COUR D'APPEL DE VERSAILLES
Code nac : 56B
13ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 06 MARS 2014
R. G. No 13/ 00804
AFFAIRE :
SASU PRINTEMPS
C/ Etablissement CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX CNB Etablissement d'utilité public, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, Maître Jean-Marie X..., domicilié audit siège, intervenant volontaire.
CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, CNB, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, Maître Jean-Marie X...
Décision déférée à la cour : Arrêt rendu le 20 Décembre 2012 par le Cour de Cassation de PARIS No Chambre : 01 No Section : No RG : 11/ 28/ 292
Expéditions exécutoires Expéditions Copies délivrées le : 06. 03. 14
à :
Me Patricia MINAULT
Me Franck LAFON,
Me Isabelle DELORME-MUNIGLIA
C. CASSATION,
CA PARIS
TC PARISREPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE SIX MARS DEUX MILLE QUATORZE, La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDERESSE devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du 20 Décembre 2012 cassant et annulant l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS le 14 Octobre 2011
SASU PRINTEMPS 102 Rue de Provence 75009 PARIS
Représenté (e) par Maître Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 et par Maître J-M. ISCOVICI, avocat plaidant au barreau de PARIS
**************** DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
Société L. B CONSEILS, Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité de droit audit siège 16 Rue Félicien David 75016 PARIS
Représenté (e) par Maître Franck LAFON, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 618- No du dossier 20130091 et par Maître D. DUMAS, avocat plaidant au barreau de PARIS
**************** CONSEIL NATIONAL DES BARREAUX, CNB, agissant poursuites et diligences de son Président en exercice, Maître Jean-Marie X... 22 rue de Londres 75009 PARIS
Représenté (e) par Maître Isabelle DELORME-MUNIGLIA de la SCP COURTAIGNE-FLICHY-MAIGNE-DASTE et ASSOCIÉS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : C 52- No du dossier 016894 et par Maître P. BROUARD, avocat plaidant au barreau de PARIS
PARTIE INTERVENANTE
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 07 Janvier 2014 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Laure BELAVAL, Présidente chargée du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Laure BELAVAL, Présidente, Madame Anne BEAUVOIS, Conseiller, Madame Annie VAISSETTE, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Jean-François MONASSIER, Le 13 octobre 2006, la société France Printemps, devenue la société Printemps, qui exerce une activité de distributeur et qui exploite des magasins sur le territoire français, a donné à la société L. B. Conseils, spécialisée dans la vérification de la parfaite application des clauses et conditions des baux pour le compte des locataires, un mandat d'audit et d'optimisation de la gestion locative pour une durée d'un an, avec faculté de tacite reconduction par périodes d'un an trois fois. La société L. B. Conseils a ainsi notamment contracté l'obligation d'informer la société France Printemps par écrit de l'état de ses constatations et des gains potentiels envisageables sur les loyers, les charges et taxes locatives par site d'exploitation.
Le contrat stipulait une rémunération fixe forfaitaire du mandataire arrêtée à 1 200 euros HT par site d'exploitation, une seule fois, dans la limite de trois baux portant sur les surfaces commerciales, et une rémunération variable sur les loyers, charges et taxes locatives indûment facturés et/ ou payés au visa du ou des baux dans le cadre de la gestion locative. Pour les sites dont le nombre de baux portant sur des surfaces commerciales serait supérieur à trois, il était prévu une rémunération du mandataire complémentaire de 300 euros HT par bail. L'article 4, dernier alinéa, du mandat stipulait que dans le cas où le mandant ne suivrait pas pour des raisons dont il n'aurait pas à justifier au mandataire les recommandations de ce dernier et ce malgré les justifications qui lui seraient apportées, le mandant s'engageait à verser les rémunérations visées à l'article 2.
Un litige est né entre les parties sur la rémunération variable dont la société L. B. Conseils a saisi le tribunal de commerce de Paris. La société Printemps a soulevé la nullité du contrat aux motifs que l'activité de la société L. B. Conseils serait illégale en ce qu'elle s'apparenterait à l'exercice de la profession d'avocat.
