COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 00A
14ème chambre
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 16 DECEMBRE 2009
R. G. No 08 / 09867
AFFAIRE :
S. A. S. NOBEL PLASTIQUES
...
C /
Philippe X...
Décision déférée à la cour : Ordonnance rendu le 11 Décembre 2008 par le Tribunal de Grande Instance de VERSAILLES
No chambre :
No Section :
No RG : 08 / 1592
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD
SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE SEIZE DECEMBRE DEUX MILLE NEUF,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S. A. S. NOBEL PLASTIQUES
2 rue Charles Edouard Jeanneret
78300 POISSY
représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD-No du dossier 0846048
assistée de Me Foulques DE ROSTOLAN du cabinet GIDE-LOYETTE-NOUEL- (avocat au barreau de Paris)
S. A. S. Y... FRANCE
2 rue Charles Edouard Jeanneret
78300 POISSY
représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD-No du dossier 0846048
assistée de Me Foulques DE ROSTOLAN du cabinet GIDE-LOYETTE-NOUEL- (avocat au barreau de Paris)
APPELANTES
****************
Monsieur Philippe X...
né le 28 Mars 1953 à HAUTMONT (59330)
...
78110 LE VESINET
représenté par la SCP JULLIEN, LECHARNY, ROL ET FERTIER-No du dossier 20090065
assisté de Me Emmanuelle HELLOT-CINTRACT (avocat au barreau de PARIS)
INTIME
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 18 Novembre 2009, Monsieur Jean-François FEDOU, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-François FEDOU, Président,
Madame Ingrid ANDRICH, Conseiller,
Monsieur Philippe BOIFFIN, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Pierre LOMELLINIFAITS ET PROCEDURE,
Le 15 avril 2004, l'ancienne société NOBEL PLASTIQUES, devenue depuis THERMAL PRODUCTS FRANCE, a créé la SAS NOBEL PLASTIQUES TECHNOLOGY et lui a fait apport d'une branche complète d'activité ; cette dernière société a été dénommée NOBEL PLASTIQUES à compter du 29 juin 2004.
La société NOBEL PLASTIQUES TECHNOLOGY a fait partie du groupe américain DANA jusqu'au 30 juin 2007, date à laquelle la totalité de son capital a été cédée à la société Y... FRANCE SAS.
Monsieur Philippe X... a été président de la société NOBEL PLASTIQUES depuis sa création le 15 avril 2004 jusqu'au 12 juin 2008.
Par contrat de travail du 29 juin 2007, Monsieur Philippe X... s'est vu confier le poste de directeur général de la branche " production de fluides et tubes automobiles " ; le contrat de cession de cette branche signé le 30 juin 2007 entre les sociétés DANA et Y... HOLDING comportait un addendum spécifique indiquant que, pour cinq cadres dirigeants dont Monsieur X..., les contrats de travail seraient transférés du groupe DANA à Y... HOLDING.
Le 30 juin 2007, le groupe Y... HOLDING a désigné cette nouvelle branche de son groupe " Nobel Automotive " et en a confié la direction à Monsieur X... ; le 24 juillet 2007, un avenant au contrat de travail de Monsieur X... a été signé, reprenant les conditions de rémunération qui lui avaient été promises dans un mail du 26 décembre 2006.
Le 12 juin 2008, Monsieur Murat Y... a informé l'ensemble des cadres supérieurs et dirigeants de la branche que Monsieur X... n'était plus président de la société NOBEL PLASTIQUES, qu'il ne dirigeait plus les activités de la branche Nobel Automotive, et que d'autres fonctions allaient lui être confiées au sein du groupe, à l'exclusion de l'exercice de tout mandat social au sein des filiales.
Le 19 juin 2008, Monsieur Philippe X... a saisi le conseil de prud'hommes de Poissy de diverses demandes à l'encontre de la société NOBEL PLASTIQUES et de sa société mère, la société Y... FRANCE, sollicitant notamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail ; l'audience de tentative de conciliation s'est déroulée le 16 septembre 2008.
C'est dans ces circonstances que, le 10 octobre 2008, Monsieur Philippe X... a présenté une requête au président du tribunal de grande instance de Versailles, lequel, par ordonnance du 10 octobre 2008, a commis Maître E..., huissier de justice, aux fins de :
- se rendre dans les locaux des sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE ;
- s'enquérir des fonctions dévolues à Monsieur Philippe X... ;
- notamment procéder à toute sommation interpellative du personnel en place concernant les fonctions actuelles de Monsieur Philippe X... qui ont pu être données par les sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE ;
- se faire remettre une copie du registre du personnel des entrées et sorties du personnel ;
- saisir ces documents en les reproduisant à l'aide du photocopieur des sociétés.
Par acte du 17 novembre 2008, les sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE ont sollicité la rétractation de cette ordonnance et la restitution de tous les documents obtenus au moyen de cette décision.
