COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
A.D.D.
Code nac : 63C
1ère chambre
1ère section
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 21 JANVIER 2010
R.G. N° 08/09608
AFFAIRE :
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
C/
E.U.R.L. [R]
...
Et autres
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 28 Octobre 2008 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
N° chambre : 2
N° Section :
N° RG : 07/79
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
- SCP BOMMART MINAULT
- SCP FIEVET-LAFON,
- SCP GAS
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT ET UN JANVIER DEUX MILLE DIX,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES 'MMA IARD'
inscrite au RCS de [Localité 10] sous le numéro 775 652 126 ayant son siège [Adresse 1] agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège et ayant son établissement [Adresse 5]
représentée par la SCP BOMMART MINAULT - N° du dossier 00036512
Rep/assistant : Me Catherine GIRARD-REYDET (avocat au barreau de PARIS)
APPELANTE
****************
E.U.R.L. [R]
société ayant son siège [Adresse 6] prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP FIEVET-LAFON - N° du dossier 290029
Rep/assistant : la SCP COURTOIS LEBEL (avocats au barreau de PARIS)
Monsieur et Madame [R]
[Adresse 6]
représentés par la SCP FIEVET-LAFON - N° du dossier 290029
Rep/assistant : la SCP COURTOIS LEBEL (avocats au barreau de PARIS)
Monsieur [C] [I]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 7]
[Adresse 3]
représenté par la SCP GAS - N° du dossier 20090046
Rep/assistant : Me Tomas GURFEIN (avocat au barreau de PARIS)
INTIMES
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Décembre 2009, Madame Bernadette WALLON, président ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Evelyne LOUYS, conseiller,
Madame Dominique LONNE, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULT
Monsieur et Madame [R] exercent la profession d'hôteliers et exploitent deux hôtels à [Localité 11].
La comptabilité de leurs hôtels était assurée par M.[I], expert-comptable.
Désireux de procéder à une défiscalisation d'une partie de leurs revenus, ils ont fait part de ce souhait à M.[I] qui leur a proposé d'adopter d'une part le statut de loueur en meublé professionnel et d'autre part le statut d'exploitant hôtelier.
Les époux [R] exposent que M.[I], assisté d'un intermédiaire immobilier, M.[J], leur a présenté un projet d' hôtel Alto dont la construction était projetée à [Localité 8] (Pas de Calais), dans lequel ils ont décidé d'investir.
Par acte authentique du 1er septembre 1992, reçu par Maître [W] [X], notaire associé à [Localité 9] (Isère), la SARL Empreinte a vendu en l'état futur d'achèvement à la SARL [R] (entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée constituée à cet effet) 20 chambres et les millièmes de copropriété correspondant à la propriété du sol et des parties communes, dans le projet d'hôtel Alto.
L'eurl [R], qui a pour associée unique Madame [B] [D] épouse [R], relève du régime fiscal des sociétés de personnes et Madame [R] est soumise personnellement à l'impôt sur le revenu à raison des bénéfices sociaux.
L'eurl [R] a fait l'objet d'une vérification de comptabilité par l'administration fiscale pour la période du 1er juin 1992 au 31 décembre 1993.
Un redressement a été notifié à l'eurl [R] le 18 octobre 1995, retenant six chefs de redressement, dont :
- une minoration d'actif de 1.352.000 francs, constitué par le fait d 'avoir porté, à l'actif du bilan, au titre de l'exercice 1992, des immobilisations corporelles pour une valeur de 5.748.000 francs, alors que l'acte authentique du 1er septembre 1992 mentionne un prix fixe hors taxes non révisable de 7.100.000 francs,
- la non comptabilisation, au titre de l'année 1992, d'un produit financier exceptionnel de 1.058.201 francs,
- une sortie d'actif, au titre de l'année 1993, au titre d'une détérioration de la construction, évaluée par le contribuable à 258.660 francs,
- du fait du redressement lié à la minoration d'actif, la réintégration à l'exercice 1992 d'un remboursement de TVA,
- l'absence de déclaration des commissions et honoraires versés à des tiers et la réintégration des sommes non déclarées au résultat de 1993,
- l'absence de réintégration au résultat de l'eurl [R] de la quote-part des charges financières payées par elle pour le compte de l'exploitant associé dont le compte courant présentait un solde débiteur.
