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11/10/2012 | FRANCE | N°10/05550

France | France, Cour d'appel de Versailles, 1ère chambre 1ère section, 11 octobre 2012, 10/05550


COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES





Code nac : 00A



1ère chambre 1ère section



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 11 OCTOBRE 2012



R.G. N° 10/05550



AFFAIRE :



S.E.L.A.R.L. [D], [U], [W]- GMLJ

...



C/







S.E.L.A.R.L. [ZA] AVOCATS ASSOCIES

...







Décision déférée à la cour : sentence arbitrale rendue le 5 Juillet 2010 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de CHARTRES

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jugement rendu le 8 juillet 2010 par le tribunal de grande instance de CHARTRES 1ère chambre, RG 10/01812







Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :



SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD



Maitre BINOCHE.







REPU...

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 00A

1ère chambre 1ère section

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 11 OCTOBRE 2012

R.G. N° 10/05550

AFFAIRE :

S.E.L.A.R.L. [D], [U], [W]- GMLJ

...

C/

S.E.L.A.R.L. [ZA] AVOCATS ASSOCIES

...

Décision déférée à la cour : sentence arbitrale rendue le 5 Juillet 2010 par le Bâtonnier de l'ordre des avocats de CHARTRES

jugement rendu le 8 juillet 2010 par le tribunal de grande instance de CHARTRES 1ère chambre, RG 10/01812

Expéditions exécutoires

Expéditions

Copies

délivrées le :

à :

SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD

Maitre BINOCHE.

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LE ONZE OCTOBRE DEUX MILLE DOUZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :

S.E.L.A.R.L. [D] [U] [W]- GMLJ

société d'exercice libéral d'avocats à responsabilité limitée, inscrite au RCS de Chartres sous le numéro 507 881 506 ayant son siège [Adresse 34]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés ès qualités de droit audit siège.

Rep/assistant : la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD (avocats postulants au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 1047963 )

PLAIDANT par Me Antoine DE LA FERTE (avocat au barreau de VERSAILLES)

Madame [X] [D]

avocat,

née le [Date naissance 4] 1966 à [Localité 36]

[Adresse 10]

[Localité 16]

Rep/assistant : la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD (avocats postulants au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 1047963 )

Madame [F] [U]

avocat,

née le [Date naissance 11] 1972 à [Localité 30]

[Adresse 19]

[Localité 16]

Rep/assistant : la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD (avocats postulants au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 1047963 )

Monsieur [K] [W]

avocat,

né le [Date naissance 13] 1952 à [Localité 28]

[Adresse 37]

[Localité 15]

Rep/assistant : la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD (avocats postulant au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 1047963 )

APPELANTS

Plaidant par Me Antoine DE LA FERTE (avocat au barreau de VERSAILLES)

****************

S.E.L.A.R.L. [ZA] AVOCATS ASSOCIES

ayant son siège social

[Adresse 27]

[Localité 14]

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège,

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 490/10 )

Plaidant par Maitre Jean Paul LEVY, avocat au barreau de PARIS.

Madame [A] [M] [P]

avocat,

née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 35]

[Adresse 17]

[Localité 23]

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES - N° du dossier 490/10 )

Mademoiselle [H] [C] [G] [VF]

avocat,

née le [Date naissance 3] 1969 à [Localité 40]

[Adresse 7]

[Localité 22]

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES)

Madame [L] [O] épouse [E]

avocat,

née le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 35]

[Adresse 24]

[Localité 21]

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES)

Madame [J] [B] [X] [R]

avocat,

née le [Date naissance 8] 1974 à [Localité 33]

[Adresse 18]

[Adresse 20]

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES)

Madame [S] [ZA]

née le [Date naissance 6] 1972 à [Localité 29]

demeurant [Adresse 5]

[Localité 39] USA

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES)

Monsieur [I] [ZA]

né le [Date naissance 12] 1974 à [Localité 29]

demeurant [Adresse 9]

[Localité 14]

Rep/assistant : Me Jean-pierre BINOCHE (avocat postulant au barreau de VERSAILLES)

INTIMES

Plaidant par Maitre Jean Paul LEVY avocat au barreau de PARIS.

