COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 36E
1ère chambre 1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 14 MARS 2013
R.G. N° 11/04906
AFFAIRE :
[H] [C]
C/
Société LOUVIGNY CANADA
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 14 Juin 2011 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° Chambre : 1
N° Section :
N° RG : 2007/04495
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA
Me Véronique BUQUET-ROUSSEL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE QUATORZE MARS DEUX MILLE TREIZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [H] [C]
né le [Date naissance 1] 1941 à [Localité 3]
[Adresse 1]
[Localité 1]
Représentant : Me Patricia MINAULT de la SELARL MINAULT PATRICIA, Postulant (avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 619 - N° du dossier 00039956)
Représentant : Me Valéry LE DOUGUET, Plaidant (avocat au barreau de PARIS)
APPELANT
****************
Société LOUVIGNY CANADA
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Localité 2]
Représentant : Me Véronique BUQUET-ROUSSEL de la SCP BUQUET-ROUSSEL-DE CARFORT, Postulant (avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 462 - N° du dossier 42811 )
Représentant : Me Jérôme LEVRON de la SELURL KGLS, Plaidant (avocat au barreau de PARIS, vestiaire : B1082)
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 31 Janvier 2013 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Présidente chargée du rapport et Madame Dominique LONNE, Conseiller.
Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Présidente,
Madame Dominique LONNE, Conseiller,
Monsieur Dominique PONSOT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Marie-Claude DELAITRE,
FAITS ET PROCEDURE,
Vu l'appel interjeté par [H] [C] du jugement rendu le 14 juin 2011 par le tribunal de grande instance de Versailles qui a déclaré la société LOUVIGNY CANADA INC recevable en son action, a condamné [H] [C] à lui payer la contrevaleur en euros de la somme de 1.393.963 dollars canadiens avec intérêts à compter du jugement, celle de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, a débouté [H] [C] de sa demande de dommages-intérêts et l'a condamné aux dépens ;
Vu les dernières conclusions signifiées le 10 janvier 2013 par lesquelles [H] [C], poursuivant l'infirmation du jugement entrepris, demande à la cour de débouter la société LOUVIGNY CANADA INC de l'ensemble de ses prétentions, de la condamner à lui payer la somme de 100.000 € pour procédure abusive, celle de 20.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
Vu les dernières écritures signifiées le 23 janvier 2013 aux termes desquelles la société LOUVIGNY CANADA INC conclut à la confirmation du jugement déféré sauf à dire que la condamnation de [H] [C] est fondée sur les articles 1382 et suivants du code civil et sur le montant des dommages-intérêts et prie la cour de fixer à 1.700.320 dollars canadiens le montant des dommages-intérêts à payer par [H] [C], de le condamner à lui payer la somme de 8.000 € pour procédure abusive, celle de 10.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;
SUR QUOI, LA COUR
Considérant que [X] [O] a fondé en 1958 la société AIR LB au sein de laquelle il a engagé, en 1963, [H] [C], en qualité d'administrateur ;
Qu'en juillet 2000, la société AIR LB a été vendue 30 millions d'euros au groupe AMPHENOL, dont 10 millions d'euros pour la part directement détenue par la famille [O] ; que les fonds ont été réinvestis dans l'acquisition de PME notamment au Canada et [X] [O] est devenu actionnaire majoritaire de la Holding LOUVIGNY CANADA, [H] [C] en a été l'administrateur de 2000 au 14 décembre 2006 ;
Que [X] [O] est décédé le [Date décès 1] 2005 ;
Qu'ayant appris qu'une demande de transfert de fonds d'un montant de 200.000 $ canadiens, soit 130.000 €, avait été signée par [E] [L], administrateur, sur un papier à l'entête de l'une des filiales du groupe au profit de [H] [O], les héritiers de [X] [O], après avoir sollicité de ce dernier des explications sur cette opération et un certain nombre de dépenses engagées par le groupe, ont convoqué une assemblée générale le 14 décembre 2006, par laquelle [H] [O] a été destitué de ses fonctions ; que [E] [L] était démis de ses fonctions, les 16 novembre et 14 décembre 2006 ;
Que reprochant à [H] [C], des dépenses sans rapport avec l'activité des sociétés du groupe, notamment des dépenses directement en rapport avec le mandat de conseiller général des Ardennes de celui-ci, et des dépenses d'agrément d'un montant exorbitant, la société LOUVIGNY CANADA INC l'a assigné, au visa des articles 1382 et suivants du code civil, afin de le voir condamner à lui payer la somme de 1.798.670,42 $ canadiens devant le tribunal de grande instance de Versailles qui, après avoir désigné un expert, a partiellement fait droit à sa demande ;