Ce redressement a conduit à une augmentation des bénéfices industriels et commerciaux soumis à l'impôt, au titre du foyer fiscal de Madame [R], seule associée de l'eurl, et à un rappel d'impôt, pour l'année 1992, de 1.280.752 francs outre 781.259 francs au titre des pénalités, et pour l'année 1993, de 1.444.701 francs, outre 75.244 francs au titre des pénalités, une majoration de 40% étant appliquée pour mauvaise foi.
Par une décision du 11 mai 1999, la direction des services ficaux des Hauts de Seine a accordé aux époux [R], au titre de l'impôt sur le revenu , au titre des années 1992 et 1993, un dégrèvement portant sur les redressements opérés au titre de la TVA, du compte courant associé, ainsi qu'un dégrèvement sur la base de 175.606 francs pour les honoraires versés au cours de l'année 1993 et considérés comme justifiés.
L'administration fiscale leur a donc accordé :
- au titre de l'année 1992, un dégrèvement en droits de 12.917 francs et un dégrèvement en pénalités de 7.880 francs,
- au titre de l'année 1993, un dégrèvement en droits de 88.546 frances et un dégrèvement en pénalités de 46.944 francs.
M et Mme [R] ayant saisi le tribunal administratif de Paris d'une requête tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes, au titre des années 1992 et 1993, et au sursis de paiement des sommes ainsi mises en recouvrement, par jugement du 14 décembre 2005, dont le caractère définitif n'est pas remis en cause, le tribunal administratif a rejeté cette requête.
Par acte d'huissier du 2 juillet 1999, les époux [R] et l'eurl [R] ont assigné [C] [I] et les Mutuelles Du Mans devant le tribunal de grande instance de Versailles afin de voir engager la responsabilité contractuelle de M.[I] en sa qualité d'expert comptable et de le voir condamner, in solidum avec les Mutuelles du Mans, son assureur, à réparer leur préjudice subi du fait des erreurs commises par M.[I].
Par jugement du 28 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Versailles a :
- condamné in solidum [C] [I] et les Mutuelles Du Mans à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 122.352,38 euros à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal à compter du jugement,
- ordonné la capitalisation des intérêts dus pour une année entière,
- condamné in solidum [C] [I] et les Mutuelles Du Mans à verser à Monsieur et Madame [R] la somme de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné les Mutuelles Du Mans à garantir [C] [I] de toutes les condamnations prononcées à son encontre,
- ordonné l'exécution provisoire du jugement,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples et contraires,
- condamné in solidum [C] [I] et les Mutuelles Du Mans au paiement des entiers dépens.
Par déclaration du 16 décembre 2008, la société d'assurances MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES a interjeté appel de ce jugement.
Vu ses dernières écriture du 15 octobre 2009, par lesquelles elle demande à la cour de :
- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire qu'elle ne doit pas sa garantie à [C] [I],
- débouter Monsieur et Madame [R] ainsi que l'EURL [R] de l'ensemble de leurs demandes,
- condamner Monsieur et Madame [R] ainsi que l'EURL [R] à restituer aux Mutuelles Du Mans la somme de 133.764,47 euros qu'elles ont réglée au titre de l'exécution provisoire, avec intérêts de droit à compter du 10 février 2009 pour la somme de 66.503,38 euros et du 11 mars 2009 pour la somme de 67.260,59 euros,
- condamner solidairement l'EURL [R] et Monsieur et Madame [R] à payer aux Mutuelles Du Mans la somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions du 11 juin 2009, par lesquelles [C] [I], appelant incident , poursuit l'infirmation du jugement entrepris et demande à la cour de :
à titre principal, au visa des articles 1315, 1147 et 1149 du code civil,
- déclarer irrecevables et en tous cas mal fondées les demandes formulées par les consorts [R] et l'EURL [R] à son encontre,
- les en débouter,
- condamner solidairement les consorts [R] et l'EURL [R] à lui verser la somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- les condamner solidairement aux entiers dépens,
Subsidiairement,
- réduire à de plus justes proportions l'indemnité allouée aux consorts [R],
- condamner les Mutuelles Du Mans à le relever et garantir de toute condamnation prononcée à son encontre,
- débouter les Mutuelles Du Mans de l'intégralité de leurs demandes,
- condamner les Mutuelles Du Mans au versement d'une somme de 8.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens,
Vu les dernières conclusions du 16 septembre 2009 par lesquelles l'EURL [R], Monsieur [R] et Madame [R], appelants incidents, demandent à la cour, au visa de l'article 1147 du Code civil, de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a :
