COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 61A
3ème chambre
ARRET No
REPUTE CONTRADICTOIRE
DU 11 OCTOBRE 2007
R. G. No 07 / 02403
AFFAIRE :
S. A. UCB PHARMA
C /
Véronique X...
...
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Février 2007 par le Tribunal de Grande Instance de NANTERRE
No chambre : 2
No RG : 05 / 02404
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
SCP KEIME GUTTIN JARRY
SCP TUSET-CHOUTEAU
SCP LEFEVRE TARDY & HONGRE BOYELDIEU
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE ONZE OCTOBRE DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S. A. UCB PHARMA
21 rue de Neuilly
92000 NANTERRE
agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit audit siège
représentée par la SCP KEIME GUTTIN JARRY, avoués-No du dossier 07000298
plaidant par Me SPORTES, avocat au barreau de PARIS
plaidant par Me RAVIT, avocat au barreau de PARIS
APPELANTE
****************
1 / Madame Véronique X...
...
64100 BAYONNE
représentée par la SCP TUSET-CHOUTEAU, avoués-No du dossier 20070301
plaidant par Me Martine VERDIER, avocat au barreau de D'ORLEANS
INTIMEE
2 / S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE
14 Boulevard Richelieu
92500 RUEIL MALMAISON
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
représentée par la SCP LEFEVRE TARDY & HONGRE BOYELDIEU, avoués-No du dossier 270471
plaidant par Me BOERINGER, avocat au barreau de PARIS (K. 112)
INTIMEES
3 / CAMPI PL PROVINCES
3 rue Taylor
75474 PARIS CEDEX 10
prise en la personne de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
INTIMEE DEFAILLANTE
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Septembre 2007 devant la cour composée de :
Madame Joëlle BOURQUARD, Président,
Monsieur Marc REGIMBEAU, Conseiller,
Madame Marie-Claude CALOT, Conseiller,
qui en ont délibéré,
Greffier, lors des débats : Madame Marie-Claire THEODOSE
FAITS, PROCEDURE ET MOYENS DES PARTIES
Mme Véronique X..., née le 12 février 1959, a découvert sa stérilité incurable, et à la suite d'une grossesse extra-utérine en 1986, elle a perdu une trompe.
Elle affirme que c'est au mois d'octobre 2002, qu'un avis médical a posé pour la première fois, que la forme de sa cavité utérine en T et des cornes, était compatible avec une pathologie utérine consécutive à la prise de distilbène par sa mère, durant sa grossesse.
Imputant son état de stérilité à la prise par sa propre mère, durant sa grossesse, de la molécule dénommée diethylstilbestrol ou DES, destinée à facilité les grossesses, elle a fait assigner, suivant exploits des 11 et 12 janvier 2005 et 9 janvier 2006, la S. A. UCB PHARMA et la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, qui ont repris des laboratoires, qui seuls en France, produisaient ce médicament à cette époque sous deux noms différents, le distilbène pour celui repris par la S. A. UCB PHARMA et le stilbestrol Borne pour celui repris par la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, pour voir juger, à titre principal que la S. A. UCB PHARMA, et à titre subsidiaire, la S. A. UCB PHARMA et la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE tenus in solidum, sont responsables de son préjudice, et voir désigner un expert chargé de donner. son avis sur le montant de ce préjudice.
La S. A. UCB PHARMA a interjeté appel du jugement rendu le 2 février 2007, par le tribunal de grande instance de Nanterre, qui, sur cette assignation, a :
-déclaré le jugement opposable à la CAMPI PL PROVINCES,
-mis la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE hors de cause,
-condamné la S. A. UCB PHARMA à payer à Mme Véronique X... la somme de 2. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
-débouté Mme Véronique X... de sa demande de provision,
-avant dire droit, commis le Professeur C... et les Docteurs J... et K... en qualité d'experts, afin, notamment, de dire si la pathologie présentée par Mme Véronique X... est liée par un rapport de causalité à l'administration de distilbène, et dans l'affirmative de préciser le degré de causalité, et si les informations sur les effets du DES contenues dans la notice de la S. A. UCB PHARMA, étaient suffisamment précises, complètes et circonstanciées, en ce qui concerne les risques d'apparition de cette pathologie, donner leur avis sur l'évaluation du préjudice,
-ordonné l'exécution provisoire.