Par ordonnance de référé du 11 décembre 2008, le président du tribunal de grande instance de Versailles a :
- rétracté l'ordonnance sur requête du 10 octobre 2008, uniquement en ce qu'elle a donné mission à l'huissier de se faire remettre une copie du registre du personnel des entrées et sorties du personnel, et de saisir ces documents en les reproduisant à l'aide du photocopieur des sociétés ;
- ordonné à Monsieur X... de restituer ces documents sans en garder copie, dans un délai de quinze jours à compter de cette ordonnance ;
- rejeté pour le surplus la demande de rétractation ;
- débouté les parties de leurs demandes fondées sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
- fait masse des dépens qui seront partagés par moitié entre les parties.
Les sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE ont interjeté appel de cette décision.
Aux termes de leurs écritures récapitulatives du 27 mars 2009, elles invoquent l'existence d'une instance au fond, l'audience de conciliation devant le conseil de prud'hommes s'étant déroulée le 16 septembre 2008, soit antérieurement au dépôt par Monsieur Philippe X... de sa requête sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile.
Elles relèvent qu'en toute hypothèse, les éléments réunis en exécution de l'ordonnance sur requête ont été utilisés dans le cadre de l'action prud'homale engagée en juin 2008.
Elles considèrent que Monsieur X... ne peut se prévaloir d'un motif légitime à solliciter les mesures d'instruction obtenues par ordonnance du 10 octobre 2008, puisqu'il a volontairement dissimulé son action devant le conseil de prud'hommes de Poissy et qu'il n'avait plus aucune fonction au sein de la société NOBEL PLASTIQUES depuis le 12 juin 2008.
Elles ajoutent que les mesures ordonnées sont illégales, dans la mesure où la mission de l'huissier, loin de se limiter à la communication de documents précis et identifiés, imposait à celui-ci de procéder à des investigations générales et à des saisies de divers documents.
Aussi, elles demandent à la cour d'infirmer l'ordonnance de référé rendue le 11 décembre 2008 en ce qu'elle a procédé à une rétractation seulement partielle de l'ordonnance sur requête du 10 octobre 2008, et, statuant à nouveau, de :
- rétracter en toutes ses dispositions cette ordonnance, et, par conséquent, d'annuler le constat d'huissier établi par Maître Pascale E... en date du 23 octobre 2008 en exécution de ladite ordonnance,
- ordonner à Monsieur Philippe X... la restitution pure et simple aux sociétés appelantes de tous documents, sous quelque forme que ce soit, obtenus en exécution de la susdite ordonnance et du procès-verbal établi par l'huissier de justice et toutes pièces y étant jointes, sans en garder aucune copie sous quelque support que ce soit, et ce sous astreinte de 1 500 € par jour de retard à l'expiration d'un délai de huit jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir, la Cour se réservant le droit de liquider cette astreinte,
- condamner Monsieur Philippe X... au paiement des sommes de 2 500 € à NOBEL PLASTIQUES et de 2 500 € à Y... FRANCE au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens.
Suivant conclusions du 18 mai 2009, Monsieur Philippe X... conclut à la confirmation de l'ordonnance entreprise et à la condamnation solidaire des sociétés appelantes au paiement de la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Il explique que la preuve qu'il voulait conserver portait sur des faits postérieurs à la saisine du conseil de prud'hommes, et que les mesures étaient destinées à établir qu'il était la victime d'un harcèlement moral de la part de Monsieur Murat Y..., président des sociétés Y... FRANCE et NOBEL PLASTIQUES.
Il fait valoir qu'il disposait d'un intérêt légitime de conserver la preuve de l'absence de ses fonctions au sein de l'entreprise, ce qui ne pouvait résulter que des constatations d'un huissier.
Il précise que le principe de l'unicité de l'instance prud'homale ne faisait pas échec aux dispositions de l'article 145 du code de procédure civile, dès lors que le chef de litige était bien postérieur à l'ordonnance rendue.
Il souligne qu'il peut se prévaloir d'un motif légitime, n'ayant nullement caché au juge qu'une instance au fond était en cours et bénéficiant légalement et contractuellement, et par suite de l'engagement unilatéral de l'employeur, d'un contrat de travail avec une ancienneté remontant au 2 janvier 1997.
