COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80AH.L.
5ème Chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 27 SEPTEMBRE 2012
R.G. No 11/00690
AFFAIRE :
Xavier X...
C/
Société BT FRANCE venant aux droits de la société SYNTEGRA en la personne de son représentant légal
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 27 Décembre 2010 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE
Section : Encadrement
No RG : 08/02692
Copies exécutoires délivrées à :
Me Julie SOLAND
Me Sébastien LEROY
Copies certifiées conformes délivrées à :
Xavier X...
Société BT FRANCE venant aux droits de la société SYNTEGRA en la personne de son représentant légal
le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE VINGT SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE DOUZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur Xavier X...
...
92380 GARCHES
comparant en personne, assisté de Me Julie SOLAND, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : C0662
APPELANT
****************
Société BT FRANCE venant aux droits de la société SYNTEGRA en la personne de son représentant légal
Tour Ariane
5, place de la la Pyramide
92045 PARIS LA DEFENSE CEDEX
représentée par Me Sébastien LEROY de la SCP ACTANCE, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : K168 substitué par Me Céline GORTYCH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : A877
INTIMÉE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Juin 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Hubert LIFFRAN, conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :
Madame Jeanne MININI, Président,
Monsieur Hubert LIFFRAN, conseiller,
Madame Catherine ROUAUD-FOLLIARD, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Mme Sabrina NIETRZEBA-CARLESSO,
FAITS ET PROCÉDURE,
Statuant sur l'appel formé par déclaration envoyée au greffe de la cour d'appel le 18 février 2011 par le conseil de M. Xavier X... à l'encontre d'un jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre, section encadrement, rendu le 27 décembre 2010 qui lui a été notifié le 22 janvier 2011 et qui, dans un litige l'opposant à la société BT France venant aux droits de la société Syntegra, a :
- Condamné la société BT France venant aux droits de la société Syntegra à payer à M. Xavier X... les sommes de :
+ 40.000 € au titre du préjudice subi ;
+ 350 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes;
- Condamné la société BT France aux dépens.
Par contrat de travail à durée indéterminée du 30 novembre 2001, M. Xavier X... a été engagé par la société KPMG Consulting France en qualité de directeur associé salarié, avec«la responsabilité de développer en particulier l'activité décisionnelle», moyennant une rémunération fixe annuelle de 152.450 € et un bonus sur objectifs pouvant atteindre 30 % de la partie fixe.
La convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 étendue, était applicable aux parties.
Le 22 avril 2003, le contrat de travail a été transféré à la société Syntegra aux droits de laquelle est venue par la suite la société BT France.
Après avoir été convoqué à un entretien préalable pour le 8 septembre 2003, M. X... a été licencié par la société Syntegra aux termes d'une lettre du 10 septembre suivant, ainsi rédigée :
"(...) Nous ne pouvons que constater, depuis plusieurs mois, l'inadaptation de votre comportement professionnel avec les exigences de votre poste ;
"En effet, compte tenu des responsabilités qui découlent de votre poste de responsable d'une «service line», nous sommes choqués par le comportement que vous avez choisi d'adopter depuis plusieurs mois ;
"Ainsi, alors que vous m'aviez annoncé au mois de mai que vous souhaitiez démissionner, vous avez par la suite adopté une attitude non équivoque reflétant votre volonté de nous voir rompre votre contrat de travail ;
"Votre avocat nous a ainsi adressé un courrier en date du 3 juin 2003. Or, vous n'êtes pas sans savoir que le départ volontaire d'un salarié de l'entreprise ne nécessite nullement l'intervention d'un avocat ;
"Depuis cette date, vous n'avez cessé de nous adresser des mails pour nous faire part de vos contestations et réclamations non fondées ;
