COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80BJ.M.
5ème Chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 27 SEPTEMBRE 2012
R.G. No 11/01452
AFFAIRE :
Martine X... épouse Y...
C/
Me Christian Z... - Mandataire liquidateur de la SAS ALPHEIOS FRANCE
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 06 Avril 2011 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de MONTMORENCY
Section : Encadrement
No RG : 09/01221
Copies exécutoires délivrées à :
Me Bruno DE PREMARE
Me Eric CATRY
Me Hubert MARTIN DE FREMONT
Copies certifiées conformes délivrées à :
Martine X... épouse Y...
Me Christian Z... - Mandataire liquidateur de la SAS ALPHEIOS FRANCE, UNEDIC AGS CGEA LEVALLOIS PERRET IDF EST
le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE DOUZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame Martine X... épouse Y...
née le 21 Février 1963 à BLANC MESNIL (93158)
...
77230 ST MARD
non comparante
représentée par Me Bruno DE PREMARE de la SCP PREMARE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C 1176
APPELANTE
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Me Christian Z... - Mandataire liquidateur de la SAS ALPHEIOS FRANCE
...
92000 NANTERRE
représenté par Me Eric CATRY de la SELARL CATRY, avocat au barreau de VAL DOISE, vestiaire : 101 substitué par Me Virginie MASSOULLE-LOUSTAU, avocat au barreau de VAL DOISE, vestiaire : 101
UNEDIC AGS CGEA LEVALLOIS PERRET IDF EST
130 rue victor hugo
92300 LEVALLOIS PERRET
représenté par Me Hubert MARTIN DE FREMONT de la SCP HADENGUE & ASSOCIES, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 98 substitué par Me Séverine MAUSSION, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 133
INTIMÉS
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Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 28 Juin 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Jeanne MININI, Président chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :
Madame Jeanne MININI, Président,
Monsieur Hubert LIFFRAN, conseiller,
Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Sabrina NIETRZEBA-CARLESSO,
EXPOSÉ DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE
Mme Martine Y... (née le 21 février 1963) a été embauché par la société Alpheios France selon contrat de travail à durée indéterminée en date du 29 avril 1999, ayant pris effet à compter du 3 mai 1999, en qualité de secrétaire-assistante de direction. Sa dernière rémunération s'est élevée à la somme mensuelle brute de 3 230 euros.
La société Alpheios France qui occupait 26 salariés en 2009 faisait partie du groupe Vebego implanté aux Pays-Bas, groupe spécialisé dans le nettoyage et les services logistiques connexes, la vente de produits et de systèmes de nettoyage, la gestion des infrastructures et les activités liées au travail intérimaire. La société Alpheios France était quant à elle spécialisée dans le négoce de matériels et de produits de nettoyage et appliquait la convention collective du commerce de gros.
Cette société a été placée en redressement judiciaire le 11 mai 2009 puis en liquidation judiciaire le 3 juillet 2009, M. Z... étant désigné en qualité de mandataire liquidateur.
Mme Martine Y... a été licenciée pour motif économique et impossibilité de reclassement selon lettre recommandée avec demande d'avis de réception en date du 15 juillet 2009.
Estimant qu'en sa qualité de mandataire liquidateur de la société Alpheios France, M. Z... n'avait pas satisfait à l'obligation de reclassement préalable à la notification du licenciement pour motif économique, Mme Martine Y... a saisi dès le 27 novembre 2009 le conseil de prud'hommes de Montmorency d'une action tendant à l'indemnisation du préjudice consécutif à la perte de son emploi après mise en cause de l'UNEDIC Délégation AGS-CGEA Ile-de-France Est.
Par jugement en date du 6 avril 2011 le conseil de prud'hommes a débouté Mme Martine Y... de sa demande.
Mme Martine Y... a régulièrement relevé appel de cette décision.
Vu les conclusions déposées et développées oralement à l'audience du 28 juin 2012 par lesquelles Mme Martine Y... sollicite l'infirmation du jugement déféré et la fixation au passif de la société Alpheios France de la somme de 70 704 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en réparation du préjudice très important qu'elle a subi du fait de la perte de son emploi dès lors qu'après deux années de chômage elle n'a pu retrouver qu'un emploi précaire à compter du 4 avril 2011 (rédacteur territorial non titulaire). Elle a sollicité l'application de la garantie due par l'UNEDIC Délégation AGS-CGEA Ile-de-France Est.
Elle fait essentiellement observer que la société Alpheios France, appartenant au groupe Vebego, spécialisé dans le domaine du nettoyage et disposant en Europe de plusieurs sociétés exploitant des activités dans ce même domaine, M. Z..., ès qualités de mandataire liquidateur de la société Alpheios France, n'a pas satisfait à l'obligation de reclassement imposée par l'article L.1233-4 du code du travail, dès lors qu'il s'est contenté de rechercher des emplois susceptibles d'être disponibles au sein de trois sociétés uniquement implantées en France (Carrard services à Reims- K2 propreté à Ivry-sur-Seine et Vebego services à Reims) en transmettant simplement une liste des salariés de la société Alpheios France sans pour autant d'ailleurs spécifier les fonctions effectivement occupées par elle dans l'entreprise et l'étendue de ses responsabilités.
