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28/11/2013 | FRANCE | N°12/01777

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1ère chambre 1ère section, 28 novembre 2013, 12/01777


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 63B



1ère chambre 1ère section



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 28 NOVEMBRE 2013



R.G. N° 12/01777



AFFAIRE :



[P] [C] épouse [N] directrice des sociétés



...



C/

[D] [D] titulaire d'un office notarial

...







Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Février 2008 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 01>
N° Section : 01

N° RG : 04/08537



Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :







Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES -









Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 63B

1ère chambre 1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 28 NOVEMBRE 2013

R.G. N° 12/01777

AFFAIRE :

[P] [C] épouse [N] directrice des sociétés

...

C/

[D] [D] titulaire d'un office notarial

...

Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 20 Février 2008 par le Tribunal de Grande Instance de PARIS

N° Chambre : 01

N° Section : 01

N° RG : 04/08537

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat au barreau de VERSAILLES -

Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE VINGT HUIT NOVEMBRE DEUX MILLE TREIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

DEMANDERESSES devant la cour d'appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation Première chambre civile du 6 octobre 2011 cassant et annulant partiellement l'arrêt rendu par la cour d'appel de PARIS (Pôle 2, chambre 1) le 8 juin 2010 sur appel du jugement du 20 février 2008 du Tribunal de grande instance de PARIS (1ère chambre 1ère section )

Madame [P] [C] épouse [N]

née le [Date naissance 1] 1956 à SINGAPOUR

demeurant [Adresse 2]

[Localité 1]

assistée de Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20120163,

Plaidant par Me Christophe BOUCHEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1468

SCI TOIT DU MONDE,

inscrite au RCS de CHAMBERY sous le n°432 670 958

Prise en la personne de ses représentants légaux

domiciliés en cette qualité audit siège sis [Adresse 3]

assistée de Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20120163

Plaidant par Me Christophe BOUCHEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1468

SARL TOIT DU MONDE 'TDM'

inscrite au RCS de CHAMBERY sous le n°433 286 606

prise en la personne de ses représentants légaux

domiciliés en cette qualité audit siège [Adresse 3]

assistée de Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 20120163

Plaidant par Me Christophe BOUCHEZ, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C1468

****************

DEFENDEURS DEVANT LA COUR DE RENVOI

Monsieur [D] [D]

titulaire d'un office notarial

[Adresse 1]

[Localité 2]

assisté de Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20120515,

Plaidant par Me Barthélemy LACAN,, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0435

SCP [D]

[D]

agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 2]

assistée de Me Emmanuel JULLIEN de l'AARPI INTER-BARREAUX JRF AVOCATS, avocat postulant au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 617 - N° du dossier 20120515,

Plaidant par Me Barthélemy LACAN, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : E0435

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 24 Octobre 2013, devant Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, président, ayant été entendu en son rapport, Madame Dominique LONNE, conseiller,

Ce magistrat a rendu compte des plaidoieries dans le délibéré de la cour composée de :

Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président,

Madame Dominique LONNE, Conseiller,

Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT;

Vu le jugement du tribunal de grande instance de Paris du 20 février 2008 qui a :

- déclaré la SCI TOIT DU MONDE et la SARL TOIT DU MONDE recevables en leurs demandes,

- déclaré la responsabilité de Maître [D] et de la SCP [D] engagée au titre d'un manquement au devoir de diligence et de conseil, - condamné in solidum Maître [D] et la SCP [D] à payer  :

* à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 184.924,97 € à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues,

* à la SARL TOIT DU MONDE la somme de 604.222,32 € toutes causes confondues, - débouté la SCI TOIT DU MONDE et la SARL TOIT DU MONDE de leurs plus amples demandes,

- condamné in solidum Maître [D] et la SCP [D] à payer à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 20.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et à la SARL TOIT DU MONDE la somme de 5.000 € au même titre ainsi qu'aux dépens  ;

Vu l'arrêt rendu le 8 juin 2010 par la cour d'appel de Paris qui, sur l'appel formé par la SCI TOIT DU MONDE, [P] [C] épouse [N] et la SARL TOIT DU MONDE, infirmant le jugement entrepris, sauf sur l'application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, a :

- condamné M. [D] et la SCP [D] à payer :

* à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 147.720,87 € à titre de dommages-intérêts,

* à la SARL TOIT DU MONDE la somme de 100.000 € à titre de dommages-intérêts,

- ordonné la capitalisation des intérêts,

- condamné M. [D] et la SCP [D] à payer à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 6.000 € à la SARL TOIT DU MONDE, la somme de 4.000 € et à [P] [C] épouse [N], la somme de 2.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens  ;

Vu l'arrêt du 6 octobre 2011 par lequel la Cour de cassation a cassé et annulé, sauf en ce qu'il condamne M. [D] et la SCP [D] à payer à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 47.720,87 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi au titre des frais de justice générés par la procédure en résolution de la promesse de vente et confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens exposés par les sociétés TOIT DU MONDE, l'arrêt rendu le 8 juin 2010 entre les parties par la cour d'appel de Paris et remis sur les autres points la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant le dit arrêt et les a renvoyés devant la cour d'appel de Versailles ;

Vu la déclaration de saisine de la cour de renvoi du 9 mars 2012 par la SCI TOIT DU MONDE, la SARL TOIT DU MONDE et [P] [C] épouse [N] ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 1er octobre 2013 par lesquelles la SCI TOIT DU MONDE, la SARL TOIT DU MONDE et [P] [C] épouse [N], poursuivant la réformation du jugement entrepris, demandent à la cour de  :

- condamner in solidum Maître [D] et la SCP E.M. [D] à payer  :

* à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 2.617.705 € à titre de dommages-intérêts,

* à la SARL TOIT DU MONDE la somme de 4.557.900 € à titre de dommages-intérêts,

- ordonner la capitalisation des intérêts,

- condamner in solidum Maître [D] et la SCP [D] à payer à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 182.980 €, à la SARL TOIT DU MONDE, la somme de 22.189 € et à [P] [C] épouse [N], la somme de 8.988 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens  ;

Vu les dernières écritures signifiées le 4 septembre 2013 aux termes desquelles la SCP -[D] et [D] [D] concluent :

- à titre principal, au rejet des demandes des appelants, les préjudices allégués n'étant pas la conséquence de la faute retenue contre eux mais le produit de la décision librement prise par [P] [N] de s'engager dans son investissement avec la perspective d'acquérir la seule parcelle [Cadastre 2],

- à titre subsidiaire, à l'irrecevabilité, subsidiairement au mal fondée de la demande de la SCI TOIT DU MONDE en paiement de la somme de 2.174.805 € au titre de la perte de la chance d'être propriétaire de la parcelle [Cadastre 1],

- à la réduction de l'évaluation des préjudices allégués par les appelantes,

- en tous les cas, au rejet de leurs demandes au titre des frais irrépétibles, à leur condamnation aux dépens ;

SUR QUOI, LA COUR

Considérant que le 21 juin 2000, la SCI Les ETROITS et la SARL La CRECH'OUNA ont consenti à [P] [C] épouse [N] deux promesses de vente avec faculté de substitution, portant :

- la première, sur un fonds de commerce à usage de restaurant-bar connu sous le nom de «La CRECH'OUNA» dans un ensemble immobilier situé à [Localité 5], cadastré [Cadastre 2] et sur des droits à construire d'une superficie hors 'uvre nette de 150 m2 attachés à la parcelle voisine cadastrée [Cadastre 1] moyennant le prix de 13.000.000 F, soit 1.981.837 €,

