COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 96B
1re chambre 1re section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 05 MAI 2014
R.G. N° 12/05534
AFFAIRE :
COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DE SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES
C/
SA FRANCE TELECOM
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 12 Avril 2012 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 03
N° Section :
N° RG : 11/10752
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Franck LAFON, avocat au barreau de VERSAILLES
SCP LISSARRAGUE DUPUIS & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE CINQ MAI DEUX MILLE QUATORZE,
La cour d'appel de Versailles, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION DE SAINT-QUENTIN-EN-YVELINES, (CASQY) agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité de droit audit siège.
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentant : Me Franck LAFON, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618 - N° du dossier 20120417
Plaidant par Me VANDEPOORTER, substituant Me Marie Hélène PACHEN LEFEVRE de la SCP SEBAN ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0498
APPELANTE
****************
ORANGE (anciennement dénommée FRANCE TELECOM) représentée par son représentant légal domicilié es-qualité audit siège
Siège social [Adresse 2]
[Localité 1]
Représentant : SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD, LEXAVOUE PARIS VERSAILLES avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 - N° du dossier 1250742
Plaidant par Me Alexandre LIMBOUR, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : T700
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Mars 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, président et Madame Dominique LONNE, conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président,
Madame Dominique LONNE, Conseiller,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
Le 13 juillet 2011, la société France télécom a fait établir un premier constat d'huissier pour faire constater :
-que la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines (qui sera ci-après désignée CASQY) , par l'intermédiaire d'entreprises agissant pour son compte, effectuait des travaux de réfection des trottoirs et de la chaussée touchant aux infrastructures de génie civil de France télécom, dans la commune de [Localité 4] (Yvelines), [Adresse 3], [Adresse 7] et [Adresse 4] sans l'en avoir préalablement informée.
-que les ouvrages de génie civil, dont la société Orange (anciennement dénommée France télécom) estime être propriétaire, avaient été altérés ou endommagés ;
- que les chambres lui appartenant avaient été ouvertes, étaient restées béantes sans aucune barrière de sécurité ; que la CASQY a fait construire des emplacements de parking au dessus de certaines des chambres de France télécom, les rendant ainsi inaccessibles.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du même jour, la société France télécom a rappelé à la CASQY qu'elle était propriétaire des ouvrages de communications électroniques sur lesquels les entreprises de travaux intervenaient sans qu'elle n'ait reçu d'information préalable et lui a demandé de suspendre les travaux sur les ouvrages en cause, et d'en assurer dans l'intervalle la sécurisation.
La CASQY a répondu qu'elle avait reçu des communes la compétence en matière de communications électroniques, et a opposé qu'elle est propriétaire des infrastructures se trouvant sur son territoire et a refusé de suspendre les travaux.
La société France télécom a fait établir un deuxième constat d'huissier le 21 juillet 2011 [Adresse 5], [Adresse 4], et [Adresse 7] dans la commune de [Localité 4], pour faire constater que la CASQY poursuivait les travaux nonobstant la demande de suspension et que la poursuite de ces interventions sans aucune autorisation avait aggravé les troubles et dégradations causés aux infrastructures lui appartenant, la société France télécom faisant valoir que la CASQY a condamné certaines des chambres qui sont sa propriété, en ôtant les trappes d'origine et en les remplaçant par des tampons (plaques métallisées assurant la fermeture, l'accès aux chambres et, en conséquence, la sécurisation des installations de communications électroniques) comportant des serrures à clef, les rendant ainsi sciemment inaccessibles à la société France télécom.
La société France télécom a mis en demeure le jour même la CASQY de réinstaller sans délais les trappes qui avaient été remplacées.
Un troisième constat d'huissier a été effectué sur les lieux le 8 août 2011, constatant la préparation de l'implantation d'arbres nécessitant donc un enfouissement profond dans le prolongement immédiat des chambres litigieuses.
