COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 29C
1ère chambre 1ère section
ARRET No
CONTRADICTOIRE
DU 19 JUIN 2008
R.G. No 06/09238
AFFAIRE :
Marie-Christine X...
C/
Hadi Y...
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 10 Novembre 2006 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No Chambre : 5 ème
No Section :
No RG : 04/13901
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me RICARD
SCP GAS
SCP LEFEVRE
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE DIX NEUF JUIN DEUX MILLE HUIT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
Madame Marie-Christine X...
née le 02 Avril 1964 à SAIGON
... - 92160 ANTONY
actuellement ... - D1- 92290 CHATENAY MALABRY
représentée par Me Claire RICARD - No du dossier 260776
Rep/assistant : Me Karine Z... (avocat au barreau de PARIS)
APPELANTE
****************
Monsieur Hadi Y...
... SUR SEINE
représenté par la SCP GAS - No du dossier 20080041
Rep/assistant : Me Philippe A... (avocat au barreau de VERSAILLES)
Madame Nathalie Caroline C... épouse Y...
... SUR SEINE
représentée par la SCP GAS - No du dossier 20080041
Rep/assistant : Me Philippe A... (avocat au barreau de VERSAILLES)
FONDATION "LES ORPHELINS APPRENTIS D'AUTEUIL"
40 rue de la Fontaine - 75016 PARIS
représentée par la SCP LEFEVRE TARDY & HONGRE BOYELDIEU - No du dossier 270068
Rep/assistant : Me D... substituant Me MULOT E... (avocat au barreau de PARIS)
INTIMES
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'article 786 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 19 Mai 2008 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Lysiane LIAUZUN, conseiller, chargé du rapport et en présence de Madame Geneviève LAMBLING, conseiller,
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Madame Bernadette WALLON, président,
Madame Lysiane LIAUZUN, conseiller,
Madame Geneviève LAMBLING, conseiller,
Greffier, lors des débats : Madame Sylvie RENOULTLucienne F... est décédée le 14 mars 2001 sans héritiers réservataires.
Par testament olographe du 25 août 1993 déposé au rang de minutes de Me G..., notaire à BOURG LA REINE, Mademoiselle F... avait institué comme légataire universelle la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" dont le conseil d'administration a accepté le 22 avril 2003 le legs, l'actif successoral étant essentiellement constitué d'un pavillon sis ... à ANTONY.
Le 7 juillet 2004, la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" a signé une promesse de vente au profit de époux Y....
Par acte du 27 juillet 2004, Marie-Christine X..., se prévalant d'un testament olographe de Mademoiselle F... en date du 7 mai 1999 lui léguant le pavillon, a fait assigner devant le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil", sollicitant la délivrance du legs.
Par acte du 15 décembre 2004, la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" a fait assigner en intervention forcée les époux Y....
Par jugement du 10 novembre 2006, le Tribunal, retenant que Mademoiselle X... n'est pas en mesure de produire l'original du testament ni d'établir les circonstances de sa perte et que la lettre du 30 juillet 1999 ne vaut pas testament, a :
- débouté Madame X... de sa demande de délivrance de legs sur la base du testament olographe du 7 mai 1999
- dit que la lettre du 30 juillet 1999 ne vaut pas testament et débouté Madame X... de sa demande de délivrance de legs de ce chef
- condamné Madame X... à payer aux époux Y... la somme de 10.000€ à titre de dommages et intérêts
- condamné Madame X... à payer à la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" et aux époux Y... la somme de 3.000€ chacun sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- rejeté les autres chefs de demande
- condamné Madame X... aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Appelante, Madame X..., aux termes de ses dernières écritures signifiées les 14 novembre 2007 et 22 janvier 2008 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de ses moyens, conclut au visa des articles 491-2, 901, 970 et 1348 du code civil, 565 et 700 du code de procédure civile, à l'infirmation du jugement entrepris et demande à la Cour de :
- ordonner la délivrance du legs du bien immobilier qui lui a été consenti par Mademoiselle F... aux termes des actes des 7 mai 1999 et 30 juillet 1999 et ce avec les fruits et intérêts à compter du jour de la demande dans le délai d'un mois à compter de la signification de l'arrêt à intervenir
- dire que faute pour l'intimé de consentir volontairement à la délivrance du legs dans le délai imparti, l'arrêt à intervenir tiendra lieu d'acte de délivrance