"Or, compte tenu de la volonté que vous aviez manifestée de quitter notre société, votre comportement contestataire ne peut s'interpréter que comme une manoeuvre ayant pour seul objet de vous licencier ;
"Vous comprendrez que nous ne pouvons accepter un tel comportement de la part d'un membre de l'équipe managériale ;
"En effet, depuis le rapprochement des sociétés KPMG Consulting France et Syntegra, vous n'avez cessé de contester les options choisies par notre direction de cette dernière ;
"A ce titre, le mail qui vous a été adressé par M. Y... le 17 juillet 2003 caractérise cette situation dans la mesure où ce dernier indique :
«J'apprends ce jour par des collaborateurs que tu t'épanches au sein de l'entreprise sur nos échanges et sur le jugement que tu portes sur ces modes de fonctionnement ;
«Un tel comportement n'est bien évidemment pas admissible de la part d'un membre de l'équipe managériale» ;
"Au-delà de cette attitude susceptible de nuire gravement à l'ambiance au sein de nos équipes et donc particulièrement préjudiciable au fonctionnement normal de l'entreprise, vous n'avez pas cessé de vous répandre en interne sur le fait que vous auriez été victime d'un déclassement et d'autre part d'un appauvrissement de vos fonctions ;
"Cette attitude destinée à fragiliser et déstabiliser la direction est bien entendu de la même façon inadmissible, d'autant que ces informations sont sans fondement ;
"Les mails du 6 juin et du 17 juillet 2003 qui vous ont été adressés en ce sens sont sans ambiguïté ;
"En effet, à l'inverse de ce que vous prétendez, vous n'avez jamais été écarté du pôle WCF dès lors que vous-même avez demandé à ce que soit recruté un spécialiste dans le domaine WCF ;
"Conformément à votre demande, vous n'avez occupé ce poste qu'afin d'assurer l'intérim dans l'attente du recrutement précité ;
"Enfin, si vous ne rapportez plus directement au directeur général, c'est uniquement parce que le rapprochement des sociétés KPMG Consulting France et Syntegra a eu pour effet un accroissement significatif de l'effectif et naturellement la mise en place d'une organisation qui permette un fonctionnement normal de l'entreprise ;
"La mise en place de notre nouvelle organisation n'a donc pas eu pour effet un quelconque déclassement à votre égard
"Dernière preuve que nous comptions sur vous pour le développement de nos activités, nous vous avons proposé en date du 21 mai 2003 de prendre en charge, en plus de l'activité BI, la direction de la qualité et d'intégrer, à ce titre, le comité de direction à compter de la rentrée de septembre 2003. Vous avez alors tout simplement refusé cette proposition
"Il ressort de ce qui précède que les propos que vous avez régulièrement tenus au sein de la société, repris dans vos différents mails, auxquels nous vous avons précisément répondu, restent indiscutablement sans fondement et n'avaient d'autres objectifs que d'atteindre des objectifs pour le moins condamnables;
"Dans le prolongement de cette attitude tout à fait inadmissible, j'ai été contraint de constater que vous refusiez purement et simplement de vous investir dans le processus de recrutement nécessaire au développement de l'activité dont vous aviez la responsabilité
"Or, ceci est d'autant plus regrettable que vous gériez l'une des rares équipes autorisées à recruter et sur laquelle nous fondions notre développement
"Enfin, toujours sans le même sens, l'attitude que vous avez adoptée le 23 mai 2003 consistant à conditionner votre présence à une réunion très importante à la satisfaction de vos revendications personnelles est tout aussi inadmissible
"A cette occasion vous êtes même allé jusqu'à préciser que vous ne souhaitiez pas participer à cette réunion car vous n'étiez pas d'accord avec l'organisation mise en place
"Ce type de comportement participe ainsi manifestement à votre volonté clairement exprimée et non équivoque d'entraver le bon fonctionnement de l'entreprise
"Nous considérons donc que l'ensemble de ces faits justifie aujourd'hui pleinement votre licenciement
"La date de première présentation de cette lettre marquera le point de départ de votre préavis d'une durée de trois mois que nous vous dispensons d'effectuer et qui vous sera normalement rémunéré aux échéances habituelles de la paie.(...)"