Que le tribunal a retenu que la faute invoquée devait être appréciée au regard du droit canadien auquel la société LOUVIGNY CANADA INC est soumise et sur le fondement de la responsabilité contractuelle de l'administrateur de société résultant des articles 231 et suivants du code civil du Québec et l'article 122 de la loi sur les sociétés de régime fédéral ;
Sur la loi applicable
Considérant qu'au soutien de son recours, [H] [C] fait valoir que le jugement dépourvu de toute motivation n'est pas conforme à l'article 455 du code de procédure civile, que le fondement sur l'article 1382 du code civil ne pouvait prospérer et qu'une autre qualification ne pouvait être retenue sans contrevenir aux dispositions de l'article 5 du code de procédure civile ;
Que la société LOUVIGNY CANADA INC réplique qu'il n'existe pas de convention internationale entre la France et le Canada en matière de responsabilité délictuelle en sorte que l'article 3 du code civil qui stipule que les obligations extra-contractuelles sont régies par la loi du lieu où est survenu le fait qui leur a donné naissance doit recevoir application, que c'est avec la France que les liens sont les plus étroits au regard du lieu de commission des faits allégués et de la résidence de l'appelant et que ces faits sont personnels et ne sont pas liés à sa qualité d'administrateur ;
Considérant que [H] [C] ne tire aucune conséquence juridique du défaut de motivation allégué et du non respect des dispositions de l'article 5 du code de procédure civile, autre que l'infirmation du jugement déféré ;
Considérant que si la société LOUVIGNY CANADA INC est soumise à la loi canadienne sur les sociétés par actions, il n'existe pas de convention internationale entre la France et le Canada régissant la responsabilité délictuelle de sorte que l'action en réparation est régie par la loi du lieu où est survenu le fait qui a donné naissance au dommage ; que la société LOUVIGNY CANADA INC reproche à [H] [C] des faits non liés à sa fonction d'administrateur, notamment des dépenses d'agrément engagées sur le territoire français dans son intérêt personnel et au profit de sociétés françaises ; qu'au regard du lieu de commission des faits allégués et de la résidence de l'appelant, il convient de faire application de la loi française, étant relevé que [H] [C] n'invoque pas d'autre loi ;
- Sur le fond
Considérant que [H] [C] soutient que les frais, objet du litige, ont été exposés dans le cadre de ses attributions, qu'il en a fait l'avance, qu'il a été remboursé par règlements de l'expert comptable et du président, [E] [L], habilités pour autoriser ces règlements et que chaque poste de dépense a fait l'objet d'une approbation chaque année et à l'unanimité des actionnaires lors des assemblées générales ; qu'il ajoute qu'il a déposé une plainte auprès des autorités canadiennes et que la société LOUVIGNY n'a plus d'activité effective depuis février 2011 ;
Que la société LOUVIGNY CANADA INC réplique que lorsque [X] [O] est devenu actionnaire majoritaire de la holding LOUVIGNY CANADA, il a organisé un système classique de séparation des ordonnateurs et des comptables dans lequel [H] [C], ordonnateur, devait prendre les décisions stratégiques et [E] [L] payait et contrôlait les dépenses et que la santé de [X] [O] déclinant, [H] [C] en a profité pour accroître son train de vie au détriment de la holding dont la trésorerie a été asséchée ; qu'elle relève que les dépenses engagées par [H] [O] ne correspondent pas à son objet social et que l'appropriation de ces sommes est à l'origine de l'appauvrissement social ; que ce faisant, il a manqué à son obligation de loyauté envers la société ;
Considérant que [H] [D], désigné en qualité d'expert par ordonnance du juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Versailles du 7 mai 2008, a déposé un rapport le 25 janvier 2010 ;
Que l'expert a, conformément au premier point de sa mission, examiné l'ensemble des paiements effectués directement ou indirectement au profit de [H] [C] de 2001 à 2006, allégués par la société LOUVIGNY CANADA INC ; qu'il constate que des paiements pour un total de 36.784,89 dollars canadiens ne sont pas justifiés ; que sur ce montant, il relève deux notes de frais de 3.825 dollars et de 9.201,89 dollars retrouvées dans les écritures comptables, une note de frais de 1.335 dollars non retrouvée en comptabilité et deux paiements effectués par d'autres sociétés du groupe ; qu'il note que la somme de 169.192,57 dollars a été acquittée par d'autres sociétés du groupe et qu'il n'est pas en mesure de dire qu'elle a été prise en charge par la société intimée et que la somme de 195.259,50 dollars canadiens dont le paiement est justifié n'a pas été retrouvée en comptabilité ;
Qu'invité à rechercher les motifs de ces règlements, il constate que 742.700 dollars canadiens ont été justifiés et qu'ils correspondent à des paiements d'honoraires sur l'exercice 2005 à hauteur de 72.000 dollars canadiens et à des notes de frais pour 670.700 dollars canadiens ;
