COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
15ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 07 DECEMBRE 2011
R. G. No 10/ 03620
AFFAIRE :
Mourad X...
C/
S. A. L'OREAL
Décision déférée à la cour : Jugement rendu (e) le 07 Juin 2010 par le Conseil de Prud'hommes-Formation paritaire de NANTERRE
Section : Encadrement
No RG : 08/ 02651
Copies exécutoires délivrées à :
Me Julia FABIANI
Me Stéphane LATASTE
Copies certifiées conformes délivrées à :
Mourad X...
S. A. L'OREAL
le : RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE SEPT DECEMBRE DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur Mourad X...
né le 23 Juin 1971 à
...
78500 SARTROUVILLE
représenté par Me Julia FABIANI, avocat au barreau de PARIS
APPELANT
****************
S. A. L'OREAL
14 Rue Royale
75008 PARIS
représentée par Me Stéphane LATASTE, avocat au barreau de PARIS
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue le 24 Octobre 2011, en audience publique, devant la cour composé (e) de :
Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Présidente,
Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller,
Monsieur Hubert DE BECDELIÈVRE, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Monsieur Pierre-Louis LANE
M X... a été embauché le 1er septembre 1998 par la société l'Oréal en qualité de contrôleur budgétaire marketing.
En 2002, il a été promu à la fonction de Directeur Administratif et Financier au sein de la filiale marocaine de la société.
À son retour en France en janvier 2 005, il a obtenu un poste de DAF de l'usine FAPROGI, filiale de la société implantée à Rambouillet.
L'employeur ayant estimé qu'il ne donnait pas satisfaction dans ces fonctions a décidé de l'affecter provisoirement au siège social dans l'attente d'un nouveau poste.
Il lui a proposé un poste de chargé de mission en Turquie puis un poste de contrôleur de gestion dans une filiale française qu'il a refusés.
Suite a ces refus, Il a été licencié par lettre recommandée du 28 avril 2008.
Dans les motifs de ce courrier, il était indiqué que sa hiérarchie avait constaté que sa performance n'était pas en phase avec les responsabilités clés de sa fonction, comme en témoignaient les appréciations portées lors de son évaluation de 2006, année où il a été moins présent que la précédente et a beaucoup plus hésité à tout remettre en cause ; que l'observation lui avait été également faite au cours de ce même entretien qu'il devait améliorer la qualité des remontées et des présentations.
La lettre de licenciement relevait également que lors de l'entretien du 20 décembre 2007, ses résultats insuffisants avaient été une fois de plus soulignés comme par exemple sa difficulté à anticiper les résultats et ses constats d'échec a posteriori.
Compte tenu de l'absence d'amélioration, il avait été décidé de l'enlever de son poste de directeur et le remettre à la disposition du siège dans l'attente d'une nouvelle mission ; mais il avait décliné les propositions qui lui étaient faites à savoir un poste de chargé de mission en Turquie proposé en janvier 2008 pour l'ouverture d'un nouveau site acquis par la société puis un poste de contrôleur de gestion en février.
L'employeur avait conclu de ces éléments que son insuffisance professionnelle qui rendait impossible son maintien à la tête de FAPROGI et le refus des postes proposés le plaçaient dans une impasse l'obligeant à mettre un terme à leur collaboration.
Estimant son licenciement infondé, M X... a saisi le Conseil de Prud'hommes de demandes tendant à voir condamner la société l'Oréal au paiement des sommes de :
-140 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
-46 666, 00 au titre de la clause de non concurrence ;
-5 000, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Par décision du 07 juin 2010, le Conseil de Prud'hommes a déclaré le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse et à condamné l'employeur au paiement des sommes de :
-36 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
-800, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Et a rejeté sa demande relative à la clause de non concurrence.
La décision a considéré que les difficultés constatées dans le fonctionnement de l'entreprise n'apparaissaient pas être le fait de M X... et que l'insuffisance professionnelle alléguée n'était pas établie car elle ne peut résulter d'une défaillance passagère démentie par le passé du salarié comme c'était le cas en l'espèce où l'entretien d'évaluation de l'année 2005 montre la bonne intégration de M. X... dans ses fonctions de DAF.