Par jugement en date du 7 décembre 2010, le tribunal de commerce de Paris a :
- dit la convention licite et lui a donné force exécutoire,- dit que la société Printemps n'a pas exécuté de bonne foi le contrat,- condamné la société Printemps à verser à la société L. B. Conseils la somme de 345 000 euros à titre de dommages-intérêts, la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive et la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- ordonné l'exécution provisoire du jugement,- dit les parties mal fondées en leurs demandes plus amples ou contraires et les en a déboutées,- condamné la société Printemps aux dépens.
La société Printemps a fait appel du jugement.
Par arrêt en date du 14 octobre 2011, la cour d'appel de Paris a :
- dit que la décision déférée n'a pas méconnu les dispositions de l'article 16 du code de procédure civile,- confirmé la décision déférée,- condamné la société Printemps à payer à la société L. B. Conseils une indemnité complémentaire de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile-autorisé le bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris en tant que séquestre à se libérer des sommes allouées par le jugement déféré au profit de la société L. B. Conseils,- condamné la société Printemps aux dépens avec le bénéfice de distraction au profit de l'avoué adverse.
Pour parvenir à cette décision, la cour d'appel de Paris a retenu qu'à l'exception de rares termes ou expressions éventuellement ambigus ou maladroits, les prestations de la société L. B. Conseils étaient toujours restées hors des limites du périmètre des activités protégées par la loi du 31 décembre 1971.
La société Printemps s'est pourvue en cassation contre l'arrêt.
Par arrêt du 20 décembre 2012, la Cour de cassation a cassé dans toutes ses dispositions l'arrêt du 14 octobre 2011 pour défaut de base légale au regard de l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée et renvoyé les parties devant la cour d'appel de Versailles. La Cour de cassation a fait grief à la cour d'appel de n'avoir pas recherché comme cela lui était demandé au vu en particulier des différentes correspondances émanant de la société L. B. Conseils si, en amont des calculs techniques et comptables, les vérifications et diligences que la société L. B. Conseils devait effectuer et les indications qu'elle pouvait en conséquence donner à sa mandante n'impliquaient pas l'accomplissement de prestations à caractère juridique.
La société Printemps a saisi la cour de renvoi.
Prétentions et moyens de la société Printemps :
Par ses dernières conclusions du 11 décembre 2013, la société Printemps demande à la cour de :
- infirmer le jugement en toutes ses dispositions,- statuant à nouveau,
- à titre principal, dire que le contrat du 13 octobre 2006 est nul et de nul effet comme portant atteinte aux dispositions protectrices de la pratique du droit telles qu'énoncées devant la loi modifiée du 31 décembre 1971,- condamner la société L. B. Conseils à restituer la somme de 364 961, 07 euros indûment perçue en conséquence de l'arrêt rendu le 20 octobre 2011 par la cour d'appel de Paris avec intérêts de droit à compter du 1er février 2011, date de remise de ces fonds au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris et à tout le moins à compter du 4 avril 2013, date de la signification de ses premières conclusions d'appel sur renvoi,- débouter pour le surplus de ses demandes la société L. B. Conseils.
- à titre subsidiaire, dire que la société L. B. Conseils ne démontre pas l'existence d'un manquement contractuel qui lui serait imputable et condamner la société L. B. Conseils à restituer la somme de 364 961, 07 euros indûment perçue en conséquence de l'arrêt rendu le 20 octobre 2011 par la cour d'appel de Paris avec intérêts de droit à compter du 1er février 2011, date de remise de ces fonds au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris et à tout le moins à compter du 4 avril 2013, date de la signification de ses premières conclusions d'appel sur renvoi,- débouter pour le surplus de ses demandes la société L. B. Conseils.
- plus subsidiairement encore, dire que la clause de rémunération de l'article 4 in fine est nulle et en tout cas, mal appliquée et condamner la société L. B. Conseils à restituer la somme de 364 961, 07 euros indûment perçue en conséquence de l'arrêt rendu le 20 octobre 2011 par la cour d'appel de Paris avec intérêts de droit à compter du 1er février 2011, date de remise de ces fonds au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris et à tout le moins à compter du 4 avril 2013, date de la signification de ses premières conclusions d'appel sur renvoi et la débouter de ses demandes.
