COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 16 MAI 2012
R. G. No 10/ 04376
AFFAIRE :
El Sayed X...
C/
S. A. R. L. TRANSADEL, en la personne de son représentant légal
Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 12 Août 2010 par le Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de NANTERRE
Section : Activités diverses
No RG : 08/ 03466
Copies exécutoires délivrées à :
Me Sylvie CHATONNET-MONTEIRO
Me Isabelle MORIN
Copies certifiées conformes délivrées à :
El Sayed X...
S. A. R. L. TRANSADEL, en la personne de son représentant légal
le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEIZE MAI DEUX MILLE DOUZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur El Sayed X...
né le 20 Juillet 1957 à EL SHARKIA (EGYPTE)
...
91170 VIRY-CHATILLON
comparant en personne,
assisté de Me JANKY avocat au barreau des HAUTS DE SEINE substituant Me Sylvie CHATONNET-MONTEIRO, avocat au barreau d'ESSONNE
APPELANT
****************
S. A. R. L. TRANSADEL, en la personne de son représentant légal
49 Route Principale du Port
92230 GENNEVILLIERS
représentée par Me Isabelle MORIN, avocat au barreau de VERSAILLES
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 21 Mars 2012, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Hubert DE BECDELIÈVRE, Conseiller chargé (e) d'instruire l'affaire.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé (e) de :
Madame Patricia RICHET, Présidente,
Madame Marie-Claude CALOT, vice-président au TGI de CHARTRES,
Monsieur Hubert DE BECDELIÈVRE, Conseiller,
Greffier, lors des débats : Monsieur Pierre-Louis LANE,
M X... a été engagé par contrat de travail à durée indéterminée à effet du 10 décembre 2007 par la société de transport TRANSADEL en qualité de chauffeur livreur ouvrier spécialisé groupe 7 coefficient 150 M de la convention collective des transports pour un salaire mensuel de 1 486, 37 euros pour une durée de 151, 67 h de travail.
Fin août 2008, M Y..., salarié de l'entreprise, a signalé à l'employeur que M X... lui avait rapporté qu'il maquillait les dommages des véhicules accidentés en les repeignant avec une bombe à peinture.
La SARL TRANSADEL a convoqué M X... par lettre recommandée du 04 septembre à un entretien préalable à son licenciement. Sa mise à pied lui a été notifiée à cette même date.
M X... a été licencié pour faute lourde par lettre recommandée du 23 septembre 2008 pour dégradation du matériel de l'entreprise, conduite dangereuse et non respect de la réglementation des temps de conduite.
Contestant le bien fondé de cette mesure, M X... a saisi le Conseil de Prud'hommes de Nanterre de demandes tendant à voir déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et condamner en conséquence la SARL TRANSADEL au paiement, avec exécution provisoire, des sommes de :
-15 544, 20 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-2 590, 70 euros pour non respect de la procédure de licenciement ;
-2 590, 70 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
-259, 07 euros au titre des congés payés y afférents ;
-1 850, 50 euros à titre de reliquat d'indemnité de congés payés ;
-1 500, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
ainsi que les intérêts de ces sommes au taux légal capitalisés par année entière conformément aux dispositions de l'article 1154 du Code civil.
La SARL TRANSADEL a demandé reconventionnellement la condamnation du salarié au paiement des sommes de :
-4 614, 46 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé par les agissements du salarié ;
-1 500, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Par jugement du 12 août 2012, le Conseil de Prud'hommes a débouté M X... de l'ensemble de ses demandes et la SARL TRANSADEL de ses demandes reconventionnelles et a condamné le salarié aux dépens.
Les juges prud'hommaux ont considéré que le salarié n'avait contesté ni le maquillage des véhicules endommagés par ses soins, ni le nombre d'accidents provoqués par sa faute dans la courte période de son contrat ni les dépassements de vitesse et de durée de conduite malgré les rappels à l'ordre de l'employeur ; que cet ensemble de faits ne permettaient pas de le maintenir dans son emploi et justifiaient la décision de la société TRANSADEL. S'agissant de la demande reconventionnelle formée par celle-ci en paiement des réparations de véhicules, ils ont retenu que l'employeur mettait à la disposition des chauffeurs des véhicules différents, ce qui n'avait pas permis au Conseil de Prud'hommes de se déterminer sur le bien fondé de cette prétention.
DEVANT LA COUR :
Par conclusions déposées le 21 mars 2012 et développées oralement auxquelles il est expressément fait référence, M X... a demandé à la Cour d'infirmer le jugement et de condamner la SARL TRANSADEL à lui verser les sommes de :
-9 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-2 590, 33 euros pour non respect de la procédure de licenciement
-2 590, 33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
-259, 03 euros au titre des congés payés y afférents ;
-166, 22 euros à titre de solde de congés payés ;
-4 500, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour remise tardive d'une attestation ASSEDIC.