En présence de Monsieur CHOLET, avocat général.

****************

Composition de la cour :

L'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Septembre 2012, Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :

Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président,

Madame Anne BEAUVOIS, Conseiller,

M. Dominique PONSOT, Conseiller,

qui en ont délibéré,

Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT

Vu l'appel interjeté par la SELARL [D] [U] [W] avocats associés de la sentence arbitrale rendue le 5 juillet 2010 par l'arbitre délégué par M. le Bâtonnier de l'ordre des avocats de du barreau de Chartres qui a :

- dit que la SELARL [D] [U] [W] ainsi que [X] [D] [F] [U] et [K] [W] ont eu un comportement fautif qui a causé un dommage à la SELARL [ZA] avocats associés qu'ils doivent réparer,

- condamné in solidum SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W] à payer à la SELARL [ZA] avocats associés la somme de 399.000 € à titre de dommages-intérêts en indemnisation de la perte de clientèle subie à titre de préjudice matériel,

- condamné in solidum la SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W] à payer :

* à [S] [ZA] la somme de 43.753 €

* à [I] [ZA] la somme de 43.753 €,

* à [A] [T] la somme de 26.252 €

* à [H] [VF] la somme de 13.126 €,

* à [H] [E] [O] la somme de 13.126 €,

* à [J] [R] la somme de 13.126 €,

à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice matériel subi du chef de l'exercice 2008,

-débouté les demandeurs de leur demande d'indemnisation du préjudice subi du chef de l'exercice 2009, - condamné in solidum la SELARL [D] [U] [W] ainsi que [X] [D] [F] [U] et [K] [W] à payer à chacun des demandeurs un euro en réparation de leur préjudice moral, - dit les défendeurs mal fondés en leurs moyens d'irrecevabilité et de nullité de la procédure, - dit n'y avoir lieu à l'allocation de dommages-intérêts de ce chef, - dit [X] [D] [F] [U] et [K] [W] irrecevables en leur demande de nullité et de dissolution de la société, les en a déboutés, - dit n'y avoir lieu au paiement d'article 700 du Code de procédure civile, - ordonné le partage des frais d'arbitrage et condamné in solidum la SELARL [D] [U] [W] ainsi que [X] [D] [F] [U] et [K] [W] à payer la somme de 4.000 € au titre des frais d'arbitrage, - condamné in solidum la SELARL [ZA] avocats associés, [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R] à payer de ce chef la somme de 4.000 €,

- ordonné l'exécution provisoire de la sentence arbitrale à hauteur de la moitié des sommes mises à la charge de la SELARL [D] [U] [W] et de [X] [D] [F] [U], [K] [W] ;

Vu l'appel interjeté par la SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W] du jugement rendu le 8 juillet 2010 par le tribunal de grande instance de Chartres qui a déclaré exécutoire la sentence arbitrale du 5 juillet 2010 ;

Vu les dernières conclusions signifiées le 21 mars 2012 par lesquelles la SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W], poursuivant l'infirmation de la sentence arbitrale et du jugement d'exequatur, demandent à la cour de :

- constater l'absence de tout élément constitutif d'actes de concurrence déloyale,

- déclarer la SELARL [ZA] avocats associés ainsi que [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] mal fondés en leurs prétentions, les en débouter,

- ordonner la restitution des sommes versées dans le cadre de l'exécution provisoire,

- prononcer la dissolution judiciaire de la SELARL [ZA] et associés pour justes motifs, -constater la disparition de l'affectio societatis, au sein de la SELARL [ZA] et en conséquence, la nullité de la SELARL,

- désigner un mandataire afin de procéder aux opérations de liquidation de la SELARL [ZA] Avocats associés dont les frais et honoraires devront être supportés par celle-ci,

-condamner solidairement [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] à régler à titre d'indemnité de dommages-intérêts pour préjudice économique les sommes suivantes :

*108.257 € pour [X] [D], *108.257 € pour [K] [W], * 79.984 € pour [F] [U],

- condamner solidairement [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] à payer à [X] [D] [F] [U] et [K] [W] chacun la somme de 150.000 € en réparation de leur préjudice moral,