* dit qu' [C] [I] a manqué à ses obligations contractuelles et professionnelles en remplissant de façon lourdement erronée les déclarations fiscales de l'EURL [R],
* dit qu' [C] [I] a, en qualité d'expert-comptable, engagé sa responsabilité contractuelle,
* condamné solidairement [C] [I] et les Mutuelles Du Mans à réparer le préjudice subi par Monsieur et Madame [R],
- réformant le jugement entrepris quant au montant des dommages-intérêts alloués à Monsieur et Madame [R],
- condamner solidairement [C] [I] et les Mutuelles Du Mans au paiement de :
' la somme en principal de 282.196,40 euros (1.851.087 francs) à titre de dommages- intérêts correspondant à l'impôt supplémentaire mis à la charge de Monsieur et Madame [R], assortie des intérêts légaux à compter de l'assignation, avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil,
' la somme en principal de 47.915,30 euros ( 314.304 francs) à titre de dommages- intérêts correspondant à la réduction d'impôt perdue du fait d'[C] [I], avec intérêts légaux à compter de l'assignation, avec capitalisation conformément à l'article 1154 du code civil,
' la somme de 30.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner solidairement [C] [I] et les Mutuelles Du Mans,
SUR CE
Il est établi par les pièces versées aux débats que M.[I] avait une mission d'expertise comptable afin d'établir et de vérifier les comptes de l'eurl [R], ainsi qu'une mission de suivi juridique et de conseil fiscal, cadre dans lequel il a établi les déclarations fiscales de l'eurl [R].
Il y a lieu d'examiner les différents griefs formés par les époux [R] et l'eurl [R] à l'égard de M.[I], à l'exception des deux irrégularités relevées dans le redressement notifié le 18 octobre 1995, pour lesquelles l'administration fiscale a opéré un dégrèvement total (TVA et compte courant d'associé).
Sur la minoration d'actif
La notification de redressement du 18 octobre 1995 a relevé comme irrégularité une minoration d'actif, constituée par le fait d 'avoir porté à l'actif du bilan des immobilisations corporelles pour une valeur de 5.478.000 francs au lieu de 7.100.000 francs, figurant dans l'acte authentique de vente.
M. [I] n'a en effet enregistré à l'actif de l'eurl [R] qu'une somme de 5.748.000 francs hors taxes, ce qui correspond à 7.100.000 francs dont ont été déduites la somme de 145.000 francs, frais fiscaux liés à la vente, et la somme de 1.207.000 francs hors taxes à titre d'honoraires commerciaux.
M.[I] soutient que c'est à bon droit qu'il a déduit du prix de cession de l'immeuble la somme de 1.207.000 francs, correspondant à des commissions versées à des intermédiaires pour la vente des chambres d'hôtel à l'eurl [R], qui, selon lui, ne sont pas constitutives du prix de revient comme le seraient des honoraires d'architecte. Il fait valoir que ces frais ne concourrent pas à la production de la valorisation de l'ensemble hôtelier et n'ont donc pas été affectés au coût de construction de l'hôtel ; qu'un autre de ses clients, M.[U], ayant investi dans la même opération, malgré un contrôle fiscal mené par un autre inspecteur des impôts, n'a fait l'objet d'aucun redressement, l'administration fiscale ayant accepté dans ce cas que les honoraires commerciaux s'élevant à la somme de 183.600 francs soient passés en charge.
Les époux [R] et l'eurl [R] opposent que l'article 38 quinquies du code général des impôts, issu du décret 84-184 du 14 mars 1984, dans sa rédaction en vigueur en 1992 et 1993 précise que :"les immobilisations acquises à titre onéreux par l'entreprise sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine.
Cette valeur d'origine s'entend:
- pour les immobilisations acquises à titre onéreux par l'entreprise, du coût d'acquisition, c'est à dire du prix d'achat majoré des frais accessoires nécessaires à la mise en état d'utilisation du bien".
Toutefois, il résulte des documents versés aux débats par les époux [R] :
- que les frais accessoires nécessaires à la mise en état d'utilisation du bien constituent un élément du coût d'acquisition de l'immobilisation et ne peuvent donc pas être portés parmi les frais immédiatement déductibles ; qu'il en est ainsi des honoraires versés à un architecte pour la construction d'un immeuble ou des frais d'installation et de montage,
- qu'en revanche, ne constituent pas un élément du coût d'acquisition de l'immobilisation les frais non représentatifs d'une valeur vénale supportée lors de cette acquisition ; parmi ces frais, sont visés, entre autres, les commissions versées à un intermédiaire, frais qui doivent être compris dans les charges déductibles de l'exercice au cours duquel ils sont exposés.
La pièce 49 versée aux débats concerne une réponse ministérielle du 22 novembre 1982, non applicable à l'espèce car elle concerne l'incorporation au prix de revient de l'actif immobilisé des frais d'étude et les dépenses préparatoires à l'édification ou à l'extension d'un immeuble industriel ou commercial.
Il n'est donc pas établi que la déduction des commissions en considération de leur nature soit constitutive d'une faute de la part de M.[I].
En revanche, il convient de relever que l'article 5 de l' acte authentique du 1er septembre 1992 indique que le prix de vente est de 7.100.000 francs hors taxes et de 8.420.600 francs TTC, "frais compris évalués à la somme de 145.000 francs", mais cet acte ne contient aucune autre ventilation du prix d'acquisition ni aucune indication sur des commissions sus-visées s'élevant à 1.207.000 francs hors taxes.
A la demande de l'eurl [R], en raison de la situation financière de la société Empreinte, maître d'ouvrage dont la trésorerie ne pouvait plus assurer l'opération de construction et qui a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 30 avril 1993, une ordonnance de référé du 5 avril 1993 a désigné M. [E] [Y], expert-comptable, en qualité d'expert judiciaire, avec mission, entre autres, de vérifier si les appels de fonds demandés au notaire par la SARL Empreinte, maître d'ouvrage du chantier de l'hôtel Alto, avaient bien été utilisés pour la réalisation de l'objet défini dans l' acte notarié du 1er septembre 1992 , de faire des comptes entre l'eurl [R] d'une part, Maître [X] et Maître [M], d'autre part, sur les frais, droits et honoraires versés par l'acquéreur lors de la signature de l'acte notarié.
Il ressort de ce rapport les éléments suivants :
- la SARL Empreinte, constituée le 14 juin 1991 et maître d'ouvrage de la construction de l'hôtel Alto, est entrée en contact, dans le cadre de la commercialisation de ce projet, avec une SARL Espace, "constituée par les soins de Maître [W] [X]" (aucun K bis de la société Espace n'est produit par les parties dans le cadre de la présente instance),
- le 19 août 1992, la société Espace a adressé à la société Empreinte une facture de 1.207.000 francs hors taxes (soit 1.431.502 francs TTC) correspondant à des honoraires égaux à 17% du prix des 20 chambres vendues à l'eurl [R] soit 17% de 7.100.000 francs, facture acceptée par M.[H], gérant de la société Empreinte,
- le montant de cette facture correspond à des commissions directement reversées par Maître [X], notaire, le 4 septembre 1992, à Monsieur [J] (505.236 francs), à Monsieur [S] (505.236 francs) et Monsieur [I] (421.030 francs),
- devant l'expert [Y], M.[I], comme M.[J], a reconnu avoir reçu directement une commission ( une société Helimmo n'étant pas constituée),
- l'expert [Y] indique que le seul justificatif des commissions payées le 04 septembre 1992 à Messieurs [J], [S] et [I], est la facture sus-visée du 19 août 1992, ainsi qu'une facture de la société Helimmo en cours de formation (facture du 1er septembre 1992, versées aux débats, adressée à la société Espace et qui porte sur une somme de 421.030 francs, avec l'indication "commission relative à la mise en rapport de Monsieur [R] avec votre société et participation aux modalités du montage de l'opération proposée".
Il résulte suffisamment de ce rapport et des pièces versées aux débats que les époux [R] n'ont jamais eu connaissance de tous les intermédiaires ayant reçu des commissions dans le projet Alto, ainsi qu'ils le font valoir.
Les époux [R] et l'eurl Jeunaitre étaient dans l'impossibilité de produire, lors du contrôle fiscal, tous justificatifs des commissions ainsi versées.
L'obligation de moyen de l'expert comptable impose à ce dernier, dans le cadre d'une mission générale de comptabilité, une obligation de conseil qui l'oblige notamment à s'assurer que son client collecte les pièces justificatives des opérations recensées par la comptabilité au regard des exigences fiscales et qu'en cas de contrôle, il soit en mesure de présenter une comptabilité sincère et probante, répondant aux exigences légales et réglementaires.