S'agissant de la clause, les premiers juges ont relevé que certes, l'article 11 du contrat de travail avait réservé à l'employeur la possibilité de demander la signature d'une clause de non concurrence mais que si celui-ci avait voulu instaurer une telle clause, M X... pouvait toujours refuser de la signer de sorte que cette clause n'était pas purement postestative et, comme telle, contraire aux dispositions de l'article 1174 du Code civil.
DEVANT LA COUR :
Par conclusions déposées le 24 octobre 2011 et développées oralement auxquelles il est expressément fait référence, M X... a demandé à la Cour de confirmer le jugement en ce qu'il a déclaré le licenciement sans cause réelle et sérieuse, de le réformer pour le surplus et de condamner la société l'Oréal au paiement des sommes demandées en première instance.
Par conclusions déposées le 24 octobre 2011 développées oralement, auxquelles il est expressément fait référence, la société l'Oréal a demandé à la Cour de réformer le jugement entrepris, dire le licenciement fondé sur une cause réelle et sérieuse et débouter le salarié de l'ensemble de ses demandes et notamment de sa demande de dommages et intérêts au titre de la clause de non concurrence au constat que l'employeur ne lui a jamais proposé de souscrire une telle clause ainsi que de condamner M X... au paiement d'une somme de 5 000, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION :
Il importe de rechercher si l'incapacité de M X... à faire face à ses tâches de directeur administratif et financier au sein de l'usine FAPROGI étaient caractérisés et si son remplacement était indispensable étant précisé que l'employeur n'était pas tenu, si ces éléments étaient établis, de pourvoir à son reclassement dans l'entreprise ou le groupe.
Pour établir cette insuffisance, l'employeur invoque les entretiens d'évaluation et notamment l'entretien du 05 décembre 2006, et " des points plus informels ".
La seule pièce produite pour soutenir les griefs contenus dans la lettre de licenciement est le compte rendu de l'entretien de mi année établi le 29 juin 2007.
Cette pièce rappelle que 2005 a été une bonne année durant laquelle, Mourad X... s'est très bien intégré à l'Usine et au sein du Comité de direction bien que son contrôleur de gestion et son Responsable du Service informatique soient partis en fin d'année sur d'autres sites industriels dans le cadre du projet ISIS la relève ayant été prise par les numéros 2 de ces services tous deux d'un bon niveau.
Le scripteur ajoute que l'année 2006 a également été bonne même si des erreurs ont été constatées dans les remontées " tendances " et " constructions budgétaires " notamment en ce qui concerne la masse salariale.
Depuis fin 2006, Mourad X... a eu du mal à anticiper et constatait plutôt les écarts à postériori. Il a expliqué ce changement par le fait qu'il avait lui même pris en charge le contrôle de gestion et a dû assurer cette tâche simultanément avec la préparation du projet Isis. L'intégration d'une pépinière contrôle de gestion n'a pas permis au salarié de sortir du court terme.
M X... aurait reconnu à ce moment qu'il n'avait pas su anticiper certains changements et s'était trop consacré au court terme laissant s'installer des dérives qui allaient s'amplifier plus tard et s'était fait déborder.
Il est toutefois établi que les moyens en gestion avaient été réduits dès fin 2005 puis ensuite à partir de juillet par le projet ISIS Rambouillet..
L'évaluation de synthèse pour l'année 2006 produite par le salarié relève que le " manager " à confiance en lui car c'est un bon technicien même s'il doit améliorer la qualité des remontées et des présentations.
L'observation selon laquelle " la préparation du budget a été difficile mais le plus difficile est de le réaliser n'apparaît pas clairement comme une mise en cause des capacités du salarié.
Le supérieur hiérarchique admet dans cette même synthèse, que pour le projet ISIS " on à besoin de moyens supplémentaires tout en gardant la même copie " et relève que M X... s'est passé cette année de deux piliers de la DAF ; que la communication s'est améliorée dans son service ; que le budget 2006 a été respecté, que des erreurs ont été commises dans la " construction tendance masse salariale ".
On ne peut considérer cette évaluation comme remettant en cause les capacités du salarié à exercer ses fonctions.
La société l'Oréal ne conteste pas que l'année 2006 était difficile en raison de la mise en place d'un plan de réorganisation de l'Usine afin d'optimiser les coûts que notamment tout le système d'information de l'usine devait être transformé à partir de juillet, ce qui nécessitait le détachement à temps plein ou partiel d'une trentaine de personnes occupant des postes clés de l'usine et notamment des deux piliers de la direction administrative et financière et qu'ainsi, M X... s'est trouvé confronté à une situation où son activité était accrue en raison du projet Isis et ce alors qu'il disposait d'une équipe substantiellement réduite.