- condamner solidairement [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R] à leur payer chacun la somme de 15.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens qui comprendront les frais et honoraires d'arbitrage ;

Vu les dernières écritures signifiées le 4 avril 2012 aux termes desquelles la SELARL [ZA] avocats associés, [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] concluent à la confirmation de la sentence arbitrale en ce qu'elle a reconnu une faute commise par la SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W], constituée par des actes de concurrence déloyale et sur l'indemnisation retenue au titre de l'exercice 2008 et, formant appel incident, prient la cour de :

- condamner in solidum la SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W] à leur payer la somme de 731.688 € de dommages-intérêts en indemnisation de la perte de clientèle subie au titre du préjudice matériel,

- condamner in solidum la SELARL [D] [U] [W], [X] [D] [F] [U] et [K] [W] à leur payer à titre de dommages-intérêts sur l'exercice 2009 :

*à [S] [ZA] la somme de 43.753 €

* à [I] [ZA] la somme de 43.753 €,

* à [A] [T] la somme de 26.252 €

* à [H] [VF] la somme de 13.126 €,

* à [H] [E] [O] la somme de 13.126 €,

*à [J] [R] la somme de 13.126 €, - condamner in solidum les appelants à leur payer chacun la somme de 10.000 € en réparation de leur préjudice moral, - à titre subsidiaire, sur la demande de dissolution, leur accorder un délai de 6 mois pour régulariser la situation si la cour devait juger le prêt de part non valable, - condamner solidairement les appelants à leur verser la somme de 35.401,60 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens ;

SUR QUOI, LA COUR

Considérant que [Y] [ZA] et [V] [Z], son épouse, ont fondé un cabinet d'avocats inscrit au Barreau de Chartres, qui a exercé sous la forme d'une association de fait, puis d'une SCP, puis d'une SELARL suivant décision de l'assemblée générale extraordinaire du 26 décembre 2005 ;

Qu'elle regroupait alors outre les deux fondateurs, sept avocats, [A] [P], [X] [D], [H] [VF], [F] [U], [L] [E], [J] [R] et [K] [W], associés co-gérants ; que [A] [P], [X] [D] et [K] [W] détenaient 12 % des parts sociales tandis que [H] [VF], [F] [U], [L] [E] et [J] [R] détenaient chacune 6 % des parts ;

Que les époux [ZA], décédés respectivement en [Date décès 38] et [Date décès 26], ont laissé pour leur succéder leurs deux enfants, [S] [ZA] et [I] [ZA], héritiers de leurs parts sociales représentant les 40 % restant du capital ;

Qu'après le décès des fondateurs, des divergences sont nées entre les associés notamment sur les méthodes de travail et la facturation des honoraires et une scission est intervenue à l'initiative des appelants, qui ont donné leur démission de leur mandat de gérant, par lettres du 2 juillet 2008 ; qu'ils ont constitué la SELARL [D] [U] [W] GMLJ, inscrite au Barreau de Chartres, selon décision du conseil de l'ordre du 26 août 2008 ;

Que de multiples procédures contentieuses sont nées de cette scission notamment un recours à l'encontre de la décision du conseil de l'ordre autorisant l'exercice professionnel de la SELARL GMLJ, un appel de la décision du conseil de l'ordre refusant de rapporter la délibération autorisant l'exercice professionnel qui a donné lieu à un arrêt de cette cour du 21 octobre 2009 déclarant l'appel irrecevable, des procédures pénales et disciplinaires ; que par 3 arrêts du 23 juin 2011, cette cour a confirmé les 3 décisions rendues le 29 octobre 2010 par le conseil de discipline des barreaux de la cour d'appel de Versailles relaxant [K] [W], [X] [D] et [F] [U] des fins de la poursuite engagée sur la plainte déontologique de la SELARL [ZA] ;

Que le 28 juillet 2009, reprochant à la SELARL [D], [U] [W] avocats associés ainsi qu'à [X] [D], [F] [U] et [K] [W], d'avoir commis des actes de concurrence déloyale, sur le fondement des articles 1382 du Code civil et 193 du décret du 27 novembre 1991, ayant pour effet le détournement d'une partie significative de leur clientèle, la SELARL [ZA], Maîtres [T], [VF], [E] et [R] ont saisi le Bâtonnier de Chartres d'une demande de désignation d'un arbitre ;