Dans ces conditions, la société France télécom a assigné la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines devant le tribunal de grande instance de Versailles, par acte du 13 décembre 2011, afin que :
- soit mis un terme aux travaux entrepris par la CASQY dans le mépris des règles d'ingénierie et de sécurité d'une part, et de son droit de propriété d'autre part ;
- soit sanctionné, sur le fondement de la voie de fait commise, le comportement de la CASQY en ce qu'il est manifestement insusceptible d'être rattaché à un pouvoir appartenant à une autorité administrative,
- soit ordonnée la remise en état des infrastructures concernées.
La société France télécom a sollicité l'allocation de la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts.
Par jugement du 12 avril 2012, le tribunal de grande instance de Versailles a :
- constaté que la SA FRANCE TELECOM est propriétaire des infrastructures de génie civil sur l'[Adresse 7] (coté impair), sur l'[Adresse 3] et sur l'[Adresse 6] dans la commune de [Localité 4] ;
- constaté que la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines a commis une voie de fait à l'encontre des infrastructures de génie civil de la SA FRANCE TELECOM situées sur l'[Adresse 7] (coté impair), sur l'[Adresse 3] et sur l'[Adresse 6] dans la commune de [Localité 4] ;
- rejeté en conséquence l'incompétence soulevée par la communauté d'Agglomération de Saint Quentin en Yvelines ;
- ordonné une expertise et désigné un expert pour y procéder avec mission de :
se rendre sur place [Adresse 7], [Adresse 3] et [Adresse 4], commune de [Localité 4],
établir la liste des infrastructures de génie civil dont la société France télécom est propriétaire dans ces trois avenues,
dire si les travaux touchant aux infrastructures de génie civil sont toujours en cours dans ces trois avenues,
recenser l'état de ces infrastructures de génie civil, que ce soit en externe et en interne ainsi que les changements de trappes,
déterminer et établir la liste des travaux de remise en état nécessaires,
s'assurer de la bonne exécution de ces travaux dans les règles de l'art et d'ingénierie par la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines, par un contrôle préliminaire et a posteriori des travaux effectués;
- enjoint à la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines de procéder aux remises en état des infrastructures de génie civil dont la SA FRANCE TELECOM est propriétaire sur les [Adresse 7], [Adresse 3] et [Adresse 4] dans la commune de [Localité 4] suivant la liste établie par l'expert dans un délai de deux mois après son établissement, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de cette date ;
-condamné la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines à verser à la SA FRANCE TELECOM la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
- condamné la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines à verser à la SA FRANCE TELECOM la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- ordonné l'exécution provisoire,
-rejeté le surplus des demandes de la SA France Télécom,
-condamné la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines aux dépens, qui comprendront les frais de l'expertise.
Par déclaration du 26 juillet 2012, la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions signifiées le 05 février 2014 par la communauté d'agglomération de St Quentin en Yvelines, auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et par lesquelles, poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, elle demande à la cour de :
- in limine litis, dire le juge judiciaire incompétent et renvoyer la société France Télécom à mieux se pourvoir devant le juge administratif compétent,
- à titre subsidiaire, débouter la société France Télécom de l'ensemble de ses demandes,
- en tout état de cause, condamner la société France Télécom à lui verser la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens de première instance et d'appel, avec application de l'article 700 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions signifiées le 17 février 2014 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et par lesquelles la société anonyme ORANGE anciennement dénommée FRANCE TELECOM , demande à la cour de :
confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
*constaté qu'ORANGE est propriétaire des infrastructures de génie civil sur l'[Adresse 7], sur l'[Adresse 3] et sur l'[Adresse 4] dans la commune de [Localité 4] ;
*constaté que la CASQY a engagé des travaux de voirie sur le génie civil d'ORANGE sans autorisation, a gravement détérioré les infrastructures d'ORANGE et en a condamné leur accès, a[Adresse 5], [Adresse 7], et [Adresse 4] à [Localité 4] (Yvelines) ;
*constaté que les agissements de la CASQY constituent une voie de fait à l'encontre des infrastructures de génie civil d'ORANGE sur l'[Adresse 7], sur l'[Adresse 3] et sur l'[Adresse 4] dans la commune de [Localité 4] ;
*rejeté l'incompétence soulevée par la CASQY ;
*constaté que les agissements de la CASQY ont causé un préjudice grave et certain à ORANGE qu'il convient de réparer.