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La S. A. UCB PHARMA, qui conclut à l'infirmation du jugement déféré, prie la cour de :
-dire que la preuve de l'exposition de Mme Véronique X... à son produit n'est pas rapportée par Mme Véronique X...,
-débouter Mme Véronique X... de toutes ses demandes à son encontre,
-condamner Mme Véronique X... aux dépens, y compris ceux d'expertise qui auraient déjà été engagés,
En toute hypothèse, réduire les prétentions de Mme Véronique X... au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
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La S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, qui a conclu à la confirmation du jugement en ce qu'il l'a mise hors de cause, prie la cour de, vu les articles 1382 et 2270-1 du code civil,
-dire les demandes de Mme Véronique X... à son encontre, irrecevables et mal fondées, l'en débouter,
-condamner la S. A. UCB PHARMA à lui verser 8. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et les entiers dépens.
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Mme Véronique X..., qui conclut à la confirmation du jugement déféré, prie la cour de, vu les articles 1165,1353 et 1382 du code civil,
-débouter la S. A. UCB PHARMA de toutes ses exceptions et moyens tenant à l'exposition au DES, et de ses demandes au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
-condamner la S. A. UCB PHARMA à lui verser 7. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et les entiers dépens
-Par impossible, si infirmation,
-condamner la S. A. UCB PHARMA ou la S. A. UCB PHARMA et la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE solidairement à lui payer 7. 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et les entiers dépens.
La CAMPI PL PROVINCES n'a pas constitué avoué.
DISCUSSION ET MOTIFS DE LA DECISION
Considérant que la charge de la preuve des faits qu'il invoque incombe au demandeur, en l'espèce, Mme Véronique X... ;
Que pour que l'action en responsabilité intentée par Mme Véronique X... puisse prospérer, il faut donc qu'elle établisse, cumulativement, qu'elle a été exposée à la molécule DES, sous la forme de celle fabriquée par l'un au moins des laboratoires en la cause, et que cette molécule est à l'origine de son dommage, à savoir sa pathologie ;
Que la preuve du rôle causal de la molécule DES dans la pathologie de Mme Véronique X..., peut valablement résulter des analyses et avis des experts, au cours de l'expertise qui est demandée ;
Que seule reste donc à rapporter la preuve que Mme Véronique X... a été exposée soit à l'un des deux produits fabriqués par la S. A. UCB PHARMA et la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, le distilbène pour la S. A. UCB PHARMA et le stilbestrol Borne pour la S. A. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, soit à ces deux produits concomitamment ou successivement ;
Que la S. A. UCB PHARMA et la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE contestent que cette preuve soit rapportée en l'occurrence ;
Que s'agissant d'un fait juridique, la preuve en est libre, et peut donc se faire soit par écrit, soit par témoignages, dont la force probante et la pertinence sont laissées par la loi à l'appréciation souveraine des juges, ou par présomptions, lesquelles ne peuvent être retenues, suivant l'article 1353 du code civil, qu'à condition d'être graves, précises et concordantes ;
Considérant cependant, que le dossier médical de Mme Véronique X... n'ayant pas été retrouvé près de 40 ans après les faits, aucun certificat médical de prescription n'est produit ;
Que Mme Véronique X... entend néanmoins, et en premier lieu, rapporter la preuve de son exposition au seul produit de la S. A. UCB PHARMA, le distilbène, et pour ce faire, invoque diverses attestations et pièces, qu'il convient d'examiner ;
Que Mme Véronique X... propose d'abord une note écrite par sa mère, Régine X... elle-même médecin, datée du 29 mars 2004, dans laquelle elle affirme que le Docteur D... lui avait prescrit du distilbène durant sa grossesse ;
Que cette note n'a, à elle seule, qu'une faible force probante en raison du lien de filiation avec la demanderesse ;
Qu'elle propose ensuite une lettre de sa mère à un avocat, datée du 9 mai ou mars 2005, dans laquelle elle reprend son affirmation, et qui, pour la même raison que la précédente pièce, n'a que peu de force probante ;
Qu'elle produit encore une note écrite le 15 janvier 2004 par Mme E..., sage-femme qui travaillait dans le service où Mme Régine X... a été admise en 1958 / 59, qui déclare que : " le docteur D....... prescrivait.... soit ethynyl oestradiol soit distilbène. 45 ans après je suis dans l'incapacité de me souvenir du traitement reçu par Mme X... " ;
Que cette attestation ne prouve pas la prise de distilbène par la mère de Mme Véronique X... ;
Qu'elle produit l'attestation de son père, médecin ayant exercé dans l'établissement ou le Docteur D... a traité son épouse en 1958 / 59, qui déclare que le Docteur D... prescrivait régulièrement des oestrogènes de synthèse dans le cas de Mme Véronique X..., attestation qui ne saurait faire preuve de la prise de distilbène ;
Qu'il en est de même de l'attestation faite dans les mêmes termes par le Docteur F... le 3 mars 2001 ;
Que les propres assertions de Mme Véronique X... ne sauraient davantage faire preuve, nul en droit français, ne pouvant se délivrer une preuve à soi-même ;
Qu'elle produit un avis d'imagerie du mois d'octobre 2002 du Docteur G..., mentionnant comme antécédent maternel : " prise DES au cours de la grossesse ", qui ne peut pas servir à établir la prise de distilbène ;
Qu'enfin elle produit une lettre du docteur H... du 6 juin 2003, adressée à un confrère, dans laquelle elle écrit : " Je vous confie pour hystéroscopie....... Mlle Véronique X...
antécédents : exposée in utero au distilbène.... " ;
Que néanmoins, n'étant pas contesté par les parties que le dossier médical n'a pas été retrouvé, et le Docteur H... n'étant pas intervenu à l'époque de l'exposition au distilbène alléguée, de telles affirmations qui ne précisent pas sur quel document médical elles s'appuient, ne peuvent pas se voir reconnaître une force probante quelconque ;
Qu'au surplus, la S. A. UCB PHARMA produit des éléments de preuve de ce que le terme " distilbène ", était employé, même par des spécialistes, au sens générique, au lieu de celui de diethylstilbestrol ou DES, à savoir des articles de doctrine, et des éléments du dossier de Mlle I..., notamment en raison de la position dominante sur le marché de cette hormone, soit entre 80 et 90 %, de sorte que cette mention n'est pas significative de la marque administrée ;
Que les attestations et lettres produites en demande, ne peuvent donc pas constituer des preuves certaines de l'exposition de Mme Véronique X... au distilbène durant la grossesse de sa mère, ni davantage les présomptions graves précises et concordantes, exigées par l'article 1353 du code civil ;
Considérant que Mme Véronique X... soutient en second lieu, que, étant admis qu'elle a bien été exposée à la molécule litigieuse, mais étant supposé que l'identité exacte de ce produit, distilbène de la S. A. UCB PHARMA, ou stilbestrol Borne de la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, soit restée ignorée la preuve en étant impossible, il resterait que ces deux laboratoires auraient chacun concouru au dommage subi par elle, engageant ainsi leur responsabilité solidaires, en commercialisant ensemble et au même moment, l'hormone de synthèse DES, sous ces deux noms différents, de sorte que ce serait nécessairement un produit fabriqué par l'une des marques, ou même les deux ensemble, qui serait en cause ;
Que Mme Véronique X... soulève ainsi le moyen tiré de la responsabilité solidaire des participants à une action collective ou commune ;
Que la S. A. UCB PHARMA réplique que les conditions d'une responsabilité collective ne sont pas remplies dans le cas de Mme Véronique X... ;