Que le Bâtonnier a désigné Monsieur le Bâtonnier [SY] [N] en qualité d'arbitre, désignation acceptée par les parties dans une convention d'arbitrage ;

Que c'est dans ces circonstances qu'a été rendue la décision entreprise ;

Considérant que les appelants ne réitèrent en cause d'appel ni les exceptions de nullité de la demande d'arbitrage, ni les fins de non recevoir tirées du défaut de qualité à agir de [S] [ZA] et [I] [ZA], ni le grief de non respect du principe de la contradiction;

Que l'appel est limité à la critique de la décision déférée en ce qu'elle a retenu des actes constitutifs de concurrence déloyale ;

Sur les actes de concurrence déloyale

Considérant que le délégataire du bâtonnier, pour retenir un lien direct entre le retrait des trois associés de la SELARL [ZA] et la perte de clientèle de 43 % subie par cette dernière, a relevé le transfert de près de la moitié de la clientèle à la nouvelle structure dès son ouverture, l'envoi massif à tous les clients de la SELARL [ZA] de mails qui constituent une incitation à rejoindre la nouvelle structure et la formulation de la plaque annonçant le transfert d'activité laissant à penser que l'intégralité du cabinet [ZA] était concernée par ce départ, actes qui démontrent pour le moins des imprudences ;

Considérant qu'au soutien de leur recours, la SELARL GMLJ, [X] [D], [F] [U] et [K] [W] contestent l'existence d'une faute civile résultant de la constitution d'une société d'exercice libéral par des associés sortants, autonome de la faute disciplinaire, qui a été rejetée par trois arrêts du 23 juin 2011 de la cour d'appel de Versailles statuant en matière disciplinaire ; qu'ils avancent que la constitution de la SELARL GMLJ, autorisée par une décision de l'ordre des avocats du 26 août 2008, leur démission des fonctions de gérant, dont ils ont informé les intimés par lettres du 2 juillet 2008 à effet au 1er septembre 2008, et leur retrait de la structure [ZA] et associés, ensuite de dissensions majeures entre associés, ne sont pas fautifs ; qu'ils font valoir que l'envoi d'un message électronique et la pose d'une plaque qui leur sont reprochés étaient destinés à informer la clientèle de la nouvelle structure et, rappelant le principe de liberté du choix de l'avocat, contestent tout démarchage de clientèle ;

Que les intimés, qui n'incriminent plus la constitution par les trois anciens associés de la SELARL GMLJ, autorisée par le conseil de l'ordre des avocats au barreau de Chartres, répliquent que [X] [D], [F] [U] et [K] [W], exerçant au sein de cette structure, ont organisé le détournement massif de la clientèle du cabinet en la démarchant de manière systématique, par l'envoi d'une lettre circulaire et la pose d'une plaque précisant leurs coordonnées, en utilisant le fichier client, qu'il s'en est suivi des demandes de transfert de dossiers d'une soixantaine de clients dès les premiers jours du mois de septembre 2008 et qu'ils ont incité certains clients à ne pas verser les soldes d'honoraires dus à la SELARL [ZA] ;

Considérant que les actes de concurrence déloyale reprochés aux associés de la SELARL GMLJ doivent être examinés au regard des principes de la libre concurrence, de la liberté de choix de l'avocat par le client posé par l'article 9 du Code de procédure civile et de l'article 9 des statuts de la SELARL [ZA] qui prévoit que les associés exerçant au sein de la société doivent lui consacrer toute leur activité professionnelle ;

Considérant que, comme les intimés le font valoir, à juste titre, les décisions rendues par la cour d'appel de Versailles le 23 juin 2011, statuant sur le recours des décisions rendues par le conseil de discipline des barreaux du ressort, n'ont pas d'autorité de chose jugée sur l'action en responsabilité civile, étant relevé au surplus que la cour n'était pas saisie de la totalité des faits soumis à l'appréciation de l'arbitre dans la présente procédure ;