Faisant l'exacte analyse des éléments de la cause, à nouveau débattus en cause d'appel, les premiers juges ont retenu :
- que M.[I] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité contractuelle en déduisant du prix d'acquisition des commissions, dont les acquéreurs n'avaient pas connaissance et pour lesquelles ils ne disposaient pas des éléments nécessaires pour justifier de leur comptabilisation et de leur déduction fiscale,
- que l'absence de redressement à l'égard de Monsieur [U], ayant investi dans les mêmes conditions que l'eurl [R] (par l'achat de 3 chambres d'hôtel dans le même projet de construction par un acte du 31 décembre 1992), alors qu'il a fait également l'objet d'un contrôle fiscal, par un inspecteur différent, n'est pas de nature à exonérer Monsieur [I] de sa responsabilité.
Sur la non comptabilisation d'un produit financier exceptionnel au titre de 1992
Dans la notification de redressement du 18 octobre 1995, l'administration fiscale fait état de ce qu'elle a constaté, à la date du 30 octobre 1992, dans la comptabilité de l'UCB, qui a consenti, le jour de l'acte de la vente en l'état futur d'achèvement du 1er septembre 1992, à l'Eurl [R] une ouverture de crédit de 8.420.600 francs ( soit 7.100.000 francs +TVA), l'écriture de virement d'un chèque de 1.058.201 francs établi par Maître [X] pour le compte de la société Empreinte, au profit de l'eurl [R], conservé à titre de garantie par l'UCB à l'encontre de l'eurl.
L'administration fiscale a considéré que l'acte de vente entre la société Empreinte et l'eurl [R], stipulant un prix définitivement fixé, cette différence constituait un produit exceptionnel ou financier à rattacher à l'exercice 1992.
Dans leur requête à l'encontre de la décision de rejet partiel du 11 mai 1999 en matière d'impôt sur le revenu au titre des années 1991 et 1992, prise par le Directeur des services fiscaux des Hauts de Seine Nord, les époux [R] ont formulé les explications suivantes, reprises par M [I] dans ses dernières conclusions devant la cour :
- que s'agissant d'une vente en l'état futur d'achèvement, le prix de l'immeuble est payé suivant l'avancement des travaux,
- que ne voulant pas avancer la TVA qui allait être remboursée par le Trésor public à l'eurl [R] au fur et à mesure des paiements, l'UCB a exigé qu'une partie des fonds prêtés à l'eurl [R] (1.058.201 francs) soit aussitôt déposée par la société Empreinte sur un bon de capitalisation que l'UCB a conservé en garantie du prêt consenti à l'eurl [R] ; que dans le même temps, l'eurl [R] a signé une délégation de créance de TVA au profit de la société Empreinte pour un montant équivalent.
L'eurl [R] devait donc reverser à la société Empreinte la TVA remboursée par le Trésor public.
Il ressort de l'expertise judiciaire de M.[Y], qui a analysé les comptes de la SARL Empreinte sur ce point, qu'il a été convenu entre la société Empreinte et l'eurl [R] du financement de la TVA par la société Empreinte, ce qui explique le versement de la somme de 1.058.201 francs financée par la société Empreinte au profit de l'eurl [R].
M. [I] soutient :
- que le montant versé par la société Empreinte à l'Eurl [R] correspondait à une avance de trésorerie qui devait être remboursée par cette dernière au fur et à mesure des remboursements de crédit TVA mais que, la société Empreinte ayant déposé son bilan, l'eurl [R] n'a pas eu besoin de rembourser cette dette,
- que l'absence de comptabilisation de cette dette est sans impact sur le résultat des exercices 1992 et 1993 dans la mesure où le produit exceptionnel lié à l'extinction de cette dette n'aurait pu intervenir qu'au cours de l'exercice 1994, date de la liquidation de la société Empreinte.
Mais cette dette de l'eurl [R], correspondant à 1.058.201 francs de TVA financés par la société Empreinte, n'a pas été enregistrée au bilan de l'eurl [R] à la clôture de l'exercice 1992, alors que la réglementation comptable impose aux entreprises de comptabiliser au passif du bilan les dettes certaines dans leur principe et leur montant et qu'une dette doit être maintenue en comptabilité tant que l'obligation correspondante n'est pas éteinte jurididiquement, éventuellement par l'un des événements suivants : l'annulation par décision de justice, la prescription, l'abandon exprès par le créancier.
