COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 14A
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 03 MARS 2011
R.G. N° 09/07614
AFFAIRE :
[S] [M]
C/
S.N.C. HACHETTE FILIPACCHI ET ASSOCIES
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Septembre 2009 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
N° Chambre : 1
N° Section :
N° RG : 08/12893
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- SCP DEBRAY -CHEMIN
- SCP GAS
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE TROIS MARS DEUX MILLE ONZE,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Monsieur [S] [M]
[Adresse 2]
représenté par la SCP DEBRAY-CHEMIN - N° du dossier 09000819
rep/assistant : Me Frédéric REITZAUM (avocat au barreau de PARIS)
APPELANT
****************
S.N.C. HACHETTE FILIPACCHI ET ASSOCIES
société en nom collectif éditrice du magazine 'ICI PARIS' inscrite au RCS de NANTERRE sous le numéro 326 286 319 ayant son siège [Adresse 1] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP GAS - N° du dossier 20090860
Rep/assistant : cabinet Christophe BIGOT (avocat au barreau de PARIS)
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 17 Janvier 2011 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Evelyne LOUYS conseiller faisant fonction de président chargé du rapport en présence de Madame Dominique LONNE conseiller
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Evelyne LOUYS, conseiller faisant fonction de président,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
Madame Annie VAISSETTE, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT,
La SNC Hachette Filipacchi a publié, dans le numéro 3299 du magazine Ici Paris daté du 23 au 29 septembre 2008, un article annoncé en page de couverture sous le titre '[M] & [E] La tendre complicité' avec une photographie, repris en pages 8 et 9 du journal illustré de trois nouveaux clichés.
Estimant que cet article et la reproduction des photographies portent atteinte à l'intimité de sa vie privée et à son droit à l'image, M. [S] [M] a fait assigner la SNC Hachette Filipacchi, société éditrice du magazine litigieux, aux fins d'être indemnisé de son préjudice.
Par jugement en date du 10 septembre 2009, le tribunal de grande instance de Nanterre a :
- déclaré recevable l'action de M. [S] [M],
- débouté M. [S] [M] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [S] [M] à payer à la société en nom collectif SNC Hachette Filipacchi la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté la SNC Hachette Filipacchi de ses plus amples demandes,
- condamné M. [S] [M] aux dépens, avec droit de recouvrement direct au profit de Me Christophe Bigot, en application de l'article 699 du code de procédure civile.
M. [S] [M] a interjeté appel de cette décision.
Aux termes de ses conclusions signifiées le 26 janvier 2010 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens, il demande à la cour de :
- dire qu'il est recevable et bien fondé en son appel,
Y faisant droit,
- infirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
Statuant à nouveau,
- dire que la SNC Hachette Filipacchi a commis, en première page de couverture, puis aux pages 8 et 9 du numéro 3299 du journal ICI PARIS daté du 23 au 29 septembre 2008, des atteintes à ses droits protégés,
- condamner la SNC Hachette Filipacchi, société éditrice dudit hebdomadaire, à lui payer la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi par lui du fait des atteintes portées à sa vie privée et à son droit à l'image,
- débouter la SNC Hachette Filipacchi de l'ensemble de ses demandes,
- condamner la SNC Hachette Filipacchi à lui payer la somme de 4 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, dont distraction au profit de la SCP Debray Chemin.
La SNC Hachette Filipacchi, aux termes de ses conclusions signifiées le 5 mai 2010 auxquelles il convient de se reporter pour plus ample exposé de ses moyens, demande à la cour de :
- confirmer le jugement daté du 10 septembre 2009,
- débouter M. [S] [M] de l'ensemble de ses demandes,
- condamner M. [S] [M] au paiement d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en cause d'appel,
- condamner M. [S] [M] en tous les frais et dépens au profit de la SCP Gas dans les conditions fixées à l'article 699 du code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 2 décembre 2010.
MOTIFS DE L'ARRET
Considérant que l'article incriminé reprenant un titre identique à l'annonce de couverture, comporte les exergues suivantes : 'Le journaliste a enchaîné les soirées people et charmante compagnie' et 'Il ne quitte plus ce jeune mannequin blond aux mensurations de rêve' ; que la légende suivante est apposée sur la photographie principale représentant le couple 'Le chevalier blanc de l'information a le vent en poupe. Alors qu'il prend un nouveau départ professionnel, il s'est affiché la semaine dernière avec une jeune et jolie blonde... ' ;
Considérant que l'on peut lire : '...Le journaliste s'est affiché au coté d'une bombe blonde que le Tout Paris n'a pu ignorer. [E] [X], ce tout jeune mannequin ..... serait-elle la nouvelle princesse du roi de l'information' Quoiqu'il en soit, [E] semble avoir trouvé une garde très rapprochée en la personne de [S] [M] et vice versa ...