Contestant le bien-fondé de son licenciement et estimant par ailleurs ne pas avoir été rempli de ses droits en matière de salaire, M. X... a saisi la juridiction prud'homale, le 19 août 2008, de diverses demandes.
M. X..., qui était âgé de 44 ans, percevait un salaire de 12.704, 16 €. Père de trois enfants qui étaient à sa charge au moment de son licenciement, il justifie avoir perçu des allocations de chômage jusqu'au 30 novembre 2004.
La société Syntegra employait habituellement au moins onze salariés et disposait d'institutions représentatives du personnel.
Devant la cour, par conclusions écrites déposées et visées par le greffier, et soutenues oralement à l'audience, M. X... demande de :
- Confirmer le jugement en ce qu'il a dit que le licenciement de M. X... est sans cause réelle et sérieuse ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il a fixé le montant des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 40.000 € et, statuant à nouveau,
- Condamner la société BT France venant aux droits de la société Syntegra à payer à M. X... les sommes suivantes :
+ 152.450 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice subi par M. X... du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
+ 45.753 € à titre de rappel de salaire pour le bonus 2003 ;
+ 4.573, 50 € au titre des congés payés afférents ;
+ 3.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile;
- Condamner la société BT France aux dépens.
Devant la cour, par conclusions écrites déposées et visées par le greffier, et soutenues oralement à l'audience, la société BT France venant aux droits de la société Syntegra demande de :
- Infirmer le jugement et, statuant à nouveau,
A titre principal,
- Dire et juger que les sommes versées à M. X... au titre de la prime contractuelle, de la prime de vacances et de l'indemnité de congés payés respectent les règles de forme et de fond légales et conventionnelles ;
- Dire et juger que le comportement fautif du salarié justifiait pleinement la mesure de licenciement prise à son encontre ;
En conséquence,
- Débouter M. X... de toutes ses demandes ;
- Condamner M. X... à verser à la société BT France la somme de 3000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
A titre subsidiaire, si la cour d'appel devait juger que le licenciement est abusif,
- Ramener à de plus jutes proportions le montant des dommages-intérêts sollicités et les limiter à trois mois de salaire.
Pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties la cour, conformément à l'article 455 du code de procédure civile, renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, ainsi qu'aux prétentions orales telles qu'elles sont rappelées ci-dessus.
MOTIFS DE LA DÉCISION,
Sur la demande de rappel de salaire au titre du bonus pour l'année 2003 :
Attendu que M. X... sollicite le paiement de son bonus au titre de l'année 2003 à hauteur de 30 % de sa rémunération fixe, en faisant valoir qu'il n'a rien perçu à cet égard ;
Que la société BT France s'oppose à cette demande en faisant valoir que M. X... a perçu une partie de son bonus, soit 22.870 € en janvier 2003 et 18.294 € en juin 2003; que cependant, n'ayant pas rempli l'intégralité de ses objectifs en termes de vente ou de recrutement, il ne peut prétendre à la totalité du bonus prévu au contrat de travail ;
Attendu que le contrat de travail stipulait, notamment, que serait versé à M. X... «un bonus en relation avec l'atteinte de ses objectifs, d'un montant pouvant varier de 0 à 30 % de la partie fixe de sa rémunération»; que «les objectifs du salarié en termes de vente, recrutement, relations avec les éditeurs et avec le réseau seront définis à son arrivée» ;
Attendu que les débats ont fait apparaître qu'en janvier 2003, conformément à ce que mentionne le bulletin de salaire de ce mois, M. X... avait perçu un bonus 22.870 €; que toutefois et contrairement à ce que soutient l'intimée, ce bonus était relatif à l'année 2002; que le bonus de 18.294 € perçu en juin 2003, représentant 25 % de la rémunération fixe sur six mois, était afférent au 1er semestre 2003 ;
Attendu qu'au soutien de ses allégations relatives aux objectifs fixés à M. X..., l'intimée produit un tableau intitulé «Taux d'utilisation au 31 décembre 2002» faisant apparaître l'évolution du "TS" (sic) du pôle décisionnel dont M. X... avait la charge entre le 15 octobre et le 31 décembre 2012, accompagné d'un graphique retraçant cette évolution au cours de cette période; que cependant, outre le fait qu'elle ne donne aucune explication sur la signification du sigle "TS", la société BT France ne produit aucun élément sur d'éventuels objectifs susceptibles d'avoir été fixés au salarié pour 2003; qu'il apparaît ainsi qu'aucun objectif n'avait été imparti à M. X... pour cette année-là ;
Attendu que lorsque le contrat de travail prévoit le versement d'une prime annuelle sur objectifs et qu'aucun objectif n'a été fixé pour une année donnée, le salarié est fondé à obtenir le paiement de cette prime pour un montant qu'il appartient au juge de déterminer ;
Que compte tenu de l'ensemble des éléments d'appréciation dont elle dispose, la cour est en mesure de fixer le montant de la prime sur objectifs due à M. X... au titre de l'année 2003 à la somme de 32.000 € ;
Que M. X... ayant reçu à ce titre la somme de 18.294 € en juin 2003, il y a lieu de condamner la société BT France à lui verser un reliquat de bonus de 32.000 € - 18.294 € = 13.706 €, ainsi que la somme de 1.370, 60 € au titre des congés payés afférents ;
Sur le bien-fondé du licenciement de M. X... :
Attendu que la lettre de licenciement fixe les limites du litige; qu'il appartient à la cour de rechercher si les griefs qui s'y trouvent formulés à l'encontre de M. X... sont établis, la charge de la preuve à cet égard n'incombant spécialement à aucune des parties et, dans l'affirmative, de déterminer s'ils constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Attendu que le grief reprochant à M. X... d'avoir fait intervenir un avocat auprès de son employeur ne peut être retenu, dès lors qu'un salarié est en droit de charger un conseil d'assurer la défense de ses intérêts dans l'entreprise ;
Attendu que le bien-fondé des griefs reprochant à M. X... l'envoi de courriels à son employeur pour lui faire part de contestations et de réclamations infondées doit être apprécié au regard du droit d'expression du salarié; qu'à cet égard, celui-ci jouit, sauf abus, de la liberté d'expression dans l'entreprise, à laquelle seules des restrictions justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché peuvent être apportées; qu'il incombe dès lors à la cour de rechercher l'existence d'un éventuel abus à cet égard de M. X..., peu important que les critiques formulées par ce dernier à l'encontre de son employeur soient ou non fondées;
Attendu qu'au soutien des griefs reprochant à M. X... de n'avoir pas cessé de contester les options choisies par la société Syntegra depuis son rapprochement avec la société KPMG Consulting France, l'intimée produit différents courriels envoyés entre le 8 mai et le 20 août 2003 par l'intéressé à ses supérieurs hiérarchiques, M. M. Y... et Z..., respectivement président et directeur général de la société Syntegra ;
Attendu que dans un premier courriel du 8 mai 2003 à M. M. Y... et Z..., M. X..., après les avoir remerciés de lui avoir accordé un bonus «significatif» pour la période d'octobre 2002 à mars 2003, leur a fait part d'un «contexte professionnel difficile où ses responsabilités et son champ d'action régressaient progressivement et notablement», en leur faisant valoir que «le retrait du pôle WCF, son absence de participation au comité exécutif (Comex) et un reporting du pôle BI auprès du DG ainsi qu'au directeur des opérations, caractérisaient une décision soudaine et unilatérale de changement d'organisation l'amenant à se poser des questions sur leurs véritables intentions à son encontre»; qu'il ajoutait qu'«au fil des mois son champ d'action et de responsabilité se minimisait par petites touches à l'inverse de la productivité du pôle BI et de ses performances, dont l'activité est la plus soutenue de l'entreprise»; qu'«il se tenait à leur disposition pour étudier avec eux un positionnement réel à court terme au sein de la direction de Syntegra»; que tout en les assurant de sa motivation et de celle de son équipe pour le développement du pôle BI au sein de la société Syntegra, il leur «suggérait, dans l'attente de leur réponse de suspendre les éventuelles décisions à prendre, telle le recrutement d'un "partner BI"» ;