En 2007, la situation économique de l'usine s'est dégradée du fait du changement du responsable de la production, de l'augmentation des plans de production et de la saturation des outils, de problèmes de qualité.
Dans de telles conditions il n'est pas surprenant que le salarié ait éprouvé des difficultés à anticiper les résultats et qu'il ait pu avoir le sentiment d'être débordé.
La lettre de licenciement ne précise pas quels résultats il n'aurait pas anticipés ni quels échecs il a constaté a posteriori et n'a pas mis le juge du contrat de travail en mesure de déterminer si compte tenu des moyens qui lui restaient il était en mesure de faire face aux attentes de la direction et aux tâches normales d'un directeur administratif et financier.
M X... conteste que son rapatriement au siège social en décembre 2008 lui ait été imposé en raison de son incapacité et soutient que cette mesure procède d'un accord avec la direction de l'entreprise et que ce départ correspondait à l'achèvement de sa mission au sein de l'Usine.
Ces allégations ne sont pas discutées par l'employeur qui se contente d'évoquer dans la lettre de licenciement " l'impossibilité compte tenu de (ses) insuffisances professionnelles de le laisser à FAPROGI sans fournir d'éléments concrets permettant de déterminer les causes et les circonstances de ce changement d'affectation.
L'insuffisance professionnelle qui le motif essentiel du licenciement n'est pas caractérisée.
C'est donc à bon droit que le Conseil de Prud'hommes a jugé que le licenciement de M X... était dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Il convient au vu des justificatifs produits et de l'ancienneté du salarié et de la différence entre son salaire et les indemnités perçues d'évaluer à 60 000, 00 euros le montant de son préjudice.
L'article 11 du contrat de travail prévoit que " en raison du marché extrêmement concurrentiel dans lequel évolue la société, elle se réserve la possibilité de demander à M X... de signer une clause de non concurrence lorsque l'évolution de ses fonctions, responsabilités, et son accès à des informations confidentielles le rendra nécessaire.
Le salarié demande à la Cour de constater la nullité de la clause en raison de son caractère purement potestatif en ce que sa réalisation dépend de la seule volonté de l'employeur et de le dédommager du préjudice résultant de la situation d'incertitude dans laquelle il s'est trouvé. quand à sa liberté de travailler.
Il soutient qu'il ignorait totalement le sort qui lui serait réservé s'il venait à refuser de signer cette clause pour le cas où elle lui serait soumise et que cette menace l'a gêné dans son repositionnement professionnel lorsqu'il a été pris en charge au titre d'un outplacement par le cabinet RIGHT en janvier 2008 parce qu'elle l'a écarté de toutes les sociétés concurrentes qui offraient le plus de possibilités pour lui.
Toutefois, ainsi que l'a observé le Conseil de Prud'hommes, le salarié pouvait refuser cette clause si l'employeur avait décidé de la mettre en oeuvre, de sorte qu'elle n'était pas purement postestative.
La société l'Oréal n'a jamais fait usage de cette possibilité d'instaurer une telle clause et M X... ne rapporte pas la preuve que cette possibilité que s'était réservée l'employeur lui ait causé un préjudice quelconque dans sa recherche d'emploi après la rupture de son contrat de travail.
C'est donc à bon droit que le Conseil de Prud'hommes a rejeté cette demande.
Les demandes du salarié étant partiellement fondées, les premiers juges ont fait une juste application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Il convient également de dédommager M X... de ses frais irrépétibles dans la limite de 1000, 00 euros.
La partie qui succombe doit être condamnée aux dépens
PAR CES MOTIFS
La Cour
Statuant publiquement et contradictoirement
Confirme le jugement déféré hormis sur le montant des dommages et intérêts ;
Réformant de ce chef et statuant à nouveau :
Condamne la SA L'OREAL à verser à M X... la somme de 60 000, 00 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
AJOUTANT :
Condamne le SA L'OREAL à verser à M X... la somme de 1000, 00 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile
Arrêt-prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Marie-Paule DESCARD-MAZABRAUD, Présidente et par Monsieur LANE, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, La PRÉSIDENTE,