COUR D' APPEL DE VERSAILLES
12ème chambre section 2
A. M. / P. G.
ARRET No Code nac : 39H
contradictoire
DU 11 MARS 2008
R. G. No 07 / 01791
AFFAIRE :
S. A. CARREFOUR
...
C /
S. A. ITM ENTREPRISES
Décision déférée à la cour : Ordonnance de référé rendue le 14 Janvier 2005 par le Tribunal de Commerce de PARIS
No Chambre :
No Section :
No RG : 2004089264
Expéditions exécutoires
Expéditions
délivrées le :
à :
Me Jean- Michel TREYNET
SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD E. D.
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE ONZE MARS DEUX MILLE HUIT,
La cour d' appel de VERSAILLES, a rendu l' arrêt suivant dans l' affaire entre :
DEMANDERESSES devant la cour d' appel de Versailles saisie comme cour de renvoi, en exécution d' un arrêt de la Cour de cassation (2ème chambre civile) du 08 février 2007 cassant et annulant l' arrêt rendu par la cour d' appel de PARIS, 14ème chambre, section B, le 04 novembre 2005, RG no 05 / 01632.
S. A. CARREFOUR ayant son siège..., agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
S. A. S CARREFOUR MANAGEMENT ayant son siège..., agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentées par Me Jean- Michel TREYNET, avoué- No du dossier 18198
Rep / assistant : Me Jacques GUILLEMIN, avocat au barreau de PARIS (R. 022).
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DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
S. A. ITM ENTREPRISES Immatriculée au registre du commerce et des sociétés..., ayant son siège...
75015 PARIS, agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège.
représentée par la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON GIBOD, avoués- No du dossier 0743902
Rep / assistant : la SCP GIDE, LOYRETTE, NOUEL, avocats au barreau de PARIS.
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Composition de la cour :
L' affaire a été débattue à l' audience publique du 29 Janvier 2008, Monsieur Albert MARON, président, ayant été entendu en son rapport, devant la cour composée de :
Monsieur Albert MARON, Président,
Monsieur Jacques BOILEVIN, Conseiller,
Monsieur Denis COUPIN, conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Marie- Thérèse GENISSEL
Vu la communication de l' affaire au ministère public en date du 23 août 2007 ;
FAITS ET PROCEDURE :
La Cour est saisie, sur renvoi après cassation d' un arrêt rendu le 4 novembre 2005 par la cour d' appel de Paris, de l' appel interjeté par les sociétés SAS CARREFOUR MANAGEMENT et SA CARREFOUR (les sociétés du groupe CARREFOUR) contre une ordonnance de référé rendue le 14 janvier 2005 par le président du tribunal de commerce de Paris.
La SA ITM Entreprises, qui anime le réseau Intermarché a obtenu une ordonnance sur requête en faisant valoir qu' elle avait constaté que de nombreux magasins passaient sous d' autres enseignes, sans qu' elle ait été en mesure de faire valoir ses droits de préemption et de préférence. Pour comprendre et établir les éventuelles man œ uvres ayant pu permettre ces opérations, elle a par requête en date du 15 octobre 2004, demandé au président du tribunal de commerce de Paris, de désigner un huissier pour se faire remettre copie de " tous documents relatifs à la stratégie du groupe Carrefour SA et Carrefour Management SAS orientée vers le réseau des magasins sous enseigne Intermarché " et plus particulièrement tout échange de correspondances, y compris électroniques, intervenus entre les sociétés du groupe Carrefour ou des sociétés d' exploitation des enseignes ou points de vente de ce groupe et / ou leurs actionnaires portant sur cette orientation ".
Par ordonnance du même jour, le président du tribunal de commerce de Paris a fait droit à cette requête.
Le 25 octobre 2004, l' huissier a tenté de remplir la mission qui lui était confiée, mais s' est heurté au refus de la société et notamment de M. Y....
Le 30 novembre 2004, les sociétés du groupe CARREFOUR ont saisi le président du tribunal de commerce de Paris d' une demande de rétractation de l' ordonnance sur requête en date du 15 octobre 2004.
Par ordonnance de référé en date du 14 janvier 2005, le président du tribunal de commerce de Paris les en a déboutées.
Sur l' appel de ces sociétés, la cour d' appel de Paris a, par arrêt en date du 4 novembre 2005, infirmé l' ordonnance entreprise et rétracté l' ordonnance sur requête rendue le 15 octobre 2004.
Pour statuer ainsi la Cour a notamment relevé qu' en raison de la saisine ultérieure du juge du fond, le 19 janvier 2005, les conditions de l' article 145 du code de procédure civile n' étaient plus remplies.
Par arrêt en date du 8 février 2007, la Cour de cassation (2e chambre civile) a cassé l' arrêt en date du 4 novembre 2005 en toutes ses dispositions au motif que " l' absence d' instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande " fondée sur l' article 145, " devait s' apprécier à la date de saisine du juge ".
Les sociétés du groupe CARREFOUR ont régulièrement saisi la cour de ce siège comme cour de renvoi après cassation. Elles lui demandent d' infirmer l' ordonnance de référé du 14 janvier 2005 ayant rejeté leur demande de rétractation de l' ordonnance sur requête du président du tribunal de commerce de Paris en date du 15 octobre 2004, et de condamner la SA ITME à leur payer la somme de 10. 000 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile.
Sur l' absence de motif légitime les sociétés du groupe CARREFOUR font notamment valoir que l' enseigne Intermarché étant peu porteuse, de nombreux adhérents ont cherché à exercer leur activité sous d' autres enseignes et que la société ITME, pour endiguer ce mouvement volontaire qui lui était fortement préjudiciable, a imaginé, afin d' impressionner ses adhérents pour les dissuader de changer d' enseigne (et non pas se réserver des preuves pour un procès futur), une vaste opération au niveau national, largement médiatisée, en sollicitant auprès de nombreuses juridictions des mesures d' instruction sur le fondement de l' article 145 du code de procédure civile.
Elles soulignent qu' un tel motif constitue un dévoiement de l' article 145 du code de procédure civile et n' est pas légitime. Les faits allégués par ITME pour obtenir l' ordonnance dont rétractation était demandée ne constituent par ailleurs que de simples hypothèses et aucun dépérissement des preuves n' était à craindre. Elles soulignent, au demeurant, que la société ITME a déposé devant le juge du fond près de 800 pièces justificatives, et déclare elle- même qu' elle dispose de la preuve de ses prétendus agissements fautifs. La mission confiée à l' huissier ne présente donc pas d' intérêt probatoire pour la solution du litige.
Les sociétés du groupe CARREFOUR font par ailleurs valoir que les conditions de l' article 875 du code de procédure civile ne sont pas remplies. Ainsi, la société ITME a saisi le président du tribunal de commerce de Paris par voie de requête, alors que l' article 875 du code de procédure civile limite son champ d' application aux seules mesures urgentes, lorsque les circonstances exigent qu' elles ne soient pas prises contradictoirement. Or, soulignent- t- elles, ni la requête, ni l' ordonnance ne font allusion à la condition de l' urgence. A supposer même qu' il y ait une certaine urgence, elle n' était pas incompatible avec la procédure contradictoire des référés qui se déroule dans des délais très brefs, d' autant plus que pour justifier le recours à la procédure non contradictoire de l' ordonnance sur requête, la société ITME invoque la nécessité d' agir par surprise. Or, s' agissant de se faire communiquer des documents et de consigner des déclarations, il n' y aurait pas eu d' inconvénient à ce qu' elle ait été avertie de la venue de l' huissier par un débat contradictoire en référé.
Sur le caractère non légalement admissible des mesures sollicitées, les appelantes font notamment valoir que l' ampleur et la diversité de la mission donnée à l' huissier excède manifestement non seulement les prévisions de l' article 145 du code de procédure civile, mais aussi celles qui résultent du statut de ces officiers ministériels.
Par ses dernières conclusions, signifiées le 19 novembre 2007, la SA ITM Entreprises (ITME), demande à la cour de débouter les appelantes de leurs prétentions et de confirmer l' ordonnance entreprise en toutes ses dispositions. Elle sollicite en outre de la cour la condamnation des appelantes à lui payer la somme de 30. 000 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile.
La SA ITME fait valoir en premier lieu que la condition d' urgence invoquée comme faisant défaut par les sociétés du groupe CARREFOUR n' est nullement requise. De même il était, selon elle, justifié, pour l' obtention des pièces visées dans la requête originelle, qu' il soit dérogé, par l' obtention d' une ordonnance sur requête, au principe du contradictoire. Elle souligne que la condition d' absence de procès a fond doit seulement s' apprécier, comme le précise l' arrêt de la cour de cassation du 04 novembre 2005, à la date de saisine du juge. Elle estime qu' elle avait un motif légitime à solliciter la désignation d' un huissier pour se faire remettre des documents, et interroger des personnes dénommées, dans le but d' établir par quel procédé un grand nombre d' adhérents de son réseau avait pu changer d' enseigne, en dépit de ses droits contractuels de préemption et de préférence. Enfin, elle relève que la mesure sollicitée est légalement admissible, dès lors que l' huissier n' a bien évidemment pas la possibilité de rechercher et saisir les documents, mais seulement celui d' en solliciter la communication et que s' il a pour mission de recueillir les déclarations de personnes nominativement désignées, il n' a aucun pouvoir de contrainte.
SUR CE LA COUR
Attendu que l' absence d' instance au fond, qui constitue une condition de recevabilité de la demande formée sur le fondement de l' article 145 du code de procédure civile, doit s' apprécier à la date de la saisine du juge ; que par voie de conséquence, l' introduction d' une instance au fond postérieurement à la saisine du juge des référés opérée sur le fondement de ce texte est sans effet sur la régularité de la saisine et sur l' obligation, pour le juge, de statuer ;
Attendu que l' ordonnance sur requête en date du 15 octobre 2004 donne mission à l' huissier de justice de :
- Se rendre à l' adresse du siège social des sociétés CARREFOUR SA et CARREFOUR MANAGEMENT,..., et si nécessaire, dans l' établissement secondaire de la société CARREFOUR SA,... à Paris 17ème, ou tout lieu permettant l' exécution de cette mission.
- Se faire remettre copie de tout document relatif à la stratégie du groupe CARREFOUR, orientée vers le réseau des magasins sous enseigne Intermarché, et notamment tout document ou échanges de correspondances, y compris électroniques, intervenus dans les différentes sociétés du groupe CARREFOUR ou des sociétés d' exploitation des magasins ou points de vente de ce groupe, ou leurs actionnaires portant sur cette orientation.
- Entendre tout sachant exerçant des responsabilités à l' intérieur de ce groupe, plus particulièrement juridiques, et notamment les personnalités dont les déclarations figurent dans une intervieuw parue dans le magazine " Point de vente " du 20 septembre 2004 à propos des trois points de vente du réseau Intermarché dans lesquels il est fait allusion dans ce magazine.
- Se faire assister d' un technicien en informatique si nécessaire.
- Du tout, dresser un procès verbal de constat.
Attendu qu' il n' est pas contesté qu' ITME dispose de droits de préemption et de préférence lorsque l' un des adhérents de son réseau envisage de changer d' enseigne ; qu' il n' est pas non plus contesté qu' un nombre important d' adhérents du réseau d' ITME a quitté les enseignes de cette société au profit d' enseignes du réseau Carrefour ;
Attendu enfin qu' il est justifié que Thierry X..., président de la société CSF, qui est l' une des sociétés du Groupe CARREFOUR, a fait dans la presse spécialisée, des déclarations évoquant le passage " dans le giron " de Champion, de plusieurs sociétés qui exploitaient des commerce sous enseigne Intermarché et précisant à cet égard : " nous menons une action organisée depuis 2003 vis à vis d' Intermarché " ;
Attendu que constitue un motif légitime pour la SA ITME de demander, eu égard à ces éléments, une mesure d' instruction avant tout procès, afin d' être éclairée sur les procédés qui pourraient avoir permis à ces magasins de changer d' enseigne, sans qu' elle soit mise en mesure d' exercer ses droits de préemption et de préférence ;
Attendu que la mission de l' huissier ne pouvait avoir une chance de succès que si elle était exécutée sans que la partie concernée n' en soit pas avertie, s' agissant de la remise de documents et de l' audition de plusieurs personnes pouvant se concerter ; que le recours à la procédure non contradictoire de l' ordonnance sur requête était donc indispensable ;
Attendu au demeurant qu' ITME a obtenu non seulement l' ordonnance sur requête dont rétractation est demandée dans le présent litige, mais d' autres ordonnances de même nature, devant d' autres juridictions ; que le fait que tous les huissiers mandatés se sont heurtés à des refus de communication des documents demandés et de répondre aux questions posées peut, en soi, constituer l' un des éléments, complémentaire à ceux résultant des 800 pièces dont les sociétés du groupe CARREFOUR font valoir qu' elles ont été communiquées, et qu' ITME fera valoir lors de l' instance au fond ; que dès lors il est vain de tenter de faire juger que les mesures sollicitées par l' ordonnance sur requête n' auraient été d' aucune utilité ;
Attendu que si le caractère contradictoire des procédures est une règle de principe à laquelle il ne peut être différé, dans le cadre de l' article 145 du code de procédure civile, que lorsque les mesures sollicitées ne peuvent aboutir à la conservation ou à l' établissement de faits dont peut dépendre la solution d' un litige, il en est autrement de l' urgence que ce texte ne requiert point ;
Attendu que la mission confiée à l' huissier avait pour seul effet de lui permettre de se faire remettre des documents, et d' entendre des personnes dénommées ; qu' elle ne lui attribuait aucun pouvoir de contrainte ni de perquisition, que l' objet des documents et des auditions étaient limité à des opérations figurant sur un liste ; qu' une telle mesure, qui n' est contraire ni aux dispositions de l' article 145 du code de procédure civile ni à l' ordonnance du 02 novembre 1945 relative au statut des huissiers de justice, est légalement admissible ;
Attendu qu' il résulte de ce qui précède que l' ordonnance sur requête rendue le 15 octobre 2004 était justifiée, et que l' ordonnance déférée qui a refusé de la rétracter doit être confirmée ;
Attendu que l' équité conduit à condamnation des sociétés SA CARREFOUR et SA CARREFOUR MANAGEMENT à payer à ITME la somme de 5. 000 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Statuant en audience publique, contradictoirement et en dernier ressort, sur renvoi après cassation de la décision de la cour d' appel de Paris du 04 novembre 2005 par arrêt de la cour de cassation rendu le 08 février 2007
Confirme l' ordonnance rendue le 14 janvier 2005,
Condamne les sociétés SA CARREFOUR et SA CARREFOUR MANAGEMENT à payer à ITME la somme de 5. 000 euros sur le fondement de l' article 700 du code de procédure civile,
Les condamne aux dépens exposés par la SA ITME devant toutes les juridictions qui ont connu de la présente instance et admet la SCP LISSARRAGUE DUPUIS BOCCON- GIBOD, avoués, au bénéfice des dispositions de l' article 699 du code de procédure civile.
Prononcé par mise à disposition de l' arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l' article 450 du nouveau code de procédure civile.
- signé par Monsieur Albert MARON, Président et par Madame GENISSEL, greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,