- condamner la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" et les époux Y... à lui payer la somme de 5.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- les condamner aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières écritures signifiées le 7 mars 2008 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de ses moyens, la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil", visant les articles 1348 et 1112 du code civil, conclut à l'irrecevabilité de l'appel, la confirmation du jugement entrepris et demande à la Cour de condamner Madame X... à lui payer la somme de 4.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile, de débouter les époux Y... de leur demande dirigée contre elle et de condamner Madame X... aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Aux termes de leurs dernières écritures signifiées le 21 février 2008 auxquelles il convient de se reporter pour l'exposé de leurs moyens, les époux Y..., visant les articles 970, 1334 et suivants, 1348 et suivants et 1002 et suivants du code civil, concluent à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté Madame X... de sa demande en délivrance de legs sur le fondement des actes des 7 mai et 30 juillet 1999 et demandent à la Cour, en y ajoutant, de:
- vu les articles 1135, 1146 et 1147 du code civil, condamner la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" à leur payer la somme de 15.000€ en réparation de leur préjudice
- vu l'article 1382 du code civil, condamner Madame X... à leur payer la somme de 30.000€ à titre de dommages et intérêts
- condamner Madame X... à leur payer la somme de 3.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- la condamner aux entiers dépens qui pourront être recouvrés, pour ceux d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
SUR CE,
SUR LA VALIDITÉ DU TESTAMENT DU 7 MAI 1999
Madame X... verse aux débats une photocopie certifiée conforme du testament du 7 mai 1999 en faisant valoir qu'elle a remis l'original de ce document à son ancien conseil Me Olivier H..., lequel l'a égaré, ce que confirme ce dernier par une attestation délivrée le 13 octobre 2007 aux termes de laquelle il certifie que l'original du testament lui a été remis en mars 2001 ainsi qu'une copie certifiée par la mairie et qu'ayant quitté le barreau de PARIS en juillet 2001 pour exercer au barreau de COMPIÈGNE, il n'a pas emporté ce dossier qui appartenait au cabinet Franc-Valluet, étant en outre observé que les réclamations de Me G..., notaire, à Me H... en vue de la remise de l'original du testament, notamment par lettres des 8 janvier 2002 et 22 novembre 2002, étaient restées vaines.
Il est donc suffisamment établi que Madame X... est dans l'impossibilité de produire l'original du testament qui a été égaré par son ancien conseil, ce qui constitue un cas fortuit.
Par application de l'article 1348 alinéa 2 du code civil, il peut être dérogé aux règles régissant l'administration de la preuve, la photocopie du testament certifiée conforme par la mairie de BOURG LA REINE (92) constituant une reproduction fidèle et durable du testament rédigé le 7 mai 1999 par Mademoiselle F....
Il n'est pas contesté que le testament du 7 mai 1999, tel que reproduit en photocopie, est entièrement rédigé, daté et signé de la main de Mademoiselle F... et qu'il remplit donc les conditions de validité de l'article 970 du code civil.
Aux termes de ce testament, qui annule le testament antérieur du 25 août 1993 instituant la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" légataire universelle, Mademoiselle F... lègue le pavillon à sa voisine Marie Christine X... et l'argent dont elle disposera à son décès aux apprentis d'Auteuil.
L'hypothèse émise sans aucun début de preuve par la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" selon laquelle la testatrice a pu reprendre l'original du testament après que Madame ADAM en ait fait faire une photocopie certifiée sincère et véritable pour le détruire est contredite par l'attestation de Me Olivier H... qui certifie avoir eu en sa possession l'original du testament en mars 2001, manifestement après le décès de Mademoiselle F... survenu le 14 mars.
En outre, Mademoiselle F... a réitéré sa volonté de léguer sa maison à Mademoiselle X... à plusieurs reprises, notamment dans une lettre adressée le 30 juillet 1999 au greffier du Tribunal d'Instance d'ANTONY dans le cadre de la procédure ayant abouti au jugement du 14 décembre 1999 qui l'a placée sous le régime de la curatelle, ainsi que lors de son audition par le juge des tutelles le 6 août 1999.
Le fait que Mademoiselle F... ait pu se rendre chez un notaire en vue de vendre son pavillon en viager à Mademoiselle X... n'exclut pas sa volonté de lui léguer ce bien dans la mesure où la vente n'a pas eu lieu, et conforte le fait que Mademoiselle F... a bien eu l'intention de transmettre ce bien à Mademoiselle X....
La lettre adressée au juge des tutelles par Madame I... le 17 décembre 1999, aux termes de laquelle celle-ci s'inquiète de l'état mental de Mademoiselle F... et des pressions qu'elle peut subir en raison de son naturel doux et confiant et signale avoir trouvé chez elle un modèle de lettre préparé par Madame ADAM pour qu'elle rappelle sa volonté de lui céder son pavillon, et la lettre par laquelle Madame J... informe le 2 juillet 1999 le juge des tutelles de ce que Mademoiselle F... subit le harcèlement d'une de ses voisines depuis plusieurs années pour la vente de son pavillon en viager sont insuffisantes, en l'absence de menaces morales ou physiques caractérisées, à établir l'existence de violences au sens de l'article 1112 du code civil.
