COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 80A
5ème chambre A
Renvoi après cassation
ARRET No
contradictoire
DU 25 SEPTEMBRE 2007
R. G. No 06 / 01688
AFFAIRE :
Jean Marie Christian X...
C /
CRE RATP
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 03 Février 2006 par le Conseil de Prud'hommes de BOBIGNY
No Chambre :
No Section : E
No RG : 00 / 03441
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
LE VINGT CINQ SEPTEMBRE DEUX MILLE SEPT,
La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
DEMANDEUR ayant saisi la cour d'appel de Versailles par déclaration enregistrée au greffe social le en exécution d'un arrêt de la Cour de cassation du cassant et annulant l'arrêt rendu le par la cour d'appel de
Monsieur Jean Marie Christian X...
K...
...
94250 GENTILLY
Comparant en personne
****************
DEFENDERESSE DEVANT LA COUR DE RENVOI
CRE RATP
68 Avenue Gambetta
BP 119
93172 BAGNOLET CEDEX
Représenté par Me BLEDNIAK substituant Me Jacques Y... (avocat au barreau de PARIS)
****************
Composition de la cour :
L'affaire a été débattue à l'audience publique du 03 Avril 2007, devant la cour composée de :
M. Bernard RAPHANEL, président,
Madame Sabine FAIVRE, conseiller,
Madame OLLAT, conseiller,
et que ces mêmes magistrats en ont délibéré conformément à la loi,
dans l'affaire,
Greffier, lors des débats : Madame Corinne BOHN
Lors des débats la cour a entendu Monsieur RAPHANEL, Président en son rapport,
les conseils des parties en leurs explications.
FAITS ET PROCEDURE,
Jean-Marie X... a été engagé à compter du 3 juillet 1995 par le comité régie d'entreprise de la Régie autonome des transports parisiens (RATP)-ci-après CRE-en qualité de responsable du service de l'administration du personnel et de la gestion de la paie : il était, pour le secteur dont il était chargé, l'adjoint du directeur des ressources humaines du CRE : sa rémunération était en dernier lieu de 3 130 euros (20 500 francs) par mois.
Monsieur X... a saisi le conseil de prud'hommes de Bobigny le 23 août 2000 de demandes tendant à l'annulation d'un avertissement notifié le 10 juillet 2000 et au paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral : il a été licencié le 17 avril 2001, après mise à pied conservatoire, pour avoir selon le C. R. E. dans ses écritures devant la juridiction prud'homale signées par son conseil, développé à l'encontre de M. Z..., directeur général et de
M. A..., directeur des ressources humaines jusqu'au 31 janvier 2001, des insinuations, des calomnies, des attaques personnelles infamantes et des accusations injurieuses incompatibles avec le maintien de leur auteur dans l'entreprise :
ces écritures comportaient notamment les termes suivants, repris dans la lettre de licenciement :
" M. Z...et M. A...se sont servis du comportement inadmissible de Mme B...pour intensifier le harcèlement à l'encontre de leur cadre (...) : les pervers, instigateurs du projet de harcèlement étaient bel et bien l'employeur (en la personne de MM. Z...et A...). "
Le C. R. E occupait habituellement au moins onze salariés : la relation de travail était soumise à la convention d'entreprise du 26 octobre 1982.
Invoquant la nullité de son licenciement, M. X... a sollicité sa réintégration et le paiement de dommages-intérêts, ainsi que d'arriérés de salaires : il a été débouté de l'ensemble de ses demandes par jugement du 3 février 2003.
M. X... a interjeté appel.
Par arrêt du 20 janvier 2004 la cour d'appel de Paris a, infirmant partiellement le jugement déféré et statuant à nouveau,
-condamné le comité régie d'entreprise de la RATP à payer à M. X... :
30 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
1 000 euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;
-déclaré irrecevable la demande de M. X... relative à l'avertissement du 10 juillet 2000 ;
-débouté M. X... de sa demande fondée sur l'article 1382 du Code civil ;
-ordonné le remboursement par le comité régie d'entreprise de la RATP à l'organisme concerné des indemnités de chômage versées à M. X... à la suite de son licenciement dans la limite de deux mois d'indemnisation.
-confirmé pour le surplus le jugement déféré.
-condamné le CRE de la RATP aux dépens.
Dans la partie motivation, la Cour a expliqué que compte tenu de la nature du litige, les termes employés par M. X... dans ses conclusions n'excédaient pas les limites d'une défense légitime, à l'exception de ceux constituant une injure, soit la phrase :
" les pervers, investigateurs du projet de harcèlement étaient bel et bien l'employeur en la personne de MM. Z...et A...".
Puis elle a poursuivi en ses termes :
" La rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur est soumise à la procédure de licenciement prévue par les articles L. 122-14 et suivants du Code du travail et n'ouvre droit pour le salarié, dès lors qu'aucun texte n'interdit, ou ne restreint la faculté de l'employeur de le licencier qu'à des réparations de nature indemnitaire sans que le salarié puisse exiger, en l'absence de disposition le prévoyant et à défaut de violation d'une liberté fondamentale sa réintégration dans l'entreprise.
Si les écritures de M. X... produites dans le cour d'un procès relevaient de l'exercice d'une liberté fondamentale, celle-ci n'a pas été violée par l'employeur, compte tenu de l'abus commis par le salarié : par suite, le licenciement de ce dernier n'est pas nul ".
La Cour de cassation a, au visa des articles 41 de la loi du 29 juillet 1881 et L. 120-2 du Code du travail, dans un arrêt rendu le 28 mars 2006, censuré les dispositions disant que le licenciement n'est pas nul, estimant que la teneur des écrits produits devant les juridictions, qui relève de la liberté fondamentale de la défense, ne peut connaître d'autres limites que celles fixées par l'article susvisé qui organise, par la suppression, les dommages-intérêts et la réserve d'action qu'il prévoit, les seules sanctions possibles de leur méconnaissance.
Pour la Cour de cassation, un licenciement prononcé des suites d'une telle méconnaissance est nul comme contraire à l'article L 120-2 du Code du travail.
Dans ses écritures, M. X... prie cette cour de renvoi de :
1 / constater que même amnistié, l'avertissement à lui fait le 10 juillet 2000 est un abus d'autorité ayant pour seul but d'intimider et d'atteindre à la fonction et à la dignité de sa personne.
2 / condamner le CRE RATP à lui verser la somme de 60 000 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, discrimination.
3 / dire que le licenciement prononcé le 17 avril 2001 est nul, et ordonner au CRE-RATP la remise des bulletins de salaire depuis la date de licenciement à ce jour et à lui verser les rémunérations nettes correspondant en tenant compte de ses avancements et des privations.
4 / ordonner sa réintégration, la réparation des préjudices et le rétablissement des privations (avancement et promotion professionnelle).
5 / de lui allouer la somme de 7 592,32 euros sur le fondement des articles 1382 et 1384-5 du Code civil en réparation des dommages causés à autrui, et celle de 1 000 euros en vertu de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile, sans avoir repéré que certaines de ses prétentions sont irrecevables eu égard à la saisine limitée de cette Cour.
En réponse, le C. R. E. a tenu tout d'abord à témoigner de sa totale confiance à l'égard de MM. Z...et A....
Il s'est étonné qu'eu égard au mode de désignation des personnes le dirigeant, il puisse être allégué que celles-ci laisseraient se développer, voire pratiqueraient elles-mêmes des menées xénophobes ou racistes, ou toute forme de discrimination ou de harcèlement moral.
En droit, le C. R. E. admet qu'il est acquis, qu'en lui-même, le fait de prendre comme motif
d'un licenciement des écrits produits devant des juridictions entraîne la nullité du dit licenciement.
Pareillement, il rejoint la Cour de cassation lorsqu'elle martèle que cette nullité trouve son fondement dans " l'absence de limites, autres que celles fixées par l'article 41 de la loi du
29 juillet 1881, à la liberté fondamentale de la défense ".
Mais il souligne que cette notion ne saurait s'étendre aux faits matériels constitutifs de faute justifiant le licenciement découverts à cette occasion.
Or le C. R. E. insiste sur l'attitude de Jean-Marie X... qui, bien avant la production des écritures litigieuses a soutenu que ses supérieurs hiérarchiques directs à savoir le directeur général, et le directeur des ressources humaines, avaient à son égard une attitude discriminatoire et de persécution, teintée de xénophobie.
Il en déduit que ce fait matériel est détachable de l'immunité de défense justifiant le licenciement dans la mesure où il est porté à connaissance de la direction du comité, alors que le salarié est toujours en activité.
Il s'est dès lors attaché à montrer que le licenciement était la seule mesure proportionnée aux faits ainsi découverts.
Pour le C. R. E., au final si l'on doit accepter l'articulation de moyens de défense protégés par l'immunité de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, le salarié en sort nécessairement lorsqu'il expose une opinion mettant en cause injustement ses supérieurs hiérarchiques ce qui rend impossible le maintien dans l'entreprise du salarié.
Le C. R. E. conclut ainsi au débouté de l'ensemble des prétentions formulées par
M. X....
SUR CE :
Considérant que pur le premier juge, le licenciement était non seulement admissible en son principe, mais même causé, dès lors que les écritures produites devant la juridiction prud'homale faisaient ressortir la perversité de MM. Z...et A...;
" Le fait de qualifier de pervers M. Z..., actuel directeur général, et M. A..., directeur des ressources humaines à la retraite, est gravement insultant pour ces personnes, et viole l'obligation de loyauté à laquelle est tenu tout salarié.
Le caractère gravement insultant de ces propos rend impossible la poursuite du contrat même pendant la durée du préavis " ;
Considérant que pour le juge d'appel, " compte tenu de la nature du litige, les termes employés par M. X... dans ses conclusions n'excédaient pas les limites d'une défense légitime, à l'exception de ceux constituant une injure :
" les pervers instigateurs du projet de harcèlement étaient bel et bien l'employeur en la personne de MM Z...et A..." ;
qu'il en déduit que le licenciement n'était pas nul mais dépourvu de caractère réel et sérieux dès lors que le contexte en était caractérisé par la persistance d'un conflit violent au sein du service incriminé ;
Considérant qu'il importe de retenir que seule la disposition afférente à la légalité du licenciement en son principe, a été annulé par la Cour de cassation ;
qu'il importe donc peu à hauteur de la cour de renvoi d'analyser le moyen tiré de la révélation de par les écritures du caractère désobligeant et inacceptable des attaques personnelles portées à l'encontre de MM Z...et A...;
qu'en effet, à supposer admissible la nouvelle thèse du C. R. E (résumée plus avant), l'on ne pourrait aboutir qu'à valider le licenciement (à supporter contourné l'obstacle lié à la nullité ou non du licenciement), ce que cette cour ne peut décider en raison du caractère limité de la cassation infligée à l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 20 janvier 2004 ;
que seul doit compter l'examen du moyen retenu par la Cour de cassation ;
Et considérant que la phase litigieuse telle que reproduite ci-avant aurait pu être retirée par le recours par exemple à l'article 24 du nouveau Code de procédure civile d'après lequel :
" Le juge peut, suivant la gravité des manquements, prononcer même d'office, des injonctions, supprimer les écrits, les déclarer calomnieux, ordonner l'impression et l'affichage de ses jugements, ou générer une action tendant à obtenir des dommages intérêts ;
qu'il s'en suit que le licenciement prononcé du fait de la teneur des écrits produits devant la juridiction est nul comme contraire à l'article L. 120-2 du Code du travail :
" nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas jusitifiées par la nature de la tâche à accomplir, ni proportionnées au but recherché ", et à l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881.
Sur les conséquences financières :
Considérant que le licenciement d'un salarié en violation d'une liberté fondamentale de la défense, et qui est atteint de nullité, ouvre droit pour le salarié qui demande sa réintégration au versement d'une indemnité égale au montant de la rémunation qu'il aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration ; (sans qu'il y ait lieu de déduire de cette indemnité les revenus qu'il a pu percevoir de tiers au cours de cette période) ;
Considérant que M. X... réclame de ce chef la somme de 192 000 euros ;
Considérant que M. X... a été licencié le 17 avril 2001 ;
Qu'une reconstitution de carrière s'impose, cette cour estimant n'avoir pas tous les éléments en sa possession pour trancher ce point de fait ;
que dans l'attente d'une consultation confiée à un technicien spécialisé il sera alloué à l'intéressé la somme de 100 000 euros ;
sur la somme de 15 000 euros de dommages-intérêts mise en compte pour préjudice moral :
Considérant que M. X... a été licencié le 17 avril 2001 dans des conditions inacceptables puisqu'en violation d'une liberté fondamentale de la défense,
que ce préjudice existe de façon indiscutable ;
que cependant cette cour constate que de par l'effet de la cassation partielle, M. X... reste bénéficiaire de la somme allouée à lui par la cour d'appel de PARIS, soit
30 000 euros, au titre d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
que dans ces conditions, la somme de 1 500 euros réparera utilement ce chef de préjudice ;
sur la somme de 6 872,32 euros exigée en vertu de l'article 1382 du Code civil, et de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Considérant qu'il s'agit en réalité d'une indemnité de procédure, à propos de laquelle les juges disposent d'un pouvoir discrétionnaire pour en apprécier le principe, et le montant ; (c'est à dire sans motivation) ;
qu'il n'y a pas lieu en l'espèce d'accorder à M. X... une indemnité de procédure ;
PAR CES MOTIFS,
LA COUR,
Statuant publiquement, par arrêt mixte dans les limites de la cassation opérée par l'arrêt de la Cour de cassation du 28 mars 2006-chambre sociale-
Infirme le jugement rendu le 3 février 2003 par le conseil de prud'hommes de BOBIGNY, et statuant à nouveau,
Ordonne la réintégration de Jean-Marie X... dans son emploi antérieur, au sein du Comité régie d'entreprise de la Régie autonome des transports parisiens, avec tous les effets de droit qui s'y rattachent.
Dit que le salarié qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre la rupture-17 avril 2001-et sa réintégration effective, dans la limite du montant des salaires nets dont il a été privé.
Met en oeuvre à cette fin une mesure d'expertise confiée à Monsieur Jean-Charles C..., expert comptable, ..., téléphone : 01 42 56 40 00.
lequel aura pour mission d'en déterminer le montant.
Fixe une consignation d'un montant de 1 000 euros sera versée au service des expertises de la Cour d'appel de VERSAILLES avant le 15 novembre 2007 par Monsieur X....
Dit que l'expert devra déposer son rapport dans les 2 mois de sa saisine par le service des expertises.
Dit qu'en cas d'empêchement de l'expert, celui-ci sera remplacé sur simple requête à la demande de l'une des parties, par ordonnance présidentielle.
Alloue d'ores et déjà à Jean Marie X... la somme de 100 000 euros de ce chef.
Condamne en outre le C. R. E. de la R. A. T. P. à payer à Jean-Marie X... la somme de 1 500 euros au titre du préjudice moral.
Et, vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile :
Dit n'y avoir lieu d'accorder une indemnité de procédure à Jean-Marie X....
Renvoie l'affaire à l'audience du MARDI 15 JANVIER 2008, porte J, salle numéro 6, rez de chaussée droite.
Dit que la notification de l'arrêt vaudra convocation des parties à l'audience.
Arrêt prononcé par M. Bernard RAPHANEL, président, et signé par M. Bernard RAPHANEL, président et par Madame Corinne BOHN, greffier, présent lors du prononcé
Le GREFFIER, Le PRESIDENT,