L'absence de comptabilisation de cette dette ne pouvait pas se justifier par la liquidation judiciaire de la société Empreinte, événement qui n'avait pas pour effet d'éteindre la dette de l'eurl [R], étant relevé que l'expert judiciaire [Y] a conclu qu'il était anormal que la SARL Empreinte ait dû cumulativement acquitter au Trésor Public la TVA sur la partie du prix de vente encaissée de l'eurl [R] et rembourser à l'eurl [R] cette même TVA.
Au surplus, la société Empreinte n'a fait l'objet d'un jugement de liquidation que le 30 avril 1993.
Le jugement entrepris sera dès lors confirmé en ce qu'il a retenu qu'en s'affranchissant sur ce point des règles comptables et fiscales, Monsieur [I] a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Sur la sortie d'actif
A la clôture de l'exercice 1993, M.[I] a procédé à un retrait partiel d'actif afin de constater la dépréciation subie par une immobilisation corporelle (construction en cours d'achèvement).
Selon l'administration fiscale, cette opération a généré une moins-value nette à court terme de 258.660 francs imputée sur les résultats imposables de l'exercice, somme qu'elle a réintégrée dans les résultats de l'exercice, en l'état d'une diminution injustifiée de l'actif immobilisé.
M.[I] conclut qu'en 1993 il a pratiqué un amortissement exceptionnel correspondant à une perte de valeur irrémédiable de la construction. Il met en avant un constat d'huissier établi le 25 janvier 1993 constatant les retards pris dans l'avancement des travaux. Il indique avoir estimé la dépréciation de l'investissement à 5% de la valeur de la construction enregistrée en comptabilité, soit 258.660 francs (5% de 5.173.000 francs), compte tenu du caractère certain de la dégradation de la valeur de l'immeuble. Il conclut également que l'écriture ait été une provision (caractère conditionnel) ou un amortissement (caractère définitif), le choix fait en 1993 n'aurait pas eu d'incidence fiscale en l'espèce, la perte de valeur s 'étant finalement avérée irrémédiable, et que sur ce poste également, Monsieur [U] n'a fait l'objet d'aucun redressement alors que le traitement comptable a été le même, l'administration fiscale ayant accepté un amortissement exceptionnel à hauteur de 403.200 €.
Il résulte des documents régulièrement versés aux débats par les époux [R] et l'eurl [R] que, selon la jurisprudence du conseil d'Etat, un amortissement exceptionnel ne peut être pratiqué qu'à partir de l'exercice à la clôture duquel est constatée une dépréciation effective et définitive de l'élément d'actif correspondant, entraînée par des circonstances exceptionnelles et ayant pour effet de ramener la valeur réelle de cet élément d'actif à un montant inférieur à sa valeur nette comptable mais que dans le cas d'une dépréciation ne présentant pas de caractère définitif, l'entreprise conserve seulement la faculté de constituer une provision dont le montant ne doit pas excéder, à la clôture de chaque exercice, la différence existant à cette date entre la valeur nette comptable et la valeur probable de réalisation de l'élément d 'actif dont s'agit.
Si à la date du constat établi en 1993, des retards avaient pu être pris dans l'avancement des travaux , le caractère définitif de la dépréciation n'était pas acquis, pas plus que son évaluation (258.660 francs) qui ne reposait sur aucun élément pouvant être justifié, M.[I] concluant lui-même qu'il ne disposait d'aucune information chiffrée concernant cet avancement.
Dans ces conditions, au regard des règles fiscales, M.[I] ne pouvait que constater une dépréciation temporaire par la constitution d'une provision.
Qu'en procédant à tort à un retrait d'actif, M.[I] a commis une faute susceptible d'engager sa responsabilité, ainsi que l'ont retenu les premiers juges, sans qu'il soit fondé à imputer une part de responsabilité aux époux [R].
Sur le défaut de déclaration des honoraires versés
Le redressement notifié le 18 octobre 2005 a relevé le défaut de déclaration, dans le délai des articles 238 et 240 du code général des impôts, des commissions et honoraires versés à des tiers en 1992 et en 1993.
Une tolérance étant admise pour l'année de la première infraction, l'administration fiscale a réintégré au résultat de 1993 les honoraires versés en 1993 à hauteur de 210.920 francs mais, par décision du 11 mai 1999, a opéré en faveur de l'eurl [R] un dégrèvement de 175.606 francs au titre des honoraires versés au cours de l'année 1993.