Attendu que ce courriel faisait suite à une réorganisation des services mise en oeuvre lors de la reprise de l'activité de consulting par la société Syntegra en avril 2003; que dans ce message M. X..., qui avait la responsabilité au sein de la société KPMG Consulting France de deux unités opérationnelles, les unités «world class finance» et «business intelligence» consacrées l'une à la fonction finance, l'autre à l'aide à la décision, a fait part aux dirigeants de la société Syntegra en des termes mesurés, exempts de tout abus, de ses craintes quant à une réduction du champ de ses attributions; que s'il a évoqué, à la fin de ce message, une suspension des décisions à prendre, notamment pour le recrutement d'un collaborateur de haut niveau, il ne s'agissait que d'une proposition qu'il leur soumettait ;
Que dans un autre courriel du 20 mai 2003, M. X... a informé M. Z... de son indisponibilité pour une réunion prévue pour le 23 mai 2003 auquel celui-ci l'avait convié en lui indiquant que «ne partageant pas la nouvelle organisation, cette réunion n'avait pas de sens pour lui et créait des inquiétudes fortes au sein de son équipe»; que «ses demandes visaient à le laisser développer son périmètre de responsabilité que l'on cherche à réduire au fil du temps»; que si le salarié a ainsi exprimé en des termes catégoriques son désaccord avec son employeur sur la nouvelle organisation mise en place dans l'entreprise, il n'a pas pour autant abusé de sa liberté d'expression; qu'en effet, dans ce message qui n'avait d'autres destinataires que M. M. A... et Y..., il s'est borné à exprimer sa préoccupation de défendre ses droits en veillant à ce que son champ de responsabilité ne soit pas amoindri; que par ailleurs, compte tenu du niveau élevé de ses responsabilités de «partner», en relation avec le président et le directeur général de la société qui étaient ses supérieurs hiérarchiques directs, M. X... était fondé à intervenir auprès d'eux pour les éclairer en leur faisant part de son point de vue, même négatif, sur les décisions prises concernant l'organisation et le devenir de l'entreprise, et de les informer des «inquiétudes fortes» ressenties au sein de son équipe;
Attendu que dans un autre courriel du 6 juin 2003 à M. M. A... et Y..., M. X... a protesté contre le fait que son nom n'était pas mentionné dans la rubrique "contact de mission" concernant la société Air Liquide, en faisant valoir qu'il «était à l'origine à 100 % de l'opportunité de la mission et y avait participé activement»; que ce message se terminait ainsi : "Force est de constater que le fait de retirer mon nom confirme à nouveau la volonté de Syntegra de minimiser mon rayonnement dans le seul but de me nuire et de m'écarter"; que, cependant, l'intimée produit un courriel du 6 juin 2003 de Mme B..., de la direction de la société Syntegra, parvenue une heure plus tard à M. X... lui indiquant que cette omission ne procédait d'aucune discrimination mais résultait d'un oubli malencontreux de sa part; qu'en envoyant son message une heure plus tôt à ses supérieurs hiérarchiques, alors qu'il ignorait l'erreur commise par Mme B... à son détriment, M. X... pouvait légitimement être ému par l'absence de son nom sur la liste des contacts de la société Air Liquide, compte tenu des conséquences négatives qu'une telle omission pouvait avoir sur sa situation dans l'entreprise; que pour regrettable que soit le ton véhément utilisé par M. X... dans ce message du 6 juin 2003, celui-ci qui était dû à un malentendu imputable à Mme B... ne constituait pas de sa part un abus dans l'exercice de sa liberté d'expression ;