Qu'il conclut qu'il ne peut se prononcer sur la conformité ou la non conformité de ces dépenses à l'objet social et que sur la nature et l'objet des dépenses justifiées par notes de frais, il n'est pas en mesure, compte tenu du manque de précision des explications données, d'indiquer l'objet exact de chacune de ces dépenses et si celles-ci étaient réalisées dans l'intérêt de la société ; qu'il ajoute, sur le contrôle interne, qu'il n'existe pas de procédures formalisées au sein de la société LOUVIGNY CANADA INC en rappelant que cette société est une holding de taille moyenne et qu'il est rare de rencontrer dans ce type de structures des procédures strictes dont le coût serait incompatible avec les moyens financiers ;
Considérant que [H] [C] ne justifie pas que la société LOUVIGNY CANADA INC est en sommeil depuis février 2011, comme il l'affirme dans ses écritures ; que le document intitulé «Corporations Canada», daté du 27 avril 2011, qui émane d'un centre qui recense les informations concernant les sociétés de régime fédéral, mentionne sous la rubrique «Statut» qu'elle est active ; qu'en tout état de cause, une éventuelle mise en sommeil de la société ne la prive pas de son pouvoir pour agir en justice ;
Considérant qu'il appartient à la société LOUVIGNY CANADA INC de rapporter la preuve que [H] [C] a commis une faute en engageant des dépenses contraires à l'intérêt social ;
Considérant que les notes de frais dont l'expert a évalué le montant à 670.700 dollars canadiens ont été avancées par [H] [C] et remboursés par la société après approbation de l'expert comptable ;
Mais considérant que l'intimée ne produit aux débats aucun élément, dont l'organigramme et des documents comptables ou fiscaux, permettant de définir son objet social, la nature de son activité, l'implantation de ses filiales et de sa clientèle et l'origine de celle-ci et ainsi de déterminer si les dépenses litigieuses exposées par son administrateur, [H] [C], étaient ou non conformes à l'intérêt social, étant relevé qu'elle sont toutes relatives à des dépenses de transport, d'hébergement et de repas ; que le seul organigramme versé aux débats par l'appelant représente la structure du groupe en 2011 ;
Que, par ailleurs, alors que l'expert relève que des paiements ont été effectués au profit de [H] [C] par d'autres sociétés du groupe, les sociétés EPOXY et FABRIMETAL, l'intimée ne justifie pas des liens capitalistiques l'unissant à ces sociétés, les rapports de gestion produits étant insuffisants pour établir l'organisation de la société holding et déterminer si ces deux sociétés disposent d'une personnalité morale distincte de la société holding ; que les différents dires annexés au rapport d'expertise n'apportent aucune information précise sur la structure du groupe ; que l'expert a relevé qu'il n'était pas en mesure de vérifier que les paiements d'un montant de 169.192,57 dollars canadiens invoqués par la société LOUVIGNY CANADA INC avaient été pris en charge par elle ; qu'il ne peut être déduit du montant important des dépenses exposées qu'elles ne sont pas conformes à l'objet social ,
Qu'en outre, la société LOUVIGNY CANADA produit les rapports de gestion, les rapports des vérificateurs, comptables agréés, les résolutions des assemblées générales des actionnaires approuvant les comptes pour les exercices 2001 à 2004 ; que si elle fait état d'un accroissement des notes de frais jusqu'en 2004, elle n'a émis aucune observation sur ce point et n'a adressé aucune recommandation à ses administrateurs ; que par ailleurs, la société d'expertise comptable chargée de la vérification des comptes n'a pas relevé d'anomalie dans les charges liées aux frais de représentation et de déplacements soumis à son contrôle ;
Que la société LOUVIGNY CANADA ne rapporte donc pas la preuve qu'en exposant ces dépenses et frais, [H] [C] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité délictuelle ; qu'elle sera en conséquence déboutée de l'ensemble de ses prétentions ;
Considérant que [H] [C] sollicite l'allocation d'une indemnité de 100.000 € à titre de dommages-intérêts pour atteinte à sa notoriété ;
Mais considérant que l'appelant ne justifiant pas que la présente procédure a été diffusée en dehors des juridictions qui ont eu à connaître, sa demande sera rejetée ;
Considérant que les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile doivent bénéficier à l'appelant ; qu'il lui sera alloué à ce titre la somme de 10.000 € ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement et contradictoirement,
Infirme le jugement entrepris,
Statuant à nouveau,
Déboute la société LOUVIGNY CANADA INC de ses demandes à l'encontre de [H] [C],
Condamne la société LOUVIGNY CANADA INC à payer à [H] [C] la somme de 10.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société LOUVIGNY CANADA INC aux dépens qui comprendront les frais d'expertise et seront recouvrés conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Présidente et par Madame NEVEU faisant fonction de greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,La PRESIDENTE,