- la seconde, portant sur un immeuble à édifier sur le terrain cadastré [Cadastre 1] et sur la totalité des droits à construire sur cette parcelle, sous déduction de la superficie de 150 m2 de SHON déjà incluse dans la première promesse , moyennant le prix de 5.000.000 F ramené à 80.000 F dans le cas où le plan d'occupation des sols de la commune de [Localité 5] ne serait pas révisé avant le 31 décembre 2001, avec prorogation possible du délai de la vente jusqu'au 1er avril 2002 en cas de recours ;

Que la seconde promesse de vent prévoyait que le bénéficiaire s'engageait à déposer un permis de construire au nom de la SCI LES ETROITS sur la parcelle cadastrée section [Cadastre 2] en vue de la construction d'un bâtiment à usage de restaurant d'altitude ;

Qu'il était convenu que l'acquéreur verserait deux indemnités d'immobilisation, la première de 1.300.000 F à verser dans les 10 jours de la signature de l'acte, la seconde de 500.000F à régler au plus tard le 12 août 2000, date prévue pour la régularisation de la première promesse ;

Que ces actes ont été dressés en l'étude de Maître [W], notaire à [Localité 3], avec la participation de Maître [D] notaire à [Localité 4], conseil de l'acquéreur ;

Que suivant deux actes distincts du 21 septembre 2000, Maître [W], notaire à Bourg-Saint-Maurice, avec le concours de M. [D], notaire au sein de la SCP [D], assistant [P] [N], recevait la vente, au nom de la société civile TOIT DU MONDE, du bien cadastré [Cadastre 2] et, au nom de la SARL TOIT DU MONDE en cours d'immatriculation, du fonds de commerce à l'exclusion des droits à construire sur la parcelle [Cadastre 1] pour laquelle un certificat d'urbanisme négatif avait été délivré le 12 septembre 2000 ;

Que la seconde indemnité d'immobilisation n'ayant pas été versée dans le délai convenu, la promesse portant sur la parcelle [Cadastre 1] et le complément de droits à construire attachés à cette parcelle, a fait l'objet d'une résolution par jugement du tribunal de grande instance d'Albertville du 15 novembre 2002, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Chambéry du 5 mai 2003, ce qui a entraîné l'arrêt de l'exploitation du fonds de commerce ;

Que c'est dans ces circonstances que les sociétés TOIT DU MONDE ont engagé une action en responsabilité contre M. [D] et la SCP notariale devant le tribunal de grande instance de Paris leur reprochant d'avoir manqué à l'obligation de conseil, pour n'avoir pas exigé l'établissement d'un acte pour constater l'accord réduisant l'indemnité d'immobilisation afférente au bien cadastré [Cadastre 1] qui avait été conclu à la suite de la découverte du caractère inconstructible de cette parcelle ;

Que le tribunal comme la cour d'appel de Paris ont retenu que le notaire instrumentaire avait manqué à son devoir de conseil et de diligence, d'une part, en s'étant abstenu de faire consigner par écrit, à l'occasion de la vente de la parcelle [Cadastre 2], l'accord qu'il dit avoir négocié avec le notaire des vendeurs pour différer et réduire à 150.000 F l'indemnité de 500.000 F considérée comme excessive au vu du certificat d'urbanisme négatif affectant la parcelle [Cadastre 1], d'autre part, en omettant de signaler une rédaction imparfaite de l'acte de vente du 21 septembre 2000 qui contredit l'accord allégué ;

Qu'à la suite de la cassation partielle prononcée par l'arrêt du 6 octobre 2011, les dispositions constatant la faute du notaire ont acquis force de chose jugée en sorte que la saisine de la cour de renvoi est limitée à la seule question relative à l'appréciation des préjudices subis par les sociétés TOIT DU MONDE en relation avec la faute retenue ;

Que l'arrêt de la Cour de cassation du 6 octobre 2011 retient qu'en énonçant qu'en raison des aléas tenant, d'une part, à l'obtention des autorisations d'urbanisme nécessaires et, d'autre part, au succès commercial de l'opération, la perte de chance ainsi occasionnée était particulièrement faible, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil, alors que ne constituent pas une perte de chance, mais un préjudice consommé, les dépenses et investissements réalisés en pure perte en raison de l'inefficacité du montage instrumenté ;

Que l'arrêt relève également qu'en évaluant à la même somme le dommage subi par chacun des acquéreurs, après avoir estimé à des sommes différentes le manque à gagner subi par la SARL Le TOIT DU MONDE sur la valeur du fonds de commerce, d'une part, et la perte de loyers subie par la SCI éponyme, d'autre part, tout en constatant que les aléas juridiques et économiques auxquels était assujetti le succès de l'opération étaient identiques pour l'une comme pour l'autre, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ces constatations et a violé l'article 1382 du code civil et le principe de la réparation intégrale ;

Considérant qu'au soutien de leur demande, les sociétés TOIT DU MONDE exposent que l'opération qu'ils envisageaient nécessitait l'acquisition indivisible des deux parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 1] afin de développer leur projet d'hôtel restaurant de luxe et de construire sur la parcelle [Cadastre 1] un restaurant et y aménager une terrasse bénéficiant d'un accès direct à la piste de ski, que les notaires qui avaient admis l'indivisibilité de cette opération dans une attestation destinée à être produite en justice, sont irrecevables, en vertu du principe de l'estoppel, à se contredire ; qu'ils font valoir que le projet était réalisable, la commune ayant expressément renoncé à son droit de préemption, le 14 septembre 2000, que les règles d'urbanisme ne faisaient pas obstacle à sa réalisation, l'hôtel pouvant être construit sur la parcelle [Cadastre 2] dans le chalet existant et un chalet de dimension plus modeste à usage de restaurant d'altitude pouvant être érigé sur la parcelle [Cadastre 1] selon les plans d'architecte qu'ils versent aux débats et le POS applicable à cette date, qu'au vu du plan marketing élaboré, le projet était promis au succès ;

Que M. [D] et la SCP notariale répliquent que le défaut d'acquisition de la parcelle [Cadastre 1] était une éventualité que [P] [N] avait acceptée, en relevant que si elle avait conçu d'acquérir les deux parcelles de manière indivisible, elle aurait subordonné la perfection de la première promesse à l'obtention d'un certificat d'urbanisme positif sur les droits à construire attachés à la parcelle [Cadastre 1], que le droit de préemption grevant la parcelle [Cadastre 1] était un obstacle supplémentaire à l'acquisition, que le fonds de commerce acquis par la SARL TOIT DU MONDE pouvait être exploité sur la seule parcelle [Cadastre 2], qu'il n'est pas démontré que la seule exploitation de ce fonds ne serait pas viable ; qu'ils soutiennent en outre que la réalisation de la construction projetée suppose une extension de l'emprise au sol de la construction existante sur la parcelle [Cadastre 1] laquelle est située en zone non constructible et que dans les limites de la parcelle [Cadastre 2], il serait tout au plus possible d'ouvrir un hôtel de 8 chambres qui ne peut être viable ; que les préjudices allégués ne seraient réels que dans l'hypothèse où le projet aurait abouti et rencontré un succès commercial ce qui supposait la réunion des capitaux nécessaires à son financement et une clientèle sur le site déjà saturé de [Localité 5] ;

******************************************

- Sur le préjudice des sociétés TOIT DU MONDE en relation avec la faute de Maître [D]

Considérant, sur la nature du projet, que nonobstant l'existence de deux promesses de vente distinctes sur les parcelles [Cadastre 2] et [Cadastre 1], l'opération immobilière projetée par les sociétés TOIT DU MONDE était indivisible, comme l'a affirmé Maître [D] dans une lettre adressée le 21 septembre 2001 à son confrère, Maître [W] ; que seules des considérations d'ordre techniques liées à l'attente du certificat d'urbanisme relatif à la parcelle [Cadastre 1] et à l'aléa de l'obtention d'un permis de construire ont conduit à dresser deux actes, dont le second venait à échéance à une date plus lointaine que le premier ; qu'il convient de relever que la terrasse et les garages qui font l'objet de la vente du 21 septembre 2000, sont édifiés sur une partie de la parcelle [Cadastre 1] ce qui vient conforter le fait que le choix de deux dates d'échéance différentes résultait de l'attente du certificat d'urbanisme  ;

Qu'à supposer même que le projet de construction d'un hôtel restaurant de luxe ne soit pas mené à son terme, les premiers juges ont à juste titre retenu que l'obligation de restituer la parcelle [Cadastre 1], ensuite de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Chambéry, et la configuration de la parcelle [Cadastre 2] ne permettaient pas d'envisager l'installation d'une terrasse équivalente, ensoleillée et directement accessible aux skieurs depuis les pistes, attrait conditionnant le succès commercial d'un bar restaurant de station de montagne ;

Considérant qu'en l'absence de projet mis en avant par la commune de [Localité 5] sur la parcelle [Cadastre 1], son intention d'exercer son droit de préemption ne peut être admise ; qu'au surplus, un garage communal semi-enterré destiné à abriter des engins de damage des pistes a été édifié sur la parcelle section [Cadastre 1], en vertu d'une convention d'occupation de terrain à titre gratuit conclue avec la commune par les époux [L], propriétaire du restaurant La CRECH'OUNA, le 9 septembre 1983, pour une durée de 50 ans en sorte qu'elle n'avait aucun motif sérieux de préempter ;

Qu'il s'ensuit que la poursuite de l'exploitation du restaurant a été sérieusement compromise, par la privation de l'exploitation de la terrasse jouxtant l'arrivée des pistes de ski; que le préjudice consécutif à la cessation d'activité est donc en lien avec la faute du notaire ; qu'il s'ensuit que les dépenses et investissements engagés en pure perte par les sociétés TOIT DU MONDE doivent être indemnisés ;

Considérant que, sur l'implantation des constructions, les demandeurs à la saisine estiment que leur projet d'hôtel pouvait être construit sur la seule parcelle [Cadastre 2], celui-ci devant être aménagé dans le chalet existant, le restaurant devant être édifié sur la parcelle [Cadastre 1] ; que concernant l'implantation du restaurant, elles font valoir qu'elles pouvaient bénéficier de droits de construire résultant d'un COS de 0,3 en zone UD permettant une constructibilité de 150 m2 SHON sur la partie de la parcelle située dans cette zone et de la possibilité offerte par le POS de construire en zone non constructible des restaurants d'altitude ;

Mais considérant que la création d'un hôtel luxueux de première catégorie disposant de 18 suites, chacune d'elles comprenant un coin salon, une salle de bains vaste, une terrasse/patio équipée d'un spa jacuzzi et d'un sauna privé, tel que décrit dans la pièce communiquée sous le numéro 14 et sur le plan établi par le cabinet d'architectes [U] [M], n'apparaît pas réalisable sur la seule parcelle [Cadastre 2], sans empiétement sur la parcelle [Cadastre 1], non constructible à cette date ; qu'en effet, l'ancien chalet ne comportait que huit chambres, que le plan dessiné par le cabinet [U] [M] dévoile trois étages sans davantage de précision quant à leur répartition dans l'espace préexistant, sans mentionner l'emprise au sol de la construction, en fonction des limites parcellaires en sorte que la fiabilité de la construction de ce projet sur la seule parcelle [Cadastre 2] n'est pas établie ; qu'à défaut de plan masse, l'attestation établie par [U] [M] le 5 mai 2007 est insuffisante pour déterminer l'implantation précise du projet ;

Que les sociétés TOIT DU MONDE reconnaissent elles-mêmes que leur projet de restaurant consommait les 150 m2 de SHON dans la zone UD et empiétait d'environ 50 m2 en zone non constructible ; qu'en l'absence de précision sur le projet de restaurant, décrit sommairement, dans la pièce communiquée sous le numéro 14, comme comportant deux espaces bar, des jacuzzi extérieurs/intérieurs et une piscine, sans que soient déterminés sa consistance précise et son implantation, la preuve n'est pas rapportée que le projet aurait pu être qualifié de restaurant d'altitude et que sa construction en zone non constructible aurait été autorisée ; que les intimés invoquent à juste titre l'article OA1 de l'arrêté du 23 octobre 1986 modifiant le règlement de sécurité contre les risques d'incendie et de panique dans les établissements recevant du public qui définit les hôtels-restaurants d'altitude comme étant isolés et inaccessibles aux véhicules de secours et de lutte contre l'incendie pendant au moins une partie de l'année ; que la définition apportée par ce texte n'est pas contredite par les demandeurs ; que les plans et photographies des lieux produits aux débats par les appelantes montrent que, situés à proximité d'un ensemble de chalets et d'un parking, le bâtiment acquis n'est pas isolé et est accessible aux véhicules durant la période hivernale ; que si une autorisation a été accordée en 1988 au restaurant dénommé «Les Tufs» situé dans une zone accessible par une route goudronnée, il n'est pas démontré qu'une autorisation similaire aurait été délivrée 12 ans après ;

Considérant que pour établir que le projet hôtelier était promis au succès commercial, les demandeurs se fondent sur deux rapports d'évaluation rédigés par la société de conseil PRICEWATERHOUSE COOPERS, le 25 février 2005, et le cabinet d'expertise RICOL LASTEYRIE, le 23 mai 2012 ;

Mais considérant que si ces études ne peuvent être basées que sur des prospectives, le préjudice subi doit s'apprécier au regard de la capacité de financement du projet, de sa viabilité économique, des perspectives commerciales en tenant compte de la demande dans cette catégorie d'établissements, de la qualité de son emplacement dans le contexte d'une exploitation tant en période estivale qu'hivernale ;

Que pour déterminer la perte de chance, en lien direct avec la faute commise par le notaire, des sociétés TOIT DU MONDE de réaliser leur projet d'hôtel restaurant de luxe, il doit être tenu compte des aléas d'ordre juridique (obtention d'un permis de construire sur la zone non constructible), économiques (obtention de financement-amortissement du coût de l'opération immobilière-chance de succès commercial du projet) et également climatiques, l'enneigement étant déterminant pour la réussite de la saison hivernale, éléments qui seront examinés ci-après ;

'Sur le montant des préjudices

Sur les pertes invoquées par la SARL TOIT DU MONDE

Considérant que la SARL TOIT DU MONDE poursuit le remboursement des investissements qu'elle a réalisés inutilement se composant en éléments incorporels ( nom commercial, clientèle et achalandage) qu'elle chiffre à 297.276 € et en éléments corporels initiaux, hors fonds de commerce, terrain et constructions, soit 171.100 € ainsi que les pertes constatées dans ses comptes des exercices 2001 à 2004 ;

Considérant que si le fonds de commerce préexistait à l'acquisition qu'en a fait la SARL TOIT DU MONDE, la privation de l'espace en terrasse grève son exploitation ; que toutefois, les investissements incorporels n'ont pas été acquis en pure perte, le commerce ayant été exploité pendant 3 ans ;

Que le préjudice en résultant sera évalué à 200.000 € ;

Que les immobilisations corporelles réalisées par la SARL au cours des exercices 2000 à 2002, tels les aménagements et agencements du restaurant, les travaux de décoration, les achats de mobilier, de matériel et d'outillage destinés à l'activité de restauration, sont définitivement perdus et n'ont pu être amortis à défaut de pouvoir poursuivre l'exploitation du fonds au delà de 3 ans en sorte que son préjudice à ce titre sera évalué, au vu du rapport d'expertise à 150.000 € ;

Considérant que le rapport établi par le cabinet RICOL LASTEYRIE relève que l'ensemble des pertes comptables constatées au cours des exercices 2001 à 2004, normales dans le cadre d'une activité naissante, n'ont de sens pour l'investisseur que dans la perspective d'une continuité d'exploitation et que les bénéfices réalisés après la période de lancement permettent de couvrir les pertes initiales ; que les appelantes estiment à 584.900 € les pertes comptables correspondant à des dépenses effectuées tant pour le lancement de l'activité que pour les besoins de l'exploitation ;

Mais considérant que les appelantes ont exploité normalement le fonds de commerce de restaurant jusqu'au prononcé de l'arrêt de la cour d'appel de Chambéry ; qu'alors que les chiffres d'affaires réalisés étaient inférieurs à ceux du précédent exploitant et que les résultats des années 2001 à 2003 traduisaient des pertes, il n'est pas établi que la poursuite de l'activité leur aurait permis de dégager des bénéfices substantiels permettant de couvrir ce déficit ; que leur demande de ce chef sera rejetée, le lien de causalité n'étant pas établi entre ces pertes d'exploitation et l'arrêt d'activité consécutif à la faute du notaire ; qu'en outre, la réparation de ces pertes conduiraient à une double indemnisation des sociétés ;

'Sur les pertes invoquées par la SCI TOIT DU MONDE

Considérant que la SCI TOIT DU MONDE demande le remboursement des investissements qu'elle a réalisés inutilement, notamment les agencements des constructions dans la perspective de mener à bien le projet ainsi que les pertes comptables des exercices 2001 à 2004 ;

Considérant que les innovations réalisés pour aménager le restaurant n'ont pas été réalisées en pure perte, le commerce ayant été exploité pendant 3 ans ;

Qu'au vu des justificatifs produits, le préjudice en résultant sera limité à 30.000 €  ;

Considérant que s'agissant de la demande de remboursement des pertes comptables des exercices 2001 à 2004, dans ses écritures, elle ne précise pas la nature exacte de ces pertes ; que pour caractériser et quantifier ce préjudice, le rapport d'expertise du 23 mai 2012 mentionne que l'exploitation du restaurant ayant été interrompue le 14 décembre 2004, la SCI n'a plus été en mesure de percevoir les loyers initialement prévus à compter de cette date ;

Que toutefois, rien ne permet d'exclure que la SCI continue de percevoir des loyers en relation avec la nouvelle destination du chalet ;

Que les premiers juges ont à juste titre, limité son préjudice à deux années de pertes de loyers, durée d'immobilisation du bien nécessaire à sa reconversion et évalué celui-ci à 137.204, 10 €  ;

'Sur le gain manqué par la SCI TOIT DU MONDE

Considérant que la SCI soutient que sans la faute du notaire, elle aurait bénéficié d'un enrichissement correspondant à la différence entre la valeur actuelle de la parcelle [Cadastre 1] (au minimum 2.187.000 €) et son prix d'acquisition (12.195€) soit la somme de 2.174.805 € ; qu'elle fait valoir que ce préjudice est certain, cette valeur n'étant pas fonction de la réalisation ou non du projet d'hôtel restaurant mais celle du terrain nu ;

Que les intimés répliquent que cette demande est irrecevable comme nouvelle devant la cour  ; qu'ils ajoutent que la SCI TOIT DU MONDE n'est pas un marchand de biens et n'a projeté cette acquisition qu'accessoirement à un projet de création d'un hôtel  ;

Considérant que cette prétention n'est pas nouvelle dès lors qu'elle tend aux mêmes fins que les demandes soumises aux premiers juges, à savoir obtenir l'indemnisation du préjudice consécutif à la faute commise par le notaire dans l'établissement des actes authentiques ;

Considérant que le manque à gagner au titre de la plus-value de la parcelle [Cadastre 1] ne constitue pas un préjudice indemnisable en relation avec la faute du notaire alors que l'acquisition de cette parcelle avait pour finalité l'édification d'un hôtel-restaurant et n'entrait pas dans une activité de marchand de biens ; qu'en outre, l'évaluation du prix de la parcelle par les demandeurs n'est pas probante, au regard des contraintes d'urbanisme qui la grève ;

Que cette demande sera donc rejetée ;

Sur la perte de chance de la SARL TOIT DU MONDE

Considérant que la SARL TOIT DU MONDE soutient que cette perte de chance, estimée à 3.505.000 €, correspond à la plus-value qu'elle aurait pu réaliser sur le fonds de commerce ensuite de l'exploitation de l'hôtel restaurant et fait valoir, à cet effet, se fondant sur le business-plan établi préalablement au lancement de son projet, qu'il existait une place pour un hôtel étoilé supplémentaire à [Localité 5], que le nombre d'établissements haut de gamme dans cette station est passé de trois classés quatre étoiles en 2003 à huit en 2011 dont cinq établissements de catégorie cinq étoiles, que la plus-value a été calculée en évaluant le fonds de commerce conformément aux usages habituels dans la profession en appliquant le coefficient du barème d'évaluation au chiffre d'affaires TTC moyen des trois années prévisionnelles ;

Mais considérant que la faisabilité du projet d'hôtel restaurant était, en premier lieu, subordonné à l'obtention du permis de construire, étant rappelé que son édification sur la parcelle [Cadastre 2] n'était pas réalisable ; qu'en deuxième lieu, ni l'obtention du financement nécessaire à la mise en 'uvre des travaux de construction, importants au vu du plan d'architecte versé aux débats, ni les modalités d'amortissement de cet endettement ne sont justifiés ; qu'en troisième lieu, s'il existait à la date du projet, une demande d'hébergement de grand standing dans les stations montagnardes, le lieu d'implantation de l'hôtel, à La Daille, dans le faubourg de [Localité 5], en surplomb de la route d'accès à la station, au voisinage du parking qui dessert la station et du garage servant d'entrepôt aux engins de déneigement, constituent des handicaps sérieux au succès commercial d'un hôtel de grand luxe ;

Que ces éléments conduisent à évaluer à 50.000 € la perte de chance de la SARL TOIT DU MONDE ;

Considérant que le montant des frais de justice (47.720,87 €) a été définitivement jugé; 

Considérant qu'il n'y a lieu, en cause d'appel, de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ; que le jugement sera confirmé en ce qu'il a alloué à la SARL TOIT DU MONDE la somme de 5.000 € et à la SCI TOIT DU MONDE la somme de 20.000 € à ce titre ;

Que la charge des dépens incombera à M. [D] [D] et à la SCP notariale ;

PAR CES MOTIFS

La cour, statuant publiquement et contradictoirement, dans les limites de la saisine,

Confirme le jugement entrepris sauf sur le montant des dommages-intérêts,

Statuant à nouveau sur ce point,

Condamne in solidum M° [D] [D] et la SCP [D] à payer les sommes suivantes, à titre de dommages-intérêts :

- à la SARL TOIT DU MONDE, 350.000 € à titre d'indemnisation des investissements réalisés et celle de 50.000 € au titre d'une perte de chance,

-à la SCI TOIT DU MONDE, 30.000 € à titre d'indemnisation des investissements réalisés et celle de 137.204,10 € au titre des gains manqués ensuite de l'immobilisation temporaire du bien,

Rejette le surplus des demandes,

Dit n'y avoir lieu à allocation d'une indemnité complémentaire au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

Condamne in solidum M° [D] [D] et la SCP [D] aux dépens qui, pour ceux d'appel, pourront être recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile .

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame RENOULT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 12/01777
Date de la décision : 28/11/2013

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°12/01777 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2013-11-28;12.01777 ?
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