Contrairement à ce que conclut M.[I], il résulte du dossier que les originaux des déclarations DAS 2 n'ont jamais été adressés en temps utile aux services fiscaux compétents.
Sur le préjudice
Les époux [R] et l'eurl [R] font grief au tribunal d'avoir limité la condamnation de M. [I] à la somme totale de 122.352,38 € correspondant aux seules pénalités de retard et majorations de mauvaise foi, appliquées par le redressement notifié le 18 octobre 1995, déduction faite des dégrèvements sus-visés au titre des pénalités prononcés par la décision des services ficaux du 11 mai 1999.
En premier lieu, ils sollicitent la somme totale de 282.196,40 €, à titre de dommages-intérêts, au titre de l'impôt supplémentaire mis à leur charge à la suite des redressements et selon un décompte établi dans leurs écritures, pour les années 1992 et 1993.
En second lieu, ils font valoir que si la comptabilité avait été régulière ils auraient pu imputer un déficit global justifié de 5.860.963 francs (893.507,58 €) sur leurs revenus globaux des années suivantes, et en réparation des réductions d'impôts ainsi perdues, ils sollicitent une somme totale de 47.915,33 €, soit 34.496,92 € au titre des impôts acquittés en 1994, et 13.418,41 € au titre des impôts acquittés en 1995.
Il convient de préciser à cet égard que c'est par une lettre du 21 novembre 1995 que Madame [R], gérante de l'eurl [R], a mis fin à la mission d'expert-comptable de M.[I] et par un courrier en réponse du 03 février 1996, ce dernier, prenant acte de la fin de sa mission, a répondu qu'elle avait pris fin sur les comptes de l'exercice clos le 31 décembre 1994 et a indiqué qu'il avait renvoyé les documents en sa possession concernant l'eurl [R].
La note du cabinet d'expertise comptable A.A.L du 12 mai 1998 , versée aux débats par les époux [R] et l'eurl [R], sur lequels ils fondent leurs demandes chiffrées , ne revêt pas de caractère contradictoire et est contestée par
M. [I] et par la MMA.
Par ailleurs, s'agissant de la somme de 1.058.201 francs , financée au titre de la TVA par la société Empreinte au profit de l'eurl [R], l'expert [Y] a mis en évidence les éléments suivants, sur lesquels les parties ne s'expliquent pas :
- le chèque de 1.058.201 francs, adressé le 30 octobre 1992 à l'UCB par Maître [X], notaire, a été libellé à l'ordre de la société d'assurances CARDIF,
- selon M.[Y], "ce chèque était à l'ordre de Cardif parce que, sur les conseils de Monsieur [J] et de l'UCB, avait été placé auprès de cette société un contrat d'assurance vie de même montant au profit de Madame [R], ce qui permettait à l'intéressée de bénéficier, sur ses revenus imposables, d 'une déduction comme le montre l'annexe3.30 bis...Il est bien certain que ce placement, faisait de longue date, partie intégrante de la stratégie d'investissement dans l'hôtel Alto proposée àl'EURL Jeunmaître, par son expert comptable, Monsieur [I]",
- qu'en juin 1995, le produit de ce placement (1.089.277,92 francs) a été utilisé au remboursement partiel de l'emprunt contracté par l'Eurl auprès de l'UCB.
La cour ne disposant pas des éléments suffisants pour évaluer les préjudices invoqués par les époux [R] et l'eurl [R] et déterminer s'ils sont en lien direct et certain avec les fautes ci-dessus retenues à l'égard de M.[I], il y a lieu d'ordonner une expertise, selon les modalités prévues au présent dispositif.
Sur la garantie de MMA Iard
Pour contester devoir sa garantie, MMA IARD soutient que M.[I] est intervenu en qualité d'apporteur d'affaires et elle se fonde sur :
- l'article 22 de l'ordonnance statutaire 45-2138 du 19 septembre 1945 organisant la profession des experts comptables, qui stipule que les fonctions de membre de l'ordre des experts comptables sont incompatibles avec tout acte de commerce ou d'intermédiaire autre que ceux que comporte l'exercice de la profession et qu'il est notamment interdit aux membres de l'ordre et aux sociétés reconnues par lui d'agir en tant qu'agent d'affaires,
- l'article 2 du contrat d'assurance de responsabilité civile professionnelle souscrit par M.[I] auprès des Mutuelles du Mans Assurances qui stipule que l'assuré est garanti contre les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qu'il peut encourir vis à vis des tiers, en raison des négligences et fautes commises par lui, ses collaborateurs, ou ses préposés, dans l'exercice de ses travaux et activités, tels qu'ils sont définis par les articles 2 et 22 de l'ordonnance du 19 septembre 1945,
- l'article 3 du dit contrat d'assurances qui exclut de la garantie les conséquences pécuniaires de la responsabilité civile qui peut incomber à l'assuré en raison de dommages résultant d'engagements particuliers dans la mesure où leurs conséquences excèdent celles auxquelles l'assuré est tenu en vertu des textes légaux sur la responsabilité, ou d'opérations qui lui sont interdites par les textes légaux et réglementaires.