M. Z..., mandataire liquidateur de la société Alpheios France, a conclu à la confirmation du jugement déféré et subsidiairement à la limitation des dommages-intérêts aux six mois de salaire prévus par l'article L.1235-3 du code du travail. Il expose que dès le prononcé de la liquidation judiciaire de la société Alpheios France il a tenu une réunion avec les délégués du personnel de l'entreprise puis a interrogé diverses sociétés du groupe afin de déterminer si elles avaient des postes disponibles pour permettre le reclassement des salariés en transmettant à ces sociétés une liste complète des salariés faisant l'objet d'un licenciement immédiat avec mention de leur ancienneté, de leur rémunération et de l'emploi occupé. Il fait valoir que les trois sociétés interrogées ont répondu à ses demandes sans pouvoir proposer d'emplois correspondant aux profils des postes supprimés. Il précise en outre que Mme Martine Y... n'établit pas que toutes les sociétés du groupe avaient la possibilité de permuter leur personnel compte tenu des activités très différentes de plusieurs de ces sociétés alors par ailleurs qu'il n'est pas démontré que cette salariée maîtrisait la langue néerlandaise pratiquée dans le plus grand nombre des sociétés du groupe.
L'UNEDIC Délégation AGS-CGEA Ile-de-France Est a conclu également à la confirmation du jugement déféré et a sollicité à titre subsidiaire l'application des limitations de garantie prévues par le code du travail.
Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé plus complet des moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience du 28 juin 2012.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Considérant que la société Alpheios France ayant fait l'objet d'une procédure de liquidation judiciaire par jugement rendu par le tribunal de commerce de Pontoise en date du 3 juillet 2009, sans aucune poursuite d'activité, Mme Martine Y... n'élève aucune contestation concernant la suppression de son emploi pour motif économique ; qu'elle estime par contre que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse dès lors que le mandataire liquidateur n'a pas satisfait à l'obligation de reclassement prévue par l'article L.1233-4 du code du travail ;
Considérant en effet que l'existence d'un motif économique ne suffit pas à justifier le licenciement si l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de reclassement dans les conditions fixées par les dispositions de l'article L.1233-4 du code du travail qui précise :
•que le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient,
•que le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ; qu'à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure,
•que les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises.
Considérant que les possibilités de reclassement doivent s'apprécier à la date où les licenciements sont envisagés et être recherchées à l'intérieur du groupe, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer une permutation du personnel, même si certaines de ces entreprises sont situées à l'étranger, sauf à l'employeur à démontrer que la législation applicable localement aux salariés étrangers ne permet pas le reclassement ;
Considérant au cas présent qu'il n'est pas contesté que la société Alpheios France faisait partie du groupe néerlandais Vebego, groupe international regroupant une cinquantaine de sociétés, principalement implantées en Europe (aux Pays-Bas, en Belgique, en Suisse, au Royaume-Uni, en Allemagne et en France) et concentrant ses activités dans quatre domaines :
- le nettoyage et les services logistiques connexes,
- la vente de produits et systèmes de nettoyage,
- la gestion des infrastructures,
- le travail temporaire,
Considérant que dans le secteur d'intervention du négoce des produits et des systèmes de nettoyage, les sociétés Alpheios France, Alpheios Nederland et Alpheios Belgium avaient exactement la même activité ; que de même dans le secteur du nettoyage et des offres de services, les sociétés Carrard services et K2 (toutes deux implantées respectivement à Reims et à Ivry-sur-Seine), Indigo services (au Royaume Uni), Swiss servicepool (en Suisse), Care (en Belgique), Eccos, Hago FM, HDG, Servico FM (en Allemagne) outre plusieurs sociétés implantées aux Pays-Bas avaient la même activité, activité très proche de l'activité de négoce de produits et de systèmes de nettoyage ; qu'ainsi au sein de toutes ces entreprises une permutation de personnel était rendue possible, la langue utilisée, même au sein de la société Alpheios France, étant souvent la langue anglaise comme cela résulte des courriels échangés avec les salariés des différentes sociétés ; qu'enfin le mandataire liquidateur n'a jamais justifié avoir interrogé les délégués du personnel ou les salariés, dont Mme Martine Y..., sur la pratique d'une autre langue que le français et sur les disponibilités de ceux-ci pour pouvoir rejoindre l'une ou l'autre de ces sociétés européennes ;
Considérant dès lors qu'en limitant les recherches de reclassement auprès de trois sociétés implantées en France (Carrard Services à Reims- K2 à Ivry-sur-Seine et Vebego services à Reims) par l'envoi de la liste sommaire des emplois supprimés au sein de la société Alpheios France, le mandataire liquidateur n'a pas satisfait à l'obligation de reclassement mise à sa charge même pendant le délai très court imposé pour permettre la prise en charge des salaires et des indemnités de rupture ;
Considérant en conséquence qu'il convient d'infirmer le jugement déféré et de dire que le licenciement de Mme Martine Y... est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Considérant qu'après avoir pris en considération les circonstances de la rupture et les difficultés rencontrées par Mme Martine Y... pour retrouver un nouvel emploi à durée indéterminée après deux années de chômage, la cour fixe l'indemnisation en réparation du préjudice subi par cette salariée à la somme de 40 000 euros ;
PAR CES MOTIFS
Statuant par mise à disposition au greffe et par décision contradictoire,
INFIRME le jugement rendu le 6 avril 2011 par le conseil de prud'hommes de Montmorency,
FIXE au passif de la liquidation judiciaire de la société Alpheios France la créance de Mme Martine Y... pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 40 000 euros,
DIT que l'UNEDIC Délégation AGS-CGEA Ile-de-France Est sera tenue au paiement de cette créance dans les limites fixées par les dispositions légales et réglementaires applicables à sa garantie et sur justification par les représentants judiciaires de la société Alpheios France de l'absence de fonds disponibles dans l'entreprise,
LAISSE les entiers dépens à la charge de la liquidation judiciaire.
Arrêt prononcé par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues par l'article 450 alinéa 2 du code de procédure civile et signé par Madame Jeanne MININI, président et Madame Céline FARDIN, greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT