal Fédéral, ni ne justifie d'ailleurs qu'un tel recours devant la juridiction suprême suisse soit suspensif ; sa demande de sursis à statuer sera rejetée ;
- sur les mesures ordonnées par le premier juge
C'est par des motifs extrêmement détaillés et tout à fait adaptés que le premier juge, après avoir analysé la situation de crise familiale et entendu Luka et Fran, a, par ordonnance de référé, ordonné les mesures d'investigation psychologique qui s'imposaient, décidé le transfert de la résidence de Fran chez son père, sa scolarisation à Genève, donné à la mère un droit de visite et d'hébergement un week end sur deux et la moitié des vacances scolaires, avec prise en charge des frais de transport par le père, rappelé qu'il statuait par ordonnance provisoire, et demandé aux parties de saisir au fond en ouverture de rapport, ce que Mme X... a fait ;
La cour estime devoir adapter ces motifs, étant observé que l'audition de Fran par le conseiller de la mise en état, dans laquelle il a réitéré sa volonté de vivre en Suisse avec son père, n'a pas apporté d'élément nouveau, et que les parties ne font valoir aucun argument de nature à remettre en cause la décision de référé, les développements dans leurs conclusions concernant le contenu du rapport du Docteur Z... ou l'évolution actuelle de la situation de l'adolescent, relevant du juge du fond ; la cour observe que le juge suisse saisi postérieurement par M. Y... a rendu des mesures provisionnelles similaires et suspendu tout examen de la situation au fond ; le juge du fond français, seul saisi, devra se prononcer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale concernant Fran, et statuera au vu des dispositions de l'article 373-2-11 du code civil lui demandant de prendre notamment en considération la pratique que les parents avaient précédemment suivie, les sentiments exprimés par l'enfant mineur, les résultats des enquêtes et expertises, les pressions ou violences physiques ou psychologiques exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre, et l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs et respecter les droits de l'autre ;
- sur les demandes d'autorité parentale exclusive sur Fran et de contre expertise formulées par Mme X...
Ces demandes seront rejetées car nouvelles en appel ; surabondamment, le transfert d'autorité parentale n'a pas lieu d'être, les dispositions de l'ordonnance de référé étant confirmées en appel, et la contre-expertise psychologique n'est pas opportune au vu des nombreuses mesures d'investigations déjà ordonnées par les juges français et suisse dans ce dossier ;
- sur la demande d'audition de Fran formulée à titre très subsidiaire par M. Y...
Il a été fait droit à cette demande pendant le temps du délibéré, l'enfant ayant lui-même par courrier du 14 avril 2014 demandé à être entendu ;
- sur les dépens
Considérant qu'il est équitable que chaque partie conserve ses dépens ;
- sur l'article 700 du code de procédure civile
Considérant qu'il s'agit d'un litige d'ordre familial, qu'il n'apparait par conséquent pas inéquitable de laisser à la charge de chacune des parties les sommes exposées et non comprises dans les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant en chambre du conseil, par arrêt rendu CONTRADICTOIREMENT et en dernier ressort, après débats en chambre du conseil,
REJETTE l'exception d'incompétence et la demande de sursis à statuer ;
DECLARE la cour compétente ;
CONFIRME la décision entreprise ;
DEBOUTE les parties de leurs autres demandes ;
DIT que chaque partie supportera ses dépens ;
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Dominique SERAN, Présidente et par Madame Claudette DAULTIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,