Considérant que le 1er septembre 2008, les avocats associés de la SELARL GMLJ ont adressé par la voie électronique une lettre circulaire, à un certain nombre de clients dont l'identité n'est pas établie, ceux-ci déclarant que seuls les clients concernés par les audiences du mois de septembre en ont été destinataires, les intimés soutenant qu'elle a été envoyée à l'ensemble des clients de la SELARL [ZA] ; qu'elle est ainsi rédigée :

«Nous avons le plaisir de vous informer de la poursuite de notre activité d'avocat au sein de notre nouvelle structure à compter du 1er septembre 2008» ; que suivaient la dénomination et les coordonnées du cabinet ainsi que le nom des trois associés retrayant ;

Qu'eu égard à sa formulation, ce message électronique qui mentionne le nom des trois associés retrayant, constitue une simple information de la constitution d'une nouvelle structure par ces derniers et ne saurait en soi caractériser un démarchage du client pour l'inviter à transférer son dossier vers ce cabinet ;

Que le lendemain, dans une formulation quasi similaire, la SELARL [ZA] informait ses clients du départ du cabinet de Maître [D], Maître [U] et Maître [W] qui ont fait le choix d'exercer à compter du 1er septembre 2008, leur activité professionnelle dans un cadre différent et de ce que l'ensemble des dossiers sera désormais suivi par Maître [L] [E] et [J] [R] ;

Que les renseignements ainsi délivrés, destinés à faire connaître aux clients la composition des deux cabinets, participaient d'un même objectif d'information du client sur le suivi des dossiers;

Que l'apposition par les appelants, sur les murs du cabinet de la SELARL [ZA], d'une plaque avec le libellé suivant :

«Le cabinet de :

Maître [X] [D]

Maître [F] [U]

Maître [K] [W]

est transféré au ... »,

suivi de l'adresse du cabinet, n'est pas de nature à laisser accroire à la clientèle que c'est l'intégralité de la structure [ZA] qui est concernée par ce transfert, alors qu'y figure, comme sur le courrier électronique, le nom des trois avocats retrayant et que son libellé est conforme aux usages de la profession, sous réserve qu'elle soit de dimension raisonnable, idem pour son aspect, comme l'a indiqué le bâtonnier de l'ordre des avocats au barreau de Chartres dans une télécopie envoyée le 9 septembre 2008 à la SELARL [ZA] ; qu'il n'est ni démontré, ni même allégué que la plaque litigieuse ne répondait pas à ces critères ;

Que ce signe publicitaire qui contribue, comme l'envoi du message électronique, à signaler au client le départ de trois des avocats de la SELARL et à l'informer de leurs nouvelles coordonnées, ne constitue pas davantage un acte fautif ;

Considérant que les intimés soutiennent qu'ils ont reçu des demandes de transfert de dossiers vers la SELARL GMLJ dès le 29 août 2008, avant l'envoi de la lettre circulaire, et dès les premiers jours de septembre ; qu'à cet effet, ils produisent deux lettres et un courriel datés du 29 août 2008 ainsi que 12 lettres datées du 1er septembre 2008 ;

Mais considérant que pour justifier leur demande de transfert, ces clients, qu'il s'agisse de sociétés ou de particuliers, précisent que leur intention est de permettre un suivi cohérent des affaires en cours confiées aux avocats retrayant, dont ils mentionnent le nom ; que si trois demandes ont été formées deux jours avant l'envoi de la lettre circulaire, les intimés ne démontrent, ni même n'allèguent que les dossiers en cause n'étaient pas suivis par les associés retrayant ; qu'en raison de l'intuitu personae qui gouverne les relations entre l'avocat et son client, il ne peut être fait grief aux appelants d'avoir fait part au client qui lui avait confié la défense de ses intérêts, de leur départ de la société à compter du 1er septembre ; qu'en tout état de cause, il n'est pas établi que cette information a été délivrée à l'ensemble des clients ;