Il fallait les voir s'effleurer discrètement, échanger des sourires un peu contenus mais ô combien complices, noyer ensemble leur regard un verre de champagne à la main ou bien encore se donner mutuellement un baiser sage et furtif sur la joue pour se rapprocher un peu plus... [E] et [M] avaient l'air seul au monde ce soir-là. Et ça, c'est un signe qui ne trompe pas ...' ;
Considérant que toute personne quelle que soit sa notoriété a droit au respect de sa vie privée et peut s'opposer à la divulgation d'information d'ordre intime la concernant, que celles-ci soient réelles ou supposées ;
Considérant que la vie sentimentale de toute personne présente un caractère strictement privé ;
Considérant qu'en l'espèce, le lecteur ne peut se méprendre sur la nature des sentiments que le magazine Ici-Paris prête à M. [S] [M] ;
Que le journal répand dans le public des informations relevant de la sphère étroite de l'intimité de la vie privée de l'appelant et spécule sur sa supposée vie sentimentale ce qui est manifestement contraire aux dispositions de l'article 9 du code civil et caractérise une atteinte à la vie privée de l'intéressé ;
Considérant que vainement, la société éditrice fait état du caractère légitime du constat objectif dans la presse de la présence conjointe de M. [S] [M] et d'[E] [X] lors d'évènements mondains médiatisés puisque précisément, le magazine ne s'est pas contenté d'un 'constat objectif' mais s'est immiscé dans la vie sentimentale du journaliste en faisant croire à la naissance d'une relation sentimentale et peu importe le caractère anodin du texte et l'absence de malveillance des propos tenus ;
Considérant que l'article est illustré de quatre photographies lesquelles bien que prises à l'occasion d'une manifestation publique ont été détournées de leur contexte de fixation et reproduites sans autorisation pour accréditer les révélations de l'article ce qui contrevient au droit que toute personne dispose sur son image ;
Considérant que la société SNC Hachette Filipacchi ne peut valablement soutenir qu'il s'agit que de l'illustration adéquate et pertinente du sujet traité alors qu'elles sont publiées pour accréditer un article portant atteinte à la vie privée de l'appelant ;
Considérant que la seule constatation de l'atteinte au respect dû à la vie privée et à l'image par voie de presse ouvre droit à réparation, le montant des dommages et intérêts alloué étant proportionnel au préjudice subi du fait de la publication incriminée ;
Considérant que M. [S] [M] fait part de son sentiment d'exaspération et d'impuissance face à ces intrusions répétées dans sa vie privée et insiste sur l'annonce faite en couverture du magazine qui assure non seulement une diffusion aux lecteurs mais porte l'information à la connaissance des simples passants ;
Considérant que la société éditrice relève que M. [S] [M] a continué postérieurement à la publication incriminée de s'afficher avec [E] [X] lors de nombreuses manifestations officielles ; qu'il ne saurait prétendre avoir subi un préjudice compte tenu de son image revendiquée de séducteur ; qu'il fait preuve de complaisance et qu'enfin, les dommages et intérêts ne peuvent avoir qu'un caractère réparateur ;
Mais considérant que le fait que M. [S] [M] ait assisté à d'autres manifestations en compagne d'[E] [X] est inopérant ; qu'en revanche, il a toujours manifesté son opposition à la divulgation d'informations relevant de sa vie privée et à la reproduction de photographies sans son consentement ce qu'atteste les multiples poursuites qu'il a engagées ; que par ailleurs, l'article est d'autant plus préjudiciable qu'il fait l'objet d'une large diffusion et qu'une photographie et un titre racoleur figurent en page de couverture ;
Considérant qu'eu égard à ces éléments, il y a lieu d'allouer à M. [S] [M] une somme indemnitaire de 6 000 euros qui représente la juste réparation de son préjudice à laquelle il a droit ;
Considérant que le jugement entrepris sera donc infirmé ;
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME le jugement entrepris,
STATUANT À NOUVEAU,
CONDAMNE la société Hachette Filipacchi à verser à M. [S] [M] la somme de 6 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice du fait des atteintes portées à sa vie privée et à son droit à l'image ainsi que celle de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
CONDAMNE la société Hachette Filipacchi aux dépens de première instance et d'appel avec droit de recouvrement direct au profit de la SCP Debray Chemin pour ceux d'appel, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Evelyne LOUYS, conseiller faisant fonction de président et par Madame Sylvie RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier,Le conseiller,