*ordonné une expertise aux fins notamment de déterminer les travaux de remise en état à engager nécessairement par la CASQY ;
*enjoint à la CASQY de procéder aux remises en état des infrastructures de génie civil dont ORANGE est propriétaire sur les [Adresse 7], [Adresse 3] et [Adresse 4] dans la commune de [Localité 4] suivant la liste établie par l'expert, sous astreinte ;
*condamné la CASQY à dédommager ORANGE de son préjudice ;
réformer le jugement entrepris en ce qu'il n'a alloué à la société ORANGE que la somme de 10.000 euros à titre de dommages- intérêts et condamner la CASQY à verser à la société ORANGE la somme de 40.000 euros à titre de dommages-intérêts ;
y ajoutant,
condamner la CASQY à lui payer la somme de 20.000 € en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
condamner la CASQY aux entiers dépens de l'instance, avec application de l'article 699 du code de procédure civile ;
MOTIFS DE LA DECISION
Pour être caractérisée, la voie de fait suppose :
-d'une part , lorsqu'il s'agit d'une atteinte à la propriété immobilière, une emprise sur cette propriété par une dépossession ou une occupation d'un bien appartenant à une personne privée,
-d'autre part, une irrégularité grossière, consistant en une lourde méconnaissance par l'autorité administrative de ses pouvoirs, ce qui est le cas notamment lorsqu'une décision est manifestement insusceptible de se rattacher à l'existence d'un pouvoir appartenant à l'administration.
La voie de fait donne compétence au juge judiciaire pour assurer la réparation des préjudices par l'allocation de dommages-intérêts, et si aucune procédure de régularisation appropriée n'a été engagée, par l'injonction de mettre fin aux agissements constitutifs de la voie de fait.
L'appelante soulève l'incompétence du juge judiciaire en l'absence de voie de fait dont, selon elle, les deux condition essentielles ne sont pas réunies : l'extinction d'un droit de propriété et d'autre part un agissement qui est manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l'autorité administrative.
En premier lieu, sur la question de la propriété des infrastructures de génie civil situées [Adresse 7], [Adresse 3] et [Adresse 4] dans la commune de [Localité 4], la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines (CASQY) fait grief au tribunal d'avoir dit que la société France télécom devenue Orange est propriétaire des infrastructures litigieuses.
Mais par la loi n°90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications, le service public des télécommunications, jusque là géré par l'Etat, a été confié à une personne morale de droit public, France télécom.
L'article 22 de cette loi prévoyait que l'ensemble des biens immobiliers et mobiliers du domaine public ou privé de l'Etat attachés aux services relevant de la direction générale des télécommunications était transféré gratuitement et en pleine propriété à France télécom.
En vertu de la loi n°96-660 du 26 juillet 1996 relative à l'entreprise nationale France télécom, la personne morale de droit public France télécom a été transformée en une entreprise nationale soumise aux dispositions applicables aux sociétés anonymes, et il a été mis fin au monopole et à la compétence exclusive de France Télécom pour établir, exploiter et entretenir les réseaux de télécommunications.
Conformément à l'article 1 de la dite loi, les biens, droits et obligations de la personne morale de droit public France télécom ont été transférés de plein droit au 31 décembre 1996 à l'entreprise nationale France télécom, et les biens de la personne morale de droit public France télécom relevant du domaine public ont été déclassés à la même date.
Il en résulte que les infrastructures, affectées à des services de télécommunications destinés au public, établies antérieurement au 1er janvier 1997 sont demeurées la propriété de France télécom.
La société Orange anciennement dénommée France télécom soutient qu'en ce qui concerne les infrastructures de génie civil des trois avenues en litige, elles ont été effectuées avant 1996.
A cet égard, elle verse aux débats, en pièce 19, un plan masse du réseau téléphonique du quartier du [Localité 3] à [Localité 4], document émanant de l'établissement public d'aménagement de la ville nouvelle, en date du 09 septembre 1992, portant le cachet de la direction opérationnelle de Saint Quentin en Yvelines et sur lequel figure la mention de cinq installations de chambres de tirage d'un coté de l'[Adresse 7] (L3T,L5T) et de six installations des deux cotés de l'[Adresse 3] (A2).