Il ajoute que les mesures ordonnées sont parfaitement légales, la mission confiée à l'huissier de justice étant strictement limitée à la connaissance des fonctions dévolues à l'intimé et ne procédant pas d'une mission générale ou imprécise.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Considérant que Monsieur X... a saisi le 19 juin 2008 le conseil de prud'hommes de Poissy de divers demandes à l'encontre des sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE ;
Qu'une audience de conciliation s'est déroulée entre ces parties, le 16 septembre 2008 et que la requête à laquelle a fait droit l'ordonnance entreprise dans le cadre du référé rétractation, a été déposée le 10 octobre 2008 ;
Considérant que d'une part que les dispositions de l'article 145 du code de procédure civile ne peuvent être utilement invoquées lorsque le procès est déjà engagé, et que d'autre part, la règle de l'unicité de l'instance prud'homale permet d'introduire une nouvelle demande devant le conseil de prud'hommes qui connaît d'une instance relative au même contrat de travail entre les mêmes parties tant qu'il reste saisi de celle-ci, et de présenter, même en cause d'appel, des demandes nouvelles ;
Que l'exclusion de son application dans le cas où le fondement d'une prétention nouvelle est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes, visée à l'article R1452-6 du code du travail, n'autorise pas pour autant d'ordonner une mesure d'instruction sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ;
Que néanmoins, le juge ayant pour office de restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, le fait que l'article invoqué soit inapplicable au cas d'espèce ne permet pas, à lui seul, de rétracter l'ordonnance rendue, si celle-ci peut procéder des dispositions d'un autre texte ;
Considérant que l'article 812 du code de procédure civile confère, lorsque la requête est relative à une instance en cours devant le tribunal de grande instance, au président de la chambre à laquelle l'affaire a été distribuée ou au juge déjà saisi, le pouvoir d'ordonner " toutes mesures urgentes lorsque les circonstances exigent qu'elles ne soient pas prises contradictoirement " ;
Qu'en l'absence de dispositions conférant au président du conseil de prud'hommes de tels pouvoirs, le président du tribunal de grande instance peut être saisi, ainsi que qu'il a été statué par la chambre sociale de la Cour de cassation par deux arrêts l'un du 11 mars 1992 pourvoi No 90-21. 086, l'autre no 01657 du 12 avril 1995 (Bulletin Civil 1995 V No 134 p. 97) pour ordonner, lorsqu'elles sont afférentes à une instance prud'homale en cours, des mesures urgentes visées à l'alinéa 2 de l'article 812 du code de procédure civile ou la production forcée de pièces détenues par une partie, dès lors que le conseiller rapporteur prud'homal n'a pas pouvoir de se faire remettre des pièces contre le gré de leur détenteur ;
Que le recours au président du tribunal de grande instance alors que le conseil de prud'hommes est saisi de l'instance pour laquelle des mesures sont sollicitées, a un caractère subsidiaire qui impose que les mesures sollicitées n'entrent pas dans les pouvoirs des juges prud'homaux ;
Considérant que la cour d'appel, juge de la rétractation d'une ordonnance sur requête, et investie des attributions du juge qui l'a rendue, doit statuer sur le mérite de la requête et examiner, si la saisine du président du tribunal de grande instance est justifiée, ce qui suppose que la mesure sollicitée ne puisse être obtenue dans le cadre de l'instance prud'homale et que les conditions visées à l'article 812 alinéa 2 du code de procédure civile soient réunies, à la date à laquelle il a été fait droit à la requête ;
Que, s'il peut être admis que l'ordonnance, en visant la requête, en adopte les motifs, il convient de constater que la requête déposée le 10 octobre 2008 ne donne aucune indication sur l'instance prud'homale en cours alors même, qu'en application de l'article R. 516-21 devenu R. 1454-1 du code du travail, le conseil de prud'hommes, qui peut charger un ou deux conseillers rapporteurs de réunir les éléments d'information nécessaires pour statuer, a le pouvoir d'ordonner une enquête et qu'au regard des mesures sollicitées en l'espèce, il n'est pas justifié d'un obstacle à ce qu'une demande d'enquête puisse être formée devant la juridiction prud'homale pour déterminer les fonctions qui étaient dévolues au salarié, en procédant notamment à des auditions du personnel en place ;
Considérant encore qu'à la différence de celle ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure afférente à une instance en cours peut être ordonnée sur le fondement de l'article 812 alinéa 2 du code de procédure civile, si, au constat de l'existence de circonstances autorisant une dérogation au principe de la contradiction exigée par la loyauté des débats, s'ajoute la justification de l'urgence de la mesure sollicitée ;
Que la requête n'exposant pas d'éléments de nature à justifier l'urgence ni la dérogation au principe de contradiction, il y a lieu, en infirmant la décision entreprise, de rétracter l'ordonnance sur requête du 10 octobre 2008 ;
Considérant que la rétractation atteint la validité des actes accomplis en exécution de la décision rétractée et n'autorise pas la conservation des documents dont il y a lieu d'ordonner restitution sans que le prononcé d'une astreinte apparaisse nécessaire, en l'espèce ;
Considérant que si les dépens doivent être mis à la charge de Monsieur X... qui succombe en ses prétentions, l'équité et la position économique respective des parties font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux demandes des sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
PAR CES MOTIFS,
La cour,
Statuant contradictoirement et en dernier ressort ;
Infirme en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue entre les parties le 11 décembre 2008, par le président du tribunal de grande instance de Versailles ;
Statuant à nouveau,
Rétracte l'ordonnance rendue à la requête de Monsieur X... le 10 octobre 2008 par le président du tribunal de grande instance de Versailles ;
Y ajoutant,
Ordonne à Monsieur Philippe X... de restituer aux sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE tout document, sous quelque forme que ce soit, obtenu en exécution de l'ordonnance du 10 octobre 2008 et du procès-verbal établi par l'huissier de justice et toutes pièces y étant jointes, sans en garder aucune copie ;
Rejette la demande formée par les sociétés NOBEL PLASTIQUES et Y... FRANCE sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;
Condamne Monsieur Philippe X... aux entiers dépens de première instance et d'appel, autorisation étant donnée aux avoués en la cause, de les recouvrer conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile
Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Monsieur Jean-François FEDOU, Président et par Madame LOMELLINI, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,