Considérant que, contrairement aux allégations des intimés, les trois avocats démissionnaires, associés de la SELARL [ZA] depuis plus de 3 ans, pouvaient accéder aux coordonnées des clients sans commettre un détournement du fichier client du cabinet ; qu'en outre, les attestations versées aux débats émanant de deux salariées de la SELARL [ZA] relatant leur comportement au sein du cabinet au mois d'août 2008 afin de se procurer ce fichier, sont dépourvues de toute force probante ;

Que la SELARL [ZA] reproche également aux appelants personnes physiques, d'avoir violé les dispositions de l'article 9 des statuts en ne lui consacrant pas toute leur activité professionnelle ;

Que, cependant, si l'ouverture du cabinet de la SELARL GMLJ dès le 1er septembre 2008, date du départ effectif des trois associés du cabinet [ZA], suppose des préparatifs, recherche de locaux, acquisition de matériel, cette constatation est insuffisante, en l'absence d'autre élément, à établir qu'ils ont accompli ces démarches sur le temps normalement consacré à leur activité professionnelle au sein du cabinet, entre le 1er juillet 2008, date à laquelle ils ont démissionné, et le 31 août 2008 ;

Considérant que les intimés font, en outre, grief aux avocats démissionnaires d'avoir incité certains clients à ne pas verser les soldes d'honoraires qui leur étaient dus et invoquent un modèle de lettre rédigée par ces derniers en réponse à une relance aux fins de régularisation d'une note d'honoraires;

Que toutefois, si cette pratique n'est pas conforme au principe de confraternité et de délicatesse qui s'impose dans les relations entre avocats, cet exemple unique de lettre de contestation d'une note d'honoraires adressée par la SELARL GMLJ à un couple de clients, est insuffisant pour caractériser un comportement déloyal ; qu'il y a lieu de relever qu'à l'occasion d'une demande de transfert de dossier, formée par courriel du 2 septembre 2008, la SELARL GMLJ priait le cabinet [ZA] de lui indiquer si des honoraires restaient dus de manière à inviter les clients à les régler ;

Considérant, enfin, qu'il n'est pas justifié par les pièces versés aux débats, notamment par la pièce N°109 visée dans les conclusions des intimés, que les avocats démissionnaires se seraient abstenus de mise au point dans les dossiers qu'ils suivaient dans le but de détourner les clients ;

Qu'il s'ensuit qu'il résulte pas des pièces produites que les demandes de transferts de dossier formées par les clients sont la conséquence d'agissements déloyaux de [X] [D], [F] [U] et [K] [W], contraires à l'exercice de la libre concurrence ;

Que la décision entreprise sera donc infirmée en ce qu'elle a condamné la SELARL GMLJ, [X] [D], [F] [U] et [K] [W] sur le fondement de l'article 1382 du Code civile à indemniser la perte de clientèle de la SELARL [ZA] et de ses associés ;

Sur la demande de dissolution judiciaire de la SELARL [ZA]

Considérant que la SELARL GMLJ, [X] [D], [F] [U] et [K] [W] demandent que soit prononcée la dissolution judiciaire de la SELARL [ZA], au visa de l'article 1844-7-5° du Code civil, pour mésentente des associés, et de l'article A5 de la loi 90-1258 du 31 décembre 1990, seul 30% du capital et des droits de vote étant détenus par des associés exerçant leur activité professionnelle au sein de la société ; qu'ils soulèvent,en outre, la nullité de la SELARL [ZA] sur le fondement de l'article 235-9 du Code de commerce pour perte de l'affectio societatis ;

Considérant que les intimés soulèvent, en premier lieu, l'irrecevabilité de cette demande de dissolution, au visa de l'article 70 du Code de procédure civile ; qu'ils ajoutent que [X] [D], [F] [U] et [K] [W] ne justifient pas d'un intérêt légitime à agir en dissolution d'une société dans laquelle ils ne sont plus porteurs de parts ; que sur le fond, ils répliquent que le fonctionnement de la société n'est pas paralysé et que suivant actes sous seing privé du 30 juin 2009, des prêts de parts sociales sont intervenus entre, d'une part, les représentants de l'indivision [ZA], [S] [ZA] et [I] [ZA] et les quatre autres associés, qui ont entraîné le transfert de la nue propriété des parts prêtées aux emprunteurs, conformément à l'article 1893 du Code civil, de sorte que les quatre avocats associés détiennent plus de 50% du capital social de la SELARL en nue propriété et des droits de vote ;