- à titre infiniment subsidiaire, réduire la rémunération qui serait due à la société L. B. Conseils à une plus juste proportion compte tenu du service effectivement rendu par référence aux rémunérations habituellement pratiquées en pareille matière,- condamner la société L. B. Conseils à restituer le trop-perçu en le retranchant de la somme de 364 961, 07 euros indûment perçue en conséquence de l'arrêt rendu le 20 octobre 2011 par la cour d'appel de Paris avec intérêts de droit à compter du 1er février 2011, date de remise de ces fonds au bâtonnier de l'ordre des avocats du barreau de Paris et à tout le moins à compter du 4 avril 2013, date de la signification de ses premières conclusions d'appel sur renvoi et débouter la société L. B. Conseils de ses demandes.
- en toute hypothèse, condamner la société L. B. Conseils à lui payer la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance avec droit de recouvrement direct.
La société Printemps rappelle que la loi du 31 décembre 1971 dans sa rédaction actuelle réglemente la possibilité pour des professionnels d'établir des consultations en matière juridique en posant une interdiction générale, sauf exceptions en faveur des professions réglementées habilitées ou des professionnels qualifiés dont ne fait pas partie la société L. B. Conseils, de donner des consultations juridiques à titre habituel et rémunéré, que ces dispositions sont d'ordre public et que les stipulations du mandat donné à la société L. B. Conseils comme les correspondances échangées entre les parties au contrat ne laissent planer aucun doute quant à la nature essentiellement juridique de l'intervention de la société L. B. Conseils. Développant la définition de la notion de consultation juridique et de prestation à caractère juridique en doctrine, la société Printemps souligne que la société L. B. Conseils ne se contentait pas de collationner et de présenter des informations portant sur les comptes de charges afférents aux centres commerciaux visés par le mandat mais se croyait autorisée à les analyser en droit et à en tirer des conséquences juridiques constituant in fine la seule contrepartie des paiements réclamés.
Elle fait valoir que le caractère essentiellement juridique des activités de la société L. B. Conseils dans le cadre du mandat du 13 octobre 2006 a été reconnu par cette société elle-même dans son acte introductif d'instance et par le jugement dont appel. Elle en conclut que le mandat est nul pour illicéité de sa cause en application de l'article 1131 du code civil et que les demandes de la société L. B. Conseils qui reposent sur ce contrat doivent être rejetées.
Sur sa prétendue responsabilité qu'elle n'aborde qu'à titre subsidiaire, la société Printemps soutient qu'il semble que la faute que lui impute la société L. B. Conseils réside dans le fait de ne pas avoir suivi ses recommandations à la suite de la consultation juridique sur la base de l'audit alors qu'aucune stipulation ne mettait à sa charge l'obligation de suivre nécessairement les avis juridiques donnés par la société L. B. Conseils.
Elle fait valoir que la clause de rémunération invoquée d'office par le tribunal (article 4 dernier alinéa) selon laquelle la société Printemps devait à la société L. B. Conseils sa rémunération en cas d'abstention à suivre les recommandations encourt la nullité en ce qu'elle porte atteinte au principe de la liberté d'agir ou pas en justice et en ce qu'elle comporte une condition potestative et qu'elle ne peut en tout cas jouer faute de fourniture par la société L. B. Conseils de justifications pertinentes. Elle soutient que même si on admettait que la société L. B. Conseils ait été habilitée et fondée à donner un avis sur les différentes questions juridiques qui se posaient, cette société s'est trouvée, compte tenu du contrat qu'elle a proposé, en situation manifeste de conflit d'intérêts en incitant la société Printemps à engager une action judiciaire dans l'espoir de percevoir un pourcentage des gains éventuels alors même qu'une telle action, même si elle avait été fondée en droit, n'aurait pas été de l'intérêt du Printemps. Elle indique que la clause doit s'interpréter par rapport à l'économie générale du contrat, que le contrat prévoyait que la rémunération variable n'était due que sur les sommes définitivement acquises au Printemps et que par voie de conséquence seules les rémunérations fixes et les sommes définitivement acquises peuvent être réclamées.
La société Printemps insiste sur le défaut de démonstration des chances sérieuses de faire triompher les demandes de remboursement opposées au bailleur si elles avaient été portées en justice de sorte que la perte de chance apparaît inexistante. Enfin, elle fait appel au pouvoir de révision du juge de la rémunération du mandataire en fonction des diligences accomplies et du service effectivement rendu au mandant.
Prétentions et moyens de la société L. B. Conseils :
Par ses dernières conclusions signifiées le 3 décembre 2013, la société L. B. Conseils demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la validité du contrat du 13 octobre 2006 et la mauvaise foi de la société Printemps dans l'accomplissement de ses obligations contractuelles et condamné en conséquence la société Printemps à lui payer diverses sommes à titre de dommages-intérêts,- infirmer le jugement sur le quantum des condamnations et condamner la société Printemps à lui payer la somme de 690 800 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice certain, la somme de 47 000 euros en réparation du préjudice subi pour perte de chance d'obtenir sa rémunération contractuelle, la somme de 50 000 euros pour résistance abusive comme empreinte de mauvaise foi et la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la société Printemps aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct.
La société L. B. Conseils insiste en premier lieu sur les résultats de l'audit qu'elle a réalisé et qui a permis de révéler l'existence de loyers, d'honoraires, contrats et frais de gestion et de charges communes non locatives " trop facturés et trop payés " qui ont été réclamés parfois avec succès au bailleur, que la société Printemps a tergiversé avant de donner son accord pour adresser au bailleur une mise en demeure portant sur la somme de 6 509 999, 79 euros HT non sans avoir au préalable consulté son avocat, qu'elle a temporisé pour finalement se refuser à diligenter une procédure à l'encontre du bailleur et à payer les factures correspondant à ses prestations. Elle prétend que ce n'est qu'au cours de l'instance en cassation qu'elle a eu la preuve que la société Printemps avait transigé avec le bailleur.
Sur la validité du contrat, elle soutient que dans le cadre de sa mission technique et comptable, elle était dans l'obligation d'invoquer à titre très accessoire des considérations juridiques qui, loin de constituer les consultations visées par l'article 54 de la loi du 31 décembre 1971, fixaient le cadre dans lequel devaient être appréciés les faits et constatations matérielles qu'elle avait relevés. Elle souligne l'absence de définition légale de la consultation juridique, dément avoir procédé au profit de la société Printemps à des analyses de textes juridiques applicables ou avoir déterminé le régime juridique devant recevoir application ou encore avoir interprété les normes applicables ou apprécier des erreurs de droit et prétend que son intervention s'est bornée à une simple information de type documentaire après le contrôle des factures et non en amont, sans préconiser une déduction de charges mais en contrôlant la parfaite application des règles financières établies par les parties au bail. Elle fait valoir que toutes ses prestations ont été vérifiées par un professionnel du droit en la personne d'un avocat de sorte que la société Printemps n'a pas pris de décision sur le fondement de ses avis.
Sur ses demandes indemnitaires, la société L. B. Conseils soutient que la société Printemps n'a pas exécuté loyalement le contrat en tergiversant sur le paiement de ses honoraires et sur l'issue des négociations poursuivies avec le bailleur qui ont permis à la société Printemps grâce aux révélations de l'audit d'obtenir une absence de refacturation de la part du bailleur de la somme de 3 454 000 euros HT, et que son droit à la rémunération variable est consacré par le contrat y compris dans le cas où le mandant ne suivrait pas les recommandations du mandataire.
Prenant comme base de calcul le montant de l'absence de refacturation obtenue du bailleur au titre de travaux, soit la somme de 3 454 000 euros, sa rémunération variable aurait dû s'élever à la somme de 690 800 euros, ce qui constitue un préjudice certain, outre la moitié de la rémunération variable qu'elle aurait pu percevoir si elle avait obtenu le règlement des loyers et honoraires de gestion facturés en trop soit la somme de 47 000 euros.
Prétentions et moyens du Conseil national des barreaux :
Par conclusions du 4 décembre 2013, le Conseil national des barreaux (le Cnb) est intervenu volontairement à l'instance et demande à la cour de :
- déclarer recevable son intervention,- dire que la convention litigieuse du 13 octobre 2006 est illicite en ce qu'elle viole les dispositions de la loi du 31 décembre 1971,- dire que la société L. B. Conseils fournit des prestations d'assistance juridique en toute illégalité,- annuler la convention du 13 octobre 2006,- condamner la société L. B. Conseils à lui payer la somme d'un euro symbolique en réparation du préjudice moral subi,- ordonner la publication du jugement à intervenir dans trois journaux d'audience nationale et dans trois revues spécialisées au choix et à la diligence du concluant, aux frais de la société L. B. Conseils,- enjoindre à la société L. B. Conseils de cesser toute activité en violation de la loi du 31 juillet 1971,- enjoindre à la société L. B. Conseils de mettre un terme à toutes les conventions passées en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir-dire que l'interdiction portera sur toute consultation juridique quelle qu'en soit la forme : consultation téléphonique, courriel, rapport, étude, expertise...- condamner la société L. B. Conseils à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,- condamner la société L. B. Conseils aux dépens.
Le Cnb soutient qu'en sa qualité de représentant de la profession d'avocat, il a intérêt et qualité à agir pour intervenir dans l'instance afin de défendre les intérêts de cette profession qui voit depuis un certain nombre d'années intervenir des entités commerciales qui, à l'instar de la société L. B. Conseils, et sous couvert d'audits financiers, offrent des prestations qui ne sont autres que des consultations juridiques et sont parfois même constitutives d'une véritable assistance en justice.
Il rappelle que les professions qui sont autorisées à délivrer des consultations juridiques à titre habituel et principal sont limitativement énumérées par l'article 56 de la loi du 31 décembre 1971 et que les professions autorisées à délivrer des consultations juridiques à titre accessoire doivent être spécialement qualifiées, et soutient que la société L. B. Conseils n'appartient à aucune des professions visées. Il soutient que dès qu'un professionnel donne à la personne qui le consulte un avis juridique personnalisé, de nature à induire une éventuelle prise de décision, il entre dans le champ de la consultation juridique et que les prestations de la société L. B. Conseils aux termes du contrat du 13 octobre 2006 sont des prestations de nature juridique dépassant l'information simplement documentaire dans la mesure où ces conseils personnalisés sont formulés en considération de la situation particulière de la société Printemps, et que les préconisations formulées ont pour objectif de conseiller une action tendant d'une part à ce que la société Printemps obtienne de son bailleur des modifications quant aux conditions d'application des baux et d'autre part à ce qu'elle engage des recours devant le juridictions compétentes aux fins de remboursement de prétendues charges " trop facturées ".
Le Cnb s'estime fondé à soutenir la nullité de la convention litigieuse pour illicéité de son objet et de sa cause, à obtenir la réparation de son préjudice moral, la publication de l'arrêt dans un souci d'information du public, et l'interdiction pour la société L. B. Conseils de donner des consultations juridiques et de proposer une prestation relevant de l'assistance juridique pour la défense de l'intérêt général qui s'attache à la qualité de service public de la justice et de la profession d'avocat.
SUR CE,
Sur la nullité du contrat du 13 octobre 2006 :
Considérant qu'aux termes de l'article 1131 du code civil, l'obligation sans cause ou sur une fausse cause ou sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet ;
Considérant que selon l'article 54 de la loi du 13 décembre 1971 modifiée par la loi du 7 avril 1997, nul ne peut, directement ou par personne interposée, à titre habituel et rémunéré, donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé pour autrui s'il n'est titulaire d'une licence en droit ou s'il ne justifie, à défaut, d'une compétence juridique appropriée à la consultation et la rédaction d'actes en matière juridique qu'il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66, les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 étant réputées posséder cette compétence juridique, et les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnée à l'article 59 tirant cette compétence des textes les régissant ; que pour chacune des activités non réglementées visées à l'article 60 et pour chacune des catégories d'organismes visées aux articles 61, 63, 64 et 65, la compétence résulte de l'agrément donné, pour la pratique du droit à titre accessoire de celle-ci, par un arrêté ;
Considérant qu'il n'est pas contesté que la société L. B. Conseils, spécialisée dans l'audit et l'optimisation de la gestion locative notamment en vérifiant la parfaite application des clauses et conditions des baux pour le compte des locataires, qui ne fait pas partie des personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58, et qui n'exerce pas une activité professionnelle réglementée au sens de l'article 59, ne justifie pas d'une qualification reconnue par l'Etat ou attestée par un organisme public ou un organisme professionnel agréé ; qu'elle n'entre en conséquence dans aucune catégorie de personnes possédant sous certaines conditions plus ou moins restrictives l'autorisation de fournir des consultations juridiques ;
Considérant que le mandat du 16 octobre 2006 intitulé " mandat d'audit et d'optimisation de gestion locative " confère à la société L. B. Conseils la mission d'auditer et d'optimiser la gestion des biens et droits immobiliers pris à bail par la société Printemps dans l'exercice de son activité au titre du magasin centre commercial Italie 2 à Paris 13o et du magasin centre commercial Parly 2 au Chesnay, et donne au mandataire les pouvoirs suivants :
- article 1 : gestion des loyers, charges et taxes locatives afférentes au mandant ¿ 1/ 01 de vérifier l'application des clauses d'échelle mobile ¿ 1/ 02 de vérifier l'application des clauses-recette ou loyer variable ¿ 1/ 03 de vérifier les demandes de remboursement des charges locatives en ce compris les taxes, impôts, frais, redevances grevant les lieux loués et les parties à usage commun au visa de la convention des parties, de l'ordre commun et de la jurisprudence ¿ 1/ 04 d'effectuer toutes les démarches nécessaires auprès du bailleur pour s'assurer de la parfaite exécution des conditions du bail, de la bonne répartition des charges et taxes locatives et effectuer si nécessaire toutes réclamations auprès de ce dernier pour obtenir la restitution des loyers, charges et taxes locatives indûment payés et faire appliquer le bail selon la commune intention des parties ¿ 1/ 05 d'entendre, débattre tous comptes, en faire fixer les reliquats actifs et passifs ¿ 1/ 06 d'établir la liste des paiements par bail ¿ 1/ 07 d'établir les comptes annuels par bail ¿ 1/ 08 de demander et de se faire communiquer par tous tiers tous documents relatifs à sa mission
-article 4 : obligations réciproques ¿ le mandataire s'engage à faire toutes diligences, selon sa méthodologie propre, dans l'examen des documents et informations transmis ¿ il s'engage à tenir informé le mandant préalablement à toutes démarches effectuées auprès du bailleur ¿ il s'engage dans un délai de deux mois à compter de la transmission des documents nécessaires à sa mission à informer le mandant par écrit de l'état de ses constatations et des gains potentiels envisageables sur les loyers, les charges et taxes locatives par site d'exploitation et pour ce faire, à transmettre au mandant un diagnostic détaillé et accompagné des recommandations justifiant les actions à mettre en oeuvre ¿ le mandant désignera et mandatera tout avocat de son choix dans le cadre de la mission confiée au mandataire pour obtenir la condamnation judiciaire à la parfaite application du bail et au remboursement des sommes indûment payées suite aux constatations et des gains potentiels envisageables soulevés par le mandataire et ce à défaut d'accord amiable ¿ dans le cas où le mandant ne suivrait pas, pour des raisons dont il n'aura pas à justifier au mandataire, les recommandations de ce dernier et ce malgré les justifications qui lui sont apportées, le mandant s'engage à verser les rémunérations visées à l'article 2 ;
Considérant que l'article 2 relatif à la rémunération de la société L. B. Conseils stipule en son paragraphe 2/ 04 que suite à la contestation de loyers, charges et taxes locatives, facturés en sus du loyer, de toute nature, non conventionnels, indus et/ ou payés à tort, le mandataire percevra une rémunération variable HT égale à 15 % des loyers, charges et taxes locatives indûment facturés et payés depuis l'origine des baux et jusqu'au 31 décembre 2005 et remboursés suite à des contestations réelles et sérieuses et à 20 % de l'économie réalisée sur les loyers, charges et taxes locatives ayant entraîné suite à des contestations réelles et sérieuses l'obtention effective et définitive des économies détectées par l'interruption des facturations indues au titre de l'année 2006 et les années suivantes ; qu'il est expressément convenu que la rémunération variable sera due au mandataire sur les sommes définitivement acquises amiablement ou judiciairement, sous quelle que forme que ce soit, ayant pour origine le diagnostic détaillé effectué par le mandataire durant la validité du contrat ;
Considérant qu'il résulte des clauses du contrat que la mission de la société L. B. Conseils excédait la simple information documentaire des normes juridiques applicables aux baux qui faisaient l'objet de l'audit de la société Printemps ; qu'elle impliquait la réalisation d'un diagnostic détaillé résultant de la confrontation des normes juridiques applicables aux données rapportées par la société Printemps sur les excédents de facturation de tous ordres éventuellement subis, l'émission de recommandations sur les actions amiables ou judiciaires à mettre en oeuvre, voire la négociation le cas échéant avec le bailleur ;
Considérant que le caractère juridique des prestations fournies par la société L. B. Conseils est confirmé par le contenu des lettres adressées au bailleur de la société Printemps, la société Marketing et valorisation ; que par une lettre du 27 mars 2007 au sujet de la facturation de travaux de restructuration lourde, la société L. B. Conseils, partant des estimations formulées par le bailleur, analyse les clauses du bail et la commune intention des parties pour en déduire qu'il existe une contestation réelle et sérieuse sur cette facturation et demander l'établissement d'avoirs et le remboursement des sommes indues ; que par une lettre du 20 avril 2007 au sujet de loyers indûment perçus, la société L. B. Conseils formule un avis sur l'absence de prescription d'une action en remboursement de ces loyers, en se fondant sur la jurisprudence de la Cour de cassation, sur l'article 1er du protocole additionnel no 1 à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, sur la loi du 18 janvier 2005 dite loi de programmation pour la cohésion sociale ; que ce caractère juridique est aussi confirmé par les échanges de courriers entre la société L. B. Conseils et la société Printemps, comportant de nombreuses appréciations juridiques sur des définitions légales (les charges locatives, la condition potestative, l'interprétation des conventions, l'autorité de chose jugée, la vétusté, l'entrée en vigueur de la réforme de la prescription) ou sur des décisions de jurisprudence (sort des honoraires de gestion) rapportées aux données spécifiques des baux étudiés et des analyses sur la portée de certaines clauses des baux, de protocoles ou de transactions ; qu'un message du 25 avril 2007 comporte une réfutation argumentée en fait et en droit sur la position du directeur juridique de la société Printemps relative à la facturation des gros travaux au centre commercial Parly 2 ;
Considérant que la personnalisation des avis émis est démontrée par l'ensemble des correspondances versées aux débats, la société L. B. Conseils ne se bornant jamais à un exposé général de l'état du droit mais livrant des analyses complètes des règles applicables à la situation de fait assorties de recommandations chiffrées sur les sommes à recouvrer, sur les actions à entreprendre et sur leur chance de succès ; que ce faisant, la société L. B. Conseils a non seulement permis à la société Printemps d'avoir une information sur l'environnement juridique applicable à ses engagements contractuels mais lui a aussi délivré des conseils parfois appuyés sur les décisions qu'elle devait prendre, en contradiction dans certains cas avec les conclusions de son propre service juridique ; que le fait que la société Printemps ait confronté les avis juridiques et les recommandations de la société L. B. Conseils à ceux d'avocats librement choisis n'ôte pas à la prestation de l'intimée son caractère juridique ;