Mais cette argumentation ne peut pas être accueillie, les fautes commises par M.[I], qui ne s'est pas conformé aux règles comptables et fiscales en vigueur, l'ayant été dans l'exercice de sa mission d'expert-comptable.
MMA IARD soutient également que Monsieur [I] a volontairement passé les écritures de l'eurl [R], objet du redressement fiscal, afin de dissimuler son intervention en qualité d'agent d'affaires et la perception d'une commission de 420.000 francs à l'insu de ses clients et que la faute volontairement commise exclut la garantie de MMA IARD en application de l'article 35 du contrat d'assurances qui stipule que les dommages causés intentionnellement par l'assuré sont exclus de la garantie.
Mais aucun élément versé aux débats ne permet d'établir qu'en l'espèce l'assuré a eu la volonté de créer le dommage tel qu'il est survenu.
En conséquence, le jugement entrepris doit être confirmé en ce qu'il a retenu que MMA IARD doit sa garantie à M.[I].
PAR CES MOTIFS
LA COUR, statuant publiquement et contradictoirement,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que Monsieur [I] a commis des fautes dans sa mission d'expert comptable et que MMA IARD doit sa garantie à M.[I],
SURSOIT À STATUER sur le surplus des demandes des parties,
AVANT DIRE DROIT,
ORDONNE une expertise,
COMMET pour y procéder :
Monsieur [T] [V]
expert judiciaire
[Adresse 4]
avec pour mission de :
- entendre contradictoirement les parties et tous sachants, et se faire contradictoirement communiquer par elles toutes pièces utiles,
- donner tous éléments permettant à la cour de déterminer l'incidence fiscale des fautes retenues à l'égard de M.[I] dans sa mission d'expertise comptable et d'évaluer les préjudices subis par les époux [R] et l'EURL [R], en lien direct et certain avec ces fautes,
DIT que le contrôle de l'expertise sera exercé par Mme WALLON, Président de la 1ère chambre - 1ère section,
DIT que l'expert fera connaître sans délai son acceptation et dit qu'à défaut ou en cas de carence dans l'accomplissement de sa mission, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance du magistrat chargé du contrôle de l'expertise,
DIT que Monsieur et Madame [R] devront consigner au greffe dans un délai d'un mois à compter de la présente décision la somme de 6.000 € à titre de provision à valoir sur la rémunération de l'expert,
DIT qu'à défaut de consignation selon les modalités imparties, la désignation de l'expert deviendra caduque à moins que le magistrat chargé du contrôle de l'expertise, à la demande d'une partie se prévalant d'un motif légitime, ne décide une prorogation de délai ou un relevé de caducité,
DIT que s'il estime insuffisante la provision ainsi fixée, l'expert devra, lors de la première ou au plus tard de la deuxième réunion des parties, dresser un programme de ses investigations et évaluer de manière aussi précise que possible le montant prévisible de ses honoraires et débours,
DIT qu'à l'issue de cette réunion, l'expert fera connaître au magistrat chargé du contrôle de l'expertise la somme globale qui lui paraît nécessaire pour garantir en totalité le recouvrement de ses honoraires et de ses débours et sollicitera, le cas échéant, le versement d'une consignation complémentaire,
DIT que l'expert devra déposer son rapport au greffe dans le délai de six mois à compter de la notification qui lui sera faite par celui-ci de la consignation,
RAPPELLE que l'expert devra accomplir sa mission en présence des parties ou celles-ci dûment convoquées, les entendre en leurs observations et répondre à leurs dires,
RÉSERVE les dépens,
RENVOIE l'affaire à la conférence de mise en état du 07 octobre 2010 pour faire le point sur la consignation et l'évolution des opérations d'expertise.
- prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,