-3 532, 27 euros au titre de rappel de salaire pendant la mise à pied ;
-353, 22 euros au titre des congés payés y afférents ;
-2 500, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions déposées le 21 mars 2012 et développées oralement auxquelles il est expressément fait référence, la SARL TRANSADEL a demandé la confirmation du jugement sauf en ce qu'il a rejeté ses demandes reconventionnelles et de condamner à ce titre le salarié à lui verser les sommes de 4 614, 46 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice causé par ses agissements et 1 500, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile. À titre subsidiaire, elle a demandé à la Cour de considérer que le licenciement était fondé sur une faute grave et de constater que l'indemnité de congés payés avait été versée à tort à M. X... et de le débouter de cette demande.
MOTIFS DE LA DECISION :
La lettre de licenciement qui fixe les limites du litige n'a retenu que trois griefs exprimés de façon particulièrement laconique :
- dégradation du matériel de l'entreprise ;
- conduite dangereuse ;
- non réglementation des heures de conduite.
Il convient de les reprendre point par point.
Le premier grief semble concerner uniquement les accidents de la route dans lesquels a été impliqué M X... aux dates du 10 décembre 2007, 11 avril 2008 et 30 avril 2008. Le grief de dissimulation d'accident évoqué dans la convocation à l'entretien préalable n'a pas été repris dans la lettre de licenciement et ne peut donc être pris en compte.
Il n'est pas contesté que le dernier accident s'est produit plus de deux mois avant la convocation de M X... à l'entretien préalable à son licenciement soit le 04 septembre 2008.
Il est établi que les accidents étaient déjà parvenus à la connaissance de l'employeur à la date du 06 juin 2008 à laquelle la SARL TRANSADEL a remis en main propre à M X... une première convocation à entretien préalable pour " sinistres à répétition " auquel n'a été donnée aucune suite après avoir entendu les explications du salarié.
Il résulte de l'article L 1332-4 du Code du travail qu'aucun fait fautif ne peut être sanctionné plus de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance.
Dès lors la SARL TRANSADEL ne pouvait fonder le licenciement sur les faits de dégradations du matériel de l'entreprise.
Le second grief relatif à la conduite dangereuse, est général et imprécis étant susceptible de concerner les accidents, les excès de vitesse et les dépassements de temps de conduite continue et d'amplitude journalière qui sont évoqués dans le dossier.
Les accidents et le non respect de la réglementation des heures de conduite faisant l'objet de griefs distincts, il y a lieu de considérer que l'employeur n'a entendu inclure dans cette conduite dangereuse que les excès de vitesse commis par le salarié.
La SARL TRANSNADEL ne produit pour nourrir ce reproche qu'un avis de contravention daté du 06 novembre 2008 qui se rapporte à une infraction constatée par un radar fixe le 29 août 2008.
Il y a lieu de relever que cette infraction n'a été portée à la connaissance de l'employeur que postérieurement au licenciement et ne pouvait de ce fait être comprise dans le grief de conduite dangereuse qui dès lors se trouve dépourvu de contenu.
Il ne s'agit d'ailleurs que d'un fait unique concernant un dépassement de vitesse de gravité modérée.
Par ailleurs, M X... justifie être rentré en possession de ses 12 points le 08 juin 2009, ce qui tend à montrer qu'il n'était pas un conducteur insoucieux des règles de la circulation nonobstant les accidents dans lesquels il a été impliqué.
S'agissant du troisième grief à savoir le non respect de la réglementation des temps de conduite, qui est établi par les relevés des cartes produits au dossier, il convient de considérer que l'employeur savait parfaitement que le conducteur ne respectait pas les temps de conduite et la durée journalière puisque le nombre d'heures figurant sur les bulletins de paye de celui-ci dépassait régulièrement les 200 heures par mois et a pu atteindre 271 heures en avril 2008.
M X... conteste avoir reçu les lettres de mises en garde accompagnées des relevés de ses cartes que l'employeur prétend lui avoir envoyées chaque mois en faisant valoir que ces courriers ne lui ont jamais été adressés par lettre recommandée. Quoiqu'il en soit, l'employeur n'a jamais pris la moindre sanction contre lui en dépit du mépris réitéré de ces prétendus rappels à l'ordre et la société TRANSNADEL ne peut faire aujourd'hui des motifs de licenciement de comportements qu'elle a au mieux tolérés et plus probablement suscités.
Il résulte en effet des messages produits par le salarié que celui-ci recevait des directives précises ne lui permettant pas d'organiser son temps de travail a sa convenance et en tout cas de respecter la réglementation relative aux temps de conduite.
Ainsi et à titre d'exemple, le relevé de la carte de M X... fait apparaître pour la journée du 26 juin 2006 un dépassement de la durée de conduite continue de 4 h 47 entre 05 h 15 et 11 h 54. Or, le salarié justifie avoir reçu la veille un message sur son téléphone portable émanant de la société GEODIS mais envoyé en double à la SARL TRANSNADEL lui demandant de partir de Vitry à 05h00, de déposer un chargement de palettes à Wissous, puis de prendre un autre chargement à Lisses pour le livrer à Garges les Gonesse avant midi.