Il convient de préciser que dans différents constats, les huissiers de justice ont identifié les chambres de tirage par des lettres de l'alphabet en correspondance avec l'emplacement des chambres de tirage figurant sur ce plan masse.
Le document du 09 septembre 1992 est étayé par les trois plans émanant de France télécom établis en mai et juin 1993 pour les [Adresse 7], [Adresse 8] et [Adresse 3], dans le cadre du projet 3301ZA, plans versés aux débats et qui font apparaître les chambres de tirage sur les dites avenues.
En outre, dans son constat établi le 13 juillet 2011, [Adresse 5], [Adresse 7] et [Adresse 4] à [Localité 4], Me [X], huissier de justice, a constaté notamment :
[Adresse 5]
- que les deux tampons d'une chambre de transport située en milieu de voirie portent le logo de France télécom ;
- la présence d'une chambre de distribution dont les tampons au nombre de trois sont marqués du logo de France télécom ;
-la présence d'une chambre de distribution dont le tampon en fonte visible est marqué du logo de France télécom caractérisé par un cadran téléphonique et un combiné et se trouve estampillé 'Norinco' ;
angle [Adresse 3] et [Adresse 4]
-la présence d'une chambre de distribution L3T à l'intérieur de laquelle se trouve un ensemble de câblages d'alimentation;
-la présence d'un câble se trouvant dans une chambre de distribution, marqué de l'année 1990;
[Adresse 7]
- les tampons d'une chambre L5T sont marqués du logo France télécom caractérisé par un cadran téléphonique et un combiné ;
-que face à la crêperie du [Localité 3] une chambre de transport et de distribution est visible, que les tampons de cette chambre portaient les logos PTT ; que dans cette chambre, se trouve gravé sur un câble « Année 1985 PTT 88-28-6 » ;
-que sur le trottoir opposé au trottoir longeant l'immeuble portant le numéro 18, à l'intérieur d'une chambre se trouve un câble portant une étiquette marquée du logo France télécom et sur lequel se trouve gravé « Année 1985 ».
Dans son constat du 3 novembre 2011, l'huissier de justice a relevé dans le prolongement de la chambre ' F' et au niveau de la chambre 'H' , la présence de chambres sur laquelle était indiqué 'Norinco'.
Au surplus, la société France télécom produit trois arrêtés du maire de la commune de [Localité 4] du 31 août 1993, du 11 juillet 1994 et du 6 décembre 1994 suivant lesquels, dans le cadre de travaux de génie civil exécutés pour le compte de France télécom, maître d'ouvrage, pour l' amélioration du réseau existant, les sociétés CEGELLEC et CORETEL étaient autorisées à intervenir sur la voirie communale notamment [Adresse 4], [Adresse 9]e.
Il résulte du dossier que la mairie de [Localité 4] a, en septembre 2004, demandé à France télécom d'intervenir [Adresse 3] afin que le bruit causé par l'une de ses chambres objet du présent litige soit résorbé.
La CASQY n'apporte pas de preuve contraire de la qualité de propriétaire des infrastructures objet du litige, qualité dont elle se prévaut.
Si elle produit également un plan masse, il ne concerne en rien le réseau téléphonique.
La CASQY soutient encore que l'essentiel des infrastructures de génie civil (fourreaux, chambre de tirage) qui couvrent le territoire de l'agglomération nouvelle de Saint-Quentin-en-Yvelines ont été réalisées et/ou financées, soit par les établissements publics qui étaient en charge, dans les années 80-90 (EASQY puis SANSQY), d'aménager l'agglomération nouvelle, soit par la CASQY depuis décembre 2003.
Mais non seulement elle ne produit pas de preuve de ce financement mais encore elle ne verse aux débats aucun plan des infrastructures litigieuses qui justifierait qu'avant le 1er janvier 1997 elle a effectivement été le maître d'ouvrage de ces infrastructures.
Il convient de relever qu'avant cette date les collectivités territoriales n'avaient aucune compétence dans le domaine des télécommunications.
En effet, les collectivités territoriales ne se sont vues accorder une compétence pour établir et exploiter un service public local de télécommunications et un réseau de télécommunications s'y rapportant que postérieurement au 1er janvier 1997.
C'est par une loi 99-533 du 25 juin 1999 que les collectivités territoriales ont bénéficié d'un transfert de compétence et ont été autorisées à créer des infrastructures de télécommunications destinées à supporter des réseaux de télécommunication.
Ainsi que l'a retenu le tribunal, le fait de soutenir qu'en sa qualité de maitre d'ouvrage, l'EPASQY créé par décret du 21 octobre 1970 est propriétaire des infrastructures qu'il a financées et réalisées est insuffisant dans la mesure où à cette époque France télécom avait le monopole des installations de génie civil et des réseaux de télécommunication.
En effet, jusqu'au 31 décembre 1996, la personne publique France télécom pouvait occuper gratuitement et sans autorisation le domaine public et était propriétaire des installations en dépendant.
Au vu de l'ensemble des éléments versés aux débats, il est suffisamment établi que les infrastructures litigieuses sont antérieures au 1er janvier 1997 et qu'en conséquence celles-ci appartiennent à la société ORANGE, précédemment dénommée France télécom, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal de grande instance de Versailles.
Selon l'appelante, il faudrait opérer une distinction entre les infrastructures de télécommunications d'une part, et les réseaux de télécommunications d'autre part, les câbles étant la propriété de la société Orange mais les infrastructures ( fourreaux et chambres de tirage) étant la propriété de la communauté d'agglomération.
Il convient de relever que les décisions rendues par les juridictions administratives dont se prévaut l'appelante, selon lesquelles le monopole établi par le code des postes et télécommunications (articles L. 33 et L. 33-1) au profit de l'Etat, puis de l'établissement public France télécom, en matière de télécommunications, portait uniquement sur le réseau, c'est-à-dire principalement les lignes (ou câbles) de télécommunications, et non sur les infrastructures de génie civil (fourreaux et chambres de tirage notamment), concernent des installations réalisées dans le cadre de zones d'aménagement concerté qui obéissent au régime défini aux articles R. 311-1 et suivants du code de l'urbanisme et qu'il n'est démontré ni qu'il s'agisse du cas en l'espèce, ni que la CASQY ait assuré la maîtrise d'ouvrage des ouvrages de génie civil dont s'agit, ni que cette jurisprudence soit de nature à modifier le fait qu'avant 1997, en vertu de son monopole sur l'exploitation et l'établissement des installations de télécommunications, France télécom était propriétaire des ces installations.
En effet , ainsi que le conclut la société Orange, une telle distinction entre réseaux et infrastructures n'était pas opérée lors de la période de monopole, avant le 31 décembre 1996.
Les opérateurs de télécommunications qui souhaitent déployer des réseaux de communications électroniques doivent installer des câbles reliant leurs clients à leurs propres installations et équipements et ils ont le choix entre deux techniques de déploiement soit par la voie aérienne soit par la voie souterraine en utilisant des infrastructures dites de génie civil.
Aux termes de sa décision n°2008-0835 du 24 juillet 2008, l'autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) indique que les infrastructures de génie civil s'entendent d'abord de fourreaux ou gaines qui sont enfouis sous les trottoirs ou la chaussée et dans lesquels passent les réseaux de télécommunications jusqu'à desservir chaque immeuble et chaque habitation, ainsi que de chambres qui sont reliées par ces fourreaux ; les chambres sont des espaces souterrains permettant d'effectuer toute opération sur les câbles et elles sont accessibles depuis la surface.
Il résulte également d'une décision de l'autorité de la concurrence du 12 février 2008 que la société Free a saisi le conseil de la concurrence de pratiques mises en oeuvre par la société France télécom concernant l'accès à ses infrastructures de génie civil dans le cadre du déploiement de boucles locales en matière de fibres optiques et demandé au conseil de prononcer des mesures conservatoires pour enjoindre à France télécom de lui faire une offre d'accès à ses infrastructures de génie civil lui permettant de déployer dans des conditions non discriminatoires des boucles locales optiques, ces infrastructures de génie civil comportant fourreaux, chambres, adduction aux immeubles. A cette occasion, le conseil de la concurrence a constaté que les infrastructures de génie civil de France télécom totalisent environ 300.000 kilomètres de fourreaux, répartis de façon homogène sur l'ensemble du territoire national, que ces infrastructures de génie civil ont été construites avant l'ouverture à la concurrence du secteur des télécommunications et, pour l'essentiel, au début des années 1970 lors du plan d'équipement au téléphone de l'ensemble des usagers, et que ' l'avantage déterminant dont bénéficie aujourd'hui France télécom est donc le fruit de sa situation d'opérateur historique auquel ont été transférés l'ensemble des droits et obligations dont bénéficiait l'ancien monopole'.
La CASQY se réfère aussi à une convention du 6 février 2004 ayant pour objet la réalisation en 2004 d'infrastructures de génie civil afin d'y enfouir un réseau de télécommunications.
Mais l'intimée fait valoir à juste titre que les chambres dont il s'agit dans le présent litige ont été enfouies avant 1996 de sorte que la convention produite par la CASQY ne peut pas les concerner et est sans effet sur la propriété de la société Orange quant aux infrastructures objet du présent litige.
En effet, sur ce dernier point, cette convention a été signée à une date où la société Orange ne pouvait plus implanter ses installations sur le domaine public qu'à la condition d'obtenir une permission de voirie ou de signer une convention, et contre versement d'une redevance.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a dit que la SA FRANCE TELECOM est propriétaire des infrastructures de génie civil sur l'[Adresse 7] (coté impair), sur l'[Adresse 3] et sur l'[Adresse 6] dans la commune de [Localité 4].
Selon l'appelante les travaux réalisés n'auraient pas eu pour effet de faire disparaître la chose sur laquelle aurait porté le droit de propriété (les chambres de tirage) ni pour effet de soustraire un propriétaire par un autre et les travaux n'auraient donc pas eu pour effet d'éteindre le droit de propriété.
Mais s'agissant des dommages causés par les travaux entrepris par la CASQY sur les infrastructures appartenant à la société Orange, il résulte du constat du 13 juillet 2011 :
[Adresse 5] :
- que l'enrobé de la chaussée est neuf et les trottoirs viennent d'être intégralement refaits ;
- qu'au niveau d'une réservation pour un futur emplacement de stationnement de véhicules, le coffrage en béton d'une chambre de distribution d'ORANGE est cassé sur le côté donnant sur la voirie ;
- que les deux parois latérales de cette chambre sont cassées sur toute leur hauteur ;
[Adresse 7] :
- qu'une chambre L5T se situe en surélévation par rapport aux futures places de stationnement en cours de création ;
-qu'une autre chambre n'appartenant pas à France télécom est visible sur le trottoir dans l'axe de la chambre L5T et que deux câbles visibles dans cette autre chambre pénètrent dans la chambre L5T ;
-que face à la crêperie du [Localité 3] une chambre de transport et de distribution est ouverte ; qu'une reprise du coffrage de cette chambre a été effectuée récemment cette reprise étant solidifiée par des planchettes ;
- que dans cette chambre, il constate la présence d'un câble sur lequel se trouve gravé « Année 1985 PTT 88-28-6 » ;
-qu'à 16 heures 10, des ouvriers portant des vêtements sur lesquels sont inscrits Eurovia referment cette chambre ;
- sur le trottoir opposé au trottoir longeant l'immeuble portant le numéro 18, la présence d'une chambre dépourvue de tampons, protégée uniquement par une planche de contreplaqué maintenue en place par deux pierres ;
- qu'à l'intérieur de cette chambre se trouve un câble portant une étiquette marquée du logo France télécom et sur lequel se trouve gravé « Année 1985 ».