Attendu que dans deux courriels en date du 4 juillet 2003, M. X... s'est plaint des empiétements d'un cadre de l'entreprise, M. C..., sur ses attributions dans le service WCF, ainsi que du contenu du compte rendu du comité de direction concernant l'activité BI qu'il estimait non conforme à la réalité; que ces critiques, formulées en des termes mesurées, ne caractérisent aucun abus de M. X... ;
Attendu que dans un courriel du 20 août 2003, M. X... a fait part à M. M. Z... et Y... des motifs à l'origine de la démission de l'un de ses collaborateurs, en indiquant que «les nouvelles conditions de travail à la suite du rachat de la société KPMG par la société Syntegra ne lui offrait plus l'épanouissement professionnel recherché en raison du détournement d'opportunités d'affaires vers d'autres équipes» et en invoquant «la sollicitation directe des collaborateurs en mission et le manque de reconnaissance du pôle BI et des collaborateurs»; que cette démarche traduisait le souci de M. X... d'informer ses supérieurs hiérarchiques, en sa qualité de responsable des pôles WCF et BI, du malaise de ses collaborateurs qui estimaient ne plus bénéficier de l'épanouissement professionnel recherché du fait de leurs nouvelles conditions de travail; que M. X... a agi sans abus, dans le cadre de ses attributions de responsable des pôles WCF et BI ;
Attendu que dans un courriel en date du 2 juillet 2003 à M. Y..., M. X... a écrit, notamment, que :
"Je suis particulièrement choqué de constater que :
- Pascal D... demande à un de mes collaborateurs de soutenir une proposition, voire de devenir le chef de projet, alors qu'il n'a aucune contribution sur ce dossier ;
- Vous laissez Pascal D... solliciter à nouveau directement mes collaborateurs, sans aucune coordination avec moi ;
"L'absence de réaction de votre part pour corriger cette situation anormale démontre clairement vos intentions de nuisance envers l'activité du pôle BI et de moi-même";
Attendu que si M. X... était en droit dans ce message de faire part au directeur général de la société Syntegra de son émotion à la pensée qu'une personne étrangère au service qu'il dirigeait puisse s'ingérer dans son fonctionnement, peu important que cela fût ou non avéré, il n'en demeure pas moins qu'il l'a fait en des termes désobligeants à l'égard de son supérieur hiérarchique; qu'il convient, cependant, de replacer ces messages dans un contexte difficile marqué par des relations tendues entre l'intéressé et sa hiérarchie; qu'ainsi, M. Y..., dans un courriel du 6 juin 2003, après lui avoir indiqué qu'il n'entendait pas remettre en cause l'organisation de l'entreprise, avait utilisé un ton véhément voire désobligeant à son encontre; qu'ainsi, il lui avait reproché «une volonté de détourner les procédures légales pour déguiser une démission en licenciement» et «de tenter d'amorcer un conflit potentiel en vue de parvenir à une rupture du contrat de travail»; qu'après lui avoir indiqué qu'«il ne s'agissait là que d'un excès d'humeur de sa part», il lui avait demandé de «stopper ce type de communication et d'adopter une attitude constructive au plus vite»; que dans ces conditions, le contenu du courriel du 16 juillet 2003 ne saurait caractériser un manquement du salarié de nature à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Attendu qu'il ne ressort ni des pièces produites, ni des débats que M. X... ait effectué la moindre «manoeuvre» en vue de se faire licencier, comme le mentionne la lettre de licenciement; que pas davantage, il n'apparaît que l'intéressé ait eu en vue de fragiliser et de déstabiliser la direction ;
Attendu, enfin, qu'au soutien du dernier grief lui reprochant d'avoir refusé de s'investir dans le processus de recrutement d'un collaborateur, l'intimée produit un courriel du 16 juillet 2003 dans lequel M. X... avait répondu à une responsable du recrutement, Mme E..., qui lui avait proposé d'envoyer une proposition d'emploi ferme à un candidat pour un emploi relevant de son service, dans les termes suivant :
"A partir du moment où l'on me retire de manière quasi quotidienne mes tâches et mon business, à quoi bon embaucher un nouveau collaborateur BI ou même contacter un chasseur de tête ?
Que ce message se terminait par la phrase suivante : "je confirme donc ce que j'ai dit et écrit dans mon précédent mail, ce qui d'ailleurs n'a jamais été contesté" ;
Que le courriel du 1er juillet 2003 dont il était ainsi fait référence, envoyé par M. X... à Mme E..., était ainsi rédigé :
"Comme indiqué lors de notre réunion du 11/06/03, certains dysfonctionnements internes importants, notamment l'appropriation par d'autres pôles d'opportunités identifiées par BI, la faible participation du commerce à notre activité, pénalisent lourdement le développement du pôle BI;
"Leurs résolutions nous permettront bien évidemment de poursuivre notre plan de recrutement";
Qu'en se référant à ce courriel qui n'exprimait aucun refus de participer au processus de recrutement mais qui se bornait à faire état de dysfonctionnements internes dont la résolution permettrait à ce processus de se poursuivre, M. X... n'a manifesté aucun blocage, ni aucun refus de procéder à ce recrutement; que s'il est regrettable qu'il ait adressé ces courriels d'un ton critique à l'égard de son employeur à Mme E..., cet abus dans l'exercice de sa liberté d'expression dans l'entreprise doit être replacé dans le contexte tendu de ses relations avec M. M. Y... et Z..., tel qu'évoqué ci-dessus; qu'il ne saurait donc être reproché un manquement à cet égard de M. X... de nature à constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement ;
Qu'il suit de tout ce qui précède que le licenciement de M. X... est sans cause réelle et sérieuse ;
Sur la demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Attendu que M. X... ayant une ancienneté de moins de deux ans, sont applicables les dispositions de l'article L 1235-5, alinéa 2, du code du travail selon lesquelles le salarié peut prétendre en cas de licenciement abusif à une indemnité correspondant au préjudice subi ;
Que la cour dispose des éléments d'appréciation suffisants pour évaluer le préjudice subi par M. X... du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 75.000 €, au paiement de laquelle il convient de condamner la société BT France à titre de dommages-intérêts ;
Sur la demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile :
Attendu que l'équité commande d'accorder à M. X... la somme de 2.650 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel;
PAR CES MOTIFS,
La COUR, statuant par mise à disposition au greffe, et par décision CONTRADICTOIRE,
Confirme le jugement en ce qu'il a :
¤ débouté M. Xavier X... de ses demandes de rappel de primes et d'indemnité de congés payés ;
¤ condamné la société BT France à verser à M. X... la somme de 350 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
Infirme le jugement pour le surplus et, statuant à nouveau,
Dit que le licenciement de M. Xavier X... est sans cause réelle et sérieuse ;
Condamne la société BT France venant aux droits de la société Syntegra à verser à M. Xavier X... les sommes de :
+ 13.706 € à titre de rappel de bonus pour l'année 2003 ;
+ 1.370, 60 € au titre des congés payés afférents ;
+ 75.000 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Déboute les parties du surplus de leurs demandes ;
Condamne la société BT France à verser à M. Xavier X... la somme de 2.650 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de ses frais irrépétibles d'appel ;
Condamne la société BT France aux dépens de première instance et d'appel, ainsi qu'aux frais d'exécution de la présente décision.
Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile
Signé par Madame Jeanne MININI, Président et par Madame Céline FARDIN, Greffier auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRÉSIDENT,