COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 28A
1ère chambre 1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 09 SEPTEMBRE 2010
R.G. N° 09/03106
AFFAIRE :
[T] [U]
C/
[S] [W] [X]
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 09 Mars 2009 par le Tribunal de Grande Instance de PONTOISE
N° chambre : 2
N° Section :
N° RG : 08/9303
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
SCP TUSET-CHOUTEAU
SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE NEUF SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame [T] [U]
née le [Date naissance 1] 1959 à [Localité 12] (PORTUGAL)
[Localité 3] et actuellement [Localité 6]
représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU - N° du dossier 20090176
Rep/assistant : Me Angel THORY (avocat au barreau du Val d'Oise)
APPELANTE
****************
Monsieur [S] [W] [X]
né le [Date naissance 2] 1958 à [Localité 9]
[Adresse 5]
[Localité 8]
représenté par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD - N° du dossier 0946422
Rep/assistant : Me Marie-Anne GALLOT LE LORIER, substituée par Maitre Le Roy (avocat au barreau de PARIS)
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 10 Juin 2010, Madame Bernadette WALLON, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT
M. [S] [X] et Mme [T] [U] ont vécu en concubinage à partir de 1982 jusqu'en 2007.
Le 22 novembre 1985, ils ont acquis un appartement sis [Adresse 7] à concurrence de 1.925/3.500èmes pour M. [S] [X] soit 55% et 1.575èmes pour Mme [T] [U] soit 45%.
Par acte notarié du 22 mars 1995, les parents de M.[S] [X] ont fait donation à leur fils M. [S] [X], de la pleine propriété d'un terrain à bâtir sis [Adresse 4].
Il n'est pas contesté que M.[X] et Mme [U] ont vendu le bien immobilier dont ils étaient propriétaires indivis afin de financer la construction d'une maison destinée à leur habitation, sur le terrain reçu en donation par M.[X] et que la construction a été financée au moyen de prêts et d'apports des deux concubins et a été achevée le 19 octobre 1998.
Le juge des référés ayant retenu l'existence d'une contestation sérieuse sur la demande d'expulsion formée par M.[X] à l'encontre de Mme [U], par exploit d'huissier du 20 novembre 2008, M. [S] [X] a assigné Mme [T] [U] devant le tribunal de grande instance de Pontoise afin de faire juger, sur le fondement des articles 552,553 et 555 du code civil, qu'il est l'unique propriétaire de la maison édifiée sur son terrain sis [Adresse 4] en vertu du droit d'accession, et de voir désigner un expert afin d'évaluer le montant de l'indemnité dont est créancière Mme [U] au titre des sommes versées par elle au titre de la construction en se référant aux dispositions de l'alinéa 3 de l'article 555 et de fixer sa quote-part contributive dans le paiement de la construction de la maison.
M.[X] a également demandé la condamnation de Mme [U], dont il n'est pas contesté qu'elle est restée dans les lieux avec les deux enfants communs après la séparation du couple, à une indemnité d'occupation mensuelle de 2.000 € à compter du 10 octobre 2007, date à laquelle le concubinage a cessé selon M.[X]
Par jugement en date du 9 mars 2009, le tribunal de grande instance de Pontoise a:
- dit que M. [S] [X] est seul et unique propriétaire de la maison à usage d'habitation édifiée sur son terrain, situé [Adresse 4],
-désigné un expert avec mission :
*d'évaluer le montant des indemnités correspondant à chacune des deux évaluations de l'indemnité relative au droit d'accession, au titre des sommes versées par Mme [T] [U] pour la construction de la maison, soit selon les deux évaluations indiquées par l'alinéa 3 de l'article 555 du Code civil :
' la somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur,
' le coût des matériaux et celui de la main d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent les constructions et ouvrages,
*de fixer la part contributive de Mme [T] [U] dans le paiement de la construction de la maison,
*de fixer le montant de l'indemnité d'occupation à compter du 10 octobre 2007,
-dit n'y avoir lieu à allouer une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
-réservé les dépens.
Par déclaration du 09 avril 2009, Mme [T] [U] a interjeté appel de ce jugement.
Vu les dernières conclusions de Mme [T] [U] en date du 06 mai 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et par lesquels elle demande à la cour, au visa des articles 555,1832 et 1873 du Code civil :
*d' infirmer en tous points le jugement entrepris,
*de constater l'existence d'une société créée de fait entre les parties,
*de désigner tel notaire qu'il lui plaira pour procéder aux opérations de liquidationet partage des biens de la société, conformément aux dispositions des articles 1832 et suivants du Code civil,
Subsidiairement,
Vu le rapport d'expertise,
*de fixer l'indemnité revenant à Mme [T] [U] au titre de la construction à la somme de 75.279 €, et condamner M. [S] [X] au paiement de cette somme,
sur l'indemnité d'occupation,
*de dire qu'elle n'est redevable d'aucune indemnité d'occupation,
*en conséquence de débouter M.[X] de sa demande de condamnation à hauteur de 37.400 €, et de sa demande de compensation,
*condamner M. [S] [X] à payer à Mme [T] [U] la somme de 3.000€ par application de l'article 700 du code de procédure civile,
*le condamner en tous les dépens de première instance et d'appel, dont le recouvrement sera poursuivi par la SCP Tuset-Chouteau, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
Vu les dernières conclusions de M.[S] [X] en date du 17 mai 2010 auxquelles il est renvoyé pour plus ample exposé de ses moyens et par lesquelles il demande à la cour, au visa des articles 552,553 et 555 du code civil, de :
-confirmer le jugement entrepris et juger qu'il est seul et unique propriétaire de la maison à usage d'habitation édifiée sur son terrain, sise [Adresse 4] (95),
- juger qu'aucune convention de société de fait n'a été créée entre les concubins,
- débouter Mme [T] [U] de l'ensemble de ses demandes,
Vu le rapport d'expertise judiciaire,
- fixer l'indemnité revenant à Mme [T] [U] au titre de la construction à 71.185 € (soit 30,95 % de la somme de 230.000 € évaluée par l'expert),
Sur l'indemnité d'occupation,
- condamner Mme [T] [U] à payer à M. [S] [X] une somme de 37.400 € à titre d'indemnité d'occupation (sur la base de 1.700 €, proposée par l'expert avec un abattement de 15 %, et ce pendant 22 mois),
- ordonner la compensation entre l'indemnité due à Mme [T] [U] au titre de la construction et l'indemnité d'occupation due à M. [S] [X], soit un solde en faveur de Mme [T] [U] de 33.785 €,
- condamner Mme [T] [U] à payer à M. [S] [X] une somme de 4.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance, en ce compris les frais d'expertise de 2 000€ avancés par M. [S] [X],
- dire que les dépens d'appel pourront être recouvrés directement par la SCP Lissarague Dupuis Boccon Gibod, avoués, conformément à l'article 699 du code de procédure civile.
.
MOTIFS DE LA DECISION
M.[X] fait valoir qu'en vertu du droit d'accession la maison construite sur le terrain dont il est propriétaire exclusif lui appartient, à charge pour lui d'indemniser Mme [U] pour les sommes versées par elle au titre de cette construction.
L'article 555 du Code civil, qui régit le sort des ouvrages construits sur le terrain d'autrui et qui fonde la demande de M.[X], édicte que 'lorsque les plantations, constructions et ouvrages ont été faits par un tiers et avec des matériaux appartenant à ce dernier, le propriétaire a le droit, sous réserve des dispositions de l'alinéa 4, soit d'en conserver la propriété soit d'obliger le tiers à les enlever' et, en son alinéa 3, que 'si le propriétaire du fonds préfère conserver la propriété des constructions, plantations et ouvrages il doit, à son choix, rembourser au tiers, soit une somme égale à celle dont le fonds a augmenté de valeur, soit le coût des matériaux et le prix de la main d'oeuvre estimés à la date du remboursement, compte tenu de l'état dans lequel se trouvent lesdites constructions, plantations et ouvrages.'
L'article 555 du Code civil est applicable au concubin qui a édifié une construction sur le terrain de l'autre.
L'article 555 a vocation à régir les rapports entre concubins sauf s'il existe entre eux une convention réglant le sort de la construction, convention qui ne peut se déduire de la seule situation de concubinage.
A titre principal, Mme [U] oppose qu'en l'espèce cette convention existe dans la mesure où il existe entre les concubins une société créée de fait, destinée à la construction de la maison sise à [Adresse 11] et dissoute par la séparation des concubins en octobre 2007.
Elle fait valoir que l'intention de s'associer, allant au delà d'une simple mise en commun d'intérêts afférents à la vie maritale, résulte de ce que le contrat de construction de maison individuelle ainsi que les différents appels de fonds et factures du constructeur sont établis au nom des deux concubins, qui apparaissent tous deux comme maîtres d'ouvrage, qu'elle résulte également de la mise en commun des ressources pour souscrire des emprunts, tant solidairement (deux prêts souscrits auprès de la Banque La Henin de 335.000 francs et 160.000 francs)que personnellement (un prêt de 30.000 francs souscrit par elle seule), destinés à financer la construction de leur maison d'habitation, que la réalité de ses apports n'est pas discutable, qu'en s'engageant solidairement comme maître d'ouvrage et en souscrivant des emprunts, Mme [U] a accepté de contribuer aux pertes.
L'existence d'une société créée de fait entre concubins, qui exige la réunion des éléments caractérisant tout contrat de société selon l'article 1832 du Code civil nécessite l'existence d'apports, l'intention de collaborer sur un pied d'égalité à la réalisation d'un projet commun et l'intention de participer aux bénéfices ou aux économies ainsi qu'aux pertes éventuelles pouvant en résulter, ces éléments cumulatifs devant être établis séparément et ne pouvant être déduits les uns des autres.
L'intention de s'associer en vue d'une entreprise commune ne peut se déduire de la participation financière à la réalisation d'un projet immobilier et est distincte de la mise en commun d'intérêts inhérents au concubinage (Cass. 1ère civ 20 janvier 2010).
Le projet immobilier commun invoqué par Mme [U] pour la construction du logement familial, auquelle elle a financièrement participé ne permet pas de retenir l'existence d'une société de fait entre les concubins.
L'expertise judiciaire ayant été déposée le 12 octobre 2009, les parties concluent au regard de cette expertise, en sorte qu' il y a lieu d'évoquer les points non jugés par le tribunal afin de donner au litige sa solution définitive.
En effet, subsidiairement, Mme [U] demande à la cour de retenir la somme de 75.279 € telle que retenue par l'expert judiciaire au titre de sa part contributive dans le paiement de la construction de la maison.
Conformément à sa mission, M.[L] a procédé à un calcul sur la base de l'article 555 du code civil :
-il propose une valeur vénale actuelle de la construction de 230.000 € et évalue le coût de l'opération de construction en valeur 2009 à 256.456 €, évaluations qui ne sont pas contestées,
-il conclut que M.[X] avait quasiment intégralement seul remboursé les prêts,
-il propose de fixer la participation de Mme [U] dans le financement de l'opération d'une part à sa quote-part lors de l'affectation du prix de vente de l'appartement indivis de St Gratien (166.500 francs) et d'autre part à ses versements personnels lors de la réalisation de la construction (214.903 francs) , ce qui rapporté au coût de la construction en 1998, permet d'évaluer la part contributive de Mme [U] à 30,95 %, pourcentage qui est accepté par les parties.
Il y a lieu d'entériner la somme de 75.279 €, proposée par l'expert judiciaire qui a appliqué le pourcentage de 30,95 % à la somme de 243.228 € correspondant à une évaluation moyenne (230.000 € + 256.456 € = 486.456 € /2).
Il y a donc lieu de condamner M.[X] à verser à Mme [U] la somme de 75.279 €.
Sur l'indemnité d'occupation
Mme [U] ne conteste pas avoir occupé les lieux du 22 octobre 2007 jusqu'au début du mois septembre 2009 avec les deux enfants communs, mais elle demande à la cour de débouter M.[X] de sa demande d'indemnité d'occupation, étant précisé que dans les motifs de ses dernières conclusions elle conclut également que la charge de l'indemnité d'occupation doit être partagée par moitié.
Elle fait valoir que même si M.[X] s'est domicilié depuis la fin de l'année 2007 chez ses parents, il a toujours conservé les clés du pavillon, qu'il continuait à s'y rendre comme il le désirait et à tout moment , et qu'il y avait laissé ses affaires personnelles et notamment une partie de ses vêtements.
Elle fait valoir également que depuis la cessation du concubinage en 2007, elle a assumé seule l'entretien et l'éducation des enfants communs, nés respectivement en 1992 et 1994 et elle demande à la cour de constater que M.[X] n'a pas rempli son obligation alimentaire, et à juger que l'avantage obtenu par l'occupation gratuite du logement, partagée avec M.[X], correspond à l'exécution par ce dernier de sa contribution à l'entretien et à l'éducation des enfants.
Mais il appartenait à Mme [U] de saisir le juge aux affaires familiales compétent pour fixer cette contribution et la cour n'a pas compétence pour le faire dans le cadre du présent litige.
En revanche, il résulte des pièces versées aux débats que :
-que M.[X] a réglé les factures d'eau, d'électricité, de gaz et de téléphone jusqu'en décembre 2008,
-M.[X] a été informé le 04 septembre 2009 par courrier du conseil de Mme [U] que celle-ci avait changé d'adresse,
-le 05 septembre 2009, il a effectué une déclaration de main courante pour 'abandon de domicile familial', en indiquant demeurer [Adresse 4],
- le 08 septembre 2009, M.[X] a fait établir un constat dans lequel il expose à l'huissier de justice ' qu'il est propriétaire du pavillon qu'il occupe sis à [Adresse 10]' , et donne mission à l'huissier ' de constater que le pavillon est inhabité et que subsiste uniquement quelques meubles qu'il a entreposés'.
Dans ses dernières écritures, M.[X] conclut qu'hébergé par ses parents il n'a pas pu emmener avec lui toutes ses affaires par manque de place, en sorte qu'il ne peut être exclu que parmi les effets personnels et vêtements dont la présence est constatée par l'huissier de justice le 08 septembre 2009, un certain nombre lui appartient.
En outre, il résulte de ce constat que l'huissier est entré dans les lieux en présence de M.[X] qui ne pouvait que disposer des clés, puisque qu'il n'est mentionné par l'huissier la présence d'aucun occupant au moment du constat et que c'est seulement par une ordonnance sur requête du 23 septembre 2009 que M.[X] a été autorisé à changer les serrures.
Au vu de l'évaluation non critiquée proposée par l'expert judiciaire (2.000 € par mois hors abattement), la cour estime avoir les éléments d'appréciation suffisants pour appliquer un abattement de 50% pour tenir compte à la fois d'une jouissance des lieux qui n'a pas revêtu un caractère totalement exclusif pour Mme [U] et de la précarité de l'occupation pour cette dernière.
Il y a lieu de condamner Mme [U] à payer à M.[X] une indemnité d'occupation de 1.000 € par mois à compter du 10 octobre 2007 jusqu'au 4 septembre
2009, soit pendant 22 mois réclamés par M.[X], soit au total 22.000 €,
Les créances respectives des parties se compenseront.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
REJETTE le moyen tiré de l'existence d'une société de fait,
Y ajoutant et évoquant les points non jugés par le tribunal,
Vu le rapport d'expertise judiciaire du 12 octobre 2009,
DIT que la créance de Mme [T] [U] sur M.[S] [X] s'élève à la somme de 75.279 €,
DIT que la créance de M.[S] [X] sur Mme [T] [U] s'élève à la somme de 22.000 € au titre de l'indemnité d'occupation,
Après compensation, condamne M.[S] [X] à payer à Mme [T] [U] la somme de 53.279 €,
DIT que l'équité commande de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
DIT que chaque partie conservera la charge de ses propres dépens, les frais d'expertise judiciaire étant partagés par moitié entre les parties,
ACCORDE aux avoués de la cause le bénéfice de l'article 699 du code de procédure civile.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,