Considérant que la demande reconventionnelle en dissolution judiciaire de la SELARL [ZA] a pour fondement la disparition de l'affectio societatis ensuite de la mésentente des associés ; que la demande principale de dommages-intérêts pour concurrence déloyale trouve sa cause dans la création d'une nouvelle structure ensuite de la démission de 3 des associés, pour mésentente ;

Que la demande reconventionnelle se rattache donc par un lien suffisant aux prétentions originaires ;

Considérant que [X] [D], [F] [U] et [K] [W] ont cédé à SELARL GMLJ les parts sociales qu'ils détenaient dans le capital de la SELARL [ZA]; que leur demande en dissolution de la SELARL [ZA] doit donc être déclarée irrecevable, pour défaut d'intérêt à agir, au visa de l'article 122 du Code de procédure civile ;

Que seule est recevable la demande formée par la SELARL GMLJ ;

Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 1844-7-5° du Code civil, la société prend fin par la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour justes motifs, notamment en cas de mésentente entre associés paralysant le fonctionnement de la société ;

Considérant, en l'espèce, qu'il n'est pas établi que le fonctionnement de la SELARL [ZA] est paralysée par la mésentente entre les associés ; qu'en outre, l'article 9 des statuts de la SELARL [ZA] prévoit que les associés exerçant au sein de la société doivent lui consacrer toute leur activité professionnelle et que si un associé venait à cesser son activité au sein de la société, tout en conservant une activité professionnelle, il perd l'exercice des droits attachés aux parts qu'il détient ; que la SELARL GMLJ, qui a recueilli les parts des autres appelants dans la SELARL [ZA], a donc perdu l'exercice des droits attachés à ces parts sociales ;

Que la demande de dissolution fondée sur l'article 1844-7-5° doit donc être rejetée ;

Considérant que, conformément à l'article 8 des statuts de la SELARL [ZA], plus de la moitié du capital doit être détenue par des avocats en exercice au sein de la société, par des personnes morales exerçant la profession d'avocat ou par des sociétés de participations financières de profession libérale d'avocat, ou par une société constituée dans les conditions prévues à l'article 220 quater A du Code général des impôts si les membres de cette société exercent leur profession au sein de la société d'exercice libéral ;

Considérant que seul 30 % du capital de la SELARL [ZA] est détenu par des associés exerçant leur activité professionnelle au sein de la société ; qu'en effet, la SELARL GMLJ venant aux droits des associés démissionnaires détient 30 % des parts sociales et les ayants droit des époux [ZA] en possèdent 40% ;

Mais considérant que par actes sous seing privé du 30 juin 2009, [I] [ZA] et [S] [ZA] ont consenti des prêts de parts sociales à [A] [P], [H] [VF], [L] [E] et à [J] [R], sur le fondement des articles 1892 et suivants du Code civil régissant les prêts à la consommation ; qu'une assemblée générale extraordinaire du 30 juin 2009 a pris acte du transfert de la nue propriété des parts sociales aux emprunteurs ;

Que selon l'article 1844 alinéa 3 du Code civil, si une part est grevée d'un usufruit, le droit de vote appartient au nu-propriétaire, sauf pour les décisions concernant l'affectation des bénéfices où il est réservé à l'usufruitier ; que l'alinéa 4 précise que les statuts peuvent déroger à ces dispositions ;

Que le fait que les parts sociales soient numérotées et peuvent donc être donc individualisées ne fait pas obstacle à leur caractère fongible dès lors qu'elles peuvent être restituées à l'issue du prêt ;

Que les quatre associés exerçant au sein de la SELARL [ZA] détiennent ainsi à ce jour plus de la moitié du capital social ;

Que l'irrégularité invoquée par la SELARL GMLJ a donc été régularisée ;

Que la sentence arbitrale sera donc confirmée en ce qu'elle a rejeté la demande de dissolution judiciaire de la SELARL [ZA] ;