Que la société la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE reprend ce moyen de défense, faisant valoir que la preuve de l'exposition de Mme Véronique X... à son produit, condition de l'engagement de sa responsabilité même solidaire, n'est pas rapportée ;
Mais considérant, en droit, que la notion d'action collective ou commune, ne peut trouver à s'appliquer, que dans les cas où tous les participants ont commis des fautes indissociables, ou des fautes connexes, ou une action concertée, chacun ayant contribué à la réalisation du dommage, ou, en d'autres termes, en relation avec le dommage ;
Qu'il n'existe aucune présomption de lien de causalité ;
Qu'ainsi, si plusieurs chasseurs ont pu être reconnus solidairement responsables pour avoir causé un dommage unique dans leur action commune de tir, c'était en raison de l'existence d'une gerbe unique de plombs ayant causé le dommage ;
Qu'il incombe en conséquence à la cour, de rechercher les éléments de preuve certaine d'une action collective ;
Qu'il n'est pas fait état par Mme Véronique X... de fautes connexes ou indissociables, ni d'une concertation des laboratoires en relation avec le dommage ;
Que le fait qu'ils ont tous deux mis sur le marché la molécule à l'origine du dommage, fait non contesté, ne peut pas en tenir lieu, ce fait n'étant pas en relation directe avec le dommage subi par Mme Véronique X... ;
Qu'il faudrait qu'il soit établi en plus, que les molécules DES qu'ils produisent, ont toutes deux concouru au dommage particulier subi par Mme Véronique X..., c'est à dire qu'elles lui ont toutes deux été administrées, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, aucun élément de preuve d'une administration du produit de la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE n'étant versé aux débats, et la cour ayant jugé, ci-avant, que les éléments de preuve de l'administration du distilbène de la S. A. UCB PHARMA produits aux débats, étaient insuffisants ;
Que la preuve d'une action collective ou concertée n'étant pas rapportée par Mme Véronique X..., ce second moyen doit donc être jugé mal fondé ;
Que la stérilité, multifactorielle, n'est pas nécessairement liée à l'exposition au DES ;
Que Mme Véronique X... ne rapportant donc nullement la preuve d'une faute des laboratoires en relation avec son dommage, condition de l'engagement de leur responsabilité, elle ne peut qu'être déboutée de ses demandes aux fins de déclaration de responsabilité et d'expertise ;
-Sur la demande au titre des frais irrépétibles
Considérant qu'il n'y a pas lieu en équité d'allouer une quelconque somme au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile ;
-Sur les dépens
Considérant que Mme Véronique X... qui succombe, doit supporter les dépens ;
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, et statuant à nouveau,
Dit que Mme Véronique X... ne rapporte pas la preuve d'une faute des laboratoires en relation avec son dommage,
La déboute en conséquence, de ses demandes tendant à voir déclarer la S. A. UCB PHARMA, ou la S. A. UCB PHARMA et la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE responsables in solidum de son dommage,
Rejette la demande d'expertise de Mme Véronique X...,
Rejette les autres demandes, et notamment celles au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,
Condamne Mme Véronique X... aux dépens de première instance et d'appel,
Dit que ces dépens pourront être recouvrés par les SCP KEIME GUTTIN JARRY, et LEFEVRE TARDY HONGRE BOYELDIEU, avoués de la S. A. UCB PHARMA et de la S. A. S. NOVARTIS SANTE FAMILIALE, pour la part les concernant, conformément aux dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile.
-prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du nouveau code de procédure civile.
-signé par Madame Joëlle BOURQUARD, Président et par Madame THEODOSE, Greffier, auquel le magistrat signataire a rendu la minute.
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,