Selon le Dr Alain K... qui a examiné Mademoiselle F... le 28 juin 1999, soit plus d'un mois après la rédaction du testament du 7 mai 1999, celle-ci présente une altération modérée des fonctions cognitives qui a justifié, après audition par le juge de tutelles, l'ouverture d'une simple mesure de curatelle qui ne prive pas celui qui en est frappé de la faculté de tester, étant observé que la preuve d'une insanité d'esprit au sens de l'article 901 du code civil n'est pas rapportée.
Il convient en conséquence d'infirmer le jugement entrepris et d'ordonner la délivrance du legs et des fruits à compter du 27 juillet 2004, date de la demande, dans un délai de un mois à compter de la signification du présent arrêt, lequel, à défaut de délivrance volontaire, tiendra lieu d'acte de délivrance quand il sera devenu définitif.
SUR LA DEMANDE DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS DES EPOUX Y...
Madame ADAM s'est manifestée auprès du notaire dès le 18 mai 2001 en se prévalant de la copie du testament du 7 mai 1999.
En ne répondant pas aux demandes réitérées du notaire chargé de la succession en vue qu'elle produise l'original du testament, Madame X... n'a pas commis de faute dans la mesure où il est établi qu'elle n'était pas en mesure de fournir le document réclamé, son conseil l'ayant égaré.
Ne constitue pas une faute le fait d'avoir engagé son action seulement en juillet 2004, après la signature du compromis de vente par la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" au profit de époux Y... dès lors que l'exercice d'une action en justice est un droit qui peut être exercé tant que l'action n'est pas prescrite et qu'il ressort des correspondances de son conseil qu'elle n'a jamais renoncé à solliciter la délivrance du legs, étant seulement dans l'impossibilité de produire l'original du testament.
La décision entreprise sera donc infirmée, les époux Y... étant déboutés de leur demande de dommages et intérêts fondée sur la responsabilité délictuelle de Madame X....
Madame X... a réclamé à la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" dès le 18 mai 2001 la délivrance de son legs particulier, réclamation réitérée par lettre de Me L... du 13 août 2002 au notaire et c'est donc avec une légèreté blâmable que la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" a signé le 7 juillet 2004, une promesse de vente au profit de époux Y... sans s'être préalablement assurée auprès de Madame ADAM que celle-ci renonçait à revendiquer la délivrance du legs ou, à défaut, sans avoir fait trancher le litige par la juridiction compétente et, en outre sans avoir avisé le bénéficiaire de la promesse de vente de la difficulté.
Certes, les époux Y... ont séquestré le 7 juillet 2004 la somme de 29.700€, mais il sera observé que la promesse de vente a été faite sous la condition suspensive que le promettant justifie d'un droit de propriété régulier et trentenaire, que tel n'étant pas le cas, les époux Y... sont en droit de se prévaloir de la caducité de l'acte et qu'il n'est pas prévu contractuellement une clause pénale au profit des bénéficiaires dans le cas de non réalisation du fait du promettant.
L'impossibilité pour le promettant de justifier de son droit de propriété entrant dans les prévisions de la promesse de vente, les époux Y... seront déboutés de leur demande de dommages et intérêts en ce qu'elle est fondée sur la responsabilité contractuelle de la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil".
SUR LES AUTRES DEMANDES
Les frais de la présente instance aux fins de délivrance d'un legs seront à la charge de la succession conformément aux dispositions de l'article 1016 du code civil, les droits d'enregistrement étant dus par le légataire.
La fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" qui succombe en ses moyens sera condamnée à indemniser Madame X... et les époux Y... des frais non répétibles qu'elle les a contraints à exposer tant en première instance qu'en appel à concurrence de sommes que l'équité commande de fixer à 1.000€ pour Madame X... et 2.000€ pour les époux Y....
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort,
DECLARE l'appel recevable,
INFIRME le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
Et statuant à nouveau,
ORDONNE la délivrance du legs du bien immobilier sis ... à ANTONY (92) qui a été consenti par Mademoiselle F... au profit de Madame X... aux termes de son testament olographe du 7 mai 1999, et ce avec les fruits à compter du 27 juillet 2004 dans un délai d'un mois à compter de la signification du présent arrêt,
DIT que faute de délivrance volontaire du legs, le présent arrêt tiendra lieu d'acte de délivrance quand il sera devenu définitif,
DEBOUTE les époux Y... de leurs demande de dommages et intérêts,
DIT que les dépens de première instance et d'appel seront supportés par la succession, ceux d'appel pouvant être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
CONDAMNE la fondation "Les Orphelins Apprentis d'Auteuil" à payer, au titre des frais non répétibles, à Madame ADAM la somme de 1.000€ et aux époux Y... la somme de 2.000€.
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
- signé par Madame Bernadette WALLON, président et par Madame RENOULT, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER,Le PRESIDENT,