Considérant qu'il est démontré que la société L. B. Conseils a fourni à la société Printemps des prestations à caractère juridique au mépris de l'interdiction qui lui était faite par les articles 54 et suivants de la loi du 31 décembre 1971 ; que la contrepartie attendue par la société Printemps et déterminante de son engagement lors de la souscription du contrat litigieux résidait précisément dans ces prestations en vue de parvenir à une optimisation de la gestion de ses baux ; que la cause du contrat étant illicite, il convient d'infirmer le jugement et d'annuler la convention du 13 octobre 2006 ;
Considérant que la société Printemps demande que soit ordonnée la restitution des sommes qu'elle a versées en vertu de l'arrêt rendu le 20 octobre 2011 par la cour d'appel de Paris avec les intérêts au taux légal ; que toutefois l'arrêt de cassation du 20 décembre 2012 et le présent arrêt, infirmatif sur les condamnations assorties de l'exécution provisoire, constituent le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution du jugement et/ ou de l'arrêt cassé, les sommes devant être restituées portant intérêts au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution ; qu'il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de la société Printemps ;
Sur les autres demandes :
Considérant que les demandes indemnitaires de la société L. B. Conseils seront rejetées dès lors qu'elles sont fondées sur de prétendues inexécutions contractuelles dont elle ne saurait se prévaloir en l'état du prononcé de la nullité du contrat ; que le jugement sera infirmé en ce qu'il a fait droit aux demandes de la société L. B. Conseils lesquelles seront rejetées ;
Considérant que la recevabilité de l'intervention du Cnb n'est pas contestée ; qu'il n'existe aucun moyen d'irrecevabilité susceptible d'être relevé d'office ; que l'intervention sera jugée recevable ;
Considérant qu'alors que seule la convention litigieuse, à l'exclusion de toute autre passée par la société L. B. Conseils et dont au demeurant la teneur des prestations à fournir n'est pas connue, se trouve à l'origine de la présente instance, la cour ne peut accueillir les prétentions émises par le Cnb visant, par une condamnation générale en l'absence des cocontractants concernés, à enjoindre à la société L. B. Conseils de cesser toute activité en violation de la loi du 31 juillet 1971et de mettre un terme à toutes les conventions passées en violation des dispositions de la loi du 31 décembre 1971 et ce sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard et par infraction constatée, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, et à dire que l'interdiction portera sur toute consultation juridique quelle qu'en soit la forme : consultation téléphonique, courriel, rapport, étude, expertise... ;
Considérant en conséquence que la portée de l'arrêt limitée au contrat passé entre la société L. B. Conseils et la société Printemps ne justifie pas la mesure de publication demandée par le Cnb qui n'est d'ailleurs pas sollicitée par la société Printemps elle-même ;
Considérant qu'en donnant des consultations juridiques en exécution du contrat du 13 octobre 2006 conclu en violation des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1971, la société L. B. Conseils a porté atteinte à l'intérêt collectif des membres des barreaux que le CNB est chargé de défendre ; que cette atteinte est à l'origine d'un préjudice moral qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 1 euro à titre de dommages-intérêts au paiement de laquelle la société L. B. Conseils sera condamnée ;
Considérant que l'équité commande de condamner la société L. B. Conseils à payer à la société Printemps la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, les autres demandes étant rejetées ;
PAR CES MOTIFS
La cour statuant publiquement, contradictoirement, en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Paris en date du 7 décembre 2010,
Statuant à nouveau,
Annule le contrat passé entre la société Printemps et la société L. B. Conseils le 13 octobre 2006,
Dit n'y avoir lieu de statuer sur la demande de restitution formulée par la société Printemps,
Rejette toutes les demandes de la société L. B. Conseils,
Condamne la société L. B. Conseils à payer à la société Printemps la somme de 12 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
Y ajoutant,
Déclare recevable l'intervention du Conseil national des barreaux,
Condamne la société L. B. Conseils à payer au Conseil national des barreaux la somme de un euro à titre de dommages-intérêts,
Rejette les autres demandes du Conseil national de barreaux,
Condamne la société L. B. Conseils aux dépens de première instance et d'appel et accorde aux avocats de la cause qui peuvent y prétendre le droit de recouvrement direct conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
Signé par Madame Marie-Laure BELAVAL, Présidente et par Monsieur MONASSIER, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, La PRESIDENTE,