Considérant que la sanction de la nullité prévue à l'article 235-9 du Code de commerce ne peut s'appliquer en l'espèce dès lors que l'affectio societatis existait lors de la formation de la société ; que si, en cours de vie sociale, la dissolution anticipée peut être prononcée pour disparition de l'affectio societatis, sur le fondement de l'article 1844-7-5°, la perte de l'affectio societatis invoquée par les seuls retrayants ne constitue pas un juste motif pour voir prononcer cette sanction ;

Que la demande de nullité de la SELARL [ZA] doit donc être rejetée ;

Sur les demandes de dommages-intérêts formées par les appelants

Considérant que les appelants soutiennent que leur départ de la SELARL [ZA] a été dicté par la menace de révocation de leurs fonctions de co-gérant et que l'obligation de se réinstaller pour assurer leur survie économique a eu des conséquences d'ordre matériel et moral dont ils demandent réparation ;

Mais considérant qu'il ressort de l'échange de correspondance entre les associés de la SELARL [ZA] de janvier 2008 à la date de la démission des appelants de leur mandat de gérant et des procès-verbaux d'assemblée générale des 26 mars et 14 mai 2008, que des dissensions sont nées entre les associés, après le décès des deux associés fondateurs, notamment sur les modalités de facturation des honoraires, la rémunération des collaborateurs, le remboursement des frais engagés par les associés et le rachat des parts entre associés et qu'aucun accord n'a pu intervenir en vue de parvenir à une séparation négociée des associés ; que les lettres de démission des trois associés appelants, qui reprennent les griefs ci-dessus évoqués, établissent leur volonté délibérée de se retirer de la société mais ne permettent pas d'imputer la responsabilité de ce retrait aux autres associés de la SELARL [ZA] ;

Qu'au regard des circonstances de leur retrait de la société, [X] [D], [F] [U] et [K] [W] sont mal fondés en leur demande qui tend à faire supporter par la SELARL [ZA] le remboursement des frais qu'ils ont exposés en vue d'acquérir en 2002 les parts sociales de cette société, étant relevé au surplus que la SELARL GMLJ en est actuellement propriétaire ; que leur demande en remboursement des prêts qu'ils ont souscrits pour créer la nouvelle structure n'est pas, pour les mêmes motifs, davantage justifiée ;

Qu'ils ne démontrent pas l'existence d'un préjudice moral en relation avec leur retrait de la société ;

Que la sentence sera donc confirmée en ce qu'elle a débouté les appelants de leur demande de dommages-intérêts ;

Considérant que les dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile doivent bénéficier aux appelants ; qu'il leur sera alloué à ce titre chacun la somme de 5.000 € ;

PAR CES MOTIFS

La cour,

Statuant publiquement et par arrêt contradictoire,

Infirme la sentence arbitrale sauf en ce qu'elle a débouté la SELARL GMLJ, [X] [D], [F] [U] et [K] [W] de leur demande de dissolution judiciaire de la SELARL [ZA] et de leurs demandes de dommages-intérêts et le jugement du 8 juillet 2010,

Statuant à nouveau,

Déclare la SELARL [ZA], [A] [T], [H] [VF], [L] [O]-[E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] mal fondés en leur demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale, rejette l'ensemble de leurs demandes,

Déboute la SELARL GMLJ de sa demande de nullité de la SELARL [ZA],

Condamne in solidum la SELARL [ZA], [A] [T], [H] [VF], [L] [E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] à payer à [X] [D], [F] [U] et [K] [W], chacun la somme de 5.000 € en application de l'article 700 du Code de procédure civile,

Condamne in solidum la SELARL [ZA], [A] [T], [H] [VF], [L] [E], [J] [R], [S] [ZA] et [I] [ZA] aux dépens qui comprendront les frais d'arbitrage et seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile .

- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Marie-Gabrielle MAGUEUR, Président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le GREFFIER,Le PRESIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Versailles
Formation : 1ère chambre 1ère section
Numéro d'arrêt : 10/05550
Date de la décision : 11/10/2012

Références :

Cour d'appel de Versailles 1A, arrêt n°10/05550 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2012-10-11;10.05550 ?
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