Il résulte également du procès-verbal établi par Me [X] établi le 21 juillet 2011 les constatations suivantes :
[Adresse 5] :
- sur le trottoir numéros impairs, les tampons de la chambre de distribution France Télécom type A2 ont été remplacés par deux tampons portant les mentions « Fes Debrousseval ' EN 124 ' D 400 » ;
- chaque tampon est désormais sécurisé et condamné par une serrure à clef ; le cache du pêne de la serrure est protégé par un bouchon plastique sur lequel se trouve écrit 'F 31", le représentant de France Télécom déclarant ne pas être en possession de la clef permettant l'ouverture des tampons ;
- à l'intersection de l'[Adresse 5] et l'[Adresse 4], des fouilles sont en cours de réalisation sur le trottoir bordant les immeubles portant des numéros pairs ;
- ces fouilles d'une profondeur d'environ 80 cm sont destinées à l'enfouissement de réseaux mixtes électriques et téléphoniques ;
- une partie de ces réseaux est déjà enfouie ; une chambre de distribution à ce niveau est en cours de pose.
[Adresse 7] :
-côté centre commercial, les tampons d'une chambre de distribution de France télécom L5T ont été remplacés par deux tampons portant les mentions « Fes Debrousseval ' EN 124 ' D 400 » ;
- chaque tampon est sécurisé et condamné par une serrure à clef ; le cache du pêne de la serrure est protégé par un bouchon plastique sur lequel se trouve écrit F 31 ;
-face à la crêperie du [Localité 3], les tampons d'une chambre de transport et de distribution France télécom n'ont pas été remplacés depuis le précédent constat du 13 juillet 2011 , mais leurs bords sont partiellement recouverts par l'enrobé du trottoir ; cette chambre a été relevée de 20 cm environ pour la mettre au niveau du trottoir ;
-sur le trottoir bordant les immeubles portant les numéros impairs face à l'immeuble portant le numéro 18, la présence d'une chambre dépourvue de tampons, protégée uniquement par une planche de contreplaqué maintenue en place par trois planches ; la partie supérieure de cette chambre a été cassée en partie haute coté voirie ; le coté latéral droit de la chambre a été entièrement ré-enduit de ciment ; les câbles visibles à l'intérieur de la chambre sont désormais recouverts d'une laitance de ciment et de dépôt de ciment.
Dans un constat du 8 août 2011, Maître [D] [F], huissier de justice, relève ;
- qu'un grand panneau avertit que la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines procède au réaménagement de l'[Adresse 3] et [Adresse 7] :
- que plusieurs chambres de distribution France télécom sont désormais placées sur des places de stationnement pour véhicules, dont certaines sont en cours de création ;
- que plusieurs de ces chambres sont à proximité immédiate de cavités prévues en vue d'y implanter des arbres ;
- que l'une de ses chambres est partiellement inondée.
Le constat établi le 3 novembre 2011 par Maître [H], huissier de justice, [Adresse 5], [Adresse 7] et [Adresse 4], à [Localité 4] relève :
*concernant la chambre dénommée « D » :
si l'huissier de justice avait constaté le 8 août 2011 que le battant pouvait être soulevé d'environ 15 centimètres de haut, le 3 novembre 2011, l'huissier de justice constate qu'elle est verrouillée et ne peut plus être ouverte ;
*en ce qui concerne la chambre « H » : s'il avait été constaté le 8 août 2011 la présence de cette chambre située sur les places de parking situées en limite du trottoir , l'huissier de justice constate le 3 novembre 2011 que cette même chambre est placée sous une voiture et qu'elle est équipée d'un espace destiné à recevoir un verrou ;
*concernant la chambre « J » : si l'huissier de justice avait constaté, le 8 août 2011, qu'elle avait pu être ouverte à l'aide de marteaux à plaques, le 3 novembre 2011, il constate que seule la partie droite peut être ouverte et que pour le reste la chambre est verrouillée ;
* sur le coté de la chambre « J » : est constatée la présence de huit tubes PVC tels des fourreaux se dirigeant en direction d'une autre chambre située sous une voiture stationnée sur les places de parking ;
*en ce qui concerne la chambre « K », qui porte un logo représentant un ancien téléphone à cadran, elle est placée sous une voiture ;
*sur le même trottoir , où se trouve une chambre portant le dit logo, l'huissier de justice constate , devant le n°18, que des encoches permettant de soulever le tampon de la chambre sont colmatées par du bitume.
Il résulte suffisamment de l'ensemble des constatations des différents huissiers de justice :
- que dans le cadre des travaux de voirie réalisés par la CASQY, un certain nombre de chambres de transport et de distribution de services de communications électroniques appartenant à France télécom ont été verrouillées et lui sont devenues inaccessibles, tant par la mise en place de serrures à clefs que par la création d'emplacements de parkings, sans aucun préavis auprès de la société Orange (anciennement France télécom), et de nouvelles chambres ont été créées à proximité immédiate ;
-que des atteintes ont été portées à des infrastructures portant le logo France Télécom particulièrement à plusieurs chambres de transport et de distribution de services de communication électroniques et à des câbles de réseau datant des années 80- 90 ;
-que des chambres ont été cassées, que des câbles à l'intérieur des chambres et des parois de ces chambres ont été enduits de ciment et que des trappes d'accès France télécom aux chambres de la société Orange ont été remplacées.
La CASQY a effectué des travaux sans droit ni titre ni mise en oeuvre d'une procédure régulière sur des infrastructures de génie civil appartenant à la société Orange sans que cette emprise irrégulière ne s'inscrive dans l'exercice légitime de ses pouvoirs et ne soit manifestement susceptible de se rattacher à un pouvoir lui appartenant .
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a :
-dit que la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines a commis une voie de fait à l'encontre des infrastructures de génie civil de la SA France télécom situées sur l'[Adresse 7] (coté impair), sur l'[Adresse 3] et sur l'[Adresse 6] dans la commune de [Localité 4] ;
- rejeté en conséquence l'incompétence soulevée par la Communauté d'Agglomération de Saint Quentin en Yvelines ;
- ordonné une expertise,
- enjoint à la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines de procéder aux remises en état des infrastructures de génie civil dont la SA France télécom est propriétaire sur les [Adresse 7], [Adresse 3] et [Adresse 4] dans la commune de [Localité 4] suivant la liste établie par l'expert dans un délai de deux mois après son établissement, sous astreinte de 1.000 euros par jour de retard à compter de cette date.
La société Orange forme appel incident quant au montant des dommages-intérêts qui lui ont été alloués.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 13 juillet 2011, la société Orange a en vain demandé à la CASQY de suspendre ses travaux de réfection de la voirie, cette dernière affirmant par courriel du même jour que ' la communauté d'agglomération a reçu par les communes la compétence communications électronique des réseaux téléphoniques et est propriétaire des infrastructures se trouvant sur son territoire' (sic), et ce sans prendre aucune précaution en vue de s'assurer de l'origine de propriété des infrastructures concernées.
Par lettre recommandée avec avis de réception du 21 juillet 2011, la société Orange a vainement mis en demeure la CASQY de remettre en place les trappes existant initialement et de lui redonner accès à son réseau.
Il s'agit d'agissements graves tant pour le droit de propriété de la société ORANGE que pour les usagers des réseaux de communications électroniques.
En effet, ainsi que le fait valoir la société Orange, l'indisponibilité de son réseau et l'inaccessibilité partielle ou totale de certains équipements sont susceptibles de lui interdire de procéder à toute intervention en cas de problème affectant ses services ou ceux des opérateurs tiers empruntant son réseau, étant rappelé que France télécom devenue Orange disposant d'un réseau d'infrastructures de génie civil provenant de son ancien statut de monopole public, la société Orange est tenue à des obligations légales de permanence, de qualité et de disponibilité du réseau et du service, ainsi que de sécurité de fonctionnement du réseau.
Au vu des éléments d'appréciation contradictoirement soumis à l'appréciation de la cour, il y a lieu de porter l'allocation des dommages-intérêts à la somme de 20.000 euros.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf celle relative au montant des dommages-intérêts alloués à la société ORANGE,
Statuant à nouveau sur ce seul point réformé,
Condamne la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines à payer à la société Orange (anciennement dénommée France télécom) la somme de 20.000 euros à titre de dommages-intérêts,
Y ajoutant,
Condamne la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines à payer à la société Orange (anciennement dénommée France télécom) la somme de 10.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne la communauté d'agglomération de Saint Quentin en Yvelines aux dépens d'appel, avec application de l'article 699 du code de procédure civile, au profit de la SCP Lissarrague Dupuis Boccon Gibod Lexavoué Paris-Versailles, avocats.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le président,