Il ne pouvait être demandé à la fois à M X... de déférer à de telles instructions et de respecter la réglementation.
Aucun des griefs invoqués dans la lettre de licenciement ne peut donc être retenu et le licenciement doit être considéré de ce fait comme dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le montant des dommages et intérêts réclamés de ce chef par le salarié en cause d'appel n'apparaît pas excessif eu égard à ses revenus et aux circonstances de son licenciement.
En revanche, M X... ne peut prétendre au cumul de cette indemnité avec l'indemnité pour non respect de la procédure qu'il réclame également au motif que la lettre de licenciement n'était pas signée de l'employeur.
M X... est fondé à demander paiement d'une indemnité compensatrice de préavis égale à un mois de salaire dont le montant établi par la moyenne de ses trois derniers salaires n'est pas discuté.
Il peut également prétendre au versement des congés payés afférents à ce préavis.
La demande tendant au paiement des salaires de la période de mise à pied qui a duré du 10 septembre au 02 octobre 2008 est fondée en son principe. Toutefois une erreur a été commise dans le calcul de la somme due à ce titre qui sera ramenée à 2 590, 33 euros x 22/ 30 = 1899, 57 euros.
Il sera fait droit à la demande de congés payés afférents à cette période.
M X... demande un reliquat de congés payés d'un montant de 166, 22 euros.
La SARL TRANSNADEL soutient que le salarié a été rempli de ses droits par le versement d'une somme de 2 031, 34 euros lors de son départ.
Ce dernier soutient qu'il aurait dû percevoir la somme totale de 2 197, 56 euros soit le 1/ 10 des salaires perçus au cours de la période du 10 décembre 2007 au 23 septembre 2008.
L'employeur n'a décompté que les droits à congés payés acquis au cours de l'année 2 008 alors que le salarié ayant commencé à travailler le 10 décembre 2007 réclame à juste titre l'intégration de la période du 10 au 31 décembre 2007 dans l'assiette de ses congés payés.
Cette demande est donc fondée
M X... demande une somme de 4 500, 00 euros au motif que l'employeur aurait tardé jusqu'au mois d'avril 2009 à établir une attestation ASSEDIC lui permettant de faire valoir ses droits auprès du Pôle emploi.
La SARL TRANSNADEL réplique que M X... n'a jamais formulé aucune demande en ce sens avant de comparaître devant le bureau de conciliation et ne justifie d'aucun préjudice.
À défaut d'élément caractérisant ce préjudice, il y a lieu de rejeter cette demande.
Il convient d'ordonner à la société TRANSNADEL de remettre au salarié un bulletin de paie rectifié conformément aux dispositions du présent arrêt dans le délai d'un mois à compter du présent arrêt.
L'employeur reproche au salarié d'avoir maquillé un camion accidenté et soutient que cette manoeuvre l'aurait privé de toute possibilité de déclarer le sinistre auprès de son assureur et l'aurait contraint de prendre à sa charge des frais de réparation pour un montant de 4 614, 46 euros dont il demande paiement au salarié.
Toutefois, à défaut d'une faute lourde retenue contre le salarié, sa responsabilité pécuniaire ne peut être engagée.
Or, même à supposer que le maquillage d'un camion accidenté puisse être constitutif d'une faute lourde, ce fait n'a pas été mentionné dans la lettre de licenciement et ne pouvait donc être retenu contre M X....
C'est donc à bon droit que cette demande a été écartée par le Conseil de Prud'hommes
Il apparaît équitable de dédommager M X... de ses frais irrépétibles dans la limite de 1 500, 00 euros.
Les dépens seront supportés par la SARL TRANSNADEL.
PAR CES MOTIFS la Cour statuant publiquement et contradictoirement
Infirme le jugement déféré et statuant à nouveau :
Dit que le licenciement de M X... est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
Condamne en conséquence la SARL TRANSADEL à verser à celui-ci les sommes de :
-9000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-2 590, 33 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;
-259, 30 euros au titre des congés payés y afférents ;
-166, 22 euros à titre de rappel de congés payés ;
-1 899, 57 euros au titre de rappel des salaires de la mise à pied ;
-189, 95 euros au titre des congés payés y afférents ;
-1 500, 00 sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais non compris dans les dépens exposés en première instance ;
Dit que ces sommes porteront intérêt au taux légal et que ces intérêts seront capitalisés par année entière en application de l'article 1154 du Code civil.
- déboute M X... du surplus de ses demandes et la société TRANSADEL de ses demandes reconventionnelles ;
AJOUTANT :
Condamne la SARL TRANSADEL à verser à M X... la somme de 1 500, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel ;
Ordonne à la société TRANSNADEL de remettre au salarié un bulletin de paie rectifié conformément aux dispositions du présent arrêt dans le délai d'un mois à compter de sa mise à disposition ;
Condamne la société TRANSADEL aux dépens.
Arrêt-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Patricia RICHET, Présidente et par Monsieur LANE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, La PRESIDENTE,